Le suicide dans l’histoire: du Moyen Age à l’Ancien régime

Le suicide dans l’histoire: du Moyen Age à l’Ancien régime

§2. Du Moyen Age à la fin de l’Ancien régime

A l’aube de l’ancien droit, la position du droit par rapport au suicide n’est plus très favorable. Tout au long de cette période historique qui s’étend du Moyen Age à la fin de l’Ancien régime, la position face au suicide va être celle de la répression et de la sanction.

L’Eglise va contribuer à durcir cette position tout au long du Moyen Age (A) et la répression s’exercera jusqu’entre le XVII ème et le XVIII ème siècle (B).

La fin de cette période se fixe juste au début du XVIII ème, à la veille de la Révolution française.

A. Le Moyen Age

Le commandement « tu ne tueras pas » devrait avoir vocation à s’appliquer au suicide.

Aucune exception n’étant envisagée, il n’y a pas lieu de faire de distinction selon que l’on tue quelqu’un d’autre ou que l’on se tue soi-même. En dépit de ce commandement il n’est pas rapporté dans la Bible que le suicide soit réprouvé.

Au contraire, le Christ n’aurait-il pas dit « je me dessaisis de ma vie pour mes brebis » ?

Des hébreux ne se sont-ils pas sacrifiés pour leur peuple ? Ainsi, il semble que si le «martyre volontaire» est condamné de manière générale, l’Eglise « loue le courage et la foi des individus qui le pratiquent »103. Cette position plutôt nuancée va se fixer vers l’an 400.

Le cinquième commandement est repris par saint Augustin pour justifier l’interdiction des suicides.

Il s’appuie sur le fait que « la vie est un don sacré de Dieu, dont Dieu est seul à pouvoir disposer » 104. Il ne va donc admettre aucune justification au suicide.

Cette position sera confirmée par saint Thomas d’Aquin qui se livre à une analyse des arguments pour et contre le suicide.

Il conclut que le suicide est « formellement interdit pour trois raisons : 105

  • Il est un attentat contre la nature et contre la charité, puisqu’il contredit l’inclination naturelle à vivre et le devoir de nous aimer nous-mêmes ;
  • Il est un attentat contre la société, car nous faisons partie d’une communauté où nous avons un rôle à jouer ;
  • Il est un attentat contre Dieu, qui est propriétaire de notre vie. La comparaison est éclairante : «Celui qui se prive de vie pèche contre Dieu, de la même manière que celui qui tue un esclave pèche contre le propriétaire de l’esclave» »106.

Cette hostilité envers le suicide a pour conséquence de priver le suicidé de sépulture ecclésiastique.

Ceci n’avait rien d’une rumeur puisqu’il est rapporté qu’à la fin du XIIIème siècle, l’évêque de Mende, Guillaume Durant, donne dans son Speculum juris, une formule de lettre pour demander l’exhumation d’un cadavre de suicidé indûment enterré au cimetière107.

La preuve écrite de cette sanction date du Synode de Nîmes en 1284108.

Les sanctions prises vont au-delà de la sanction religieuse de la damnation éternelle et touchent le corps du suicidé. « Le plus souvent, le corps sera exposé puis traîné, face contre terre, sur une claie, avant d’être pendu ou brûlé sur un bûcher » 109.

Les coutumes étaient différentes selon les régions. En Bretagne, les suicidés finissaient avec les criminels dans des cimetières sans porte où les corps étaient jetés par-dessus le mur. A Abbeville (et à Lille), un trou était percé devant la porte de la maison du suicidé afin que son corps y soit tiré par les pieds110.

Cette mesure était destinée à ce que le suicidé ne retrouve pas le chemin de sa maison. A Lille, une ordonnance de la ème municipalité datant du XIII siècle prévoit que le cadavre doit être traîné jusqu’à la potence puis si c’est un homme, il sera pendu et si c’est une femme il sera brûlé111.

Ces sanctions envers le corps du défunt visent à empêcher le retour du suicidé112 et à dissuader le reste de la population de commettre un suicide.

Le spectacle est dur, surtout pour la famille qui est obligée d’y assister, et qui s’en trouve déshonorée.

D’autant plus que la famille va devoir faire face à la confiscation des biens. Pour cela aussi les règles sont différentes selon les régions. De manière générale, les biens des suicidés sont attribués au roi ou au seigneur.

Les modalités de confiscation sont diverses113. La confiscation peut porter sur les meubles, les meubles et les immeubles, ou sur seulement une partie des meubles.

On peut noter qu’en 1270 les Etablissements de saint Louis prévoyaient même une confiscation des biens de la femme. Alors qu’en 1397, un arrêt de l’Echiquier de Rouen attribue le tiers des biens au roi et les deux tiers à la veuve et aux enfants.

A travers l’étude des sanctions prises contre le suicidé, il est apparu qu’au Moyen Age, la société était véritablement hostile au suicide.

A tel point que « le suicide est sanctionné plus gravement que le meurtre d’un tiers, qui ne donne lieu qu’au paiement d’une amende »114. L’Eglise est tellement opposée au suicide qu’à l’heure des pré-croisades contre les musulmans, les autorités religieuses vont s’opposer aux pratiques de martyre volontaire115.

On peut s’étonner comme Georges Minois de cette position si dure de l’Eglise envers la mort volontaire dans une société marquée par la violence sanguinaire116.

L’Eglise et l’Etat avancent dans la même direction.

« La prohibition du suicide accompagne le recul de la liberté humaine : l’homme perd le droit essentiel de disposer de sa propre personne, au profit de l’Eglise (…) et au profit des seigneurs (…) » 117.

110 DEBOUT (M.), op. cit., p. 22.

111 MINOIS (G.), op. cit., p. 47.

112 Le suicide est envisagé comme un mauvais sort et on pense que si aucun rituel n’est fait, le suicidé viendra hanter le monde des vivants. MINOIS (G.), op. cit., p. 48.

113 MINOIS (G.), op. cit., pp. 48-49.

114 Id., p. 41.

115 Id., p. 42.

116 Ibid.

117 MINOIS (G.), op. cit., p. 43.

B. L’ancien régime

Un mouvement de changement des mentalités est en œuvre à partir du XVème siècle. On prête à l’humanisme la réhabilitation de l’antiquité, qui nous l’avons vu fait état de suicides célèbres.

La redécouverte du droit romain amène les juristes à nuancer leur position envers le suicide, bien que le droit soit toujours très strict.

Ce débat d’idées, qui s’étale du XVI au XVIII, sur le suicide met les autorités dans l’embarras et va les contraindre à restreindre la répression118. Certains juristes sont hostiles au suicide, et ils sont encore plus hostiles aux peines appliquées au corps des suicidés.

L’exécution des cadavres est envisagée comme « une chose fort étrange et ressentant je ne sais quoi de la barbarie et de l’inhumanité »119.

La question qui se pose n’est pas tant de savoir s’il faut être pour ou contre le suicide mais s’il faut s’en prendre au corps du suicidé. Certains se demandent « s’il n’est pas ridicule et inepte, voire cruel, voire barbare, de batailler contre des ombres » 120.

Certains auteurs continuent à ne pas dénoncer ces humiliations faites aux cadavres. Charondas réserve les mutilations aux seuls cas de suicide par ennuis de vivre ou par remords d’un crime commis.

Les suicides pour causes de malheur ou de maladie en sont exemptés121. Loisel, en 1616, est encore plus strict, « il faut traîner et pendre les cadavres de suicidés, et punir ceux qui tentent de se tuer »122.

Jusqu’au milieu du XVII ème siècle, ces mesures sont encore jugées appropriées aux cas de suicide.

Il est rapporté qu’à cette époque, une procédure était suivie en cas de mort violente. Si après expertise, il s’agissait d’un suicide, le corps était « conservé dans le sable, ou salé, ou arrosé de chaux vive, afin d’éviter une trop forte décomposition avant le jugement »123. Le sort réservé au cadavre est des plus barbares.

« Le corps est pendu par les pieds à un gibet et, après son exposition, jeté à la voirie avec les cadavres pourrissant des chevaux » 124.

118 MINOIS (G.), op. cit., p. 379.

119 CORAS, cité par MINOIS (G.), op. cit., p. 163.

120 AYRAULT, Des procès faits aux cadavres, aux cendres, à la mémoire, aux bestes, choses inanimées et aux coutumax, cité par MINOIS (G.), op. cit., p. 163.

121 CHARONDAS, Somme rural, cité par MINOIS (G.), op. cit., p. 164.

122 MINOIS (G.), op. cit., p. 165.

123 Ibid.

124 MINOIS (G.), op. cit., p. 165.

Malgré ces positions en faveur d’une répression du suicide, les auteurs marquent une distinction selon les causes de suicide, comme, nous l’avons vu plus haut, le fait Charondas. En général, sont excusées les personnes en proie à la folie, la maladie ou le malheur extrême.

Dans ces cas précis, les biens du suicidé ne sont pas confisqués et il semble bien que le cadavre ne subisse pas d’acte dégradant.

Ceci est justifié par le fait que « ce serait une chose inhumaine d’exposer à l’ignominie et à la perte des biens celui à qui les afflictions et les infortunes ont troublé le jugement et converti son impatience en fureur » 125.

En 1670, pour Hyacinthe de Boniface les suicidés « ne méritent aucune peine, si ce n’est celle de la privation de sépulture chrétienne, vu qu’ils sont assez punis de quitter les choses agréables de ce monde (…) et c’est à Dieu de punir ce genre de crime, et confisquer les biens ne ferait que fournir une cause de suicide aux héritiers »126.

La même année une ordonnance va codifier les usages habituels en cas de mort. Cette ordonnance va être considérée comme accentuant la répression envers le suicide.

« La rigoureuse ordonnance criminelle de 1670 avait prévu un procès fait au cadavre ou à la mémoire du suicidé »127. Pourtant si de nombreux auteurs ont pu voir dans cette ordonnance une prise de position plus sévère envers les suicidés, nous ne nous rallions pas à ce courant.

Nous préférons l’analyse qui consiste à voir dans cette ordonnance un simple rassemblement des différentes procédures utilisées en cas de suicide128. La répression n’est pas née de l’ordonnance de 1670, elle existait auparavant, et nous l’avons montré au début de ce paragraphe.

L’ordonnance « ne fait qu’enregistrer les usages les plus courants et les définir de façon plus précise dans le but de restreindre les abus et de mieux garantir les droit de la défense »129.

Malgré la tendance des jurisconsultes à nuancer leur position envers le suicide, « l’immobilisme s’impose dans la jurisprudence »130.

125 LE BRET, cité par MINOIS (G.), op. cit., p. 165.

126 HYACINTHE DE BONIFACE, Arrêts notables de la cour du parlement de Provence, cité par MINOIS (G.), op. cit., p. 169.

127 TERRE (F.), «Du suicide en droit civil», in Etudes dédiées à ALEX WEILL, p. 523.

128 Opinion soutenue par Georges MINOIS, op. cit., pp. 170-171.

129 MINOIS (G.), op. cit., p. 171.

130 Ibid.

Après avoir retracé toute l’évolution de la perception du suicide, il apparaît dans les mentalités et dans les pratiques que le suicide doit être puni. Cette sanction est nécessaire pour prévenir d’autres cas de suicide ; mais surtout elle se justifie par une grande superstition qui semble croire que le suicidé va revenir pour hanter les vivants.

En exerçant la sanction sur le cadavre, le suicidé ne pourra retrouver son chemin et ne troublera pas l’ordre dans le monde des vivants.

C’est seulement quand ces superstitions auront disparu qu’il sera possible de dépénaliser le suicide. Ceci sera fait avec la Révolution et persistera dans notre droit actuel.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Le droit face à la mort volontaire
Université 🏫: Université De Lille Ii-Droit Et Sante - Mémoire pour le DEA de droit social, mention droit de la santé
Auteur·trice·s 🎓:
Aude Mullier

Aude Mullier
Année de soutenance 📅:
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