Les réseaux de l’entrepreneur comme canaux de recrutement
3.1.2. Quelle modification des pratiques d’embauche face aux difficultés de recrutement ?
Un second jeu de questions était centré sur les comportements de ces employeurs face à des difficultés de recrutement. La première question permettait de cerner l’importance des difficultés ressenties.
Ce thème était à l’origine de l’étude et occupait alors une bonne place dans les discours ambiants : malgré cela, les entreprises ne se sont pas toutes senties concernées. 50% seulement des entreprises ayant répondu ont déclaré en éprouver pour recruter des ouvriers spécialisés.
Ce taux s’élevait à plus de 66 % pour les conducteurs de travaux, et à plus de 80 % pour les ouvriers qualifiés et les chefs d’équipe. L’absence de candidats et, dans une moindre mesure, leur absence d’expérience lorsqu’il s’en trouvait, ont été les raisons les plus souvent citées.
La seconde question était centrée sur les comportements déclarés par les employeurs face à ces difficultés de recrutement. Plus de 60 % d’entre eux ont ici répondu, révélant là moins d’indifférence dès que l’on propose des interprétations plus précises de l’idée de « difficultés de recrutement ».
Si cette question a permis de mettre en valeur le poids psychologique de l’horizon spatial, elle a surtout permis d’entrevoir le type d’arbitrage que peut faire un employeur entre des solutions qui renvoient chacune à des champs très différents.
Tableau 7. Lorsque vous êtes confronté à des difficultés de recrutement de personnel qualifié, comment préférez-vous procéder pour résoudre votre problème ? Source enquête BTP Auvergne 1992.
Ainsi, pour tenter de résoudre ces difficultés, trois types de comportement principaux sont mobilisés : réviser l’exigence de qualification, de loin la solution la plus couramment adoptée, sous-traiter (régulation par l’activité externe), ou faire appel à l’intérim (régulation par l’emploi externe). Quelques employeurs se découragent, et la variable salaire n’apparaît pas comme un levier décisif sur ce point.
On peut remarquer que ces réponses interrogent à leur manière la notion de « qualification » : que la modification de l’exigence en matière de qualification soit le moyen le plus utilisé pour faire face à des difficultés de recrutement, plutôt que, par exemple, élargir l’horizon géographique de recherche, révèle un certain flou sur leur manière de percevoir et déclarer la nature de la qualification qu’ils recherchent en réalité.
Retenons ici que l’employeur confronté à des difficultés de recrutement envisage très rarement d’augmenter les propositions salariales qu’il est susceptible de faire, et encore plus rarement d’élargir géographiquement ses recherches.
Même lorsqu’il se sait limité dans sa recherche par l’horizon géographique « naturel » pour ce type de démarche, l’employeur préfère ne pas modifier sa pratique et jouer sur d’autres régulations (Maruani, Reynaud 1993), et singulièrement sur le choix du niveau de qualification, ou même l’abandon de sa recherche.
C’est dire l’importance psychologique que revêt pour ce type d’employeur l’appréciation subjective des limites de l’espace géographique de ses pratiques de recrutement.
3.1.3. Les réseaux de l’entrepreneur comme canaux de recrutement
Pour les employeurs du BTP plus que pour tout autres, le recours aux réseaux informels est une caractéristique dominante.
Tableau 8. Pour recruter votre personnel de production, quel moyen utilisez-vous en priorité ? Source enquête BTP Auvergne 1992.
Pour recruter du personnel, le moyen le plus utilisé reste l’appel aux relations personnelles, parmi lesquelles se trouvent pêle-mêle la famille, les amis, les autres chefs d’entreprises du BTP, … : plus de la moitié des employeurs interrogés l’a cité.
L’ANPE apparaît bien implantée dans les pratiques des employeurs du BTP. Les candidatures spontanées semblent très développées.
On peut supposer, d’une part, qu’en période de désaffection des candidats à l’emploi dans le secteur du BTP58, toute candidature spontanée (par lettre ou contact direct) émise en sa direction manifeste un intérêt pour ce secteur de la part du postulant qui ne doit pas laisser insensible l’employeur potentiel.
Mais surtout, il s’agit de ce qu’en disent des employeurs : la notion de candidature spontanée peut recouvrir pour une part un phénomène d’appel au réseau relationnel de la part d’individus à la recherche d’un emploi, mais tel que perçu par l’employeur qui le reçoit.
L’employeur nommerait ainsi des démarches dans lesquelles c’est le candidat à l’embauche qui le contacte en premier, suite à une information obtenue par celui-ci à travers un canal relationnel59.
58 Ce qui était le cas à l’époque.
59 Ce qui augmenterait donc d’autant le poids de l’appel au réseau relationnel…
Enfin l’appareil de formation est cité comme un canal de recrutement par plus de 22% des employeurs : 1/5ème des employeurs du BTP s’appuient sur l’école (au sens large, apprentissage et alternance inclus) pour embaucher des jeunes.
Se repèrent ici deux phénomènes qui se renforcent mutuellement : tout d’abord l’importance de l’apprentissage dans ce secteur professionnel et des relations nouées de longue date entre les employeurs et ce système de formation (Vasconcellos 1993), et la tendance marquée du secteur du BTP à accueillir une part conséquente de jeunes au début de leur parcours professionnel, même s’ils n’y restent pas tous.
Le réseau relationnel personnel prédomine, ce qui ne surprend guère (Lièvre 1984 ; Merle, Fournier 1987 ; Marry 1983 ; …).
Ce n’est certainement pas l’apanage des entreprises du BTP, même si des différences sectorielles existent, et par ailleurs cela concerne autant les ouvriers que les ingénieurs (Degenne, Fournier, Marry, Mounier, 1991).
On peut compléter en précisant que ce n’est pas seulement en terme de fréquence d’utilisation, mais aussi en terme hiérarchique, c’est à dire de priorité accordée à tel ou tel réseau : ainsi, pour reprendre V. Henguelle (1992), « Ce n’est que lorsque les potentialités offertes par ces réseaux sont insuffisantes qu’est envisagé le recours à l’ANPE, en particulier lorsque le recruteur connaît une absence momentanée de candidatures : « quand on ne trouve pas dans notre entourage, on téléphone à l’Agence » [citant un interviewé] ».
Nous avions à l’époque mobilisé dans cette étude deux autres travaux permettant de mettre l’accent à la fois sur des dimensions temporelles propres à ces réseaux et sur le fait que ceux- ci s’inscrivaient dans une logique globale de pilotage de l’entreprise par les employeurs, c’est à dire constituaient des ressources dans des registres variés de son activité, et pas seulement dans le domaine du recrutement des salariés. Les principaux points sont résumés ici.