L’approche méthodologique de l’AFD révèle comment les relations franco-africaines ont évolué depuis les indépendances, mettant en lumière des mécanismes souvent méconnus. Cette recherche critique offre des perspectives inédites sur l’impact de l’agence sur le développement économique et social des territoires africains francophones.
CHAPITRE III : LE CONTEXTE DE LA DECOLONISATION ET LE CHANGEMENT DE PARADIGME DANS LES RELATIONS FRANCO-AFRICAINES.
Au lendemain des indépendances, l’évolution des mécanismes administratifs, économiques, financiers et monétaires avait reflété celle des rapports franco-africains et traduit la place qu’occupe la coopération dans les préoccupations de la politique étrangères de l’ancienne Métropole. L’utilisation des institutions plus ou moins rigides de la communauté conventionnelle s’étant avérée impossible, la France s’était trouvé confronté à un double préoccupation : « d’une part, établie ses relations avec les nouveaux Etats africains sur une base purement égalitaire, conformément aux normes classiques du Droit International ; d’autre part, ne pas confondre totalement l’action de coopération à mener à l’égard des anciennes dépendances avec la conduite des relations internationales traditionnelles »151.
Ainsi la conciliation de ces deux objectifs a mené la France, sur le plan administratif, à distinguer entre les relations purement politiques confiées au ministère français des Affaires étrangères et les relations à caractère techniques (la coopération au sen étroit) dont la responsabilité a été attribuée à un ministère de la Coopération152.
Ce chapitre revient sur la politique de coopération française proprement dite, en relation avec ses anciennes colonies devenues de nouveaux Etats indépendants. Cette politique sera gérée par l’A.F.D., en tant que C.C.C.E., et le F.A.C., considéré comme le rouage essentiel du mécanisme économique et financier de la coopération franco-africaine. Car l’attitude de la France avait consisté à aménager les structures mise en place avant les indépendances et à adapter à la nouvelle tâche de coopération définie par les accords signés avec les Etats souverains.
Le dispositif économique mis en place par l’ancienne Métropole s’étendait à l’ensemble des pays africains liés à elle par des accords de coopération. Il s’en suit qu’en dépit des problèmes particuliers que peut soulever la coopération franco-sénégalaise, son cadre juridique et son mise en œuvre se fondaient étroitement avec l’ensemble des relations bilatérales qu’entretiennent la France et ses anciennes possessions d’Afrique Noire et Madagascar. Ainsi pour mener à bien la coopération avec les pays d’Afrique Noire d’expression française, la France se trouvait obliger de mettre en place des structures administratives, aussi bien en France qu’aux nouveau Etats, et des mécanismes économiques et financiers aptes à gérer cette politique.
151 BOURGI Albert., La politique française de coopération en Afrique : le cas du Sénégal, Paris-Dakar-Abidjan, Librairie générale de droit et de jurisprudence, NEA, 1979, p.131.
152 Ibidem.
L’organisation administrative pour une politique de coopération franco-africaine.
L’organisation administrative portait l’empreinte des liens de dépendance qui caractérisaient les rapports entre l’ancienne Métropole et les territoires d’Outre-mer.
« considérés souvent, du point de vue administratif, comme le prolongement de la France métropolitaine »153. C’est dans cette perspective que plusieurs ministères techniques et divers organismes publics ou parapublics furent chargés de la définition et de l’exécution des programmes d’aide et de coopération aux pays africains et malgache, suite à la disparition du ministère de la France d’Outre-mer.
En effet, à partir de 1958 le gouvernement français fut obligé de tirer les conclusions de l’évolution politique des territoires d’Outre-mer et de la transformation des rapports antérieurement basée sur l’exercice de la souveraineté directe sur ces territoire. Ainsi la constitution française du 4 octobre 1958 fut à l’origine de la création d’un appareil administratif spécialisé. L’accession à l’indépendance et surtout la volonté de certains Etats africains de rompre le lien communautaire va précipiter le mouvement de réformes des structures amorcé « timidement »154 par l’ancienne Puissance coloniale.
Cependant, un décret du 18 mai 1961 créa le ministère de la Coopération, il a été suivi d’un autre décret du 10 juin de la même année, précisant les attributions du nouveau ministère. Ce dernier que Frank PETITEVILLE assimile à une « véritable transfuge de la période de transition de l’ère coloniale à l’éphémère Communauté franco-africaine »155 avait la charge de l’action d’aide et de coopération de la France à l’égard des Etas africains et malgache.
Cette action s’exerçait dans le domaine économique, financier, culturel, social, militaire et technique, à l’exception de l’exécution des accords en matière de politique étrangère et des accords de défense qui relevaient d’un ministère des Affaires étrangères. La création du ministère de la Coopération et sa spécialisation géographique soulignait la volonté du gouvernement français d’entretenir des rapports privilégiés avec les nouveaux Etats africains et malgache et de consentir des efforts particuliers pour « leur développement économique et social.
153 O.C.D.E., Efforts et politique d’aide au développement, Examen annuel, 1965.
154 BOURGI Albert, ibidem.
155 PETITEVILLE Frank, Quatre décennies de coopération franco-africaine : usages et usure d’un clientélisme, Etude internationale, vol.27, n°3, 1996, p.583.
Toutefois, la zone d’intervention du ministère de la Coopération avait recouvrir les anciennes colonies d’Afrique Noire, Madagascar, le Burundi, le Rwanda, l’Ile-Maurice, les Seychelles, le Djibouti, les Comores, les Iles du Cap-Vert, la Guinée Bissau, Sao Thomé et Principe, mais aussi Haïti et la Gambie. Il assurait une triple tache :
- De gestion de la plus part des actions d’aide et de développement ;
- De tutelle de certains organismes décentralisés ;
- De coordination des interventions des certains départements ministériels.
La spécificité de ces taches avait conduit à mettre en place des structures quelque peu différentes que celles des départements ministériels traditionnels. Le ministère était alors organisé autour de trois groupes et de services ou de Directions : les services rattachés au Cabinet du ministère, l’Administration centrale et les services extérieurs qui disposaient de deux antennes entre autre un Conseiller culturel et une Mission permanente d’Aide et de Coopération. Cette dernière avait comme tache, d’une part, évaluer les besoins des Etats intéressés et assurer des conditions d’exécution des programmes d’aide ; d’autre part, gérer le personnel d’assistance technique mis à la disposition de l’Etat français.
Implantée à Dakar, la mission française d’Aide et de Coopération fut l’une des plus importantes entre l’administration française et les pouvoirs publiques sénégalais156, de par les taches multiples auxquelles elle concourait. Ainsi en raison du principe de l’unité de représentation, le chef de la Mission d’Aide et de Coopération était placé sous l’autorité de l’Ambassadeur de France, qui était le doyen du corps diplomatique en poste à Dakar. LA Mission d’Aide et de Coopération assumait à la fois un rôle d’information, de coordination, de contrôle des opérations financées par le F.A.C., et de gestion du personnel français d’assistance technique.
La première tâche de la Mission était, par une coordination permanente avec les autorités sénégalaises, d’informer le service français de coopération de la situation économique et des projets de développement. Ce rôle d’information s’exerçait d’ailleurs en collaboration des représentants des autres aides extérieures, et notamment ceux du Fonds européen de développement (F.E.D.). Le caractère global et intégré de l’aide française exigeait, d’autre part, la coordination de l’activité de toutes les sociétés ou organismes spécialisés concourant à la réalisation du programme d’aide. La Mission jouait ainsi en
156 BOURGI Albert, op.cit. p.142.
quelque sorte le rôle de « maitre d’œuvre » de la politique française de coopération au Sénégal en appliquant sur le terrain les décisions prises au niveau gouvernemental français.
Elle effectuait des contrôles des opérations de développement financées par le F.A.C., et pour cela, prenait connaissance de tous les documents s’y rapportant. Dernière tache assumés par la Mission d’Aide et de Coopération, celle de gestion du personnel de coopération, qu’il s’agissait du personnel détaché auprès de l’administration générale ou du personnel de l’enseignement primaire, secondaire, technique ou supérieur. Dans la pratique, la Mission157 ne s’acquittait que partiellement des nombreuses tâches qui lui étaient dévolues. En effet, elle se confiait le plus souvent à des fonctions purement administratives, soit de gestion du personnel local d’assistance technique, soit de désignation des boursiers et stagiaires pris en charge par le gouvernement français.
Hormis la gestion directe de la majorité des actions d’aide et de coopération, le ministère de la Coopération assurait la tutelle de nombreux organismes publics ou parapublics exerçant des activités multiples dans les Etats africains et malgache. Parmi ces organismes, il faut noter en premier lieu les divers Instituts de recherche qui, créés par l’ancien ministère de la France d’Outre-mer, ont été par la suite regroupés autour de l’ancien Secrétariat d’Etat chargé de la coopération et placés le plus souvent sous sa tutelle. Spécialisés dans la recherche fondamentale et appliquée, certains de ces Instituts jouaient un rôle essentiel dans l’élaboration des programmes d’aide aux pays africains et malgache :
- L’Office de recherche scientifique et technique d’Outre-mer (O.R.S.T.O.M.) ;
- L’Institut d’élevage et de médecine vétérinaire des pays tropicaux (I.E.M.V.T.) ;
- L’Institut de recherches agronomique tropicales et des cultures vivrières (I.R.A.T.) ;
- L’Institut de recherche pour les huiles et les oléagineux (I.R.H.O.) ;
- L’Institut de recherches fruitières d’Outre-mer (I.R.F.O.M.) ;
- L’Institut de recherche du coton et des textiles exotiques (I.R.C.T.) ;
- La société d’aide technique et de coopération (S.A.T.E.C.) qui se consacrait à la formation des hommes et à l’accroissement de la productivité agricole.
Divers bureaux d’études intervenaient dans un secteur déterminé :
157 Dans cette Mission d’Aide et de Coopération, un rôle essentiel fut joué par l’adjoint financier dans l’étude des dossiers à soumettre au Comité directeur du F.A.C. et dans la représentation des conventions de financement entre la France et le Sénégal. Voir A. BOURGI, op.cit., p.143.
- Le Bureau central pour les équipements d’Outre-mer (B.C.E.O.M.) ;
- Le Bureau de recherche géologique et minière (B.R.G.M.).
- Le Bureau d’étude pour les postes et télécommunications outre-mer (B.E.P.T.O.M.) ;
- Le Bureau pour le développement de la production agricole (B.D.P.A.).
Par ailleurs, un grand nombre d’organismes tant financiers que techniques, ont été constitués sous l’égide de certains ministères spécialisés et de grands établissements publics français. En dehors de la Caisse centrale de coopération économique, les plus importants d’entre eux émanaient d’organismes bancaires publics, telle que la Caisse des dépôts et consignations. Il s’agit :
- De la société centrale pour l’équipement des territoires intra-national (S.C.E.T. international) ;
- Et de la société d’étude pour le développement économique et social (S.E.D.E.S.) ;
Instituts de recherche ou bureaux d’études, ces organismes158 se chargeaient toutefois, de la conception et de la mise au point de certains projets et mettent à la disposition des Etats intéressés leur capital de connaissance et leur réserve d’agents et de techniciens ; ils prolongeaient ainsi l’action du ministère de la Coopération et se substituaient par fois à lui. Plus que des organismes administratifs, les mécanismes économiques et financiers contribuaient également à donner un contenu original à la coopération franco-africaine et à assurer une position de force à la France dans les pays d’Afrique situés au sud du Sahara et à Madagascar.
Au Sénégal, l’importance que revêtent l’assistance technique et en particulier l’aide française a également conduit à la création de structures spécifique. En effet, en plus des ministères et services appelés ordinairement à connaitre la question d’aide et de coopération (ministère des Affaires Etrangères, ministère des Finances et des Affaires Economiques, ministère de l’Education nationale…), le ministère du Plan et de la Coopération a été créé en 1973. Avant cette date, un ministère entier de la Coopération figurait dans le gouvernement
158 De statuts très divers (établissements publics, société d’Etat ou d’économie mixte…), ces organismes n’étaient que le prolongement des services publics de la France d’Outre-mer dont la gestion était identique à celui utilisé en Métropole. L’héritage colonial se reflète dans la composition du personnel de direction de ces organismes qui appartenaient, dans sa grande majorité, à l’ancien corps des administrations coloniaux.
sénégalais de l’époque. Il succédait à un secrétariat d’Etat à la coopération159 héritier d’une Direction de l’assistance technique qui jusqu’alors relevait du secrétariat général de la Présidence de la République.
Mais l’innovation essentielle résidait dans l’établissement depuis 1969 d’une Commission nationale de planification des emplois de l’assistance technique regroupant sous l’égide du ministère de la Coopération les représentants et ministères qui ont recours au personnel d’assistance technique. Cette Commission avait pour tâche de recenser les emplois détenus par des assistances techniques et de fixer, dans une perspective de « sénégalisation » totale du service public moderne, un calendrier de relève du personnel étranger par des cadres nationaux. Cette démarche avait notamment conduit à la création au sein du ministère de Plan et de la Coopération, d’un bureau de planification des ressources humaines chargé de regrouper les informations concernant : la situation quantitative des moyens financiers et la situation de l’emploi.
Sans pour autant minimiser l’intérêt d’une étude plus approfondie des structures administratives sénégalaises, nous nous limiterons volontairement à la description des moyens économiques et financières mis en place par la France pour bien dérouler sa politique de coopération avec les Etats africains d’expression française et Madagascar.
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151 BOURGI Albert., La politique française de coopération en Afrique : le cas du Sénégal, Paris-Dakar-Abidjan, Librairie générale de droit et de jurisprudence, NEA, 1979, p.131. ↑
153 O.C.D.E., Efforts et politique d’aide au développement, Examen annuel, 1965. ↑
155 PETITEVILLE Frank, Quatre décennies de coopération franco-africaine : usages et usure d’un clientélisme, Etude internationale, vol.27, n°3, 1996, p.583. ↑
156 BOURGI Albert, op.cit. p.142. ↑
157 Dans cette Mission d’Aide et de Coopération, un rôle essentiel fut joué par l’adjoint financier dans l’étude des dossiers à soumettre au Comité directeur du F.A.C. et dans la représentation des conventions de financement entre la France et le Sénégal. Voir A. BOURGI, op.cit., p.143. ↑
158 De statuts très divers (établissements publics, société d’Etat ou d’économie mixte…), ces organismes n’étaient que le prolongement des services publics de la France d’Outre-mer dont la gestion était identique à celui utilisé en Métropole. L’héritage colonial se reflète dans la composition du personnel de direction de ces organismes qui appartenaient, dans sa grande majorité, à l’ancien corps des administrations coloniaux. ↑
159 héritier d’une Direction de l’assistance technique qui jusqu’alors relevait du secrétariat général de la Présidence de la République. ↑
Questions Fréquemment Posées
Quel est le rôle de l’AFD dans les relations franco-africaines?
L’AFD, en tant que C.C.C.E., gère la politique de coopération française avec ses anciennes colonies devenues de nouveaux Etats indépendants.
Comment la décolonisation a-t-elle influencé la coopération franco-africaine?
Au lendemain des indépendances, la France a dû établir ses relations avec les nouveaux Etats africains sur une base purement égalitaire, tout en adaptant les structures de coopération mises en place avant les indépendances.
Quelles structures ont été mises en place pour la coopération avec les pays africains?
La France a mis en place des structures administratives, aussi bien en France qu’aux nouveaux Etats, et des mécanismes économiques et financiers pour gérer la politique de coopération.