Les pratiques exemplaires en analyse sémantique révèlent comment les discours de Jean-Bertrand Aristide, dans un contexte socio-politique complexe, façonnent notre compréhension de la crise haïtienne. Cette étude innovante met en lumière les relations entre discours et histoire, offrant des perspectives cruciales pour la démocratisation en Haïti.
76 Semprini A., Analyser la communication 2. Comment analyser la communication dans son contexte socioculturel, Paris, L’Harmattan, 2007.
Section 2 :
Le contexte culturel haïtien
Le vodou en Haïti
Pour comprendre la trajectoire culturelle du peuple haïtien, le vaudou en tant que religion et forme d’organisation sociale est un élément fondamental. En effet, le vaudou haïtien est le fruit d’un regroupement d’héritages et d’identités « d’esclaves 77 » africains autour de certaines traditions culturelles (Hurbon, 2002, p. 74). Le vaudou a été la première forme de résistance contre l’esclavage. Résistance face à la domination socioéconomique, politique et religieuse que subissaient les noirs dans la colonie de Saint-Domingue. La fuite des noirs hors des plantations et des ateliers dans des lieux secrets est désignée par les historiens par le terme de « marronnage
». C’est en fait un moyen pour les « esclaves » de retrouver une unité spirituelle et sociale pour mieux organiser la rébellion qui débouchera plus tard sur la révolution puis l’indépendance. Ainsi, le vodou était la religion qui permettait la cohésion des noirs et qui les lancera dans la lutte pour la libération. Cette situation précisait déjà le caractère politique du vaudou, ce qui conduisait les exploiteurs à mettre tout en œuvre pour empêcher toute manifestation sociale et
/ ou religieuse des Noirs (ibid.). Selon Fridolin Saint-Louis, « le vaudou haïtien est un bel échantillon d’hybridité culturelle par son croisement avec deux faits de société clairement identifiés : à savoir les religions africaines et le catholicisme européen » (Houtart et Al., 2000, p. 15). En effet, il est important de comprendre que le vaudou haïtien est une hybridation par syncrétisme.
Il est pertinent de souligner que les noirs ont été forcés de baptiser au christianisme. Comme le stipule l’article 2 du Code noir, les « esclaves » étaient obligés d’être catholiques (Hurbon, 2002, p. 74). Malgré tout, le vaudou s’est toujours signalé par sa capacité d’adaptation au catholicisme : il a fait correspondre le monde des « LWA » (en créole), c’est-à-dire le monde des esprits, aux saints catholiques, il a accommodé son calendrier aux fêtes catholiques, il a réinterprété les rites et les sacrements,
en somme, il a glissé son propre système de valeurs et de croyances dans tous les symboles catholiques. Ce qui donne le syncrétisme catholique- vaudou (ibid., p. 77). Pourtant, dès l’indépendance d’Haïti, les chefs d’État ont manifesté une intolérance féroce envers le vaudou. Laënnec Hurbon, décèle deux raisons à leur attitude : D’une part, les nouveaux chefs d’État haïtiens croyaient nécessaire de montrer que la première république noire naissante était à la hauteur de toutes les autres grandes nations « civilisées » ; d’autre part,
les potentialités politiques du vaudou étaient assez bien connues des chefs d’État haïtiens qui pouvaient alors considérer comme suspectes les pratiques vaudouesques pour le
77 Des êtres humains réduits à la servitude en grande partie par des européens à des fins lucratifs.
moins incontrôlables (ibid., p. 78). En clair, dès l’indépendance les chefs d’État haïtiens ont choisi de mettre de côté un élément constitutif du peuple haïtien (l’identité culturelle). L’explication que nous retenons de Hurbon, c’est que cette mise de côté s’est faite sous prétexte de condamner la pratique de sortilèges et maléfices liée au vodou depuis la période de l’esclavage78 (ibid.).
Par ailleurs, durant la période dictatoriale des Duvalier, qui précède l’avènement du processus démocratique en Haïti, le vaudou a été instrumentalisé par François Duvalier, écrit Laënnec Hurbon. En effet, lors de la crise de 194679 le gouvernement de Duvalier qui se réclame du mouvement indigéniste et en appelle aux traditions africaines pour « sauver » le pays entendait seulement faire la part belle aux « classes moyennes » d’Haïti (ibid., p.
80). En effet, le mouvement indigéniste « appela les Haïtiens à rejeter tout complexe d’infériorité face au Vodou et même à partir du Vodou, pour retrouver son originalité.» (ibid.) à considérer le vodou comme le lieu de « l’haïtianité et de la reconstitution de l’autonomie haïtienne »(ibid.). Très vite François Duvalier a instrumentalisé le vodou.
L’instrumentalisation politique du vodou par les politiciens haïtiens est un élément important à souligner. Il s’explique par la méfiance des chefs d’État haïtiens vis-à-vis des pratiques vodouesques. Puisqu’ils en ont fait usage pour arriver au pouvoir, alors, pour empêcher des adversaires de faire de même, ils choisissent de le contrôler ou le combattre.
En effet, le président Soulouque, en 1847, par exemple, avait accepté de laisser libre cours au vodou, mais c’était pour consolider son propre régime (ibid.).
Nombre de chefs d’État et de politiciens ont réussi souvent en cachette à utiliser l’appui des prêtres du Vodou dans leurs manœuvres électorales. Mais la ligne générale de l’interdiction officielle du Vodou n’a pu subsister que dans la clandestinité » (ibid.). Ce comportement ne fait que réduire le vaudou à la sorcellerie, donc à la magie noire.
En ce sens, ils passent complètement à côté de la portée organisationnelle et culturelle du vodou. Si nous nous référons au concordat signé en 1860, qui fait du catholicisme la religion officielle d’Haïti, nous admettons qu’Haïti ne constitue pas un État laïque. Toutefois, depuis la signature de ce concordat entre l’État haïtien et le Vatican, rapporte Hurbon, Une lutte sans merci est livrée contre le Vodou, grâce à
78 En « 1757 : Un esclave originaire de Guinée, nommé Makandal, prit la tête d’une bande d’esclaves marrons, utilisa les croyances vaudouesques dans un sens prophétique et porta les Esclaves à l’extermination des Blancs par le poison. Capturé au cours d’une cérémonie-Vaudou, Makandal fut brûlé vif. Mais la foule des marrons continuait à le vénérer comme un prophète, et tous les poisons, sortilèges et maléfiques utilisés par les Noirs furent appelés désormais dans la colonie « des makandals ». Le caractère politique du Vaudou est devenu tellement net que tout était mis en œuvre pour interdire toute manifestation religieuse des Noirs. ». (Hurbon, 2002, p. 76).
79 conflit entre des propriétaires terriens noirs, des petits bourgeois et la bourgeoisie mulatresse du pays.
l’établissement en Haïti d’une chrétienté toute faite. Celle-ci aura pour tâche de faire accéder l’Haïtien à la civilisation, à comprendre par opposition à la barbarie, à la superstition représentée par l’ « africanité » persistante des Haïtiens (ibid., p. 7) L’Église catholique a joué ce même rôle durant la période de l’esclavage, face à cette situation, « l’esclave » avait pratiqué « le marronnage » pour se constituer en communauté de résistance qui a donné lieu à la conscience d’une autonomie politique et culturelle.
C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le syncrétisme du vaudou avec le catholicisme (ibid., p. 79). En termes plus précis, « le marronnage » consiste selon François Houtart et Anselme Rémy nous en donnent la définition suivante :
« Le marronnage est une réaction possible de la part d’un groupe agressé qui cherche à se protéger en disparaissant physiquement et ou symboliquement, aux yeux de son adversaire. Ce processus de création d’altérité permet d’écarter le danger en désorientant l’agresseur. Une telle mutation ne peut s’opérer qu’au nom d’un système d’antivaleurs permettant d’échapper à la compréhension et donc à la perception de la part de l’adversaire sans chercher nullement à les modifier. La sécurité maximale de ce dernier, désorienter, se renferme sur son propre système de valeurs, ce qui a pour effet d’oblitérer encore plus complètement l’image de son antagonisme. Ce dernier se situe alors ailleurs, en dehors, c’est-à-dire nulle part, hors d’atteinte (2000, p. 180) ».
Donc, la pratique du vodou dans la clandestinité. Les politiciens veulent vendre une image de civilisés vis-à-vis, par exemple, de l’impérialisme économique états-unien. Par exemple, Laënnec Hurbon nous rapporte durant l’occupation états-unienne de 1915 à 1934, les occupants s’appuyaient « sur le prétexte de la barbarie qui sévissait encore dans les masses haïtiennes à cause des croyances vodouesques » (Hurbon, 2002, p. 80) pour justifier leurs interventions. Cette situation n’est pas sans conséquence sur le devenir de la nation haïtienne, car « même après le départ des Américains en 1934, les gouvernements haïtiens qui se succèderont jusqu’à nos jours seront tous assujettis au pouvoir politique et économique américains. » (ibid).
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77 Définition donnée par l’article 62 de la loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) du 15 mai 2001. ↑
78 En « 1757 : Un esclave originaire de Guinée, nommé Makandal, prit la tête d’une bande d’esclaves marrons, utilisa les croyances vaudouesques dans un sens prophétique et porta les Esclaves à l’extermination des Blancs par le poison. Capturé au cours d’une cérémonie-Vaudou, Makandal fut brûlé vif. Mais la foule des marrons continuait à le vénérer comme un prophète, et tous les poisons, sortilèges et maléfiques utilisés par les Noirs furent appelés désormais dans la colonie « des makandals ». Le caractère politique du Vaudou est devenu tellement net que tout était mis en œuvre pour interdire toute manifestation religieuse des Noirs. ». (Hurbon, 2002, p. 76). ↑
79 conflit entre des propriétaires terriens noirs, des petits bourgeois et la bourgeoisie mulatresse du pays. ↑
Questions Fréquemment Posées
Quel est le rôle du vaudou dans la culture haïtienne?
Le vaudou haïtien est un élément fondamental qui a permis la cohésion des noirs et les a lancés dans la lutte pour la libération.
Comment le vaudou a-t-il été perçu par les chefs d’État haïtiens après l’indépendance?
Dès l’indépendance, les chefs d’État haïtiens ont manifesté une intolérance féroce envers le vaudou, le considérant comme suspect en raison de ses potentialités politiques.
Quelles sont les influences culturelles du vaudou en Haïti?
Le vaudou haïtien est une hybridation par syncrétisme, résultant du croisement entre les religions africaines et le catholicisme européen.