Le développement des technologies de l’information et de la communication au Sénégal
L’introduction des technologies de l’information et de la communication au Sénégal remonte à la période coloniale et plus précisément à l’année 1859, avec la construction de la première ligne télégraphique entre Saint-Louis, la capitale d’alors, et Gandiole, un important carrefour commercial situé à une quinzaine de kilomètres au sud. En 1862, la ligne Saint-Louis–Gorée est achevée et le réseau télégraphique installé au Sénégal est relié à la France via un câble sous-marin qui va de Saint-Louis en Espagne. Au fur et à mesure que les résistances militaires à la conquête coloniale sont anéanties, le réseau s’étend pour être achevé en 1900 avec la réalisation de la liaison Sédhiou-Ziguinchor.9 En 1911, une nouvelle étape est franchie avec la mise en place du réseau radiotélégraphique de l’Afrique occidentale française (AOF). A usage strictement administratif et militaire, ce réseau de télégraphie sans fil a pour mission d’acheminer la correspondance publique entre les navires et la côte, d’une part, et entre les stations télégraphiques réparties le long des côtes d’Afrique de l’Ouest, d’autre part. Dans une première phase, qui va de la seconde moitié du XIXe siècle à la fin des années 20, sont ainsi posés les jalons d’une infrastructure de télécommunication moderne. Les caractéristiques de cette infrastructure sont indissociables des exigences de la domination coloniale à savoir le maillage des postes administratifs et militaires de manière à assurer le contrôle du territoire et des points jouant un rôle dans la production des richesses, de manière à faciliter l’exploitation économique du pays. Poursuivant la mise en place de cette infrastructure de télécommunication, en 1928 l’administration coloniale procède à la création du centre radiotélégraphique de Dakar qui comprend le poste “Dakar côtier”, chargé de communiquer avec les navires en mer, et le poste “Dakar intérieur”, chargé des liaisons avec les autres postes de l’AOF et avec le reste du monde via le Maroc. Quelques années plus tard, en 1932, c’est le poste TSF inter-colonial de Dakar qui est mis en service. Destiné à améliorer les communications entre la France et le Sénégal, cette station d’essai permet notamment la réception de bulletins d’information en provenance de la métropole.
Ce n’est qu’en 1939, avec la création de la station Radio-Dakar, que la radio, entendue au sens de “mass media”, fait son apparition au Sénégal tout en continuant à jouer un rôle militaire puisqu’elle est également utilisée comme centre d’écoutes spéciales pour les besoins de l’armée. A partir de 1946, cinq bulletins d’informations sont élaborés et diffusés à partir de la métropole à destination des colonies françaises d’AOF et, dès 1952, les premières émissions élaborées localement sont diffusées depuis Saint-Louis. A cette époque, la radio présente des caractéristiques assez semblables à celles d’Internet aujourd’hui. L’écrasante majorité des émissions sont d’inspiration française dans leur conception, leur contenu et leurs formes de diffusion. L’audience se limite principalement à la population européenne et à ce que l’on appelle à l’époque “les évolués” et, géographiquement, c’est un phénomène urbain voire essentiellement dakarois. Ainsi, en 1952/1953, 27 des 32 maisons qui vendent des postes radio sont localisées à Dakar, chiffre que l’on peut comparer aux 12 fournisseurs d’accès Internet sur 13 qui sont aujourd’hui concentrés à Dakar. Entre 1960 et 1964, le nombre de postes de radio passe de 125 000 à 180 000, à la suite notamment de la suppression de la taxe radiophonique en 1962. Détail important et largement oublié par la mémoire collective, à partir de 1962 plus de 145 postes d’écoute collective sont implantés dans les sept régions que compte alors le pays. Placés sous la responsabilité d’équipes de volontaires composées de l’instituteur, de l’infirmier, de l’animateur rural ou d’anciens combattants, ces postes d’écoute collective sont conçus comme des “instruments d’animation et d’éducation des populations”. Ce système peut être considéré comme l’ancêtre des télécentres communautaires expérimentés ici et là pour permettre l’accès à Internet des populations les plus défavorisées habitant les zones rurales ou les quartiers péri-urbains. La radio nationale compte alors deux chaînes, la chaîne internationale qui émet en ondes moyennes sur 1305 kHz, et la chaîne nationale qui émet en ondes moyennes sur 765 kHz et en ondes courtes sur 4890 kHz.
Sans tenir compte des radios étrangères émettant en ondes courtes, telles que Radio France Internationale (RFI), la Voix de l’Amérique, Radio Moscou ou la BBC, dès 1970, certains Sénégalais ont eu la possibilité d’écouter Radio Syd, une radio commerciale privée qui émettait depuis Banjul en Gambie. C’est en décembre 1990, à l’occasion de la Foire internationale de Dakar (FIDAK), qu’une station sénégalaise se fait entendre pour la première fois sur la modulation de fréquence. Intitulée Dakar FM, cette chaîne qui émet sur 94.8 et 96.9 FM est née un peu “par accident”, selon l’expression de Sophie Ly.10 Proposant un programme musical permanent entrecoupé de flashs d’information toutes les heures et d’espaces publicitaires, elle connaît tout de suite un certain succès auprès des auditeurs et réussit à drainer des revenus publicitaires inattendus, qui transforment cette chaîne provisoire en une nouvelle station. En 1991, c’est RFI qui se positionne sur la FM, émettant en relais de FM 92 dans le cadre d’une chaîne dite “biculturelle” sur laquelle la Radio Télévision Sénégalaise (RTS) émet six heures par jour et RFI 18 heures. Puis, à partir de décembre 1992, c’est Africa No. 1 qui émet sur la fréquence 102 FM.11 Dans le même temps, les projets de stations privées élaborés par des nationaux sont dans l’incapacité d’éclore se voyant refuser l’autorisation d’émettre sous prétexte de la rareté des fréquences! En novembre 1993, le Ministère de la communication rend enfin public le cahier des charges destiné aux futures radios privées. Une des dispositions dudit cahier les soumet notamment à la règle des trois tiers de façon à “garantir le pluralisme”. En matière d’information politique, elles sont ainsi obligées de consacrer un tiers du temps au gouvernement, un tiers à la majorité parlementaire et un tiers à l’opposition,12 alors que les médias d’Etat échappent à une telle disposition et se comportent comme les porte-parole du parti au pouvoir. En fait, l’objectif réel de cette disposition est de réduire, autant que faire se peut, le temps d’antenne accordé aux partis d’opposition et de tenter, par là même, de limiter le pluralisme sur les ondes.
Il faut attendre le 1er juillet 1994 et la création de la première station de radio privée, Sud FM, appartenant au groupe de presse Sud Communication qui publie le journal Sud Quotidien, pour que la pluralité d’opinion puisse effectivement avoir droit de cité sur les ondes. Avec un émetteur de 250 kilowatts d’un rayon de 100 kilomètres émettant sur 98.5 FM, Sud FM a investi près de 80 millions de francs CFA pour démarrer ses activités.13 En 1995, Sud FM étend son réseau en créant Sen Radio Nord (Louga, Saint-Louis, Podor, Matam et Linguère), Sen Radio Centre (Thiès, Diourbel et Kaolack) et Sen Radio Sud-Est (Tamba, Kédougou, Bakel, Ziguinchor et Kolda).14 Le 24 décembre 1994, c’est au tour de Dunya FM d’émettre sur la fréquence 88.9 FM avec un émetteur de 5 kilowatts qui lui donne un rayon d’émission de 200 kilomètres. Six mois plus tard, le 15 juillet 1995, Nostalgie-Dakar, filiale de la station française du même nom, entre à son tour dans la ronde en émettant sur la fréquence 90.3 FM dans un rayon de 200 kilomètres. En décembre 1997, c’est Walfadjri FM, appartenant au groupe de presse qui publie le quotidien Walfadjri de les rejoindre sur 99 FM. Fin décembre 1998 apparaît 7 FM,15 une station émettant sur 97.3 FM, puis c’est Diamono FM, qui se veut une radio d’information axée sur l’économie et le social16 qui émet sur 100.8 FM, qui vient s’ajouter à la liste des radios privées en octobre 1999.
Au total, il existe donc six radios privées mais leur mise en place ne s’est pas faite sans difficulté puisque l’attribution des fréquences est du ressort du conseil d’administration de la RTS qui est à la fois juge et partie.17 Pire, dans un premier temps les radios privées étaient obligées de payer une redevance à la RTS subventionnant ainsi une radio concurrente. La multiplication de ces radios privées a sérieusement mis à mal la “radio nationale” à qui elles prennent non seulement des auditeurs, mais également des recettes publicitaires. De plus, chaque nouvelle radio qui se crée renforce le pluralisme des ondes et affaiblit par là même un peu plus l’emprise du gouvernement sur les médias et donc sur les esprits. Considérée par nombre de Sénégalais comme “la voix de son maître”, la “radio nationale” est de moins en moins écoutée comme le prouvent plusieurs sondages.18
Les radios communautaires, appelées au Sénégal “radios associatives”, vivent quant à elles une situation difficile puisqu’elles n’ont pas véritablement de statut officiel. En effet, bien qu’ayant été élaborés consensuellement par les responsables du Ministère de la communication et les représentants de plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) lors d’un atelier organisé en février 1997, le cahier des charges et la convention applicables aux radios associatives n’ont jamais été officiellement adoptés par le gouvernement.19 De ce fait, les radios communautaires sont autorisées au cas par cas et la première à avoir bénéficié de ce “privilège” est Radio Penc Mi, une radio gérée par une fédération de trois associations paysannes de l’arrondissement de Fissel-Mbadane (près de Thiès). Appuyée par Oxfam/Grande-Bretagne, elle a reçu son agrément et son autorisation d’émettre depuis novembre 1995,20 bien que le projet initial remonte à 1993.21 Pendant longtemps, Radio Penc Mi restera la seule radio communautaire autorisée au Sénégal puisqu’il faudra attendre 1999 pour que le Conseil national de concertation et de coordination des ruraux (CNCR), avec l’appui de l’Agence de la francophonie, puisse implanter des radios communautaires émettant dans un rayon de 60 à 80 kilomètres à Joal, Keur Momar Sarr, Koumpentoum, Bakel et Bignona.22 A côté de ces radios installées dans les zones rurales, il en existe deux qui sont implantées dans la banlieue de Dakar, Oxyjeunes à Pikine, dont la vocation est essentiellement musicale, et FM Santé à Guédiawaye, spécialisée dans le domaine de la santé et de l’information médico-sociale.23
En 1996, le nombre de postes de radios était estimé par la Banque mondiale à 141 pour 1 000 habitants et les prévisions pour l’an 2000 tablaient sur 3 millions de récepteurs.24 Par ailleurs, en 1998, la couverture géographique de la radio était de 90% alors que la couverture démographique était de 100%.25 Cependant, l’évolution technologique permet désormais aux radios d’accroître leur couverture de façon spectaculaire, que ce soit par le biais d’Internet ou du satellite. L’opportunité de se faire écouter à travers le monde entier via Internet a été saisie dès janvier 1997 par Sud FM, suivie par Nostalgie-Dakar, la RTS et Walfadjri FM en décembre 1997.26 Par ce biais, les radios sénégalaises visent surtout “l’élite” des immigrés sénégalais (étudiants, fonctionnaires internationaux, diplomates, cadres expatriés, etc.) qui se trouve généralement dans les pays développés (France, Etats-Unis, etc.). L’option satellite a quant à elle été présentée à Dakar le 20 septembre 1999 avec le projet Worldspace qui se veut un système de diffusion numérique de programmes audiovisuels par satellite. Le réseau Worldspace sera composé de trois satellites géostationnaires dont le premier, AfriStar, a été lancé le 28 octobre 1998. Avec le lancement en l’an 2000 d’AsiaStar et d’AmeriStar, il couvrira plus de 80% de la population mondiale et offrira plus de 80 stations de radios. Au Sénégal, Sud FM est déjà disponible sur le réseau et 7 FM compte y lancer un projet de radio thématique entièrement musicale.27 Cependant, bien qu’étant les premiers à se voir proposer cette technologie, les Africains ne seront sans doute pas les plus nombreux à en bénéficier effectivement puisque le prix des récepteurs oscillera entre 175 000 et 250 000 francs CFA,28 soit dix à quinze fois le prix d’une radio ordinaire.
Alors que la radio devient peu à peu un produit de consommation courante, en 1973, un nouveau saut technologique s’opère avec la création de la télévision nationale, suite à une phase expérimentale qui a durée de 1963 à 1973. La Radiodiffusion nationale se transforme alors en l’Office de Radiodiffusion-Télévision du Sénégal (ORTS). Selon l’UNESCO, deux ans après le lancement de la télévision, on compte 35 000 récepteurs, soit 8 pour 1 000 habitants alors que le nombre de postes de radio s’élève à 286 000 soit 66 pour 1 000 habitants. Cependant, ces chiffres doivent être relativisés par le fait que, de façon informelle cette fois-ci, des séances d’écoutes collectives sont organisées au domicile des rares privilégiés qui possèdent alors un téléviseur. Plus de 20 ans après, en 1996, le nombre de postes de télévision était estimé à 350 00029 soit 41 pour 1 000 habitants30 et les installations techniques de la télévision permettaient d’offrir une couverture géographique de 55% et une couverture démographique de 70% du territoire sénégalais.31 Pendant longtemps, le paysage audiovisuel sénégalais se réduira à une unique chaîne de télévision et il faudra attendre le début des années 90 pour voir survenir les premiers changements. En effet, c’est en 1991 qu’apparaît à côté de la télévision nationale une chaîne internationale de télévision à péage, dénommée Canal Horizon, qui est une filiale de la chaîne française Canal+.32 Par la suite, un opérateur privé sénégalais, le groupe Excaf Télécom, se lance dans l’exploitation du système MMDS (Multipoint Multichannel Distribution System)33 pour diffuser, gratuitement dans un premier temps, les images d’une dizaine de chaînes de télévision internationales.34 Depuis le mois de juillet 1999 et à l’exception de TV5, de CFI et de Saudi TV, toutes les chaînes offertes par ce promoteur privé sont désormais cryptées et les téléspectateurs doivent acheter un décodeur et prendre un abonnement mensuel pour y avoir accès.
Comme on peut le constater, il en va avec la télévision comme il en a été avec les radios privées puisque après avoir autorisé une chaîne étrangère à émettre, puis avoir cantonné un groupe privé sénégalais à retransmettre des chaînes étrangères, les promoteurs de télévision privée attendent toujours que l’Etat veuille bien leur permettre d’investir le secteur de l’audiovisuel. Une fois de plus, au-delà des arguments sur la disponibilité des fréquences et la surface financière des postulants, ce qui est au cœur du problème c’est la défense du dernier bastion qui résiste toujours au pluralisme de l’information. En effet, jadis au service exclusif des intérêts coloniaux, la radio puis la télévision se sont mises dès l’indépendance au service exclusif des intérêts gouvernementaux au nom du “développement” et de la “construction nationale”. Ainsi, compte tenu de l’emprise exercée sur l’appareil d’Etat depuis l’indépendance par l’Union progressiste sénégalaise (UPS) devenue par la suite le Parti socialiste (PS), un glissement s’est opéré faisant de la radio et de la télévision non seulement des “médias d’Etat”,35 mais aussi et surtout des médias gouvernementaux au service du parti au pouvoir. Face aux critiques répétées de l’opposition dénonçant la partialité des médias d’Etat dans le traitement de l’actualité politique et sociale, notamment pendant les périodes électorales, le gouvernement décidera alors de mettre sur pied un dispositif légal et réglementaire, supposé garantir le pluralisme.
C’est dans ce cadre que se situe la mise sur pied du Haut Conseil de la Radio Télévision (HCRT), créé par le décret no. 91-537 du 25 mai 1991 relatif au respect du pluralisme par le service public de la radio télévision. Au motif officiel de “renforcer la démocratisation de l’audiovisuel et pour que les règles fondamentales relatives au pluralisme à la radio et à la télévision bénéficient désormais d’une garantie législative au lieu de reposer sur les dispositions d’un simple décret”,36 son existence sera ultérieurement inscrite dans la loi no. 92–57 du 3 septembre 1992. Composé de neuf membres, dont huit choisis par le Président de la République et un désigné par le Président de l’Assemblée nationale, nommés pour une durée de trois ans renouvelable une fois, le HCRT a pour mission de garantir l’accès des partis politiques au service public de la radio télévision et de veiller au respect des règles du pluralisme dans le traitement de l’information.37 Cependant, quelques années plus tard, le HCRT est supprimé et remplacé par le Haut Conseil de l’Audiovisuel (HCA) afin d’étendre la compétence de cette autorité administrative à tous les médias audiovisuels, quel que soit leur statut juridique.38 Les neufs membres qui composent le HCA sont toujours nommés dans les mêmes termes que les membres de l’ex-HCRT mais leur mandat est désormais de six ans, non renouvelable.39 Théoriquement chargés de garantir la pluralité de l’information et l’accès de l’opposition à l’audiovisuel public, le HCRT, puis le HCA, se sont distingués par leur prise de positions partisanes en faveur du parti au pouvoir dans des mises en garde répétées aux médias privés suspectés de faire la part trop belle à l’opposition et aux partis d’opposition accusés de critiquer le régime en des termes jugés “incorrects”, alors que les médias publics continuaient, en toute impunité, à ostraciser les partis, les syndicats, les ONG et les personnalités de la société civile s’opposant d’une manière ou d’une autre au parti au pouvoir. Toujours sur le plan institutionnel, en décembre 1991, l’ORTS sera dissoute pour se transformer en une société nationale dénommée Radiodiffusion Télévision Sénégalaise (RTS).40 Ce nouveau statut, loin de traduire une quelconque volonté de l’Etat de mettre fin à son contrôle tatillon sur la télévision, correspond à une politique de désengagement financier. Dotée de l’autonomie de gestion et de la possibilité légale de réaliser toutes les opérations commerciales, industrielles, mobilières et financières nécessaires à la réalisation de sa mission,41 la RTS doit désormais se mettre à l’heure de la gestion privée tout en étant sous la haute surveillance politique des autorités publiques. Par ailleurs, pendant longtemps la radio comme la télévision ont souffert d’une même tare qui avait pour nom la couverture lacunaire du territoire national. De ce fait, les zones dites “enclavées” ou “périphériques”, qui constituent en réalité la majorité du territoire sénégalais, étaient peu, mal, voire pas du tout couvertes, excluant ainsi une large frange de la population de l’accès à l’information nationale et internationale.42 Cependant, cette situation n’est plus qu’un mauvais souvenir depuis la réalisation du projet Communication satellite (COMSAT) qui a nécessité un investissement de 13 milliards de francs CFA.43 La RTS est désormais en mesure d’assurer la couverture télévisuelle et radiophonique (en FM) de l’ensemble du territoire sénégalais grâce à un ensemble de relais terrestres44 qui permettent aux auditeurs de capter les émissions sans parabole. Il est prévu de couvrir par le biais du satellite l’Afrique, l’Europe jusqu’à la Russie et le Moyen-Orient jusqu’à Djeddah.45
Parallèlement à la mise en place d’un réseau de télécommunications sur lequel nous reviendrons plus loin, puis d’une infrastructure de radio-télédiffusion, le processus d’introduction des technologies de l’information et de la communication dans la société sénégalaise a pris une autre dimension aux débuts des années 60 avec la réalisation des premières applications informatiques au Ministère de l’économie et des finances. Une dizaine d’années plus tard, en 1972, compte tenu de l’importance prise par l’informatique, l’Etat crée le Comité national de l’informatique (CNI),46 organe dépendant de la Présidence de la République, auquel est dévolu la conception et la coordination de la politique nationale en matière d’informatique.47 Jusqu’en 1983, il y avait moins de 100 ordinateurs au Sénégal mais de 1984 à 1998 le parc s’est rapidement accru, notamment en 1989 où il a été vendu 900 ordinateurs. Selon une étude faite en 1996, le parc informatique était estimé à 1 000 minis et gros systèmes et à 50 000 micros-ordinateurs avec une progression d’environ 2 500 unités/an48 et, d’après la Banque mondiale, le nombre d’ordinateurs pour 1 000 habitants était de 11,4 en 1997.49 Cependant, depuis 1996 le taux d’accroissement annuel du marché se situe entre 15% et 20% et en 1998, le nombre d’ordinateurs vendus se situait entre 10 000 et 12 000.50 Globalement, il s’est vendu pour 21 milliards de francs CFA de matériel informatique en 1998. La plupart des grands constructeurs d’ordinateurs (IBM, Compaq, Bull, Apple, etc.) sont présents au Sénégal et il existe un réseau dense de distributeurs et de sociétés de services et d’ingénierie informatique (SSII).51
Dès 1988, la SONATEL met en service un réseau de transmission de données par paquets de type X25 appelé Senpac. Permettant l’accès aux banques de données et l’interconnexion aux réseaux étrangers à des débits pouvant atteindre 19 200 bps, il est destiné aux entreprises et, dans une moindre mesure, aux établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Bien que son débit ait été porté à 64 kbps sur le tronçon national et international depuis 1997, il ne comptera jamais plus d’un millier d’abonnés et restera relativement confidentiel, faute d’avoir pu offrir des services grand public adaptés et bon marché.
En fait, comme un peu partout dans le monde, c’est Internet qui va mettre les technologies de l’information et de la communication sur le devant de la scène. Apparu au Sénégal à la fin des années 80 avec d’abord l’implantation d’un nœud du réseau RIO52 de l’ORSTOM53 utilisant le protocole UUCP, puis l’installation d’un nœud Fidonet/Greennet au siège de l’ONG ENDA Tiers-Monde, Internet est alors l’affaire de quelques dizaines de personnes. A cette époque, les services fournis sont principalement la messagerie électronique et le transfert de fichiers, les uns passant par les lignes Senpac et les autres par le réseau téléphonique commuté. Il n’existe pas de schéma de nommage national et, en fonction des fournisseurs de services, on trouve la plupart du temps des adresses électroniques se terminant par “.ca”, “.fr”, ou “.org”. Cependant, dès 1992, en collaboration avec l’ORSTOM, le département Génie informatique de l’ENSUT54 se déclare comme gestionnaire du domaine “.sn” auprès des autorités de gestion de l’Internet et c’est alors qu’apparaissent les premières adresses comportant la mention “.sn ”. Fin 1993, dans le cadre du projet RINAF (Réseau d’échanges d’informations entre institutions en Afrique) lancé à Dakar en février 1992 par l’UNESCO, c’est un point focal régional pour l’Afrique de l’Ouest donnant également accès à la messagerie électronique qui est installé au Centre national de documentation scientifique et technique (CNDST) pour s’étendre plus tard au Laboratoire d’informatique de l’École normale supérieure, à la Direction de la prévision et de la statistique, à la Délégation aux affaires scientifiques et techniques, à la Bibliothèque universitaire de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar et à la Bibliothèque universitaire de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. A partir d’octobre 1994, les utilisateurs du Centre SYFED55 de
Dakar et des points SYFED de l’AUPELF-UREF ont à leur tour accès à la messagerie électronique mais via le Minitel. Cependant, il n’existe toujours pas de fournisseurs d’accès agréés et autorisés à commercialiser des accès Internet et seuls quelques ONG, services administratifs et organismes d’enseignement supérieur et de recherche ont accès à Internet. En l’absence de liaison de type Internet protocol (IP) entre le Sénégal et le réseau Internet, la technique utilisée est celle de l’encapsulation des paquets IP dans les trames X25 ce qui permet notamment à l’AUPELF-UREF de mettre en ligne un des premiers serveurs en novembre 1995.
Au milieu des années 90, alors qu’Internet commence véritablement à se déployer en Afrique, un débat s’instaure entre ceux qui mettent l’accent sur les conséquences négatives qui risquent de découler de l’utilisation de ce nouvel outil et ceux qui insistent sur les opportunités qu’il offre. Dans le forum de discussion Internet Nord-Sud lancé par Le Monde diplomatique en février 1996,56 mais aussi dans les diverses rencontres, ceux qui voient d’un œil critique le développement d’Internet, insistent notamment sur le fait qu’il:
• symbolise l’hégémonie politique, économique et culturelle des Etats-Unis;
• est au service des grands monopoles financiers et commerciaux;
• risque de couper les élites connectées du reste de la population;
• offre pour l’essentiel des informations en anglais;
• représente un danger pour les cultures africaines;
• s’appuie sur une infrastructure de télécommunications qui reproduit les inégalités Nord-Sud, etc.
De leur côté, ceux qui insistent sur les aspects positifs mettent en avant:
• l’accroissement des possibilité de communication;
• la faiblesse des coûts de communication;
• la possibilité de faire connaître les points de vue et cultures africains;
• la nécessité de connecter l’Afrique pour ne pas accroître sa marginalisation, etc.
Entre la nécessité de résoudre rapidement et durablement les problèmes d’éducation, de santé ou d’autosuffisance alimentaire qui se posent à la grande masse de la population, d’une part, et la volonté légitime de participer à la marche du monde en investissant dans des technologies qui peuvent apparaître comme un luxe inutile voire indécent, d’autre part, les pays africains se trouvent, à première vue, confrontés à un véritable dilemme. Cependant, pesant le pour et le contre, d’aucuns pensent que l’Afrique doit se connecter et s’approprier cette technologie pour tenter de combler le fossé qui existe entre info-pauvres et info-riches.57 Les risques d’accroissement des inégalités entre pays riches et pays pauvres et entre riches et pauvres à l’intérieur des pays ne sont pas ignorés, mais la non-connexion aux inforoutes est analysée comme un facteur encore plus grave d’exclusion du progrès économique et du développement social.58 Si connexion il doit y avoir, l’attention est attirée sur le fait que les pays du Sud, en général, et les pays africains en particulier, doivent se lancer résolument dans la réalisation de produits et services d’information afin de passer du statut de consommateur d’information à celui beaucoup plus enviable, et surtout beaucoup plus rentable, de producteur.59 Au-delà de la sphère informationnelle, la nécessité de développer des applications qui contribuent à améliorer la santé, l’éducation, la formation, la culture, etc., est également soulignée et il est clairement dit que l’Afrique se doit non seulement d’être présente mais aussi active sur les autoroutes de l’information, faute de quoi elle risquerait d’être réduite à faire de l’auto-stop60.
En mars 1996, suite à un accord signé entre la SONATEL et l’entreprise américaine MCI, le Sénégal est officiellement connecté à Internet via une liaison à 64 kbps et dès le mois d’avril Télécom-Plus commence à commercialiser des accès Internet. Puis en mai 1997, le Sénégal triple sa bande passante avec la mise en place de deux nouvelles lignes à 64 kbps vers le Canada, dans le cadre d’un partenariat entre la SONATEL et Téléglobe. Aujourd’hui, la liaison vers le Canada, qui avait déjà été portée à 1 mbps en novembre 1997, a été portée à 2 mbps en septembre 1999 offrant ainsi de meilleures conditions de connexion aux internautes.61
La SONATEL, un certain nombre de sociétés privées, d’ONG et d’organismes publics commercialisent les accès Internet. Techniquement, il est possible de se connecter soit de façon permanente par des liaisons spécialisées (LS) soit de façon intermittente par le réseau téléphonique commuté (RTC), le réseau numérique à intégration de services (RNIS) ou le réseau Senpac (X25). La SONATEL a décidé de se limiter à jouer le rôle d’opérateur d’accès en laissant à sa filiale Télécom-Plus le soin de commercialiser les accès Internet mais elle s’est cependant réservé le monopole de la commercialisation des LS. Pendant longtemps, seules des LS à 64 kbps ont été disponibles, mais depuis février 1999, l’offre s’est diversifiée avec l’arrivée de liaisons à 128 kbps et à 256 kbps dont les coûts particulièrement élevés ont été diminués de 40% à partir du 1er mars 200062 à la suite des multiples récriminations des fournisseurs d’accès Internet, des opérateurs de téléservices, des professionnels de l’informatique et des associations d’utilisateurs. En dehors de ces LS, la SONATEL offre également des liaisons RNIS et X25. L’accès par le RNIS permet de bénéficier d’un réseau entièrement numérique tarifé en fonction du temps d’utilisation.63 Il autorise la transmission de données à une vitesse minimale de 64 kbps ce qui le rend très attractif pour les applications multimédia car il offre des vitesses beaucoup plus rapides que le réseau téléphonique commuté.64 Les accès RTC, quant à eux, sont proposés par une douzaine de fournisseurs d’accès Internet dont six relèvent du secteur privé (Télécom-Plus, Métissacana, Arc Informatique, Cyber Business Center, Point Net et WAIT), quatre du secteur public et parapublic (Primature, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Université Gaston Berger de Saint-Louis et Trade Point Sénégal), un du secteur associatif (ENDA Tiers-Monde) et un d’une organisation internationale (AUPELF-UREF).
Les tarifs pratiqués pour une connexion illimitée vont de 9 600 à 15 000 francs CFA par mois alors que le prix des communications téléphoniques est basé sur un tarif unique de 50 francs CFA les deux minutes, quel que soit le point du territoire sénégalais à partir duquel on se connecte.65 Si les tarifs pratiqués au Sénégal (abonnement mensuel plus communication téléphonique) sont parmi les moins chers d’Afrique avec ceux de l’Afrique du Sud,66 ils n’en constituent pas moins une charge élevée pour les internautes puisqu’ils correspondent en moyenne à 17,6% du produit national brut (PNB) par habitant67 contre 1,2% aux Etats-Unis.68 De plus, les fournisseurs d’accès Internet sont loin d’être en concurrence sur un pied d’égalité puisque Télécom-Plus, filiale de la SONATEL et de France Câble et Radio (FCR) créée en 1991, utilise non seulement le personnel, l’expertise technique et les infrastructures de la SONATEL mais bénéficie encore d’une connexion directe sur le point de présence Internet de la SONATEL. Cette situation de rente garantit aux utilisateurs de Télécom-Plus des débits nettement supérieurs à ceux offerts par les autres fournisseurs d’accès qui doivent obligatoirement passer par les liaisons spécialisées commercialisées par la SONATEL. Une enquête menée auprès des fournisseurs d’accès, en août 1997, montrait qu’aucun d’entre eux ne réalisait encore de bénéfices dans ce secteur et qu’ils survivaient uniquement grâce à des activités complémentaires.69 Malgré certaines entraves, liées essentiellement à la situation monopolistique de la SONATEL, Internet s’est développé à un rythme relativement élevé puisqu’en janvier 2000, le nombre de serveurs connectés à Internet était estimé à 306 par l’Internet Software Consortium70 alors que le nombre d’internautes approchait les 11 000.71
Le développement relativement important des technologies de l’information et de la communication décrit ci-dessus s’explique notamment par la qualité et la quantité des ressources humaines disponibles. Selon la Banque mondiale, le Sénégal comptait 342 ingénieurs en informatique et 467 techniciens supérieurs pour un million d’habitants au milieu des années 90.72 La formation de ces ressources humaines est en grande partie assurée localement, soit par les universités, soit par les écoles supérieures publiques ou privées. Parmi les structures de formation existantes, nous pouvons citer:
• le département de Génie informatique de l’ESP de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar pour la formation de techniciens et d’ingénieurs en informatique;
• la Faculté des sciences et techniques (FST) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar et l’Unité de formation et de recherche (UFR) de mathématiques appliquées et d’informatique de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis pour la délivrance de DEUG, licences, maîtrises et DEA en informatique;
• le Centre d’études des sciences et techniques de l’information (CESTI) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar et l’Institut supérieur des sciences de l’information et de la communication (ISSIC) pour les professionnels de la communication sociale;
• l’Ecole des bibliothécaires archivistes et documentalistes (EBAD) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar pour les professionnels de l’information;
• l’Ecole supérieure multinationale des télécommunications (ESMT) pour les techniciens et les ingénieurs des télécommunications.
L’importance prise par les technologies de l’information et de la communication a également donné naissance à des manifestations commerciales et scientifiques. C’est ainsi qu’est apparu le Salon international de l’informatique, de l’électronique et de la communication (SINEC) dont la 4e édition s’est déroulée en juin 1999 sur le site de la Foire Internationale de Dakar et AFRISTEC, la Biennale africaine des sciences et des techniques, manifestation panafricaine qui réunit les scientifiques africains et qui s’est tenue pour la troisième fois du 22 au 26 novembre 1999.
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Mémoire de fin d’études – Technologie et société Document du programme no. 1
Institut de recherche des Nations Unies pour le développement social

  1. TIC au Sénégal : Les initiatives de la coopération internationale

 

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