Titrisation foncière groupée30
Le modèle de titrisation foncière groupée est une innovation qui consiste à regrouper les parcelles des communautés locales, autours des périmètres irrigués. Ce regroupement est composé d’un nombre des personnes, ne dépassant pas 20. En effet, précisons-le, ce modèle est mis en place dans le territoire d’Uvira, au Sud-Kivu, dans un contexte particulier.
Dans ce territoire, plusieurs groupes ethniques se contestent l’identité, le pouvoir et l’accès aux ressources locales. Depuis 1966, écrit Koen Vlassenroot, les « Banyamulenges » par exemple qui habitent sur les hauts plateaux du territoire d’Uvira, sont en lutte de la création d’une zone politico-administrative, qu’ils demandent -aux autorités politiques et militaires locales, ce que d’autres communautés considèrent comme menace directe à leurs pouvoirs coutumiers (Vlassenroot, 2013).
La particularité de ce conflit fait que, les communautés qui habitent ce territoire, cohabitent en conflits ethniques quasi-permanents qui n’arrivent toujours pas à trouver un règlement pacifique et sur le long terme. Ce contexte a alors poussé le consortium ZOA-IRC-SFCG, qui accompagne les communautés locales d’Uvira dans un processus de sécurisation foncière, de mettre en place, dans la plaine de la Ruzizi, où ils y vivent aussi des
« Barundi » congolais, une approche de sécurisation foncière axé sur le certificat d’enregistrement, en appliquant l’emphytéose31. Les organisations suscitées réunies en consortium, ont ainsi initié une charte de cogestion des terres. Cette charte, fait intervenir plusieurs acteurs étatiques (Ministère de l’agriculture, Ministère des affaires foncières, services fonciers locaux, Ministère de l’intérieur, chefs administratifs locaux ainsi que copropriétaires fonciers eux-mêmes), afin de se définir un modus operandi, plus ou moins pacifique.
En effet, chaque groupe de cogestionnaires, possède un acte de base, appelé « procès-verbal de l’assemblée générale ». Ce document, explique un de nos enquêtés, a la particularité de préciser la manière dont chaque cogestion sera gérée32. En plus, dans cette approche, le regroupement des parcelles se fait sur base du certificat d’enregistrement ainsi que de la nature de droit foncier reconnu à la parcelle.
On note, cependant, que les métayers ne peuvent se retrouver dans ce même regroupement avec les concessionnaires puisqu’ils n’ont pas la même nature de droit. Mais, les étrangers, c’est-à-dire les personnes d’une autre nationalité, n’y sont plus exclus, au regard du fait que la loi foncière reconnaît aux personnes étrangères, physiques ou morales, le droit d’emphytéose.
Du côté de Bafuliru, ou les paysans ont presque la même nature de droit fonciers coutumiers, le consortium a initié le Certificat Foncier Coutumier. Il a également mis en place une charte de gestion communautaire. Au cours d’une assemblée inclusive, qui regroupe uniquement les habitants et chefs coutumiers locaux, les différentes parties prenantes à l’assemblé définissent
30 Le consortium ZOA-IRC-SFCG pilote la titrisation foncière groupée dans la plaine de la Ruzizi, au Sud -Kivu, RD Congo.
31 L’article 110 de la loi foncière (Loi du 20 juillet 1973) définit l’emphytéose comme le droit d’avoir la pleine jouissance d’un terrain inculte appartenant à l’Etat, à la charge de mettre et d’entretenir le fonds en valeur et de payer à l’Etat une redevance en nature ou en argent.
32 Entretien avec un point focal du projet de sécurisation foncière à Bukavu, 2021.
les concepts et certaines règles clés ainsi que la nature des droits fonciers coutumiers qui seront applicables à toutes personnes habitant la chefferie des Bafuliru. On note que, dans cette chefferie, les congolais et les étrangers ne peuvent s’y retrouver. Il est de l’exclusivité des congolais seuls. « Un congolais ne peut se retrouver ici chez nous dans un même type de contrat avec un Burundais dont il conteste la nationalité congolaise » nous a expliqué un interviewé33.
Ce type de regroupement, fait en sorte que l’on retrouve une diversité des droits fonciers, censés être sécurisés selon la coutume locale. Les étrangers, dans ce contexte, sont limités en droit. Au regard de la coutume locale, Ils ont, un droit limité de jouissance en ce sens qu’ils se voient seulement attribuer une fiche de reconnaissance de leurs droits, mais celle-ci ne les garantit aucun droit perpétuel sur le sol.
§4. Cadre de dialogue et de médiation, et groupes de réflexion sur les questions foncières
Les cadres de dialogue et de médiation (CDM) et groupes de réflexions sur les questions foncières (GRQF), sont des structures mises en place par les ONGs congolaises Action pour la Paix et la Concorde (APC), l’Innovation et Formation pour le Développement et la Paix (IFDP) (Wakenge & Vlassenroot, 2020) ainsi que l’Action Sociale et d’Organisation Paysanne (ASOP).
Ces structures, mises en place dans un contexte du Sud-Kivu de post-conflits armés, et des conflits fonciers violents, constituent des cadres de concertation sur les pratiques et normes foncières. Ils constituent, également, des cardes où se font la proposition des solutions et médiations des conflits fonciers, qui surviennent dans la communauté (Thinon, et al., 2011).
En effet, il nous revient de rappeler ici que les guerres qui ont sévi au Sud-Kivu depuis les années 1996 jusqu’en 2001, ont eu un impact considérable sur le mouvement de la population (Marysse & Catherine, 2001 ; Lubala, 2001), fuyant la guerre dans les milieux ruraux pour se réfugier dans les milieux urbains, et dans les pays voisins (Mararo, 2003 ; Lubala, 2000).
Le rapport du Bureau de la Coordination des Affaires Humanitaires (BCAH ou OCHA) de 2004-2005, a dénombré, autour de
380.000 personnes soit près de 76.000 familles déplacées internes au Sud-Kivu (OCHA, 2004- 2005). Pendant cette période, Nyenyezi & Ansoms (2014 et 2015) notent que plusieurs enregistrements des terres rurales ont eu lieu à Bukavu. Les élites politiques, militaires etc… ont profité de la fuite de la population, abandonnant leurs terres, pour les accaparer et les enregistrer aux services étatiques (Nyenyezi & Ansoms, 2014). Cependant, la période de relative accalmie, poursuivent ces auteurs, a été caractérisée par des conflits fonciers qui tournaient autour de la revendication, par les paysans en retour dans leurs terroirs, des droits sur leurs terres (Idem).
De plus, retenons que, la sécurisation des droits fonciers ne veut pas nécessairement dire la délivrance du titre ou la possession d’un document « officiel », même si ces références donnent un degré plus élevé de sécurisation ou de jouissance. La dimension de légitimité et de bonne foi, dans l’utilisation des droits, est très importante. Dans un contexte où les personnes déplacées ont perdu les documents, le manque des titres ne voudrait pas dire qu’elles ont perdu leurs droits fonciers (Guide de médiation foncière, 2013 : p14).
C’est suite aux revendications foncières qui ont suivi cette période, et à la prolifération des différends fonciers qui caractérisent les milieux ruraux du Sud-Kivu, que IFDP a créé, dans le territoire de Kabare, 129 GRQF. Ces derniers, ont permis de régler environ 1.504 cas des conflits
33 Entretien tenu avec un point focal du projet de sécurisation foncière au Sud-Kivu à Bukavu 2021.
fonciers (Thinon et al., 2011). A Kalehe, APC a créé 30 CDM et presqu’un nombre similaire de noyaux de paix (Wakenge & Vlassenroot, 2020). À Lemera, dans le territoire de Walungu, ASOP a mis en place un cadre de concertation pour régler les différends fonciers34.
Les caractères participatifs et inclusifs de ces structures permettent de réunir, lors d’une médiation, les protagonistes en contestation, les autorités coutumières et civiles locales, les voisins qui peuvent donner témoignage, les sages du village ainsi que toutes autres personnes du milieu, jugées influentes. A Lemera particulièrement, le cadre de concertation mis en place par ASOP a la spécificité de réunir en son sein, les hommes et les femmes, les agriculteurs ainsi que les grands concessionnaires fonciers (ASOP, 2017).
§5. Registre foncier coutumier
Attendu comme « registre cadastrale », au sens du thésaurus multilingue du foncier, dans sa version française ; ou encore « registre foncier communautaire » comme retenu par Integrated Research Institute (IRI-UCBC), le registre foncier coutumier, note le Guide Technique pour Gouvernance des Régimes Fonciers de la FAO (2017), est une « matrice cadastrale » qui assure l’enregistrement des droits fonciers coutumiers.
Il renseigne, à cet effet, les informations sur les transactions coutumières des terres, les occupations et usages dans les villages. Il est considéré, dans ce processus, comme un outil de certification foncière au niveau communautaire pour assurer le bien-être des citoyens et des peuples autochtones sur les terres, et représente « une carte du village sur laquelle sont enregistrés les droits fonciers des villageois : droits de propriété coutumière et contrat d’usage.
Son but étant, alors, de clarifier les droits de chacun et de réduire, ainsi, les conflits fonciers. Le RFC, dans sa mise application, constitue un complément au système foncier formel, qui facilite alors la résolution des plusieurs problématiques foncières parmi lesquelles une pluralité des titres ; considérés comme soubassement au service foncier sans aucune base juridique ; la pluralité des acteurs, aussi bien que l’incohérence dans la loi avec la réalité vécue sur le terrain en rapport avec la gestion des terres des communautés locales.
Ainsi, le RFC assure la traçabilité des droits exercé sur les terres des communautés locales en clarifiant des occupations coutumières35.
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30 Le consortium ZOA-IRC-SFCG pilote la titrisation foncière groupée dans la plaine de la Ruzizi, au Sud -Kivu, RD Congo. ↑
31 L’article 110 de la loi foncière (Loi du 20 juillet 1973) définit l’emphytéose comme le droit d’avoir la pleine jouissance d’un terrain inculte appartenant à l’Etat, à la charge de mettre et d’entretenir le fonds en valeur et de payer à l’Etat une redevance en nature ou en argent. ↑
32 Entretien avec un point focal du projet de sécurisation foncière à Bukavu, 2021. ↑
33 Entretien tenu avec un point focal du projet de sécurisation foncière au Sud-Kivu à Bukavu 2021. ↑
Questions Fréquemment Posées
Qu’est-ce que le modèle de titrisation foncière groupée au Sud-Kivu ?
Le modèle de titrisation foncière groupée consiste à regrouper les parcelles des communautés locales autour des périmètres irrigués, avec un nombre de personnes ne dépassant pas 20.
Comment le consortium ZOA-IRC-SFCG contribue-t-il à la sécurisation foncière ?
Le consortium ZOA-IRC-SFCG accompagne les communautés locales d’Uvira dans un processus de sécurisation foncière en mettant en place une approche axée sur le certificat d’enregistrement et en appliquant l’emphytéose.
Quels sont les défis rencontrés par les innovations en matière de sécurisation foncière au Sud-Kivu ?
Les résultats révèlent des insuffisances dans ces innovations, notamment leurs incohérences avec les services administratifs locaux et le manque d’appropriation locale.