Les implications politiques de la sécurisation foncière au Sud-Kivu révèlent des lacunes surprenantes dans les innovations des acteurs non étatiques. Cette étude met en lumière des incohérences avec les services locaux, soulignant l’urgence d’une décentralisation pour protéger les droits des communautés rurales.
Section II:
Etat de lieux de la gestion foncière en RDC
§1. Nationalisation de la terre
Le sol, dispose l’article 53 de la loi du 20 juillet 1973 suscité, est la propriété exclusive, inaliénable et imprescriptible de l’Etat. Partant de cette disposition, l’Etat congolais a nationalisé le sol sur l’ensemble du territoire national. Il a mis ainsi un terme, d’une part, au régime de la propriété foncière, et d’autre part, à la distinction entre terre domaniale et terres indigènes, consacrés par le législateur colonial.
L’article 387 de la loi du 20 juillet 1973 ci-haut évoquée, dispose en effet que, « les terres occupées par les communautés locales deviennent, à partir de l’entrée en vigueur de la présente loi, des terres domaniales ». L’article 388 de la même loi précise que « les terres des communautés locales sont celles que les communautés habitent, cultivent ou exploitent d’une manière quelconque-individuelle ou collective-conformément aux coutumes et usages locaux ».
En outre, le sol, propriété de l’Etat, est géré par les administrations publiques. Des fonctionnaires investis de la qualité de conservateur de titres immobiliers, comme mentionne l’article 223 de la même loi13, délivrent aux particuliers des certificats d’enregistrement dans leurs circonscriptions respectives. La compétence pour décider de l’attribution d’un terrain varie, toutefois, en fonction de la superficie et de la localisation du terrain sollicité.
Sont alors habiletés, en droit congolais, à attribuer une concession : le parlement, le Président de la République, le Ministre des Affaires Foncière, le Gouverneur de Province et le Conservateur des Titres Immobiliers (Nsolotshi, 2017 ; Mugangu, 2008).
Un fait particulier est souligné par Billy Kambale (2020) & Lassana Koné (2017) que, la nationalisation du sol en RDC, a précarisée les droits des particuliers (dont les communautés locales et peuples autochtones), elle a créé une ambiguïté du statut foncier des communautés locales (Mathieu & Kazadi, 1990), dont les conséquences sont le pluralisme juridique et la cohabitation difficile entre la loi et la coutume, la concurrence entre administration foncière et
autorités coutumières dans l’attribution des terres (Kambale, 2020 ; Koné, 2017 ; Mugangu, 2008 ; Mugangu, 1997).
§2. Précarité des droits fonciers coutumiers
Le régime domanial congolais donne toute latitude à l’Etat, propriétaire du sol, de mettre à la disposition d’un investisseur n’importe quelle portion de son domaine (Réforme foncière et protection des droits des communautés, Rapport, 2016). Il en résulte que les droits fonciers coutumiers en RDC sont précaires. Autant qu’ils ne sont pas documentés, Alphonse Maindo (2016) retient qu’ils ne bénéficient pas d’une reconnaissance juridique probante.
Ils n’ont pas la même valeur qu’un titre de propriété conféré par l’Etat. Or, la majorité des peuples autochtones et communautés locales ne bénéficient pas d’une protection de leurs droits fonciers. Autant que l’indemnisation prévue par la loi en cas d’expropriation pour cause d’utilité publique est inadéquate et ne les profitent pas, la pluralité des instances officielles et informelles dans la gestion foncière décentralisée, ne permet pas d’unifier les pratiques en matière d’accès et jouissance aux communautés locales.
En outre, la prolifération des conflits fonciers ruraux, interpersonnels et collectifs, atteste par ailleurs, la défaillance des institutions et mécanismes sociaux qui garantissaient la cohésion sociale et protégeaient la tenure foncière coutumière.
Les interventions récentes du législateur et/ou du gouvernement en matière agricole et forestière (spécialement l’actuelle loi n°11/022 du 24 décembre portant principes fondamentaux relatifs à l’agriculture, ainsi que celle n°011/2002 du 29 août 2002 portant code forestier), montrent qu’une option préférentielle a été faite, en faveur des exploitations agro-industrielles et des concessions forestières au détriment des communautés forestières, qui constituent pourtant près de 3⁄4 de la population congolaise (Maindo, 2016).
§3. L’Inadaptation du processus d’octrois des titres fonciers aux réalités des communautés locales
L’article 60 de la loi du 20 juillet 1973, stipule que, « les terres qui font partie du domaine privé de l’Etat, sont urbaines ou rurales ». Et de poursuivre que, « les terres urbaines, sont celles qui sont comprises dans les limites des entités administratives déclarées urbaines, par les lois ou les règlements en vigueur.
Toutes les autres terres sont rurales » (article 60). L’article 56 de la même loi explique, en effet, que le domaine privé de l’Etat est constitué de toutes les terres qui ne sont pas affectées à un usage ou à un service public, y compris les terres traditionnelles des peuples autochtones et communautés locales.
Des droits de jouissance peuvent cependant être établis sur des fonds appartenant au domaine privé de l’Etat, en obtenant une concession grâce à un certificat d’enregistrement, du titre concédé (article 219) (Mugangu, 2008).
En effet, le certificat d’enregistrement est un document important dont la valeur probante est affirmée : « le certificat d’enregistrement fait pleine foi de la concession, des charges réelles et, éventuellement, des droits de propriété qui y sont constatés. Ces droits sont inattaquables (…) » (article 227). Cependant, autant que dans la pratique, le processus d’obtention dudit titre foncier ou du certificat d’enregistrement est long et coûteux, ce document offre un caractère de
propriété individuel à la terre. Pourtant, les communautés locales gouvernent leurs terres selon le droit coutumier, et de manière collective.
En outre, l’obtention de ce titre foncier est soumise à la condition de mise en valeur, qui est inadaptée aux modes de vie des peuples autochtones (articles 58, 153 et suivant) (Mungangu, 2014 ; Mugangu, 2008 ; Mugangu, 1997 ; Thinon, et al., 2011).
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13 Chaque circonscription est administrée par un fonctionnaire appelé conservateur des titres immobiliers. Plusieurs circonscriptions peuvent être réunies en tout ou en partie, sous l’autorité d’un même conservateur. Article 223 de la loi n°73-021 du 20 juillet 1973. ↑
Questions Fréquemment Posées
Quelles sont les implications de la nationalisation de la terre en RDC?
La nationalisation du sol en RDC a précarisé les droits des particuliers, notamment des communautés locales et peuples autochtones, créant une ambiguïté du statut foncier et des conflits entre la loi et la coutume.
Pourquoi les droits fonciers coutumiers sont-ils considérés comme précaires en RDC?
Les droits fonciers coutumiers en RDC sont précaires car ils ne sont pas documentés et ne bénéficient pas d’une reconnaissance juridique probante, n’ayant pas la même valeur qu’un titre de propriété conféré par l’État.
Comment la gestion foncière décentralisée affecte-t-elle les communautés locales en RDC?
La pluralité des instances officielles et informelles dans la gestion foncière décentralisée ne permet pas d’unifier les pratiques en matière d’accès et jouissance aux communautés locales, entraînant des conflits fonciers.