Les stratégies d’implémentation restavèk révèlent une réalité troublante : des milliers d’enfants en Haïti effectuent un travail invisible, souvent perçu comme une norme. Cette recherche met en lumière les origines historiques de cette pratique, essentielle pour comprendre son impact sur le bien-être des plus vulnérables.
CHAPITRE 5 – EXAMINER LES RÉCITS DES ENFANTS RESTAVÈK
À TRAVERS LA NOTION DE TRAVAIL INVISIBLE
Le présent chapitre vise à examiner le travail des restavèk comme un travail invisible. Des éléments théoriques seront présentés afin de démontrer cette conclusion.
Le concept de travail invisible
Avant d’aborder le travail invisible des enfants en Haïti, il est important de contextualiser ce concept. Avant les années 1980, le travail invisible était défini par le travail domestique c’est-à-dire une forme de travail non rémunéré effectué par des femmes (Fouquet, 2001). Le travail domestique invisible peut s’expliquer « par l’exploitation de la femme par l’homme, la famille étant l’institution qui permet et facilite la transmission et la reproduction de ces rapports de domination » (Fouquet, 2001, p. 100).
Plusieurs revendications ont été faites au cours desquels des femmes exposaient les réalités du travail domestique tel que les nombreuses heures travaillées au sein du foyer. Pour plusieurs, le fait que ces femmes travaillaient dans leurs familles il était tout à fait normal qu’elles ne puissent recevoir de compensation monétaire.
Fouquet explique qu’afin que les revendications de ces femmes soient entendues, elles ont dû faire une estimation de leur travail avec une analyse macroéconomique (Fouquet, 2001). Les femmes dénoncent la double journée de travail dû au fait qu’elle occupe un emploi à l’extérieur du foyer et doivent aussi s’occuper des tâches ménagères et de l’éducation des enfants.
Tandis que les femmes au foyer dénoncent que l’image du travail des femmes souhaite montrer qu’en se consacrant à leur foyer, elles contribuent tout autant à l’économie de la société (Fouquet, 2001).
Dans le cas des enfants restavèk, elles ont un rôle de « femmes au foyer » tandis que les femmes des familles d’accueil représentent l’image de la femme salariée. La différence entre les restavèk et les femmes au foyer c’est que généralement ces femmes ont fait le choix de rester à la maison contrairement aux restavèk à qui cela a été imposé pour des raisons économiques.
Les théories de rapports sociaux des sexes ont démontré comment le sexe détermine la division des activités du travail dans une société. Selon Fouquet (2001), le travail domestique est attitré et réalisé par les femmes et depuis plusieurs décennies, ce travail s’est fait dans un cadre invisible, car il n’est pas rémunéré (Fouquet, 2001).
À travers ses travaux domestiques Delphy (dans Laufer, 2001), dénonce le mode de production domestique, car selon l’auteur il y a une appropriation du travail de la femme dans le privé, mais aussi dans le public (Laufer, 2001). Des féministes noires telles que Hooks ou Carneiro (dans Joseph, 2015), assurent que les femmes ne sont pas toutes confinées dans le travail domestique de la même manière, mais cependant « la plupart de la plupart des analyses qui mettent le travail domestique au centre de l’oppression des femmes, le service domestique qui est en plus réalisé par les plus discriminées, est longtemps invisibilisé » (Joseph, 2015, p. 19).
En Haïti, des inégalités systémiques existent entre hommes et femmes dans le secteur de l’éducation, la santé, l’éducation et le secteur du travail. Le ministère de la Condition féminine reconnait que les femmes haïtiennes occupent une place importante dans l’économie, mais leur contribution est difficile à évaluer en raison de la nature invisible de leur travail. Dans ce pays, les femmes constituent la majorité dans des travaux domestiques, car ce travail est considéré comme extension du rôle de la femme dans le foyer (Magloire, 2010).
Le travail domestique, un état des lieux
Le travail domestique est l’une des plus anciennes professions du monde et est souvent qualifié comme un travail féminin. La domesticité a des liens avec l’esclavage et diverses formes de servitude, y compris le colonialisme. Le travail domestique est une activité non réglementée dans la plupart des pays étant donné que la législation du travail n’est pas applicable aux travailleurs domestiques. Le travail reproductif dont le travail domestique fait partie se définit comme un ensemble de tâches nécessaire pour maintenir la vie existante et pour reproduire la génération suivante (Ongaro, 2003).
Le concept du travail domestique s’est développé dans la théorie féministe afin d’analyser l’importance du travail non rémunéré effectué par les femmes. Dans le féministe marxiste, le travail domestique est appelé « travail de reproduction » (Ongaro, 2003). Dans la littérature, la plupart des définitions du travail domestique se rapportent aux tâches ménagères, mais certains incluent le « travail émotionnel » comme la gestion de la tension et les soins.
Au cours des années 1970, un débat a eu lieu afin de savoir si ce travail devait être considéré comme productif ou improductif et s’il devait être perçu comme bénéfique aux hommes ou au capitaliste ou au contraire au deux. Malgré le désaccord sur la manière de conceptualiser ce travail et sur son importance, il est largement reconnu comme une base importante pour l’inégalité entre les sexes, ce qui amène un degré d’exploitation des femmes par les hommes (Jarret, 2015).
Le travail peut être effectué par des membres de la famille ou des étrangers. Les travailleurs peuvent venir chez les employeurs pour cuisiner, prendre soin des enfants ou des membres de la famille. Le travail peut se dérouler dans des institutions telles que les hôpitaux, les maisons de retraite ainsi que les maisons privées.
Dans une convention adoptée par l’OIT en 2011, le travail domestique est défini comme le travail effectué dans ou pour un ou plusieurs ménages (Joseph, 2015).
Dans certaines cultures, dont la culture haïtienne, l’éducation des jeunes filles les prépare à prendre en charge le travail reproductif, contrairement aux garçons dont l’éducation genrée les garde éloignés de ce genre de travail, cela fait en sorte qu’une division sexuée du travail aura lieu (Joseph, 2015). De plus il est constaté que les femmes issues de classe moyenne supérieure vont employer à domiciles des femmes de classe populaire ou leurs enfants afin qu’elles-mêmes puissent échapper à l’exploitation reliée au travail domestique, ainsi elles vont contribuer à l’inégalité de sexe de classe (Joseph, 2015).
le travail des enfants Haïti
En Haïti, l’âge obligatoire pour débuter l’école est de six ans comme prescrit par la Constitution haïtienne. La Convention des Nations Unies relative aux droits de l’homme relative aux droits de l’enfant, établi dans son article 32 aux enfants le droit « d’être protégés contre l’exploitation économique ; et de tout travail susceptible de gêner l’éducation de l’enfant ou de nuire à sa santé ou à son développement physique, mental, spirituel, moral ou social ».
En plus de cela, l’OIT reconnaît que les enfants engagés dans un travail productif peuvent être bénéfiques pour leur avenir, cependant, la nature du travail et l’âge à laquelle ce travail est fait peut-être contre-productif pour le développement social de l’enfant particulièrement si l’enfant est privé d’éducation (Black & Blagbrough 1999).
Le système restavèk peut également être placé dans le cadre international du discours sur le travail des enfants. En ce qui a trait aux enfants, certains facteurs tels que le libre arbitre et le danger entrent en jeu afin de différencier le travail effectué par adulte consentant de celui d’un enfant vulnérable (Blagbrough, 2012). L’OIT a établi des normes du travail des enfants qui peuvent être considérés comme des pratiques d’esclavage dans la Convention 182 concernant les pires formes de travail des enfants. L’Article 3 de la Convention 182, qui a été ratifié par Haïti en 2007 est considéré de la maltraitance, de la négligence et une atteinte aux droits de l’enfant (Blagbrough, 1999).
Comme mentionné dans les paragraphes précédents, l’enfant restavèk peut souffrir de privation de sommeil et d’un manque de nutrition adéquats relié au fait qu’il doit se livrer à des activités physiques exigeantes dans un environnement dangereux.
En plus des exigences du travail à effectuer, ces enfants sont généralement soumis à la violence physique et émotionnelle (Blagbrough, 1999). Les abus au sein de la pratique restavèk doivent être considérés en fonction de leur contexte dans culture haïtienne. Le système de restavèk d’Haïti existe au sein de ce réseau mondial de travail des enfants, et bien que les conditions dans lesquelles le travail des enfants haïtiens varie le travail des enfants restavèk tombent souvent dans la catégorie des pires formes de travail des enfants (Blagbrough, 1999).
Tel que mentionné les conditions du système restavèk violent la Convention des Nations Unies en ce qui concerne le droit des enfants dont Haïti est signataire. D’autres mécanismes internationaux sont en place, tel que les Conventions 182 de l’OIT sur les pires formes de travail enfants ainsi que la Convention 138 qui fixe l’âge minimum de travail des enfants à 15 ans (USDOL, 2009).
De plus, Haïti est signataire de la Convention 29 de l’OIT concernant le travail forcé et la Convention 105 sur l’abolition du travail forcé. En plus des Conventions de l’OIT, Haïti a également signé le Protocole des Nations Unies de 2000 afin de prévenir, réprimer et punir la traite des personnes et particulièrement en ce qui concerne les femmes et les enfants (Cooper & al., 2012).
Ayant signé ces conventions internationales, Haïti à l’obligation de respecter ces Conventions et rendre des comptes à l’OIT concernant les efforts déployés pour les maintenir et les respecter. Le Code du travail haïtien a fixé l’âge minimum pour travailler dans les entreprises à 15 ans, mais n’inclut pas d’âge minimum pour le travail domestique (US DOL, 2012).
________________________
2 Définition donnée par l’article 62 de la loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) du 15 mai 2001. ↑
3 Auchan Les 4 Temps, La Défense. ↑
Questions Fréquemment Posées
Qu’est-ce que le travail invisible des enfants restavèk en Haïti ?
Le travail des restavèk est considéré comme un travail invisible, car il s’agit de tâches domestiques non rémunérées effectuées par des enfants placés dans des familles aisées par des parents en situation de pauvreté.
Comment le travail domestique est-il lié à l’esclavage en Haïti ?
Le travail domestique a des liens avec l’esclavage et diverses formes de servitude, y compris le colonialisme, et est souvent considéré comme une extension du rôle de la femme dans le foyer.
Pourquoi le travail des femmes au foyer est-il souvent considéré comme normal ?
Le travail des femmes au foyer est souvent considéré comme normal car il est perçu comme une contribution à l’économie de la société, malgré le fait qu’il soit non rémunéré et souvent invisible.