Quelles sont les meilleures pratiques discursives d’Aristide ?

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🏫 Université de Yaoundé I - Faculté des Arts, Lettres et Sciences Humaines - Département des Sciences du Langage
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master - 2022
🎓 Auteur·trice·s
Daniel LAMOUR
Daniel LAMOUR

Les meilleures pratiques discursives révèlent comment les discours de Jean-Bertrand Aristide, entre 1991 et 2004, ont façonné le paysage politique haïtien. Cette analyse sémantique met en lumière des stratégies inattendues, essentielles pour comprendre la crise politique contemporaine et le processus de démocratisation en Haïti.


Considérations historiques

Le poids du Duvaliérisme dans le système politique haïtien est un élément déterminant dans l’émergence puis la compréhension de l’État post-Duvalièrien. La domination des Duvalier

139 P. Charaudeau, op.cit., p4.

renvoie aux luttes féroces pour la conquête et la captation du pouvoir. Elles ont eu des conséquences sur les institutions. Ayant été vassalisées par le régime Duvaliérien, elles sont devenues tremblantes, affaiblies, fragilisées par les affrontements entre les acteurs politiques. Sous couvert de luttes partisanes confiées à des structures relationnelles, ces dernières adoptent des comportements politiques qui consolident les pratiques du pouvoir dans un contexte autoritaire.

Ainsi, la lutte pour le pouvoir se définit comme un affrontement entre personnes où les rivalités ne peuvent être arbitrées, gérées par l’autorité et les institutions publiques. Cette lutte qui s’organise autour des enjeux matériels, symboliques, n’obéit pas à des règles impersonnelles. Ce sont des règles informelles qui fixent les liens et organisent les rapports, non dans un cadre institutionnel, mais dans un rapport souvent qui mélange les relations affectives et la domination du chef.

Le chef du parti politique est un dirigeant inamovible, calculateur, ombrageux, organisant le parti autour de sa personne, empêchant la formation de toute ligne contestataire ou frontale.

Notre observation sur la désignation de la candidature de Jean-Bertrand Aristide, c’est qu’elle a un effet déstructurant sur la vie politique post-Duvaliériste. Le Front National pour le Changement et la Démocratie (FNCD) avait déjà désigné son candidat, le professeur Victor Benoit. Aristide a démis le candidat officiel du FNCD, malgré le mode de désignation démocratique de M. Benoit.

Il faut noter que la candidature de Jean-Bertrand Aristide n’a pas été démocratique et qu’en général, tous les partis politiques haïtiens, malgré leur jeunesse, en 1990, ont appliqué deux types de désignation : l’investiture partisane et la candidature spontanée. Dans le premier cas, le candidat imprime son influence sur son parti politique, à un point tel que le caractère naturel de sa candidature s’impose aux yeux des militants de l’opinion publique.

Il bénéficie du soutien des militants et entraine une dynamique de sa campagne électorale. Dans le second cas, le candidat exclut toute négociation pour imposer même à ceux qui s’y seraient opposé à sa candidature. L’obtention d’une investiture partisane n’est qu’un artifice, parce qu’elle relève du formalisme juridique et administratif. Le candidat présidentialiste garde toute son indépendance.

Le caractère personnel de sa candidature ne subit aucune mutation malgré la violation des règles constitutionnelles de désignation.

Dans ce contexte ; Aristide, une fois parvenu au pouvoir, prend ses distances avec le FNCD et fonde son propre parti « fanmi Lavalas ».

L’analyse des discours de M. Aristide ne peut faire économie du contexte politique de sa première candidature (son entrée en politique ); à l’époque ; deux protagonistes inquiètent ; la

candidature menaçante de Roger Lafontant, ancien ministre du gouvernement de Jean-Claude Duvalier et Marc Bazin, ex premier ministre du gouvernement de Joseph Nérette succédant Jean-Jacques Honorat.

En M. Aristide, le peuple retrouve une figure pour son désir de survie et d’affirmation. Aristide conjoint une réputation et un mythe : c’est un pauvre, il a été réprimé par l’Église et par les macoutes, il a déjà prouvé sa fidélité à la cause du peuple, il n’a pas peur de la mort, il est prêt au sacrifice ; un pauvre n’a que sa vie à donner, mais c’est sa plus grande richesse et sa plus grande force.

Sa lutte est authentique, il ne ment pas et il ne joue pas comme les politiciens issus de familles riches. De plus, Aristide est instruit, il a étudié à l’étranger, parlant bien le français, de surcroit ; il connait les langues bibliques. Il sait manier les mots. Il est la meilleure carte des petits au milieu des grands de ce monde qui se sont ligués contre les pauvres d’Haïti.

De plus, les attentats manqués contre lui ont permis aux mythes de prendre forme et il est devenue carrément une figure de légende populaire

140 JEAN, Jean-Claude, MAESSCHALCK, Marc. p. 40.

Conclusion générale

Nous avons tenté d’analyser sémantiquement les discours de l’ancien président Haïtien, Jean- Bertrand Aristide de 1991 à 2004. Nous avons essayé de comprendre la stratégie discursive de l’ancien prêtre président. Nous avons essayé d’établir les relations entre les discours et les contextes socio-historique. Ce faisant, ce travail s’appuie sur la socio-sémiotique, donc il est sorti du simple cadre langagier et textuel pour comprendre le sens des discours tenus par l’ancien prêtre des bidonvilles, cela dit, nous ne sommes pas figés dans la posture Greimasienne, « Hors du texte, point de salut ! » mais de préférence, chez Landowski

« comprendre ce n’est pas découvrir un sens déjà tout fait, c’est au contraire le constituer à partir du donné manifeste. Nous avons été amenés à sélectionner un corpus, pas de manière aléatoire mais sur la base de leur importance dans l’histoire post-Duvaliériste en Haïti, dans la transition démocratique. Cette étude a tenté de mettre en évidence les divers facteurs qui expliquent la faiblesse de l’État, ainsi que les divers éléments de crise qui ponctuent le processus de démocratisation et favorisant l’émergence du populisme.

Et, nous avons posé la question suivante: Quelles sont les stratégies discursives utiliser par Jean-Bertrand Aristide dans ses discours ? Nous avons été amenés à poser deux hypothèses. D’abord, les discours d’Aristide sont faits d’ethos, il y a très peu de place pour le logos. C’est- à dire ses discours sont en grandes parties des improvisations qui font appel à l’émotion, qui mettent en valeur son charisme, son talent d’orateur mais pas nécessairement une vision politique.

Si vision politique, il y en a, elle est autocratique et populiste. Ensuite, dans ses discours Jean-Bertrand Aristide, a une vision paternaliste, égalitariste et messianique du pouvoir.

Tout discours revient à son sujet parlant, en l’occurrence l’acteur politique. La réussite de ce dernier dépend des facteurs multiples, à savoir la légitimation de sa parution sur la scène politique, la valorisation de la cause qu’il choit à soutenir, ainsi que la persuasion qu’il entreprend auprès des électeurs. Dans la démocratie, la légitimité d’un acteur politique provient essentiellement du mandatement du peuple, dans la mesure où le premier est censé défendre les valeurs que partage le second. À cet effet, l’acteur politique attache du prix à la construction de l’image de soi et de celle du monde, qui font l’objet d’une mise en récit.

Les discours prononcés par Jean-Bertrand Aristide ex-président de la république d’Haïti, élu deux fois président pourtant n’arrive pas a achevé un mandat, nous permet d’illustrer ce qu’est le discours politique dans un contexte réel, c’est-à-dire le discours n’est pas qu’énonciation, elle est encore plus sémantisation. Puisque, la conceptualisation linguistique ( la langue) se fait

dans un double mouvement de sémantisation entre l’universel et le particulier, le particulier et l’universel, à des niveaux plus ou moins abstraits, comme le montre le modèle de Bernard Pottier, mais aussi la théorie des prototypes et celle des topoï, la conceptualisation discursive (du discours) se fait dans un double mouvement de sémantisation entre une norme sociale et une spécificité individuelle de savoir, le savoir étant ici conçu comme ensemble de systèmes de connaissance et de croyance partagées

141.

C’est là, la frontière entre discours politique et action politique, sur scène (en situation d’énonciation) Aristide arrive à partager l’univers symbolique du peuple Haïtien, il arrive même à le faire sien, mais n’arrive pas à le modeler ni à changer quoi que ce soit puisque ses discours sont majoritairement imagination et improvisation.

Le sens discursif d’un énoncé, on le voit, dépend de la prise en compte de la situation dans laquelle il est produit (l’identité des locuteurs et interlocuteurs et la finalité de l’échange) et d’une inter discursivité (ensemble de discours) que les sujets ont besoin de mobiliser. Le discours Aristidien était facilement accepté, les plus démunis arrivent à lui prêter allégeance puisqu’il y avait une prédisposition pour cela, le peuple voulait que les choses changent et Aristide avec beaucoup d’habilité promet et incarne le changement tant

souhaité. Le triomphe électoral d’Aristide est l’aboutissement logique de la lutte populaire anti-duva1iériste qui s’est développée autour de l’Église Catholique et qui a été́ dynamisée par les prêtres révolutionnaires au cours des années 80. Pourtant, Le discours Aristidien va être très vite tombé en crise, car le sens du discours est de l’ordre de la problématisation.

La sémantique de la langue et sémantique du discours ne suivent pas les mêmes procédures de calcul du sens. Dans le premier, le sens s’obtient par calcul déductif de probabilité. Dans le second, il s’obtient par calcul d’inférence selon trois types : inférences contextuelles, inférences situationnelles, inférences inter discursives

142. En claire, l’ethos ne suffit pas maintenir un discours dans le temps encore moins un régime politique.

En somme, la société haïtienne a connu dix ans d’effervescence, de révoltes, de soulèvements et de mobilisations populaires dans lesquels ont pris part de nombreuses couches sociales. Il faut souligner quatre évènements majeurs qui ont marqué cette période historique et mouvante: l’effondrement de la dictature le 7 février 1986, le référendum de la constitution le 29 mars 1987, le massacre des électeurs lors de la première élection qui devait instaurer la démocratie et la participation populaire aux élections du 16 décembre 1990. Certains acteurs sociaux, tels

141 Patrick Charaudeau, Sémantique de la langue, sémantique du discours, http://www.patrickcharaudeau.com/Semantique-de-lalangue-semantique.html ; p.2

142 Op.cit p.3

que les jeunes sont entrées sur la scène politique depuis le début de l’année 1980 à côté de l’Église Catholique. Ils sont présents dans tous les grands évènements de cette conjoncture, tandis qu’après l’avortement des élections du 29 novembre 1987, l’Église catholique a fait un retrait considérable et fait l’objet de nombreuses accusations d’appui aux militaires qui lancent une campagne anti-communiste où des dizaines de citoyens, dont Charlot Jacquelin, un animateur proche de cette institution et des leaders politiques, sont tués.

L’encadrement incontesté de l’Église catholique à la préparation du « mouvement populaire » favorise l’émergence et influence grandement le discours Aristidien, les organisations ratent leur mission quand l’assaut final contre la dictature est lancé par des jeunes inexpérimentés, enfermés dans l’idéologie « ti-legliz », dépourvus de moyens pour gérer l’après 7 février 1986.

Les revendications formulées par ces derniers ne dépassent pas le degré de leur frustration sociale et économique, Aristide est un parfait exemple . Aucun acteur institutionnel d’envergure n’arrive à prendre la relève. Aristide laisse un héritage politique et idéologique très paradoxal et problématique qui marque toute la transition démocratique. Il s’agit du populisme.

Du pouvoir spirituel au pouvoir politique. Les éléments de l’Église qui prennent des responsabilités politiques ont de la difficulté à̀ concilier le domaine religieux du domaine politique. Ils ont tendance à̀ gérer les affaires politiques selon le schéma de l’institution religieuse ; prêcher la bonne nouvelle, c’est-à-dire faire croire à une possibilité.

(voyez M. Aristide traitant des compatriotes : mes frères, mes sœurs, c’est beaucoup plus un choix langagier religieux (frères et sœurs) que laïque (citoyens, citoyennes)). Et Il y a beaucoup de place pour l’imagination et l’interprétation. Évidemment, La participation des hommes d’Église, catholiques ou pas, à la gestion de la chose publique doit respecter scrupuleusement la laïcité républicaine (la constitution pas la sainte bible).

Bien sûr des religieux comme Aristide violent la laïcité républicaine dès qu’ils prétendent, s’occuper de la gestion politique du pays. Citoyens à part entière, ils sont tenus de concilier les impératifs temporels et spirituels dans la mesure où les fonctions présidentielles, ministérielles ou législatives sont incompatibles aussi bien avec leur sacerdoce qu’avec l’activité militaire.

Le mélange des genres qui empêche toute séparation des pouvoirs peut conduire à̀ toutes les dérives: l’expérience lavalas n’a pas fait l’exception à la règle dans un pays où les religieux auraient dû regagner leurs églises et les militaires leurs casernes.

In fine, nous pensons avoir vérifié les hypothèses que nous avons énoncées au début du présent travail. Il a été un voyage de découverte fascinant et enrichissant ; la vie politique post- dictatoriale et les discours de Jean-Bertrand Aristide.

La rédaction du présent mémoire s’est réalisée dans le contexte de crise post-assassinat du 58ème président Haïtien M. Jovenel Moïse, Juillet 2022. Pour une nouvelle fois Haïti connait un moment rouge de son histoire, l’État est pratiquement effondré ; guerre des gangs, insécurité généralisé, absence de parlement, absence de président, absence d’un gouvernement légitime, un premier ministre de facto. Dans ce contexte, bon nombre des partisans de Jean-Bertrand Aristide souhaite qu’on lui donne le pouvoir pour gérer une transition démocratique. À l’heure actuelle, nous ne savons pas encore où ça débouchera. Néanmoins, d’un point de vue rétrospectif, nous pensons que c’est une mauvaise idée.

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2 Définition donnée par l’article 62 de la loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) du 15 mai 2001.

3 Auchan Les 4 Temps, La Défense.


Questions Fréquemment Posées

Quelles sont les meilleures pratiques discursives de Jean-Bertrand Aristide ?

L’analyse des discours de Jean-Bertrand Aristide met en lumière sa capacité à manier les mots et à se présenter comme une figure authentique du peuple, en opposition aux politiciens issus de familles riches.

Comment le Duvaliérisme a-t-il influencé la politique haïtienne post-1986 ?

Le poids du Duvaliérisme a eu des conséquences sur les institutions haïtiennes, les rendant fragiles et affectant la lutte pour le pouvoir qui se définit comme un affrontement entre personnes.

Pourquoi la candidature de Jean-Bertrand Aristide est-elle considérée comme non démocratique ?

La candidature d’Aristide n’a pas été démocratique car il a démis le candidat officiel du FNCD, malgré le mode de désignation démocratique de M. Benoit, et a imposé sa candidature sans négociation.

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