Rapports intergénérationnels, temps et identité

Rapports intergénérationnels, temps et identité

Partie IV – Rapports intergénérationnels, temps et identité

La population enquêtée appartient d’une part à une même génération. Des traits culturels sont donc communs et participent à la construction identitaire des individus.

Mais tant dans les interactions que dans les pratiques individuelles, les individus ont-ils pour autant une identité générationnelle ? D’autre part, la population enquêtée est face à une perspective temporelle qui se raccourcit. Cela engendre ainsi un nouveau rapport au temps. Quel rapport les individus entretiennent-ils alors face au passé, au présent et à l’avenir ?

1. Une identité générationnelle ?

D’un point de vue macro-social, une même période historique et notamment des évènements qui y sont associés, rattache l’individu à une génération. Le poids du contexte culturel propre à une époque impacte sur le construction identitaire de l’individu.

Cependant quel est le poids de la culture d’origine de l’individu dans sa construction identitaire ? De même qu’une génération n’est pas définissable uniquement par le contexte historique qui l’entoure, l’identité de l’individu est elle aussi complexe. Au fil de l’avancée en âge l’individu est-il imbriqué donc dans une identité générationnelle ? Dans un cadre interactionnel, quels rapports entretient-il alors avec les autres générations ?

1.1. Des rapports intergénérationnels disparates

1.1.1. Des groupes de pairs multi-générationnels

Certains enquêtés ont des groupes de pairs appartenant à la même génération que la leur. L’affinité entre groupes de pairs s’établie au premiers abords pendant la période de jeunesse, celle de la socialisation primaire. Au cours de cette dernière, les groupes de pairs constituent en effet des « autrui significatifs33 » majeurs qui participent à la construction identitaire de l’individu et à l’intériorisation de la réalité sociale. Le maintien des amitiés de jeunesse, piliers de l’identité individuelle, explique ainsi des groupes de pairs générationnels :

« Mes amis sont plutôt autour de la cinquantaine, c’est des amis de fac.» (Marie, F, 49 ans, pharmacienne)

Cependant chacun construit son propre chemin et les amitiés d’enfance peuvent se dénouer. Au moment de la socialisation secondaire, le travail constitue un cadre de vie où se nouent les amitiés à l’âge adulte. L’espace professionnel est alors propice à la rencontre de groupes de pairs issus de la même génération, parce que des intérêts communs créent des affinités :

« Des amis d’enfance j’en n’ai plus beaucoup, c’est plutôt des gens que j’ai rencontré professionnellement qui sont de ma génération. » (Rémi, H, 54 ans, psychiatre)

Mais le milieu professionnel, les lieux de loisirs ou de voisinage sont également des espaces de rencontres multi- générationnelles. Certains individus côtoient même davantage de groupes de pairs plus jeunes qu’eux.

Ainsi, les multiples espaces d’interactions tapissant la vie quotidienne des individus sont favorables à la formation de groupes de pairs multi-générationnels. Les individus ne sont donc pas cloisonnés dans un espace générationnel :

« C’est des amis de toutes génération. Aussi bien une amie de 72 ans que des jeunes d’une vingtaine d’année. Celle de 72 ans c’était dans le cadre de mon travail. Et les amis plus jeune c’est toujours dans le cadre du travail. » (Martine, F, 50 ans, chargée de mission formatrice)

Les rapports multi-générationnels sont dés lors considérés comme un enrichissement individuel. Côtoyer aussi bien des individus plus jeunes que plus âgés est en effet une ouverture considérable du point de vue des échanges d’opinions.

Chaque tranche d’âge a en effet son propre vécu avec une culture, des valeurs et expériences qui sont englobées dans un système culturel propre à chaque période historique. Ainsi, la diversité d’âge dans les rapports humains constitue une possibilité d’ouverture au monde :

« Je côtoie des gens beaucoup plus jeunes toute la journée, le personnel qui travail avec moi c’est des gens qui ont 25-30 ans, 40 ans au maximum. Ca permet de voir leurs points d’intérêt, qu’est-ce qu’ils font par rapport à toi. Donc ça permet des échanges d’avis, pour ne pas s’encroûter dans les mêmes idées, pour voir d’autres choses. » (Jacques, H, 51 ans, anesthésiste)

1.1.2. Des rapports différents avec la jeune génération

Au sein des rapports multi-générationnels entretenus par les individus, les relations avec des générations différentes ne sont cependant pas équivalentes. En effet, le mode de vie et les préoccupations évoluent avec le cycle de vie.

Les jeunes individus qui ne sont pas encore entrés dans le vie active n’ont donc pas les mêmes intérêts que les enquêtés. Par ailleurs, l’éloignement générationnel entraîne aussi un décalage culturel, comme au niveau du langage. Le parler verlan de la jeune génération d’aujourd’hui entraîne ainsi un sentiment de décalage des enquêtés face aux groupes de pairs plus jeunes :

« Avec les jeunes, les amusements ne sont plus les mêmes. Même si on s’entend bien, dès que tu creuses un peu, on n’a pas les mêmes affinités, les mêmes amusements. Je ne sors pas autant qu’eux, je ne bois pas, je ne fume pas.

Donc je ne peux pas aller plus loin que le sport avec ces copains, mais on rigole bien. Et puis il y a aussi le fait qu’ils n’ont pas le même langage que les gens de ma génération, ils parlent verlan. » (Damien, H, 47 ans, fonctionnaire de La Poste)

Le poids de l’expérience au fur et à mesure de l’avancée en âge profile les interactions. Avec les individus plus âgés, le poids du vécu engendre des modes d’interaction davantage basés sur le respect et l’écoute. La maturité inspire donc à des relations plus respectueuses et distanciées comme par le vouvoiement, tandis que la jeunesse caractérisant d’autres groupes de pairs laisse davantage de liberté à l’individu :

« C’est pas pareil. Avec les plus âgés on les écoute plus. Et avec les plus jeunes on arrive plus à parler. Les voisins plus âgés on les écouterait plus que de leur donner des conseils, c’est une question de respect je pense, ils sont plus âgés donc ils savent mieux.

Je vais vouvoyer les plus âgés, mais par contre les jeunes je vais leur dire tu. Pourtant les voisins plus âgés je les connais depuis plus longtemps. » (Carole, F, 52 ans, mère au foyer)

Si certains enquêtés côtoient des groupes de pairs multi-générationnels, les rapports interactionnels différent entre générations. Le poids du vécu, le décalage culturel et de préoccupations engendre un sentiment de proximité plus accru avec les pairs de même génération. Ce sont donc surtout des espaces-temps singuliers et propices qui sont au cœur du rapprochement avec des pairs de générations différentes.

1.1.3. A l’encontre du confinement générationnel

L’âge est une construction sociale. La société confine les individus de la même tranche d’âge dans un même ensemble. La société occidentale s’inscrit dans une pensée cartésienne où chaque objet est séparé, individualisé.

Les individus avancés en âges se voient ainsi confinés dans le groupe des « seniors », ou encore au sein des « vétérans » dans un club sportif. Pourtant, certains individus expriment ne pas vouloir être cloîtré dans un espace générationnel. Leurs pratiques témoignent d’ailleurs de cela. Les clubs d’âge sont vus d’un mauvais œil. Les individus s’attachent donc à côtoyer toutes les générations afin de ne pas rester confiné dans un univers générationnel :

« Je ne suis pas du genre à aller dans un club parce que je veux retrouver des tranches d’âges qui correspondent à mon âge. » (Laurent, H, 54 ans, capitaine de police)

33 Notion développée par Peter Berger et Thomas Luckmann dans La construction sociale de la réalité, Paris, A. Colin, 1996, 2ème éd.

En définitive, les multiples espaces interactionnels marquant la vie quotidienne des individus impliquent des interactions multi-générationnelles. Néanmoins, l’avancée en âge contribue à creuser un fossé entre les générations.

En dépit du poids de l’expérience et d’un sentiment de proximité avec les pairs de la même génération, l’individu ne se positionne pas dans une perspective de confinement générationnel. Néanmoins l’ouverture est-elle culturellement, et socialement possible ? L’identité individuelle est-elle une identité générationnelle contraignant cette ouverture?

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Les 45-60 ans : âges de transition
Université 🏫: Université Paris Descartes - Faculté des Sciences Humaines et Sociales Sorbonne
Auteur·trice·s 🎓:
Charlotte Feuillafée

Charlotte Feuillafée
Année de soutenance 📅: Master 2, Magistère de sciences sociales appliquées à l’interculturel - Juin 2008
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