Les stratégies des avocats en droit des réfugiés en France

Les stratégies des avocats en droit des réfugiés en France

PARTIE II – DETAIL

LES STRATEGIES DES AVOCATS EN DROIT DES REFUGIES EN FRANCE

« Pour bien faire les choses, il faut en savoir le détail. » (LA ROCHEFOUCAULT, cité par ROBERT : 466)

« Juger, c’est, de toute évidence, ne pas comprendre, puisque si l’on comprend, on ne pourrait plus juger. » (MALRAUX, cité par WALD : 529)

« Point de contrainte en religion, la vérité se distingue elle-même de l’erreur. » (Coran, II, 256, cité par HAMPATE BA : 438)

En tant qu’anthropologue du Droit, la norme nous a servi d’entrée en matière. Nous nous sommes penchés sur celle-ci pour voir ce qu’elle cachait derrière son apparente logique, sa cohérence. Nous avons tenté de définir qui était le réfugié, et nous avons vu le mouvement dialectique existant entre une définition donnée par la Convention de Genève et sa prise en compte par les acteurs. Nous n’avons donc pas négligé la norme, mais cela ne signifie pas qu’il faille s’y arrêter.

En effet, derrière la norme, des logiques sont à l’œuvre car, comme le dit LE ROY, « un droit peut en cacher un autre » (1999 : 245-246 ; 1992) ou plusieurs autres, ce qui a mené à ce que nous pourrions qualifier de fonds de commerce des anthropologues du Droit tant cette problématique est au cœur de notre discipline, il s’agit bien sûr du pluralisme juridique51 (ROULAND : 74). Nous ne traiterons pas du pluralisme juridique en tant que tel, mais nous mettrons l’accent, dans cette seconde partie, sur un groupe particulier parmi tous les acteurs du Droit ou de la vie, si l’on veut reprendre la métaphore du grand jeu social proposé par LE ROY (1999)., il s’agit des avocats.

Reprenant la métaphore picturale, nous examinerons ici un détail d’une œuvre qu’il faut imaginer finie, imaginer seulement car elle reste pour l’instant à l’état d’esquisse. Ce détail portant sur un personnage précis, nous éviterons, dans la mesure du possible, d’en faire une caricature.

Nous avons dit, dans la première partie, la raison de ce choix, tenant notamment à des contingences pratiques. Il s’agira ici de montrer l’intérêt d’une recherche sur les spécialistes de ce droit qui « (…) prend une importance toujours plus essentielle. » (LE ROY, 1992 : 17-18), et qui a été qualifié de droit des procédures (Ibid.). Lorsqu’il a été question (Cf. supra) des caractéristiques du droit des réfugiés, nous avons en effet montré combien il était paradoxal par sa composition entre modernité et archaïsmes.

Nous avons aussi vu qu’il constituait surtout un droit de terrain, gouverné par une seule norme internationale donnant une définition de qui est un réfugié et offrant un cadre « procédural » à l’expression des dynamiques sociales.

51 Voir le prochain Bulletin de Liaison du Laboratoire d’Anthropologie Juridique de Paris sur ce thème. (A paraître).

« Me M : A mon avis, dans ce type de procédure, le droit, il est dans la forme. Et il est exclusivement dans la forme. Il y a évidemment le cadre qui est très général et qui est la Convention de Genève qui bouge avec des jurisprudences … une est restrictive, il y en a d’autres qui sont une ouverture.

Je pense euh, bon… aux restrictions, … il y a moins de 10 ans, quand on était réfugié, on pouvait faire venir son père, on pouvait faire venir… bon, les membres de sa famille, … Maintenant, c’est fini la jurisprudence a… bon, ça c’est la loi, elle bouge en fonction d’éléments qui sont sociaux, qui sont nationaux.

En même temps, elle peut évoluer, je ne sais pas, je pense aux décisions sur l’excision récemment, je pense aux décisions algériennes etc… Bon, donc, la loi, c’est le cadre, mais le droit, c’est le respect de la forme et le respect de la procédure, c’est à dire : il faut que les gens aient obligatoirement la possibilité de s’exprimer directement, dans leur langue maternelle, d’être assistés d’un avocat, et que la procédure soit contradictoire. » (Entretien du 04.04.2002)

Ce droit des praticiens du droit est-il cependant identique au « (…) droit de la pratique occup(ant) ou contrui(san)t de nouveaux forums » auquel pense LE ROY et qu’il oppose « (…) au droit des manuels de jurisprudence et au droit des codes, incontournables et occupant les palais de justice ou les facultés de droit (…) » (Id. : 18) ? Nous essayerons, dans cette partie, de répondre à cette question en nous appuyant sur les stratégies de ces professionnels du droit que sont les avocats.

De même que nous remonterons aux logiques qui déterminent leurs discours et leurs pratiques, nous irons voir ce que peuvent nous cacher ces stratégies qui ne sont pas des simples stratégies judiciaires, en tout cas pas au sens où on l’entend habituellement. Mais en quoi ces dernières diffèrent-elles des premières ? Pour apporter un premier élément de réponse, examinons la teneur sémantique de ce terme.

La définition figurée que nous donne le Robert de ce terme de facture militaire est la suivante : « Ensemble d’actions coordonnées, de manœuvres en vue d’une victoire » (1973).

Mais la victoire n’est pas nécessairement celle que l’on croit. Ainsi, nous verrons que pour l’avocat, il ne s’agit pas toujours de faire obtenir gain de cause à son client, ce que nous entendons habituellement par l’idée de « stratégie judiciaire ». Cela, bien sûr, n’est pas dicible au client lui-même et n’apparaît donc pas explicitement dans le discours des avocats. Après une entrée dans l’univers, physique et mental, des avocats, nous analyserons donc, dans un premier chapitre, les rapports entretenus entre ceux-ci et leurs clients. Il s’agira d’une analyse de rôle de l’avocat en hors audience. (chap. I)

C’est donc qu’il y a un rapport au droit bien particulier qui est entretenu par l’avocat. Ce rapport nous est apparu par l’observation de ses pratiques devant la Commission des recours des réfugiés et, en filigrane, dans ses discours. Nous avons ainsi découvert ce que nous avons appelé la construction du crédit.

L’étude de ses stratégies, parmi lesquelles cette dernière, fera l’objet d’un second chapitre. (chap. II) Cette problématique est bien au cœur de l’anthropologie juridique, car elle nous montre ce qu’un acteur donné fait du droit. Cela nous apprendra qu’il n’est pas toujours là pour le contourner ou le détourner.

Pertinente en ce sens pour notre recherche est la définition d’une stratégie donnée par DESJEUX et TAPONIER car elle met en avant les intérêts. En effet, « elle postule que les comportements humains sont régis par des intérêts, que ceux-ci soient matériels ou symboliques (et) la notion de stratégie postule également que les acteurs sont pris dans un jeu social à la fois indéterminé et structuré par eux. » (cités par LE ROY, 1999 : 82-83), et nous rajoutons que ceux-ci peuvent être plus ou moins conscients. Nous avons donc dû abandonner la définition donnée par LE ROY qui met l‘accent sur l’aspect volontariste et explicite (Id. : 84).

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Pour une anthropologie juridique du droit des réfugiés
Université 🏫: Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Ecole Doctorale De Droit Compare DEA - Etudes Africaines
Auteur·trice·s 🎓:
Hugues BISSOT

Hugues BISSOT
Année de soutenance 📅: Mémoire de DEA - Option : Anthropologie Juridique et Politique - 2001-2010
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