L’école, un mode de recrutement ou de recherche d’emploi
3.5. Pour conclure : l’école, un mode de recrutement ou de recherche d’emploi qui concerne surtout les jeunes élèves sortant de formation
Que retenir de cet ensemble de résultats ? Tout d’abord, les phénomènes relationnels sont bien centraux dans le fonctionnement du marché du travail.
Le cas du secteur du BTP a montré que l’appel aux réseaux relationnels n’était pas un pis aller pour les employeurs, mais plutôt une pratique inscrite en haut de leur hiérarchie des moyens auxquels ils font appel pour recruter.
De plus, ce moyen fournit par lui-même plus de confiance sur les personnes embauchées que ne le font les qualités objectives de celles-ci, puisque ces employeurs préfèrent recruter ainsi des personnes ne correspondant pas au profil recherché, plutôt que de d’essayer de trouver ce même profil disponible à travers un canal sans véritable pertinence pour eux.
L’analyse de l’enquête Emploi de 1994 réalisée par des chercheurs du Centre d’Etudes de l’Emploi (Lagarenne et Marchal 1995) montre le versant « employés » du processus de mise en relation : 43% des recrutements de 1994 au minimum se sont produits grâce à des relations (de travail, personnelle ou familiale); l’étude de Forsé (1997) sur la même enquête Emploi, plus restrictive dans sa définition, identifie 35% de cas où le capital social est intervenu, au minimum, dans l’ensemble des mouvements sur le marché du travail une année donnée.
Sans tenir compte des phénomènes relationnels à l’œuvre au sein même d’organisations considérées la plupart du temps comme des moyens formels (l’ANPE par exemple), nos propres analyses sur les enquêtes emploi de 1990, 1994 et 1998 montrent à leur tour que l’obtention d’un emploi grâce au capital social concerne sur une année donnée la moitié des jeunes de 15 à 29 ans précédemment en formation ou au service national. Ce n’est donc pas un phénomène marginal.
Second point, parmi les différents types de moyens relationnels qui peuvent intervenir, l’école joue un rôle, un rôle spécifiquement dédié aux jeunes qui se trouvent en début de carrière professionnelle, plus précisément même dédié à ceux qui cherchent leur premier emploi après la fin des études.
Dans tous les mouvements s’opérant une année sur le marché du travail, quels que soient les individus concernés et la phase de vie dans laquelle ils se trouvent, l’école ne représente que 3 à 4% de l’ensemble des modes d’accès (Lagarenne et Marchal 1995, Forsé 1997).
Mais l’obtention d’un emploi par l’école atteint 10 à 13 % des cas dès que l’on sélectionne les jeunes âgés de 15 à 29 ans précédemment en formation ou au service national (enquêtes emploi 1990, 1994, 1998).
On peut pousser l’analyse plus loin à partir d’une enquête longitudinale, certes un peu ancienne (sortants 1989 interrogés en 1993) et tronquée car ne portant que sur les niveaux d’études inférieurs à la classe terminale des cycles menant au bac.
Cette approche, permettant d’observer ce qui se passe pour plusieurs emplois successivement occupés depuis la sortie de l’école, montre que celle-ci joue son rôle dans l’accès au premier emploi pour être remplacée dès le second par les relations professionnelles nouées à l’occasion de ce premier emploi (resp. 11 puis 2,5% et 3,5 puis 13%) : les réseaux auxquels on a accès portent la trace des milieux fréquentés.
L’école atteint donc son poids maximum dans les processus du marché du travail lorsqu’il s’agit d’accéder à un premier emploi. Troisième point, l’observation de quelques caractéristiques de genre, de niveau d’étude, etc. montre que tous les jeunes utilisent l’école, certes avec quelques variations, dans l’ensemble assez faibles.
Ce mode d’accès est indifférent au niveau auquel les élèves sortent de formation, dans la mesure où ils ont atteint au moins le stade des premières qualification professionnelle (CAP-BEP).
L’enquête Emploi ne révèle pas de différences particulières vis à vis de l’usage de l’école quand on oppose les sortants selon deux grands groupes, niveau inférieur strict versus égal ou supérieur au bac, mais l’enquête longitudinale du Céreq montre par contre, à l’intérieur du premier groupe, que les jeunes sortis aux plus bas niveaux de l’échelle, après le collège ou en cours de formation professionnelle (VI et V bis), utilisent peu – ou sont peu aidés par – l’école.
Ce mode d’accès à l’emploi concerne un peu plus souvent les filles, sauf dans le cas de l’apprentissage 99, et les grandes villes.
98 L’enquête G41-G42 du Céreq s’apparentait à ce second mode d’interrogation, dans une optique exploratoire. On doit noter que les éditions ultérieures des enquêtes Céreq ont proposé des formes d’interrogations plus ciblées, utilisant des univers de choix plus restreints, mais plus lisibles. En tout état de cause, il y a là un champ d’investigations méthodologiques possible, suivant l’importance accordée à l’observation de ces dimensions du fonctionnement des marchés du travail.
99 Au moins tel qu’il était au début de la décennie 1990, puisque son développement récent sur de nouvelles filières et vers l’enseignement supérieur a pu modifier nettement ses caractéristiques.
Enfin, a priori, selon l’enquête Emploi, parmi les jeunes de 15 à 29 ans en formation ou au service national un an avant leur interrogation et quel que soit leur niveau d’étude, une origine sociale élevée est plus fréquemment associée à l’obtention d’un emploi grâce à l’école (15% à l’enquête Emploi 1990), même si les jeunes originaires des catégories intermédiaires et populaires sont aussi de plus en plus concernés au cours de la décennie quatre-vingt-dix.
Cependant, on ne retrouve pas tout à fait ce résultat dans l’enquête G41-G42 : parmi les jeunes sortis en 1989 du système éducatif avant le baccalauréat, ceux relativement peu nombreux qui avaient une origine sociale élevée (3,4%) ont trouvé un peu moins souvent leur emploi par l’école que les enfants des « professions intermédiaires » (resp. 11 et 13%).
***
Les phénomènes relationnels au sein du marché du travail et le rôle spécifique de l’école dans ces processus pour les jeunes en début de carrière professionnelle viennent d’être mis en évidence.
Mais comment agit l’école ? Quels sont les phénomènes relationnels à l’œuvre, comment apparaissent-ils ? Concernent-ils indifféremment tous les dispositifs de formation ou certains plus particulièrement, et alors pourquoi ?
Le chapitre suivant sera centré sur l’école, plus précisément sur des dispositifs de formation et leur mode de fonctionnement. Il s’agit d’identifier la nature, le contexte et les conditions d’apparition des processus relationnels à l’œuvre dans les dispositifs de formation, potentiellement intéressants du point de vue des opérations de recrutement.