Quelles stratégies d’implémentation discursive d’Aristide en 2001 ?

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🏫 Université de Yaoundé I - Faculté des Arts, Lettres et Sciences Humaines - Département des Sciences du Langage
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master - 2022
🎓 Auteur·trice·s
Daniel LAMOUR
Daniel LAMOUR

Les stratégies d’implémentation discursive de Jean-Bertrand Aristide révèlent des dynamiques inattendues dans le contexte socio-politique haïtien. Cette analyse sémantique met en lumière des éléments cruciaux, transformant notre compréhension des discours politiques et de la crise actuelle en Haïti.


1.1.2 Le discours d’investiture de son second mandat, 7 février 2001.

Ce discours nous offres l’opportunité de voir la problématique de l’éthos en politique et de mieux cerner la stratégie phraséologique de M. Aristide. Dans ce discours nous soulignons trois

(3) éléments essentiels : D’abord, « l’histoire d’amour » ne marche plus ! Ensuite, l’utilisation de la langue créole n’est plus efficace comme avant. Enfin, une fixation sur « 2004 » l’année qui marquera le bicentenaire de l’indépendance et un nouveau bouc émissaire : la lutte contre les trafics de stupéfiants.

Le contexte politique est différent qu’en 1990, le pays s’enfonce encore plus dans la pauvreté, le processus démocratique est en crise, « Lavalas » est en crise et M. Aristide aussi, les promesses du prêtre des bidonvilles ne se matérialisent toujours pas. Mais la stratégie discursive de l’ancien prêtre président ne change pas vraiment, il mise sur la langue créole et son charisme.

« En 1990, ici je vous disais que je vous aiment. En 2001, je viens pour vous redire : je vous aiment de tout mon cœur, de tout mon être, et je suis prêt à collaborer pour que cet amour relève fièrement le pays sur la route de 2004. Je ne peux terminer sans déplacer mon cœur pour rencontrer chacun de mes frères, chacune de mes sœurs dans l’opposition pour leurs dire ; par le dialogue le pays peut-être magnifique. Dans le nom des paysans, dans le nom des chômeurs, dans le nom des jeunes qui sont inquiètent pour leur avenir, je donne ma main à l’opposition politique pour le dire qu’on peut être fière et champion ».

Dans les faits, la victoire d’Aristide est contestée par l’opposition. Le 7 février 2001, le pays se réveille avec deux présidents : le professeur Gérard Gourgues recevant l’investiture à titre de président provisoire dans les locaux de la Convergence démocratique, et Jean-Bertrand Aristide prêtant serment au Parlement de facto.

Dans ce discours, on relève une complaisance à vouloir tromper le peuple par des phrases creuses. La réalité se trouve reniée pour faire place à de la « poésie », stratégie qui permet de sauver les apparences en suscitant l’émotion et l’applaudissement. Le président veut faire croire aux univers imaginaires qu’il crée au fur et à mesure dans ses discours. C’est un discours fait d’embrayage, mais pas de référent.

« Nous sommes puissamment présents pour faire croître la paix. Aujourd’hui, la liberté a mis son manteau bleu et rouge et règne à travers tout le pays Â…tenons la main de nos ancêtres, eux qui aimeraient tant voir la fin

rapide de cette crise. Applaudissons d’avance pour saluer la fin de cette crise. S’il s’agissait de moi, s’il s’agissait du peuple haïtien, cela fait longtemps que cette crise aurait pris fin ».

Sur le fond, les choses ont changé, mais en pire. L’enthousiasme qu’avait accompagné la première prise de pouvoir d’Aristide, le 7 février 1991, n’est plus. Il faut dire que l’homme aussi a changé : l’ancien prêtre des bidonvilles est aujourd’hui marié, père de famille et habite une maison cossue. Aristide et son entourage sont accusés par une partie de l’opposition de s’être enrichis illicitement, d’être impliqués dans des éliminations d’opposants et d’être mêlés à des trafics de drogue, accusations qualifiées de «calomnies» par le principal intéressé119.

La légitimité symbolique qu’ incarne M. Aristide n’est plus ! Son électorat ne peut plus s’identifier à lui. Nous identifions deux éléments menant à cela. D’abord, il n’y a plus d’ennemis à combattre : la dictature et l’armée ne sont plus là. Pourtant, les problèmes restent entiers. Alors, il faut trouver un bouc émissaire : les trafiquants de drogue. Dans son discours le président déclare la guerre contre le trafic des stupéfiants. Il dit, je cite :

« La mise en œuvre de notre programme dont l’un des soucis majeurs est la lutte contre les trafics de stupéfiants nous conduira progressivement a des résultats significatifs, tels que : 1-Une croissance du produit

intérieur brut de plus de 4% supérieurs à la croissance moyenne annuel de 2%. 2-La réduction du taux d’inflation de 15,3% à moins de 10%. 3-La réduction du taux de chômage de 60% à 45%. 4-La création d’environ de 500 000 emplois stables dans les secteurs publics et privés. 5-L’augmentation du niveau d’autosuffisance alimentaire de 30%.

6-L’établissement d’une cinquantaine contrat de partenariat entre les secteurs publics et privés. 7-La formation de groupes économiques dans le 10ème département qui pourraient renforcer les investissements d’au moins 50%. 8-La génération de 348 mégawatts additionnels d’énergie électrique et la réduction des pertes en dessous de 20%. 9-Un taux d’accès de la population à l’eau potable en milieu rurale de 16% à 70% en milieu urbain de 44% à 80%.

10-L’amélioration, la réhabilitation de plus de 3500km de route secondaire et tertiaire, et 2000km de route primaire. Chers concitoyens, chères concitoyennes nous y parviendront au-delà de nos différences ».

Alors c’est la faute aux trafiquants, si nous n’avons pas de routes, pas d’eau potable, pas de travail ? Ensuite, la stratégie discursive de M. Aristide n’évolue pas. Ses promesses ne se matérialisent pas. Lavalas et Aristide sont devenus lasses et désuets conséquence d’une crise identitaire et de positionnement. Comme l’indique Rogers Brubaker, « L’identité, est un mot clé dans le vernaculaire de la politique contemporaine et l’analyse sociale doit en tenir compte » ( Brubaker et Junqua, 2001, p.

66). En effet, dans la présentation de la genèse du régime démocratique en Haïti, Hurbon a beaucoup parlé d’identité culturelle et d’identité nationale. En fait, selon l’auteur, il est bien probable que l’instauration du régime démocratique en Haïti est à la base de « l’émergence de mouvements culturels identitaires ou tout simplement nationalistes» dans le pays ( Hurbon, 1998, p.54).

Par ailleurs, La démocratie exige que la personnalité de l’homme s’efface derrière le choix objectif des électeurs. La candidature d’Aristide dans les conditions exposées antérieurement, montre comment les effets des partis politiques ont été inefficaces. Alors qu’ils tentent de socialiser la vie politique d’Haïti, en suscitant les motivations des électeurs, l’émergence spontanée de l’ancien prêtre des bidonvilles soulève une contradiction au sein de la société haïtienne.

Ils ont permis aux électeurs de choisir non pas des hommes, mais des valeurs diffusées par les organisations partisanes. Certes, les références aux hommes ne sont pas inutiles dans le choix des électeurs, mais elles sont reléguées au second plan. Dans ce cas, la prophétie et l’offre programmatique sont antinomiques : la première est une vision idéalisante de la réalité, une perception déformante de la réalité, tandis que la seconde une tentative de la transformer, en recherchant l’adhésion de l’électeur en « adulte responsable ».

Donc, la relation de l’électeur à Jean-Bertrand Aristide est fondée sur des références extra-partisanes. En démocratie, l’électeur place sa confiance dans l’élu, le remet en question en cas d’insatisfaction, à des périodes régulières. Haïti entre dans une phase où l’apprentissage de la démocratie est absorbé par des pratiques annonciatrices qui affaiblissent l’État.

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119 https://www.liberation.fr/planete/2001/02/08/haiti-morne-investiture-pour-jean-bertrand-aristide_353828/ consulté le 25 octobre 2022.


Questions Fréquemment Posées

Quelles sont les stratégies d’implémentation discursive d’Aristide en 2001 ?

Dans son discours d’investiture de 2001, Aristide mise sur la langue créole et son charisme, tout en utilisant des phrases qui suscitent l’émotion et l’applaudissement.

Comment Aristide aborde-t-il la crise politique en 2001 ?

Aristide évoque la crise politique en déclarant la guerre contre le trafic des stupéfiants, cherchant un bouc émissaire alors que les problèmes demeurent entiers.

Pourquoi la légitimité d’Aristide est-elle remise en question en 2001 ?

La légitimité symbolique d’Aristide est remise en question car son électorat ne peut plus s’identifier à lui, et il n’y a plus d’ennemis à combattre, ce qui crée un vide dans son discours.

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