Réseaux relationnels, Ressource déterminante pour les entrepreneurs
3.1.5. Les réseaux relationnels comme ressource déterminante pour les entrepreneurs
Nous avons participé en 1986 à une étude auprès d’une centaine de créateurs d’entreprise en Auvergne. L’objectif était d’étudier le processus de création des entreprises en s’appuyant sur le parcours antérieur de l’entrepreneur, les opportunités qui s’offraient à lui, et les ressources qu’il était capable de mobiliser au moment de la création (Lièvre 1986). Parmi ces ressources, le réseau relationnel de l’entrepreneur s’est avéré déterminant.
Une entreprise, c’est d’abord un entrepreneur avec une histoire, et ceci n’est pas neutre du point de vue de l’intensité et de la densité de son réseau relationnel qui sont directement fonctions du temps.
Comme le disent J.P. Gilly et M. Grossetti (1993), « Le fait pour les individus d’avoir passé différentes étapes de leur existence dans une aire donnée contribue à densifier et agrandir la part locale de leurs réseaux relationnels », et cette densification de leurs réseaux est largement induite par la proximité géographique : « (…) en permettant la récurrence des rencontres, elle favorise leur renforcement et leur complexification ».
La bonne implantation de l’entreprise et de son responsable apparaissent les garants de la constitution d’un capital relationnel constituant une ressource essentielle pour l’entreprise, en particulier pour le recrutement, mais pas seulement63.
Un des principaux résultats de cette étude a été de mettre à jour les réseaux sociaux mobilisés par les jeunes créateurs d’entreprises lors du démarrage de leur entreprise et le type de contribution que chacun d’eux est susceptible d’apporter dans les divers registres de l’activité de pilotage d’une entreprise.
Elle montrait ainsi que le recrutement des premiers collaborateurs et salariés lors du démarrage de l’entreprise était une étape très délicate pour les créateurs, et que pour mener cette phase à bien, 80 % d’entre eux privilégiaient d’abord le réseau relationnel, c’est à dire des personnes qu’ils « connaissaient bien » issues du cercle des amis ou de la famille : « (…) il s’agit de choisir les individus qui vont devenir les piliers de son entreprise de demain et qui vont devoir supporter l’apprentissage que fait l’entreprise »64.
L’ANPE venait ensuite en seconde place pour 30 % des créateurs, mais là aussi il s’agissait la plupart du temps de connaissances préalables. Au total, 60% des collaborateurs recrutés les deux premières années étaient des amis.
Cependant l’apport de ces réseaux relationnels ne se cantonne pas à la sphère du recrutement et de l »accès » au marché du travail.
Ainsi, on est surpris de découvrir parmi ces contributions un ensemble de prestations qu’on voyait plus spontanément assurées dans le cadre d’un échange marchand sur un marché de type classique : les premiers clients et fournisseurs sont constitués par d’anciennes relations de travail pour plus de la moitié de ces jeunes créateurs.
63 Cf. par exemple l’importance de ces réseaux relationnels dans la constitution de « systèmes locaux d’innovation » (GILLY & GROSSETI 1993), phénomène qui ne concerne pas seulement les entrepreneurs, mais aussi l’ensemble des cadres et ingénieurs.
64 Lièvre 1986, p. 131.
Notons que les réseaux ne sont pas tout : ainsi les questions de gestion et de comptabilité relevaient pour leur part majoritairement de prestations contractuelles classiques.
Enfin, le facteur temps est une dimension essentielle du fonctionnement de ces réseaux sociaux, et l’étude a révélé toute l’importance de l’histoire et du temps dans leur genèse et leur développement.
Ainsi cette étude a pu montrer qu’un créateur d’entreprise associait souvent une mobilité géographique intense suivie d’une phase de stabilisation autorisant une bonne intégration sociale locale avant de passer à l’acte : « Si les créateurs sont plus mobiles que l’ensemble de la population, ils sont toutefois biens implantés localement lorsqu’ils passent à l’acte : ainsi 80 % d’entre eux étaient en place depuis plus de trois ans ».
Ceci correspond au temps nécessaire pour se rendre familier de leur nouveau territoire, idée que l’on retrouve chez Gilly et Grossetti (1993) : « Il y a ainsi une socialisation de l’individu vis-à-vis des différents territoires où il a vécu » ; et aussi pour se constituer un capital relationnel qui sera ensuite sollicité lors du démarrage de l’entreprise.