Contrat de société et partage du résultat issu de l’exploitation

§2) Les éléments intentionnels du contrat de société
39. – Si les conditions précédentes n’étaient, pour certaines, que l’adaptation des exigences de droit commun à la particularité de la situation de société, les éléments intentionnels s’inscrivent comme spécifiques à cette occurrence, en ce qu’ils ont vocation à refléter le particularisme de la situation d’associé. En effet, chaque personne se réclamant de cette qualification doit non seulement manifester son intention de partager le résultat né de l’exploitation (A), mais également être animé de l’affectio societatis (B).
A) L’intention de partager le résultat issu de l’exploitation
40. – Une fois l’activité déployée, elle génèrera un résultat. Outre le cas peu courant dans lequel il sera fait état d’un bilan à l’équilibre, ce résultat pourra prendre trois formes, telles qu’évoquées par le législateur à l’article 1832 du Code civil.
41. – Il pourra d’abord s’agir d’un bénéfice et la Cour de Cassation a défini cette notion dans un arrêt rendu toutes chambres réunies le 11 mars 1914. Elle a à cette occasion affirmé que « l’expression « bénéfices » […] s’entend d’un gain pécuniaire ou d’un gain matériel qui ajouterait à la fortune des associés. » Le bénéfice se traduit donc par l’augmentation en valeur du patrimoine du groupement ou de ses membres dès lors que, comme dans le cas de la société créée de fait, le premier n’a pas la personnalité juridique. Mais le résultat pourra également prendre la forme d’économies, c’est-à-dire d’une réduction des coûts ou des dépenses. Enfin, des difficultés peuvent apparaitre lors de l’exercice de l’activité, se matérialisant sous la forme d’une perte, donc d’une exploitation déficitaire.
42. – Quel que soit le type de résultat dégagé, on ne peut pas concevoir de société sans l’intention des associés d’en opérer la répartition entre eux. Celle des économies ne soulève pas de difficultés, en ce sens que chacun en profitera sans nécessiter ni accord, ni intervention des autres, mais par le simple exercice de son activité au sein de la société. Mais il n’en va pas de même du partage des bénéfices ou de la contribution aux pertes qui doivent faire l’objet d’un accord entre associés afin que chacun prenne une part de ce résultat positif ou négatif.
43. – Cette nécessité est relayée par la règle posée par l’article 1844-1 du Code civil, qui, dans son alinéa second, répute non écrites les clauses léonines, « attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l’exonérant de la totalité des pertes, celle excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes ». Pareille stipulation aurait en effet pour conséquence d’annihiler l’aléa consécutif à toute gestion de société, et ceci dans un sens qui pourra être favorable à certains associés, au détriment d’autres, et en cela, apparaît contraire à l’esprit même de l’institution, censé s’incarner au plan individuel. Pour autant, il ne faudrait pas en conclure que cette répartition doive toujours être aménagée de manière égalitaire entre les associés. En effet, si chacun doit obtenir une part des bénéfices, et supporter une partie des pertes, selon les hypothèses de gestion plus ou moins heureuse, la loi n’en fixe la proportion qu’à titre supplétif, laissant aux associés toute latitude pour y déroger dans le cadre des statuts de leur groupement. Ce n’est qu’à défaut d’accord entre eux, que ce même article, fixe en son alinéa premier la part de chaque associé par référence à sa part dans le capital social, tout en réservant à l’apporteur en industrie, la même part que l’associé ayant le moins apporté dans la société.
44. – Une spécificité s’esquisse encore ici, s’agissant de la société créée de fait. En effet, le partage du résultat constitue le plus souvent l’objet du litige, l’enjeu de la reconnaissance de ce groupement résidant selon les situations soit dans le partage du bénéfice issu d’une activité exercée en commun, soit dans la répartition des pertes qui ont pu y être liées. A cette dualité de situations, correspondra très généralement une dualité de demandeurs à l’action.
45. – Dans le premier cas, où deux ou plusieurs personnes auront exercé une activité commune ayant profité à l’une d’elles, la première agira en justice à l’encontre de la seconde afin de faire reconnaitre l’existence entre eux d’une société créée de fait pour l’exercice de cette entreprise commune, en vue d’en obtenir le partage du bénéfice dégagé. C’est donc entre prétendus associés que se déroulera le contentieux, la preuve de l’ensemble des éléments constitutifs de toute société devant alors être rapportée (V. infra n°58).
46. – Dans la seconde hypothèse, ladite activité s’étant soldée par une perte, c’est souvent le créancier de celle-ci qui prendra l’initiative de l’action36. En effet, lorsque l’exercice d’une entreprise commune met en cause les tiers, le principe est, en l’absence de société, celui selon lequel est seul engagé à l’égard des tiers celui qui a traité avec eux. Néanmoins, cela pourra être problématique pour le créancier dans le cas où les capacités financières de son débiteur apparaitront douteuses.
47. – Le recours à la société créée de fait pourra alors lui être bénéfique dès lors qu’il a connaissance de ce qu’une ou plusieurs autres personnes se sont également impliquées dans cette activité. Pour autant, ce seul constat ne pourra lui assurer de remède à cette situation que dès lors qu’il établira, outre l’existence de la société, soit que les participants ont agi à son égard « en qualité d’associés, au vu et au su des tiers »37, soit qu’un associé lui a, « par son immixtion », laissée croire « qu’il entendait s’engager à son égard, ou dont il est prouvé que l’engagement a tourné à son profit »38.
48. – Si le créancier parvient à rapporter cette double preuve, étant entendu que la première, concernant l’existence de la société est facilitée à son égard par la possibilité qui lui est offerte par la jurisprudence de se prévaloir uniquement de l’apparence d’une société créée de fait (V. infra n°58), il pourra alors invoquer la règle énoncée à l’article 1872-1 alinéa 2 selon laquelle chacun des coassociés sera tenu à son égard « des obligations nées des actes accomplis en cette qualité par l’un des autres, avec solidarité, si la société est commerciale, sans solidarité dans les autres cas. » Ainsi, outre l’adjonction d’autant de patrimoines qu’il parviendra d’établir d’associés engagés à son égard, décuplant ainsi les potentialités du droit de gage général qui lui est offert par les articles 2284 et 2285 du Code civil, le créancier pourra également bénéficier d’une solidarité entre eux si l’objet de la société qu’ils ont constitué pourra être considéré comme commercial, lui offrant alors la possibilité d’actionner chacun d’eux pour la totalité de la dette.
49. – L’avantage en est donc pour lui appréciable, étant entendu que l’obstacle à sa survenance est probatoire, et essentiellement lié à la démonstration du caractère ostensible de la qualité d’associé. Mais, encore faut-il garder à l’esprit que dans le cadre de la société créée de fait, les associés n’auront pas conscience de se trouver dans une telle situation. Ainsi, l’un d’entre eux ne pourra se présenter en cette qualité à l’égard du créancier, ce qui réduit les potentialités de voir l’action perdurer. Or, si cette ultime preuve n’est pas rapportée, la reconnaissance de la société créée de fait n’apportera aucun avantage au créancier, le principe formulé à l’article 1872-1 alinéa premier étant identique à celui qui a cours en droit commun :
« chaque associé contracte en son nom personnel et est seul engagé à l’égard des tiers. »
50. – Le partage du résultat entre associés semble bien alors s’ériger en enjeu de la reconnaissance d’une société créée de fait, que celle-ci intervienne de la volonté d’un associé, ou d’un tiers, mettant ainsi en lumière la difficulté liée à la démonstration d’une volonté quant à un acte qui, par hypothèse, n’a pas eu lieu. Cette difficulté est encore renforcée par le fait que cette volonté est inconsciente pour les intéressés eux même, ceux-ci n’ayant pas conscience de se trouver en société. Il pourrait alors paraître incongru d’exiger d’eux une intention de participer aux résultats de l’exploitation. Néanmoins, comme pour les autres éléments, le demandeur devra l’établir eu égard au comportement des parties, ou à tout le moins prouver que ce comportement montrait une absence de volonté de ne pas partager le bénéfice comme les pertes éventuelles, même si la réalité pouvait être tout autre (V. infra n°121 et s.). Ce partage serait alors retardé jusqu’au moment de la dissolution de la société.
51. – Pour autant, il ne s’agit ici que d’une des facettes de l’état d’esprit participant de la qualité d’associé, les autres virtualités étant englobées par la notion d’affectio societatis.
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Mémoire de fin d’études – Master 2 Contrat et Responsabilité
Université de Savoie Annecy-Chambéry

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