Ecrans français : des minorités ethniques encore peu visibles

Les écrans français : des minorités encore peu visibles, malgré des efforts en matière de diversité – Chapitre 3 :
Section 1 – Une plus grande visibilité
La France multiethnique devient de plus en plus visible à la télévision et on commence enfin à prendre en compte les revendications des minorités. Face à la faible représentation des minorités à la télévision française, les pouvoirs publics se sont emparés du problème en instaurant la loi sur l’égalité des chances en 2006. Un fonds d’aide Images de la diversité a ainsi été crée afin de favoriser les productions permettant « la connaissance des réalités et expressions » des populations immigrées ou issues de l’immigration et des départements d’outre-mer.62
Les minorités sont de plus en plus présentes dans le cinéma français, comme le confirme Alexandre Michelin, président de la commission Images de la diversité qui constate de nombreux progrès de la diversité sur le grand écran.63 On a ainsi vu le film Entre les murs de Laurent Cantet, qui met en scène de jeunes français d’origine maghrébine ou africaine, recevoir la Palme d’or du Festival de Cannes 2008. Djourha, la première agente d’acteurs à Paris à s’être intéressée à la carrière d’acteurs noirs, constate qu' »il y a vingt ans, on ne proposait aux comédiens que des rôles de voyou, de dealer, de méchant. Dans un scénario, un avocat ou un médecin ne pouvait être qu’un blanc, jamais une femme, ni une noire ni une arabe.”62 Mais depuis les mentalités ont évolué, notamment avec le succès d’acteurs comme Jamel Debbouze, Sami Bouaila, Roschdy Zem, Samy Naceri ou encore Gad Elmaleh, désormais qualifiés d’acteurs « bankables », dont les performances et les retombées économiques sont assurées.
Sur le petit écran, les exemples de séries télévisées comme Plus belle la vie sur France 3, composée de nombreux acteurs noirs et maghrébins et faisant les meilleures audiences des fictions de première partie de soirée, constituent la preuve que le public est prêt à regarder sa diversité en face. En outre, la série « Aicha » diffusée sur France 2 a réalisé également d’excellentes performances avec 5,3 millions de téléspectateurs. Pour la réalisatrice, Yamina Benguigui, les chaînes sont enfin prêtes à avancer vers davantage de diversité et le grand succès de la série « prouve que cette fiction n’a pas été vue que par des Arabes, mais bien par tout le monde ».58 Autres exemples de progrès, TF1 lance la série Profilage dont un des personnages principaux est noir, tandis que M6 continue de diffuser Les bleus, dont l’une des vedettes est maghrébine. On voit également de plus en plus de présentateurs issus des minorités, comme Sébastien Folin, d’origine réunionnaise, à la météo sur TF1 ou encore Harry Roselmack arrivé au journal télévisé de TF1 en 2007. La présentatrice d’origine algérienne Aïda Touihri présente aussi depuis octobre 2007 le magazine d’actualités “66 minutes” sur M6. Quant à la chaîne d’informations LCI, elle poursuit sa politique de recrutement diversifié et compte de plus en plus de journalistes issus de minorités ethniques.
Dès le 14 novembre 2005, en pleine “crise des banlieues”, le président Jacques Chirac déclarait que “les médias doivent mieux refléter la diversité d’aujourd’hui”. Depuis, les médias ont ouvert leur mode de recrutement aux minorités ethniques. Pourtant, si d’incontestables progrès ont été réalisés en matière de diversité dans les médias, il reste encore de nombreux freins au développement du marketing ethnique en France.
Section 2 – Limites
Si la diversité est de plus en plus présente au cinéma, elle ne l’est que très peu sur le petit écran et la fiction française reste « le vilain petit canard de la diversité ». 63 Le succès de séries comme Plus belle la vie et Aïcha restent minoritaires, et la commission Images de la diversité dénonce une évolution trop lente de la diversité au sein de la télévision française aux heures de grande écoute. Dans un avis du 1er janvier 2000, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) déplorait ainsi « qu’aucune référence ne soit faite à la représentation à l’antenne des différentes composantes de la communauté nationale, qui permettrait aux chaînes publiques de prendre davantage en compte la diversité des origines et des cultures qui composent la société française”.5 Pourtant, c’est bien à la télévision que le marketing ethnique pourrait commencer à se développer, mais il faudrait pour cela que le public soit déjà « habitué » à une certaine diversité ethnique au sein des programmes quotidiens. La commission Images de la diversité, qui pourvoit une aide au financement de projets télévisés favorisant la diversité, constate que le peu de projets proposés proviennent uniquement du service public ou des producteurs travaillant pour le service public. Cela traduit la grande peur des chaînes privées d’afficher une diversité ethnique ne sachant pas quelle sera la réaction du grand public français.  » Passée dans les mœurs aux Etats-Unis, au Canada ou en Grande-Bretagne, l’apparition à l’écran d’acteurs de couleur reste encore rare en France ».63 Finalement, « la diversité en prime time, c’est la diversité américaine » affirme M. Michelin, président de la commission Images de la diversité. En effet, les séries dont les héros sont souvent noirs, comme Les Experts sur TF1 ou FBI : portés disparus sur France 2, réalisent d’excellentes audiences et le public français n’a aucun mal à accepter cette diversité. Alors que les chaînes françaises sont frileuses à l’idée de montrer des acteurs issus de minorités ethniques, certaines séries américaines font au contraire appel à des acteurs français d’origine maghrébine comme Saïd Taghmaoui, l’un des héros de la série Lost.
La réponse des chaînes de télévision française face à ces critiques est souvent la même : il faut plus de temps. Ainsi, imposer une diversité qui ne serait pas encore acceptée par le public français pourrait être maladroit et il serait plus judicieux d’attendre une évolution générale des mentalités. Mais la télévision n’a-t-elle pas son rôle à jouer dans ce changement de mentalités ?
Ecrans français : des minorités ethniques encore peu visiblesLa grande difficulté à laquelle doit faire face la commission Images de la diversité est de ne pas aider des films qui véhiculent trop de clichés ou au contraire trop politiquement correct et aseptisés. Et c’est là le grand problème en France : comment favoriser le développement sur les écrans français d’une population issue de la diversité, souvent méconnue des producteurs et même d’une certaine partie du grand public ? Ainsi, si une série américaine n’aura aucun mal à mettre en scène un noir ou un latino dans le rôle d’un homme d’affaires ou d’un haut fonctionnaire, la télévision française aura plutôt tendance à cantonner un maghrébin à un rôle de prisonnier par exemple. Si cet exemple peut paraître excessif, il n’en est pas moins que la commission Images de la diversité reçoit beaucoup de propositions de documentaires sur les prisons mettant en scène des acteurs maghrébins. Dans un rapport de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance, les médias audiovisuels français ont ainsi été montrés du doigt pour leur « représentation parfois simpliste et stéréotypée des communautés minoritaires et le manque d’émissions illustrant l’apport réel de ces communautés au patrimoine culturel national ».5 En effet, pour 82% des personnes interrogées dans le cadre de ce mémoire, la télévision et le cinéma français ne reflètent pas du tout la diversité ethnique française. 64
Cette vision des minorités est souvent le reflet de l’imaginaire français, qui parfois ne connaît pas bien sa diversité. Pour Alexandre Michelin, « il n’y a guère de rôles positifs, et ils restent plutôt marginaux. On ne sait pas encore vraiment comment représenter la diversité en France, on reste toujours sur un modèle jacobin. Le simple fait qu’on ait besoin d’une aide ad hoc témoigne que tout n’est pas réglé. Si Jamel Debbouze est considéré comme l’alibi parfait de la réussir des acteurs beurs au cinéma, c’est aussi l’arbre qui cache la forêt. » La France a donc encore beaucoup d’efforts à faire pour représenter ses minorités à l’écran, même si ce sombre bilan est nuancé par les nombreux progrès réalisés ces dernières années.63
Lire le mémoire complet ==> (Le marketing ethnique « made in USA » est-il transposable au modèle républicain français ?)
Mémoire de recherche – IEP de Toulouse
_____________________________
62 Vulser (Nicole), La diversité ethnique s’impose lentement sur les écrans français, Le Monde, 23 septembre 2008
63 Dutheil (Guy), La fiction télévisée française demeure un piètre reflet de la diversité ethnique : La commission Images de la diversité déplore le manque d’efforts des chaînes, Le Monde, 2 juillet 2009
64 Annexe 2 – Questionnaire réalisé entre septembre et octobre 2010 auprès d’un échantillon de 50 personnes ayant au moins un parent d’origine étrangère ou de couleur.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Le marketing ethnique made in USA est-il transposable au modèle républicain français ?
Université 🏫: Institut d’études politiques IEP de Toulouse
Auteur·trice·s 🎓:
Mlle Soraya Thonier

Mlle Soraya Thonier
Année de soutenance 📅: Mémoire de recherche - 2023
Rechercher
Télécharger ce mémoire en ligne PDF (gratuit)

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to Top