L’analyse comparative des innovations foncières révèle des lacunes surprenantes dans les initiatives des acteurs non étatiques au Sud-Kivu. Ces insuffisances, souvent ignorées, soulignent l’urgence d’une décentralisation foncière pour renforcer la sécurisation des droits des communautés rurales.
§2. Les faiblesses des approches
- Titrisation foncière
La Revue du Secteur Foncier de 2016, note que, l’ambition initiale de la titrisation foncière, était de définir un modèle de gestion du patrimoine foncier qui aboutirait à la délivrance, par l’autori té coutumière, d’un titre susceptible de consolider les droits acquis selon les différents modes cités plus haut. Cet outil devait, à la fois, (i) construire un dispositif juridique et institutionnel foncier légitime aux yeux des communautés et susceptible d’obtenir la reconnaissance de l’Etat ; (ii) promouvoir une gestion foncière décentralisée et participative par le biais d’instances locales chargées de gérer les terres et les ressources naturelles et d’aider à la régulation des conflits fonciers ; et, finalement, (iii) coordonner la multiplicité d’acteurs dans le foncier coutumier ainsi
36http://www.hubrural.org/IMG/pdf/mythes-impasse-de-limmatriculation-fonciere-et-necessite-de-dapproches-alternatives-par-hubert-ouedraogo-2.pdf
37 https://iriucbc.org/2020/05/27/le-sif-rfc-un-socle-pour-la-securite-de-droits-fonciers-des-communautes-locales/
que limiter la prolifération des documents et des rivalités entre légalité et légitimité sur l’espace
foncier coutumier (Revue du secteur foncier, 2016).
Cependant, sur le terrain, la réalité est loin de là. Le processus fait face à des nombreux défis, qui justifient, non seulement, sa faible appropriation par les instances administratives locales de gestion foncière comme notent Baraka, Ansoms, Kasper (2021) d’une part, mais aussi par les communautés locales, c’est-à-dire les paysans, de l’autre.
Notons d’abord avec Mudinga & Nyenyezi (2014) que, si la titrisation marque une avancée dans l’institution coutumière, sa légitimation, par l’État, comme titre foncier à part entière, constitue un grand défi à relever. En outre, la faiblesse dans l’harmonisation des outils et/ou approches, ainsi que l’enchevêtrement des logiques d’intervention des acteurs sur la même arène foncière, a fait remarquer que plusieurs paysans ne se préoccupent pas de cette titrisation.
Ils s’en désolidarisent davantage. Premièrement, le modèle s’est construit dans un contexte d’individualisation des droits fonciers coutumiers. Ceci fait qu’il est difficile d’anticiper sur sa capacité à sécuriser des droits exercés collectivement comme c’est le cas dans une grande partie des espaces coutumiers de la RDC (Revue du Secteur foncier, op cit).
Deuxièmement, la faiblesse dans la coordination des approches entre acteurs qui véhiculent cette innovation, fait que, le mécanisme de participation aux frais de certification, c’est-à-dire le prix du certificat foncier à délivrer aux paysans, reste plus coûteux aux paysans pauvres et quasi-symbolique aux paysans riches. Dans certains territoires, nous explique un enquêté, « les lots des pauvres soutiennent les lots des riches »38.
Plusieurs autres enquêtés ont fait savoir que dans plusieurs territoires au Sud- Kivu (Par exemple à Kabare), les acteurs non-étatiques ont fixé les prix du certificat de manière forfaitaire. C’est-à-dire que quelle que soit la superficie de la parcelle, ils font payer au bénéficiaire du titre foncier une somme de 20 dollars US$.
Dans ce contexte, un paysan qui dispose d’une portion de 2 ares de terres par exemple, et celui qui dispose de plus de 2 hectares, payent tous le certificat au même prix. Ceci constitue, localement, une source de contestation entre les paysans et les désolidarisent de cette innovation. Dans un autre territoire (tel Walungu), où le prix de la certification se fait au prorata de la parcelle à sécuriser, on voit plusieurs logiques des acteurs intervenir, mais malheureusement, elles se chevauchent.
La certification, dans ce contexte, se fixe à 15 US$ par Are. C’est-à-dire, 150 US$ par Ha. Non seulement il y a d’autres organisations qui peuvent se présenter dans le même milieu avec une logique de certification gratuite, on retient que, ce même prix, reste encore exorbitant pour les paysans en majorité pauvre.
Soulignons, également, que la plupart des acteurs non-étatiques ne sécurisent pas les parcelles des individus. Au préalable, ils réunissent les paysans ensemble (soit en association ou en organisations paysannes ou villageoises) pour sécuriser leurs concessions. Dans cette optique, les paysans se font enregistrer, au sein de ses acteurs, avant que ces derniers qui travaillent avec le service de l’administration foncière locale, ayant une personnalité juridique, ne commencent les travaux de reconnaissances foncières.
Les paysans réunis, profiteront alors de la sécurisation de leurs concessions, bien que le titre foncier octroyé soit individuel. Cependant, un paysan qui ne s’est pas retrouvé dans le regroupement, ne peut hasarder sécuriser individuellement sa
38 Entretien tenu à Karongo dans le territoire de Walungu avec une paysanne bénéficiaire du titre foncier, juin 2001
parcelle, puisque le coût est insupportable pour lui. Une dame m’a expliqué que « cette sécurisation, réellement, ne nous profite pas »39.
En outre, une autre faiblesse, et non la moindre, reste la lenteur dans le processus d’octroi dudit titre foncier. Les témoignages de nos enquêtés fustigent cette lenteur en ce sens « le processus est lourd, car reconnaît la validation du dossier par tous les bureaux à la base. Or, au niveau du service foncier local, les bureaux sont décentralisés qu’ils sont nombreux. On voit souvent les dossiers traîner car, chaque autorité du bureau, doit apprécier à son niveau. A défaut, il risque de bloquer le dossier et le processus s’arrête à ce niveau »40. Un autre interviewé ajoute,
« l’appréciation de nos dossiers, par les chefs de différents bureaux, est très subjective. Si on ne sait les motiver, en plus de frais que l’on avait payé, ils font trainer les dossiers et le processus continue à prendre du temps, jusqu’à ce qu’on désespère »41 . D’autres paysans ont expliqué que jusqu’en 2016, sur 7000 parcelles identifiées dans les territoires de Kabare et Walungu et dont les dossiers étaient déjà traités, seuls 174 certificats fonciers coutumiers à Kabare étaient déjà délivrés tandis qu’à Walungu,
jusqu’en mars de la même année, aucun titre n’était délivré aux paysans. Baraka, Ansoms et Kasper (2021) expliquent qu’à Walungu, vers la fin de l’année 2017, seulement 32 certificats fonciers coutumiers sur 2272 champs et parcelles recensés, avaient été délivrés à 22 usagers sur 1146 prévus.
Dans le territoire d’Uvira, où se passe la titrisation foncière groupée, celle-ci a eu des difficultés majeures de réunir les paysans de nationalités différentes dans un même regroupement, en dépit des chartes locales signées. Cette titrisation a, par contre, accentué les conflits identitaires entre les communautés qui se voient refuser le droit de jouissance perpétuelle sur le sol, dont ils se revendiquent l’appartenance.
Cette même approche de titrisation foncière groupée, avait réuni suffisamment des moyens pour sensibiliser les mêmes paysans qui se contestent l’identité dans le territoire d’Uvira. Cependant, étant donné que la durée du projet est limitée, il se pose un grand problème de pérennisation des approches, au regard du faite que les paysans seraient limités en moyen pour assurer la continuité des activités mise en place dans les périmètres irriguées, s’inquiètent Baraka, Ansoms, Kasper (op cit.).
Les cadres de dialogues et médiations, et groupes de réflexion sur les questions foncière
Si, ces structures ont facilité la résolution des différends fonciers dans les communautés, elles sont vite localement remises en cause par les paysans. Gillian Marthys & Koen Vlassenroot (2016) écrivent que leur efficacité n’est toujours pas garantie. Dans la plupart des cas, les auteurs martèlent qu’il existe pratiquement aucun moyen de veiller à l’application des décisions, ce qui nuit à la pérennité des résultats de la médiation et de l’arbitrage.
Certaines de ces structures, renchérissent ces auteurs, sont mal intégrées dans les communautés locales. Cela vaut surtout pour celles qui sont des antennes d’organisations de la société civile établies au niveau provincial, ou introduites par des agences internationales. Plusieurs autres enquêtés et des experts en conflits concluent qu’« à cause de ce système tutélaire, ces structures sont largement perçues par les populations comme appartenant à l’organisation qui les avaient lancés, et non pas à la communauté ».
Et de renchérir « en plus, ces initiatives ont tendance à s’appuyer fortement sur
39 Entretien tenu à Ikoma dans le territoire Walungu avec une agricultrice bénéficiaire du titre foncier , juin 2021
40 Entretien tenu avec une agricultrice bénéficiaire du titre foncière à Walungu, 20 mai 2021
41 Entretien tenu avec un éleveur bénéficiaire du titre foncier à Walungu, 20 mai 2021
un financement externe, qui est souvent d’une durée limitée ». Ces deux facteurs affectent leur pérennité. Un autre aspect, le plus problématique, est la multitude de stratégies employées, sans souci des cohérences ou de coordination. Qui plus est, un grand nombre de ces structures tentent d’attirer vers elles les parties aux conflits et de manipuler les litiges dont elles pensent tirer profit (Marthys & Vlassenroot, 2016).
En plus, on réalise que ces instances ont un caractère non lucratif. Ceci fait que même un paysan suffisamment pauvre fait apprécier son cas à ces instances. Mais, en dépit de ce caractère, il s’observe, en effet, que les résultats des efforts de résolution et arbitrage des conflits ont tendance à être négociables et imprévisibles.
Marthys & Vlassenroot (op cit) et Mudinga & Nyenyezi (2014) concluent que « les litiges ont donc moins de chance d’être réglés ou résolus de manière durable » (Marthys & Vlassenroot, op cit, Mudinga & Nyenyezi, 2014). Séverin Mugangu (2019) explique que ces structures se retrouvent dans l’impasse lorsqu’il faut trouver une solution pour un cas qui oppose les paysans d’une élite locale (militaire, politique, commerçant etc…) qui les accaparent.
En outre, elles ont des difficultés à trouver même les solutions aux cas d’accaparement des terres. Lorsque les écarts de pouvoir sont plus grands, notamment lorsque les groupes armés sont impliqués, l’efficacité de cette approche est beaucoup plus limitée (Mugangu, 2019 ; Mudinga & Wakenge, 2021).
________________________
2 Définition donnée par l’article 62 de la loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) du 15 mai 2001. ↑
3 Auchan Les 4 Temps, La Défense. ↑
Questions Fréquemment Posées
Quelles sont les faiblesses de la titrisation foncière au Sud-Kivu ?
Le processus fait face à de nombreux défis, notamment une faible appropriation par les instances administratives locales et par les communautés locales, ainsi qu’une difficulté à sécuriser des droits exercés collectivement.
Comment la titrisation foncière affecte-t-elle les paysans au Sud-Kivu ?
La titrisation foncière impose des coûts de certification qui sont plus élevés pour les paysans pauvres, ce qui crée des sources de contestation entre les paysans et les désolidarise de cette innovation.
Pourquoi la coordination entre acteurs est-elle importante dans la titrisation foncière ?
La faiblesse dans la coordination des approches entre acteurs rend le mécanisme de participation aux frais de certification inéquitable, ce qui complique l’accès des paysans à la sécurisation foncière.