L’analyse de cas de l’AFD révèle comment cette institution, fondée en 1941, a façonné les relations franco-africaines à travers des stratégies de développement audacieuses. Quels impacts concrets a-t-elle eu sur les économies africaines francophones ? Découvrez des insights essentiels sur son rôle transformateur.
Les principaux objectifs de ce plan étaient de regrouper et concentrer les entreprises, mécaniser l’agriculture, créer des infrastructures, substituer dans l’agriculture l’intensif à l’extensif, et valoriser les productions par l’industrialisation39. L’idée de ce plan par lequel était institué le F.I.D.E.S. consistait pour la France, à intervenir dans la production des pays colonisés « en prenant en charge certains secteurs, et en aidant dans d’autres les affaires privées, soit en investissant ses capitaux, soit en consentant des aides diverses »40.
L’on estime que c’est à travers la création du F.I.D.E.S. et du C.C.F.O.M. que l’on peut dater l’introduction du mot « aide »41 en France. Autrement dit, l’aide publique au développement de la France à l’Afrique et à l’ensemble de ses colonies naît avec la loi du 30 avril 1946 et les deux instruments qu’elle instituait.
Cette loi fut précédée par d’autres mesures importantes dont la création à la fin de 1945 des francs coloniaux d’une valeur supérieure au franc français : franc CFA, franc pacifique et franc Djibouti.
Pour René DUMONT, le F.I.D.E.S. a permis à l’Afrique d’obtenir d’importantes sommes d’argent. Mais « face à l’immensité des besoins »42, ces fonds sont modestes, 46% des ressources du F.I.D.E.S. furent consacrées, surtout dans le premier plan quadriennal, à bâtir l’infrastructure des ports, des routes et des aérodromes. Mais la primauté excessive du « social » dans ce programme a constitué son erreur fondamentale : « le but était d’égaler la métropole, sans prendre en considération l’énorme écart du développement économique, de niveau de vie, souvent de 15 ou 20% »43.
Or, si la France et l’Afrique restaient sur cette démarche, l’agronome pense qu’il serait impossible pour le continent noir de rattraper ce retard tout au long du XXe siècle, la clé de la réussite étant de s’intéresser aux impératifs économiques du développement. Pour lui, « toute politique qui s’intitule glorieusement sociale dans les pays en retard, sacrifie aux satisfactions immédiates les possibilités d’accroissement de la production : elle est donc en réalité antisociale à long terme »44. C’est dire que le social ne pourrait pas venir avant le développement, mais après celui-ci. Pour DUMONT « le social devrait être le bénéfice même du développement, et garder de cette manière un caractère de récompense »45.
Plus globalement, René DUMONT fait deux critiques principales à la politique d’aide au développement, les deux critiques s’adressant tant à la France qu’aux pays africains qui en sont bénéficiaires. La première est que l’aide n’a pas été orientée vers les investissements productifs ; la deuxième est que les pays africains n’ont pas su constituer un front commun, pour traiter d’égal à égal avec les grandes puissances donatrices.
Sur la question des investissements productifs, René DUMONT pense que les plans de développement financés par l’aide devraient être élaborés par des dirigeants soucieux d’accroître au maximum la richesse de leur pays. L’aide serait dans ce cas « uniquement dirigée vers les investissements productifs : à long terme, comme l’infrastructure, l’éducation rénovée et la formation professionnelle généralisée, accélérée ; à moyen terme, comme l’équipement industriel ; et surtout à court terme, comme la modernisation agricole »46.
Sur la question d’un front commun, René DUMONT rejoint les positions de bon nombre de dirigeants et intellectuels africains de la période des indépendances, et même avant, pour qui le développement et la libération du continent noir ne peuvent passer que par une unité de ses États et de ses peuples47.
Pour l’agronome français, une politique de développement de l’Afrique dans un contexte de coopération avec les ex-puissances colonisatrices « serait plus facile à soutenir »48 à travers un groupe d’États, « réalisant une sorte de front commun africain en face des nations riches. Celui-ci serait plus fort s’il englobait l’ensemble de l’Afrique occidentale et centrale sans s’arrêter aux vieilles limites coloniales »49.
Autrement dit, l’auteur pense que les termes de la coopération en général, et l’aide publique au développement en particulier, ne peuvent bénéficier aux peuples africains que si l’on est en présence d’un équilibre des forces entre l’Occident et l’Afrique, cet équilibre étant bipolaire, car mettant face à face, d’une part les principaux pays européens donateurs de l’aide, et d’autre part, l’ensemble des pays africains bénéficiaires de cette aide.
Mais contrairement à certains Africains qui ont souvent opté pour une fédération- États-Unis d’Afrique, DUMONT opte plutôt pour une « confédération d’États, nettement autonomes pour leur politique intérieure, leur conception plus ou moins libérale ou socialisante, aurait des chances ; il y faudrait un minimum d’entente, notamment pour la politique extérieure »50.
La forme politique que propose DUMONT a ainsi un objectif fondamentalement économique, avec un accent particulier sur les infrastructures de transport. Il est question de réunir les réseaux routiers et ferroviaires en un seul ensemble et d’établir toutes les bretelles transversales. À ces infrastructures de transport s’ajoute un système bancaire africain qui faciliterait un développement autonome « qui ne serait plus conçu comme celui d’un appendice de l’Europe »51.
L’ouvrage de Saliou MBAYE sur « l’histoire des institutions coloniales de la française en Afrique de l’Ouest » a beaucoup suscité notre attention de par la qualité et de la richesse des enseignements qu’il inclut. Dans cet ouvrage, l’archiviste étudie les institutions créées en France pour gérer le domaine colonial et les relations qu’elles entretiennent avec celles qui sont instituées sur le terrain africain pour des buts identiques. Parmi ces institutions, celles qui nous intéressent ou qui concernent le plus notre objet d’étude sont les institutions financières qu’il aborde dans le chapitre X de l’ouvrage.
Ainsi comme la si bien souligné Saliou MBAYE dans ce chapitre, la France avec ses préoccupations d’une part de « mettre en valeur ses colonies afin qu’elles lui apportent les ressources dont elle pourrait avoir besoin pour son développement économique et financier, et d’autre part de relever le bien-être social des populations coloniales »52, a mis en place en Afrique de l’Ouest, un système bancaire et des organismes de crédit. Parmi ceux-ci peut-on noter la Caisse centrale de la France d’Outre-mer, dont il remonte sa genèse à l’époque des banques d’émission à savoir : la Banque du Sénégal (1853-1960), la Banque de l’Afrique Occidentale (1901-1942)53.
C’est en fait avec l’échec de cette dernière que va naître la C.C.F.O.M. En effet, en a croire à Saliou MBAYE, à un moment donné, la B.A.O. avait du mal à approvisionner l’A.O.F. et plus difficilement l’A.E.F. où elle ne détenait pas assez de réserves. Ainsi selon lui, le général de Gaulle, sensible à la situation de l’A.E.F. qui s’était ralliée assez vite aux forces françaises libres, « décide par ordonnance du 24 juillet 1942 de suspendre le privilège d’émission accordé depuis 1929 à la B.A.O., en A.E.F. et au Cameroun »54. Il le confie désormais à la Caisse centrale de la France Libre qui devint en 1944 la C.C.F.O.M.
Il met en outre en exergue l’organisation administrative de la Caisse, qui est un établissement public doté d’autonomie financière, ainsi que ses dotations de 1944 et celles de 1948 qui sont respectivement 500 millions et 3 milliards. En plus d’être un institut d’émission, la Caisse fut selon Saliou MBAYE simultanément une super-banque d’émission qui peut se substituer aux autres banques d’émissions, cependant qu’elle joue encore à leur égard le rôle de conseil supérieur de crédit et celui de contrôleur. Dans cet ouvrage est également question de la loi du 30 avril 1946 et la mise en place du F.I.D.E.S., qui voit la Caisse chargée du financement des plans d’équipement.
Le travail de Jacques ADDA et Marie-Claude SMOUTS, intitulé « La France face au Sud. Le miroir brisé » examine les relations Nord-Sud et la politique extérieure de la France en dégageant les grandes lignes de l’évolution des rapports entre le France et le tiers-monde. Dans cet ouvrage, il est notamment question de l’aide publique au développement et de son origine. En effet, le concept de l’aide est selon l’auteur « contemporain à la décolonisation »55. Ainsi jusqu’à la seconde guerre mondiale, l’aide à l’étranger était exceptionnelle et dispensée seulement pour acheter des appuis politiques. A cet effet, l’aide allait être reconnue comme un mode normal de relations entre pays souverains.
Néanmoins, à cette époque, pour la France était entièrement dominée par les préoccupations coloniales. Jusqu’à la seconde guerre mondiale, l’intervention de la France Outre-mer n’avait été organisée par aucune disposition d’ensemble. C’est seulement d’après l’auteur, en 1946 que l’assistance technique bilatérale fut érigée en système par une loi, avec la création du F.I.D.E.S.56 et l’élaboration de plans de développement et d’équipement pour l’ensemble de l’Union française. Cette initiative est toutefois précédée par des idées de plan national57 de mise en valeur des terres de l’empire qui avaient parfois été avancées dans les années vingt, et qui n’avaient jamais reçu d’application.
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39 FREUD Claude, Quelle coopération ? Un bilan de l’aide au développement, Paris, Karthala, 1988, p.15. ↑
41 FREUD Claude, op.cit., p.16. ↑
44 DUMONT René, op.cit., p.37. ↑
46 DUMONT René, op.cit., p.220. ↑
47 Cheikh Anta Diop, Nkumah, Sekou Touré, Hamani Diori… ↑
50 DUMONT René, op.cit., p.221. ↑
52 MBAYE Saliou, Histoire des institutions coloniales françaises en Afrique de l’Ouest (1816-1960), Dakar, Imprimerie Saint-Paul. p.195. ↑
55 ADDA Jacques, SMOUTS Marie-Claude, La France face au Sud. Le miroir brisé, Paris, Karthala, 1989, p.28. ↑
Questions Fréquemment Posées
Quel est le rôle de l’AFD dans le développement économique de l’Afrique?
L’AFD a pour objectif d’intervenir dans la production des pays colonisés en prenant en charge certains secteurs et en aidant les affaires privées, soit en investissant ses capitaux, soit en consentant des aides diverses.
Quelles critiques René Dumont formule-t-il à l’égard de l’aide au développement?
René Dumont critique que l’aide n’a pas été orientée vers les investissements productifs et que les pays africains n’ont pas su constituer un front commun pour traiter d’égal à égal avec les grandes puissances donatrices.
Comment l’AFD a-t-elle évolué depuis sa création?
L’AFD a connu des transformations successives et s’est adaptée aux contextes coloniaux et postcoloniaux, jouant un rôle pivot dans les relations franco-africaines.