L’impact de l’aide financière française sur le développement des pays africains est souvent sous-estimé. Cette recherche révèle comment les mécanismes économiques de l’AFD façonnent les relations franco-africaines, transformant les dynamiques de coopération et offrant des perspectives inédites sur l’évolution des territoires francophones.
Les mécanismes économiques et financiers
La place qu’occupe-la « rubrique Economie et Finance dans la coopération franco-africaine et l’impact de l’aide financière française sur le développement des pays assistés justifient la mise en place d’un important dispositif financier qui est l’un des exemples les plus frappants de continuité de la politique africaine de la France »160. Héritier du F.I.D.E.S.161, crée au lendemain de la seconde guerre mondiale pour mettre en valeur les territoires d’Outre-mer, le Fonds d’aide et coopération (F.A.C.) fut le rouge du mécanisme financier pour lequel transite la quasi-totalité des prête octroyés aux Etant africains indépendants. A sa tête se trouvait un Comité directeur composé exclusivement de
159 GAUTRON Jean-Claude, L’évolution des rapports franco-africains, In Annuaire français de droit international, volume 10, 1964, pp.844. Article consulté sur https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1964_num_10_1_1796.
160 BOURGI Albert., op.cit., p.149.
161 Le F.I.D.E.S. existait toujours amis son domaine d’intervention restait limité aux seuls territoires d’Outre-mer ; parallèlement existait pour les départements d’Outre-mer, le F.I.D.O.M. (Fonds d’investissement pour les départements d’Outre-mer).
fonctionnaires français et présidait par le ministre de la coopération162. Sa composition reflétait d’ailleurs la grande complexité des structures administratives chargées de gérer l’aide aux pays africains et malgache.
La multiplicité des opérations pour lesquelles était appelé le F.A.C. à intervenir nécessitait la mise en œuvre de procédures variées. Pour un certain nombre d’intervention, le Président du Comité directeur décidait seul de la répartition des crédits ouverts au budget en titre du Fonds. Il en était ainsi :
- Des dépenses relatives à la rémunération des personnels d’assistance technique, mis à la disposition des Etats. La ventilation de ces crédits résultait des répartitions du personnel qui sont prononcées sur la base de programme d’emploi établis par Etat et par secteur, après concertation entre les Etats utilisateurs et le ministère de la Coopération ;
- Des dépenses relatives aux concours financiers versés à certains Etats dont l’octroi faisait objet de conventions d’assistance financière précisant l’emploi des fonds et les obligations de l’Etat bénéficiaire ;
- Des dépenses relatives au financement des organismes de recherche scientifique. Il s’agissait de subventions de fonctionnement et d’équipement accordées, annuellement, à des organismes français publics ou parapublics, ayant des activités de recherche outre-mer ;
- Des fournitures d’équipements militaires aux diverses armées nationales.
Les conventions de financement traduisaient donc la réalisation par le F.A.C. des investissements en Afrique Noire et Madagascar. Elles stipulaient notamment dans quelles conditions seront exécutés et financés les projets retenus par le Comité directeur du F.A.C. ; ce dernier se prononçait à la majorité des voix des membres présents ou représentés, la voix du ministre de la Coopération, président du Comité directeur étant prépondérante. Ainsi si le financement de l’aide française était assuré par le F.A.C., la Caisse centrale de coopération économique quant à elle jouait le rôle d’agent payeur du Fonds.
Dans son ensemble des aides allouées par la France aux Etats africains, la C.C.C.E. occupait une place spéciale. Etablissement public doté de personnalité morale et de
162 Créé par le général de Gaulle en 1959, le Ministère de la coopération avait pour vocation de contribuer au développement des « pays du champ » (principalement les anciennes colonies d’Afrique). Le ministre de la Coopération était un ministre à part entière qui siégeait au Conseil des ministres et participait au Conseil de défense. Avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, sous le mandat de François Mitterrand, le ministère a été rebaptisé Ministère de la coopération et du développement. Voir PACQUEMENT François, Le système d’aide au développement de la France et du Royaume-Uni : point de repère sur cinquante ans d’évolution depuis la décolonisation, Dans Revue Evolution des politiques de développement, 2010, pp.55-80.
l’autonomie financière, ses attributions étaient donc d’ordre monétaire. Depuis la guerre, les règles de fonctionnement de la Caisse centre n’ont cessé de se modifier, à mesure qu’évoluaient les relations politiques et financières entre la France et les pays d’Afrique noire française. Ses attributions monétaires initiales ont été fortement réduites. En revanche, les attributions qui lui ont été confiées, en matière d’investissement par la loi du 30 avril 1946 ont été notablement élargies ; réformées en outre et étendues à la suite des indépendances.
Dans ce cadre, la C.C.C.E. jouait le rôle de banque française de développement chargée de distribuer l’aide de la France à l’Afrique noire et à Madagascar. Elle contribuait aussi au financement des équipements publics à travers des prêts aux territoires mais également au développement de la production par des prêts à des entreprises publiques et privées et à des banques. Elle intervenait ainsi soit en qualité d’agent d’exécution de l’Etat français, en gérant les ressources du F.A.C. ; soit sous sa propre responsabilité (en disposant de ses ressources propres) come banque d’investissement163.
Au cours des années 1970, les concours financiers apportés par la Caisse centrale avaient une grande expansion. La spécificité de l’intervention de la C.C.C.E. résidait dans les prises de participation dans le capital de certaines entreprises africaines d’intérêt général (Société immobilière) et dans la mise en place des institutions financières et bancaires des Etats africain et malgache. Au Sénégal, la Caisse centrale avait contribué notamment à la création de la Banque nationale de développement (B.N.D.S.) et de la Société immobilière du Cap Vert (SICAP)164 dont elle contrôlait en partie le fonctionnement et la gestion financière par l’intermédiaire de ses représentants aux conseils d’administration.
163 Les Mémoire d’André POSTEL-VINAY, op.cit., p.216.
164 BOURGI A, op.cit., pp.152-153.
Illustration 5 : Société immobilière du Cap-Vert (SICAP), vue générale du stade de l’Amitié et bâtiments à étages du rond-point SICAP (1963).
[14_impact-de-aide-financiere-francaise-sur-le-developpement_5]
Source : Les Mémoires d’André Postel-Vinay, p.151.
Les modalités d’intervention du F.A.C. et de la C.C.C.E. avaient été conçues d’une part, à faire assurer au F.A.C., le financement des opérations sous forme de subvention dans les pays les plus démunis ou des opérations qui ne peuvent justifier d’une autre type de financement ; d’autre part, la Caisse centrales appliquait sur ses ressources propres les taux fixés par son conseil dans les secteurs où son intervention est nécessaire165 : industrie, équipement, télécommunication, agro-industrie, etc. Les concours financiers apportées par la
C.C.C.E. étaient toutefois découpés en prêts classique, dit de « premier guichet »166 accordés à des conditions d’intérêts favorables. Pour les grands projets un « deuxième guichet » s’ouvrait, les avances consenties à ce titre ayant des conditions financières moins favorables.
165 ABELIN Pierre., Rapport sur la politique française de coopération, Paris, La Documentation française, 1975, p.42.
166 Ibidem.
En Afrique Noire et dans l’océan Indien, c’est au développement du secteur productif167 que la Caisse Centrale donnait la priorité. Elle consentit un effort particulier en faveur de l’agriculture et, notamment, des cultures vivrières. Elle contribua aussi, pour une large part, au financement d’industries nouvelles en vue d’assurer un meilleur équilibre de l’activité économique et de la balance des paiements et de réduire le sous-emploi des populations urbaines. Elle participait enfin à la mise en place d’une infrastructure économique adaptée168 au degré de développement atteint par chaque pays.
Tableau 7 : Répartition régionales des interventions de la Caisse centrale. Exemple de l’année 1978 (en millions de francs français).
Répartition régionales des interventions de la Caisse centrale. Exemple de l’année 1978 (en millions de francs français). | |
---|---|
Parameter/Criteria | Description/Value |
Prêts | à la Société de Crédit pour le Développement des Départements d’Outre-Mer. |
Dont | 251 au titre d’opérations du deuxième guichet. |
Source : MOUSSAVOU Maganga-CLAVER Pierre, L’aides publique de la France eu développement du Gabon depuis l’indépendance (1960-1978), Paris, Editions de la Sorbonne, 1984, p.104.
167 MOUSSAVOU Maganga-CLAVER Pierre, L’aides publique de la France eu développement du Gabon depuis l’indépendance (1960-1978), Paris, Editions de la Sorbonne, 1984, p.103.
168 Ibidem.
Commentaire tableau 6 : En vue des données établies sur le tableau, il est nettement constaté que l’Afrique noire et l’Océan indien constituent les zones géographiques prioritaires de l’intervention de la Caisse centrale. Ainsi le secteur de mines, de l’industrie et de l’artisanat occupait une part considérable dans les concours financiers apportés par la C.C.C.E., avec notamment 22,53% des concours financiers de l’année 1978.
Dans ces deux cas existait une coordination des actions F.A.C. et C.C.C.E. Cette coordination se manifestait au niveau de l’exécution des projets par des actions concertées et conjointes dans lesquelles le F.A.C. pourrait apporter les études, le personnel de coopération technique, les moyens de formation, la participation financière et la Caisse centrale, son financement, complété par des crédits fournisseurs ou des crédits financiers.
Le F.A.C. finançait, en règle générale, deux catégories d’opérations : d’une part, les opérations d’intérêt général qui comprenaient surtout des concours aux organismes français ou inter-Etat dans les domaines culturel et social, et en faveur de la production ; d’autre part, les programmes de développement des Etats. Il est évident que seule la deuxième catégorie d’opérations constituait une aide directe au développement.
Les crédits affectés aux opérations d’intérêt général, « pour important qu’ils soient, n’avaient pas de prise immédiate sur les investissements effectués au Sénégal. Ils étaient pour la plus part, destinés au fonctionnement des organismes inter-Etat »169 (par exemple l’A.S.E.C.N.A.) et surtout les Instituts de recherche. A ce propos, l’aide à la recherche scientifique progressait régulièrement depuis 1972, avec un montant de 18,7 millions ; elle se situait en 1976 à 36,3 millions.
D’une manière générale, l’étude à la recherche scientifique absorbait 12% du total des crédits du F.A.C.170.
Toutefois, le système d’aide et de coopération constitue l’outil grâce à laquelle la France a pu transformer un espace de souveraineté en zone d’influence. Ainsi en a croire à Jacques ADDA et Marie-Claude SMOUTS, « en Afrique francophone, lieu privilégié de cette influence, l’importance accordée à la coopération culturelle et la constitution de la zone franc confèrent à l’ensemble formé par la France et ses anciennes colonies le caractère exceptionnel d’une zone intégrée sur les plans linguistiques et monétaires »171. Cette double intégration présente un atout incontestable sur la scène internationale. En effet, dès le tournant des années 1960, l’administration française invoque le souci de rentabiliser l’aide, c’est-à-dire de s’en
169 BOURGI Albert, op.cit, p.278.
170 Ibidem.
171 ADDA Jaques et SMOUTS Marie-Claude., La France face au Sud : le miroir brisé, paris, Karthala. 1989, p.27.
servir comme d’un instrument de pénétration des marchés porteurs, tout en donnant à l’aide une dimension profondément diplomatique172.
Entre 1960 et 1967, la part attribuée aux Etats africains et malgache dans le montant total de l’aide extérieure de la France était restée constamment voisine de 33%173. En valeur absolue, le montant de l’aide extérieure que la France accordait aux Etats africains et malgache était donc demeuré stable aux environs de 1.550 millions par ans, se décomposant en 1.250 de dépenses définitives et 300 million sous forme de prêt, en comprenant les prêts de la C.C.C.E.
Tout au long des années 1960, la Caisse centrale agissait auprès d’acteurs non souverains et seulement à la marge avec les gouvernements africains naissants. Dans les années 1960 et 1970, la zone d’intervention de la C.C.C.E. était globalement la même que celle du ministère de la coopération (les 14 pays de la zone franc). La Caisse réalisait alors, notamment sous forme de prêts, de grandes opérations d’investissement. L’un des instruments dont elle disposait sont les prêts dits « d’aide liée »174.
Cette forme d’aide bilatérale recouvrait, dans les années 1960 et 1970, la majorité des prêts de l’aide-projet accordée, la part des dons ou autres subventions régressant massivement dans les années 1960. A cette époque, la volonté de la C.C.C.E. serait d’encourager le développement des entreprises françaises répondant directement aux besoins de l’économie locale ou bénéficiant des débouchée sur les marchés métropolitains ou étranger. L’aide bilatérale participait ainsi directement à une politique diplomatique plus large, fondée sur le maintien de l’influence de la France dans ses anciennes colonies. Pour cela, les flux d’aide devaient être à des investissements économiques et ce, par une association étroite avec le secteur privé français. Cet intérêt relevait plus visiblement dans la répartition des prêts bilatéraux.
L’aide liée permet ainsi à un petit groupe d’entreprises françaises, spécialisées dans les travaux publics, l’ingénierie, les matériaux de construction ou de télécommunication, mais aussi l’exportation des biens de consommation, de prospérer en Afrique175. D’autant plus que
172 Ibidem.
173 ATEMENGUE Joseph, A quoi sert la coopération franco-africaine ?, Les Cahiers de l’AFRIQUE, Tome 1 :
Le problème. Etudes et documents, p.24.
174 Mise en œuvre par une loi d’aout 1960, l’aide liée est une Modalité d’aide imposant de financer l’acquisition de biens et de services exclusivement auprès de fournisseurs appartenant au pays qui a apporté les fonds d’aide. Autrement dit, l’aide liée consiste à lier aux prêts d’aide bilatérale consentis par la France et les Etats africains, l’obligation pour ces derniers, dans le cadre de ces prêts, d’importer des fournitures ou de faire appel à des partenaires d’origine soit française, soit de la zone franc, soit du pays d’intervention concerné. Pour de plus amples développements concernant le caractère lié de l’aide, voir A. BOURGI, op.cit., p.281.
175 Une analyse d’une structure nommée Société d’études pour le développement économique et social (S.E.D.E.S.) a ainsi évalué en 1982 les taux de retour des aides octroyées par la France à la fin des années 1970 :
les secteurs des infrastructures et de l’équipement sont des secteurs prioritaires de l’aide au développement tout comme la politique de soutien aux exportations. Pour citer que quelques exemples : France Télécom, Bolloré, Alcatel-Alsthom, Thomson ou Mata.
La volonté de la C.C.C.E., de promouvoir l’essor du secteur privé français, trouvait ainsi sa pleine mesure auprès d’entrepreneurs français et non d’entrepreneurs africains. La Caisse construisait également de fortes relations avec le secteur privé français au travers de PROPARCO, la filiale « banque de développement » de la C.C.C.E., créé en 1977.
La création de PROPARCO a pour objectif la mise en place de projets conjoints avec des investisseurs français, des pouvoirs publics africains et l’accompagnement d’entreprises françaises peu familières avec l’Afrique. Pour cela, la banque créé une représentation à Abidjan et une à Douala. Elle intervenait alors essentiellement dans l’agroalimentaire (sucre, coton, huile de palme) et l’industrie.
Mais la filiale démarre très doucement ses activités et ce n’est que dans les années 1990 qu’elle s’impose véritablement comme interlocuteur du secteur privé français. On retrouve dès lors, à travers ces deux instruments d’intervention, (l’aide liée et la création de PROPARCO), le trip type des infrastructures, qui fait la spécialité du dispositif français d’aide.
A partir des années 1990, on assiste néanmoins à une mise sous pression du modèle économique protectionniste français et à une crise de la politique d’aide au développement à l’échelle internationale. Avec la crise de la dette et l’abandon de l’attribution de prêts à la majeure partie des pays d’Afrique, la Caisse centrale développait ses prêts au secteur privé, ses prises de participation via PROPARCO, ainsi que ses opérations dans les pays à revenu intermédiaire. La mise en place des plans d’ajustement structurel, établit de nouvelles lignes d’intervention de la Caisse jusque dans les années 1990.
Ainsi tout au long des années 1980, la Caisse centrale accroit ses engagements dans le secteur de l’équipement public, d’où l’arrangement de nombreuses entreprises françaises du secteur, qui prenaient par ailleurs une part active aux politiques de privation et de restructuration d’entreprises publiques africaines (dans les télécoms, l’exportation de matières premières). Les entreprises du secteur des grands travaux publics (infrastructures aéroportuaires, portuaires, ferroviaires etc.), des télécommunications, équipements d’adduction d’eau, étaient par exemple ceux qui bénéficiaient encore le plus des prêts de la Caisse.
F.A.C. 67%, C.C.C.E. 76%, prêts du Trésor français 100%. A titre d’exemple, sur 100 francs versées par la C.C.C.E., 76 francs revenaient à des intérêts économiques implantés dans la zone francs. Voir MARCHESIN Philippe, L’Afrique des nouvelles convoitises, Paris, Ellipses, 2011, p.41.
Au vue des effets négatifs de l’aide liée, provoqués par des surcouts engendrés pour les pays aidés et l’absence de concurrences dans ces projets bilatéraux, le Comité d’aide et de coopération (C.A.D.) jouait un rôle important de « normalisateur » concernant le lien en crédits aux exportations et aide au développement. Dans cette optique, les travaux du C.A.D. sur l’aide liée et les crédits aux exportations engendraient «une surveillance accrue de l’aide au développement »176.
En 1992, la Caisse centrale, par un changement de dénomination devenant Caisse française de développement (C.F.D.) voit l’extension de ses activités vers les pays en développement. Le fait se consolide avec une nouvelle appellation survenue en 1998177, à la suite de la réforme178 du système française de coopération. En effet, la C.F.D.
devient, à partir de cette année Agence française de développement (A.F.D.), provoquant ainsi l’intégration du ministère de la coopération dans le ministère français des Affaires Etrangères179. L’agence devient à cet effet l’opérateur principal de l’aide française et dépasse le modèle de Brazzaville tout en adoptant un nouveau modèle basé sur de nouveaux mots d’ordre : « les biens publics mondiaux (B.P.M.), l’efficacité de l’aide, le déliement de l’aide, etc.
».
Illustration 6 : Logo Agence française de développement
[14_impact-de-aide-financiere-francaise-sur-le-developpement_6]
Source : https://www.afd.fr/fr/notre-histoire.
176 PACQUEMENT F., Histoire de l’aide, histoire de l’Agence française de développement, recueille de publications et de documents de travail, document de travail interne à l’A.F.D., A.F.D., Paris, pp.236-240.
177 La réforme de la coopération française est intervenue avec l’arrivée de Jacques Chirac au pouvoir, mais à partir d’un travail de la Gauche sous François MITTERAND. Cette réforme prévoit : le « regroupement » des services du secrétaire d’Etat français à la coopération et du ministère français de Affaires Etrangères ; la création Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (C.I.C.I.D.), des « débats » et d’orientation » sur la coopération internationale et tous les ministères concernés ; la création de la
Direction générale de la coopération internationale et du développement (D.G.C.I.D.) qui a pour mission de « piloter » la coopération au développement et la politique de rayonnement culturel, scientifique et audiovisuel. Voir PILON Marc, La réforme de la coopération française : institutionnelle ou politique ? In : Rapport 1998 : l’APD 98 et la réforme de la coopération, développement rural, immigration, coopération et développement, santé.
Paris : Karthala, pp.34-35.
178 Observatoire permanent de la coopération française, Rapport 2001, Paris, Edition Karthala, pp.11-14.
179 BALLEIX Corinne, La politique française de coopération au développement. Cinquante ans d’histoire au miroir de l’Europe, Revue Afrique Contemporaine n°236, 2010/4, p.99.
Cependant, il est à noter qu’au cours des décennies postcoloniales, l’aide française et l’A.F.D. présentaient des caractéristiques dont les plus saillants tournent autour de ses stratégies, ses structures, ses opérations et de son efficacité. Pendant cette période, la politique d’aide française était marquée par un manque de stratégie. En effet, la seule stratégie qui existait était une vision gauche-droite du consensus gaulliste qui perdura des années 1960 au milieu des années 1990. Ainsi l’aide française devrait se concentrer sur l’Afrique francophone de manière à consolider l’influence politique de la France, ses opportunités économiques et son accès aux ressources minérales.
Sur le plan structurel, la logique décrite ci-dessous, qui est étroitement liée à l’histoire des relations entre la France et l’Afrique Noire française permet d’expliquer le rôle crucial attribué au ministère de la Coopération, correspondant à l’ancien ministère de la France d’Outre-mer (1946-1959), au dispositif d’aide français : il s’agit en effet de la principale Agence de développement française, « porte-parole pour la défense des intérêts africains ».
Entre 1980 et 1997, une bonne partie du budget total d’aide était sous la responsabilité de ce ministère. Sa principale source de financement de projet était le F.A.C. et son action se concentrait uniquement dans les pays francophones. Malgré son expérience accumulée depuis la seconde guerre mondiale en matière de promotion de développement socio-économique, l’A.F.D.
demeurait un acteur relativement « marginal » au sein du dispositif d’aide français : c’était une banque de développement dépourvue de statut ministériel et en charge de seulement 3% à 6% de l’A.P.D. française.
Néanmoins, l’administration française ne porta au cours d’un temps particulièrement long de la période postcoloniale qu’une attention limitée aux dépenses occasionnées par la mise en œuvre effective de son programme d’aide. Le problème de son cout devient visible au cours de la période suivant la guerre froide, lorsque la France, de plus en plus consciente de ses moyens limités face aux défis colossaux auxquels l’Afrique était confronté, chercha à réaliser des économies en réalisant, en 1994 la dévaluation du franc CFA qui avait cours au
sein de la zone franc180, et en supervisant la diminution, sur le long terme, du nombre d’assistants techniques français. Avec l’extinction progressive des moyens et des crédits et la naissance d’un monde multipolaire est née une politique d’aide au développement partagée entre une aide multilatérale et une aide bilatérale dont l’AFD est « l’opérateur pivot »,
180 En ce qui concerne la coopération monétaire franco-africaine dans le cadre de la zone franc, au-delà des enjeux économiques pour les quatorze États africains concernés et pour les entreprises françaises actives sur ces marchés, la zone franc a toujours été pensée par les gouvernements français comme un moyen supplémentaire de pérenniser et d’institutionnaliser par des moyens économiques la zone d’influence française en Afrique. Voir PETITEVILLE Frank, op.cit., p.575.
intervenant aussi bien en Afrique que dans les pays émergents, avec pour ambition d’être un instrument d’atténuation et de régulation des effets de la mondialisation.
Du modèle « national » centré sur les prêts et l’Afrique, le dispositif français évolue de plus en plus, sous les effets concomitants de plusieurs processus, vers un modèle plus complexe du fait notamment de la nécessaire coopération avec les institutions financières internationales, des critiques émises à l’encontre de l’aide au développement, mais aussi de l’imposition progressive d’une nouvelle idéologie de la gestion de la chose publique fondée sur le new public management181.
181 Le New public management est un concept né dans les années 1990, qui signifie nouvelle gestion publique mais également appelé nouveau management public. Elle nie toute différence entre gestion publique et gestion privée. En conséquence, elle réclame un approche pragmatique des problèmes et un meilleur partage des rôles entre : le niveau de pilotage et le niveau d’exécution. Voir BALLEIX Corinne, op.cit., ibidem.
Conclusion partielle
Pour comprendre le contexte de la genèse de la politique d’aide publique au développement française, il faut remonter dans les années 1940. En effet, la loi d’avril 19461, ainsi que la politique de mise en valeur coloniale, de coopération puis celle de développement ne sont pas apparues ex nihilo. Ces politiques ont été inspirés de débats et de projets plus anciens, dont certains remontaient aux années 1920.
Ainsi certains principes comme la modernisation des colonies, l’aide au développement ne se sont imposés que dans le contexte réformateur postérieur à la Seconde Guerre mondiale. Les réformes modernisatrices impulsées aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale s’inscrivent dans le prolongement de la crise économique des années 1930 et des débats qu’elle a suscités sur le rôle de l’appareil d’État français dans la gestion des richesses coloniales.
A la base des relations franco-africaines, il existe un indéniable désir de puissance de la France, qui fait d’abord et avant tout de sa politique africaine une politique d’influence, conçue « comme un marche-pied indispensable »182 à son audience dans le monde. Cette utilisation de la scène africaine à des fins de rayonnement mondialiste, que traduisent fort bien les expressions consacrées de «chasse gardée» ou de «pré-carré», constitue en effet l’un des traits majeurs de la spécificité française sur la scène internationale. La spécificité de l’engagement de la France en Afrique se mesure encore aujourd’hui au poids du continent subsaharien dans l’aide publique bilatérale française (58 % en 1990-91), qui illustre
« l’africanisation tenace de la coopération française »183 avec les pays en développement.
Dans ce qui suit, il sera question d’étudier l’Agence française de développement, ses stratégies, ses moyens d’intervention ainsi que son apport dans les relations France-Afrique noire française en générale et franco-sénégalaise en particulier. La disparition ou du moins l’intégration du ministère de la Coopération au sein du ministère des Affaires Etrangères, et la montée en puissance de l’A.F.D.
ont été un accélérateur et l’illustration d’une mutation qui a vu la fin de la « coopération » des années 60, celle des assistants techniques en nombre, agronomes et professeurs, et la naissance d’un nouveau visage d’une coopération plus complexe où interviennent des partenaires et des instruments de plus en plus variés.
Sous tutelle conjointe des ministères français des Affaires étrangères et des Finances (puis, également de l’Intérieur et du Budget), l’AFD est devenue l’« opérateur pivot »184.
182 PETITEVILLE Frank, op.cit., p.572.
183 Idem, p.573.
184 BALLEIX Corinne, Ibidem.
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160 BOURGI Albert., op.cit., p.149. ↑
161 Le F.I.D.E.S. existait toujours amis son domaine d’intervention restait limité aux seuls territoires d’Outre-mer ; parallèlement existait pour les départements d’Outre-mer, le F.I.D.O.M. (Fonds d’investissement pour les départements d’Outre-mer). ↑
162 Créé par le général de Gaulle en 1959, le Ministère de la coopération avait pour vocation de contribuer au développement des « pays du champ » (principalement les anciennes colonies d’Afrique). Le ministre de la Coopération était un ministre à part entière qui siégeait au Conseil des ministres et participait au Conseil de défense. Avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, sous le mandat de François Mitterrand, le ministère a été rebaptisé Ministère de la coopération et du développement. Voir PACQUEMENT François, Le système d’aide au développement de la France et du Royaume-Uni : point de repère sur cinquante ans d’évolution depuis la décolonisation, Dans Revue Evolution des politiques de développement, 2010, pp.55-80. ↑
163 Les Mémoire d’André POSTEL-VINAY, op.cit., p.216. ↑
164 BOURGI A, op.cit., pp.152-153. ↑
165 ABELIN Pierre., Rapport sur la politique française de coopération, Paris, La Documentation française, 1975, p.42. ↑
167 MOUSSAVOU Maganga-CLAVER Pierre, L’aides publique de la France eu développement du Gabon depuis l’indépendance (1960-1978), Paris, Editions de la Sorbonne, 1984, p.103. ↑
169 BOURGI Albert, op.cit, p.278. ↑
171 ADDA Jaques et SMOUTS Marie-Claude., La France face au Sud : le miroir brisé, paris, Karthala. 1989, p.27. ↑
173 ATEMENGUE Joseph, A quoi sert la coopération franco-africaine ?, Les Cahiers de l’AFRIQUE, Tome 1 : Le problème. Etudes et documents, p.24. ↑
174 Mise en œuvre par une loi d’aout 1960, l’aide liée est une Modalité d’aide imposant de financer l’acquisition de biens et de services exclusivement auprès de fournisseurs appartenant au pays qui a apporté les fonds d’aide. Autrement dit, l’aide liée consiste à lier aux prêts d’aide bilatérale consentis par la France et les Etats africains, l’obligation pour ces derniers, dans le cadre de ces prêts, d’importer des fournitures ou de faire appel à des partenaires d’origine soit française, soit de la zone franc, soit du pays d’intervention concerné. Pour de plus amples développements concernant le caractère lié de l’aide, voir A. BOURGI, op.cit., p.281. ↑
175 Une analyse d’une structure nommée Société d’études pour le développement économique et social (S.E.D.E.S.) a ainsi évalué en 1982 les taux de retour des aides octroyées par la France à la fin des années 1970 : ↑
176 PACQUEMENT F., Histoire de l’aide, histoire de l’Agence française de développement, recueille de publications et de documents de travail, document de travail interne à l’A.F.D., A.F.D., Paris, pp.236-240. ↑
177 La réforme de la coopération française est intervenue avec l’arrivée de Jacques Chirac au pouvoir, mais à partir d’un travail de la Gauche sous François MITTERAND. Cette réforme prévoit : le « regroupement » des services du secrétaire d’Etat français à la coopération et du ministère français de Affaires Etrangères ; la création Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (C.I.C.I.D.), des « débats » et d’orientation » sur la coopération internationale et tous les ministères concernés ; la création de la ↑
178 Observatoire permanent de la coopération française, Rapport 2001, Paris, Edition Karthala, pp.11-14. ↑
179 BALLEIX Corinne, La politique française de coopération au développement. Cinquante ans d’histoire au miroir de l’Europe, Revue Afrique Contemporaine n°236, 2010/4, p.99. ↑
Questions Fréquemment Posées
Quel est le rôle du Fonds d’aide et coopération (F.A.C.) dans l’aide financière française?
Le Fonds d’aide et coopération (F.A.C.) était le rouge du mécanisme financier pour lequel transite la quasi-totalité des prêts octroyés aux États africains indépendants.
Comment les crédits du F.A.C. sont-ils répartis?
Le Président du Comité directeur décidait seul de la répartition des crédits ouverts au budget en titre du Fonds, selon des programmes d’emploi établis par État et par secteur.
Quelles sont les dépenses financées par le F.A.C.?
Les dépenses financées par le F.A.C. incluent la rémunération des personnels d’assistance technique, les concours financiers versés à certains États, le financement des organismes de recherche scientifique, et les fournitures d’équipements militaires.