Critères d'utilité sociale pour la pépinière qui posent problème

2.3 Commentaires sur les critères proposés qui posent problème
Aucune structure testée n’a obtenu de point au critère 2 : « existence d’un conventionnement de répartition des bénéfices »
Il semble y avoir de très faibles possibilités qu’il y ait un conventionnement de répartition des bénéfices sans que la structure ne soit sous les statuts de l’économie sociale Les entreprises du commerce équitable peuvent choisir de signer des conventions de répartition des bénéfices pour garantir aux producteurs un juste niveau de rémunération. Cependant les conventions de répartition des bénéfices touchent à des problématiques plus larges, telles que la rémunération du capital et celle du travail, le réinvestissement des bénéfices dans l’entreprise… Ces règles ne touchent pas forcément a la rémunération des parties prenantes avec lesquelles l’entreprise travaille telles que les fournisseurs. Il faut donc compléter ce critère par un autre plus spécifique au commerce équitable : « critère de juste rémunération des parties prenantes ».
Seule une structure a obtenu un point au critère 4 : « co-construction de l’offre avec les usagers ou bénéficiaires, capacité à mobiliser différentes catégories d’acteurs »
Ce critère semble lui aussi très rarement réalisé dans la pratique. Parmi les structures testées, seul le District Solidaire remplit ce critère, par le biais de ses consomacteurs36. Les AMAP sont un autre modèle d’échange local qui remplirait ce critère. Il s’agit de concepts intéressants et novateurs qui permettent d’impliquer au maximum les usagers/bénéficiaires dans la réflexion autour du projet d’entreprise. L’enjeu est de rapprocher les consommateurs de l’offre proposée, dans le souci :
d’informer les consommateurs sur l’origine des produits et services qu’ils consomment, ce qui peut permettre une certaine fidélisation des clients, et donc contribuer à la pérennisation de l’activité, de contribuer à ce que l’entreprise reste conforme aux attentes et aux exigences des consommateurs avertis qui maintiennent ainsi un certain contrôle concernant la responsabilité sociale et environnementale des ces entreprises.
Le concept de consomm’acteurs inventé par le District Solidaire est une belle illustration de la forme que peut prendre la participation des consommateurs à la réflexion sur le projet d’entreprise. Les consomacteurs sont invités à visiter les coopératives soutenues par le DS, à réfléchir avec les porteurs de projets sur la cohérence de leur activité et à rédiger des « rapports de coopération » dans lesquels les consommateurs et les producteurs entretiennent des relations partenariales, et peuvent même demander la production d’un produit ou d’un service qu’ils aimeraient voir exister. Ce sont des méthodes intéressantes qui s’inscrivent tout à fait dans les critères d’utilité sociale communément reconnus que sont la sensibilisation des citoyens vers une démarche de consommation responsable, ainsi que la contribution au lien social de proximité. Le développement de relations partenariales entre les consommateurs et les producteurs participe en effet au développement des échanges et des synergies entre une variété d’acteurs locaux, et donc à la cohésion sociale. Pour élargir ce critère et le rendre plus significatif, on pourrait le remplacer par le critère « participation des usagers/bénéficiaires à la réflexion sur le projet d’entreprise »

36 Nous reviendrons plus bas sur ce concept de consomacteurs

Seule l’épicerie sociale et solidaire remplit conjointement les critères 9 « prix : adapté et/ou différencié selon le public » et 10 « accessibilité du produit à un public le plus large possible »
Ces critères correspondent au principe même d’une épicerie solidaire, qui est de proposer à un public spécifique des produits de consommation courante en dessous des prix du marché. La plupart des autres structures qui ont pour objectif premier la lutte contre l’exclusion envisagent cette fonction en intégrant des personnes en situation d’exclusion au sein du processus de production (cf entreprises d’insertion et commerce équitable).
Le critère 10 semble être redondant par rapport au critère 9. En effet l’accessibilité d’un produit à un public le plus large possible dépend en général de son prix. L’accessibilité d’un produit dépend aussi de son échelle de distribution, mais on s’éloigne alors de la notion d’utilité sociale. La distribution d’un produit à grande échelle, et selon des canaux accessibles à différents types de publics (selon leur lieu d’habitation, leur classe sociale, etc…) n’est pas un critère d’utilité sociale. Il semble donc pertinent de fusionner ces deux critères en un seul:
« prix accessible à un plus large public possible/adapté aux différents publics »
Toutes les structures testées remplissent le critère 6 : « connaissance et/ou appartenance aux réseaux spécialisés dans le secteur d’activité »
Cela semble logique étant donné qu’elles sont déjà installées et ont donc eu le temps de s’insérer dans un réseau. D’autre part, la méthode choisie pour le repérage des structures test a consisté à s’appuyer sur des structures réseaux telles que Equi’sol, l’UREI, l’URSCOP, etc… Si ces structures sont répertoriées par ces têtes de réseaux, c’est bien qu’elles les connaissent ! Ce critère n’est cependant pas inutile dans le cas où les entrepreneurs qui se présenteront à l’entrée dans la pépinière pourront parfois être totalement inconnus des réseaux habituels.
Les critères 5 : « réponse à un besoin émergent encore peu ou pas satisfait par l’économie publique ou le marché concurrentiel », 7 : « produit : délaissé par le marché (car insuffisamment rentable…) » et 8: « public digne d’intérêt, ne trouve pas de réponse à sa demande sur le marché » sont très proches.
Ils font référence à des activités qui proposent des produits et services rares sur le marché, et apportent souvent une réponse originale aux problématiques actuelles. Le critère 5 intègre la notion de besoin émergent, et fait donc référence à des produits ou services novateurs. A l’inverse, le critère 7 concerne les produits et services délaissés par le marché, ce qui sous- entend qu’ils existaient avant. Le critère 8 est synonyme des deux autres: il va de soi que si un public ne trouve pas ce qu’il cherche sur le marché, c’est bien que le marché ne répond pas à ses besoins… Dans les trois cas, c’est la notion de réponse à un besoin non satisfait ni par le secteur privé lucratif, ni par le secteur public, qui correspond à un critère d’utilité sociale. La dimension d’innovation, qui constitue également un critère d’utilité sociale, est déjà prise en compte par le critère 13 « innovation dans les circuits d’échanges et de solidarité ». Il serait donc judicieux de fusionner ces trois critères : « produit ou service rare sur le marché, peu ou pas satisfait par l’économie publique ou le marché concurrentiel ».
Le critère 3 « organisation démocratique de la production – transparence dans la gestion » est à préciser.
S’il se réfère à « la place qu’occupent les usagers/clients/bénéficiaires dans la gestion de l’entreprise, ses orientations et valeurs, la construction de son offre économique…37 », comme l’explique Jeanne Garnier dans son mémoire, il semble rester proche du modèle des coopératives dans lequel les parties prenantes sont invitées à prendre part, quelle que soit leur participation financière à l’activité, aux prises de décision concernant les orientations de l’entreprise. On peut cependant lire ce critère autrement. L’organisation « démocratique » de la production peut faire référence à la juste rémunération des parties prenantes, à une recherche de coopération et de partenariat qui viendrait remplacer les simples relations de clients/fournisseurs entre les différentes entités impliquées dans le processus de production. Parallèlement, la « transparence de gestion » conduit à de multiples interprétations qui ne sont pas nécessairement en lien avec celles concernant l’ « organisation démocratique de la production ». En effet, la transparence de gestion fait-elle référence à une démarche volontaire de la part de l’entreprise pour afficher ses comptes, ses coûts de production, ses bénéfices, etc… auprès d’un public le plus large possible? Est-ce un choix fait par l’entreprise pour donner une transparence totale aux prix qu’elle pratique? Ou est-ce plus simplement une garantie qu’elle donne sur parole, et qu’elle peut prouver lorsqu’on le lui demande, sans pour autant en faire une marque de fabrique, et un argument de vente?
Ce critère semble donc trop imprécis et porte à de nombreuses interprétations qui risqueraient dans la pratique de provoquer des désaccords et des malentendus entre les membres de comité de sélection. Il faut mieux le décliner en des critères plus précis:
– juste rémunération des parties prenantes
– transparence du prix
– participation des usagers/bénéficiaires à la réflexion sur le projet d’entreprise (mise en place de groupes de travail composés d’usagers/bénéficiaires pour réfléchir aux problématiques de l’activité, aux choix d’orientations stratégiques,…)
Le critère 13: « innovation dans les circuits d’échange et de solidarité » pose question dans la pratique.
Jusqu’où peut-on considérer que la mise en œuvre de pratiques alternatives de production, d’échanges ou de distribution constituent des innovations? Par exemple, les activités de commerce équitable s’inscrivent-elles dans ce critère d’innovation dans les circuits d’échange et de solidarité? De même pour les systèmes d’échanges locaux tels que les AMAP? Si ces modèles viennent proposer des solutions alternatives et relativement novatrices par rapport au système d’échanges dominant, ils se développent depuis plusieurs années déjà, et ne sont donc pas à proprement parler des innovations. On pourrait éventuellement élargir ce critère par la référence à la mise en œuvre de circuits de production/distribution alternatifs.
Le critère 11 « lutte contre l’exclusion de personnes en difficulté » est trop imprécis.
C’est un objectif fréquemment fixé par les entreprises à but social, qui peut être décliné de différentes manières, selon que l’on travaille pour l’insertion économique ou sociale des personnes. Aussi les entreprises d’insertion luttent contre l’exclusion par l’accès à l’emploi, alors que les associations de quartier abordent cette lutte par la création de lien social de proximité. La pratique de prix en dessous du marché pour un public à faibles revenus est aussi une manière de lutter contre l’exclusion. Pour pouvoir évaluer la poursuite de cet objectif dans la grille de critères, il convient mieux de décliner l’objectif général de lutte contre l’exclusion en plusieurs critères plus concrets et donc plus faciles à examiner dans la pratique:
– intégration de personnes en situation d’exclusion parmi les salariés
– le créateur est en situation d’exclusion des circuits traditionnels de la création d’entreprise
– prix accessible à un public le plus large possible, adapté aux différents publics solidarité au sein du territoire
Lire le mémoire complet ==> (Comment identifier et accompagner les entrepreneurs sociaux ?)
Réflexions autour du montage de projet de la pépinière de l’entrepreneuriat social
Mémoire de stage – Master II Economie Sociale et Solidaire
Université LUMIERE LYON 2
 

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Comment identifier et accompagner les entrepreneurs sociaux ?
Université 🏫: Université LUMIERE LYON 2 - Mémoire de stage - Master II Economie Sociale et Solidaire
Auteur·trice·s 🎓:

Sandrine FORZY
Année de soutenance 📅:
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