Les perspectives futures des droits communautaires au Nord-Kivu révèlent des enjeux cruciaux liés à l’exploitation minière. En examinant les conflits qui touchent directement les communautés locales, cette recherche met en lumière les mécanismes de protection nécessaires pour garantir leurs droits face aux activités extractives.
Les conflits impliquant directement ou indirectement les communautés locales
Les conflits autour des ressources minières du Nord-Kivu peuvent indirectement concerner les communautés locales, notamment lorsqu’elles sont membres d’une coopérative minière impliquée dans un conflit. Ils peuvent aussi les concerner directement notamment lorsqu’elles (communautés locales) sont partie aux conflits.
L’illustration parfaite du conflit impliquant indirectement les communautés locales reste le différend entre la Société minière de Bisunzu (SMB), propriété de Eduard Mwangachuchu et détentrice d’un périmètre d’exploitation des 3T dans la zone de Bisunzu où il y a de nombreux carrés miniers au milieu de la concession appartenant à la Société aurifère du Kivu et du Maniema (SAKIMA) d’un côté, et la COOPERAMMA dirigée par Robert Seninga et située dans la localité de Rubaya dans le territoire de Masisi, au Nord-Kivu.
Le conflit entre les deux entités s’explique par la succession d’une série d’événements. D’une part, la COOPERAMMA, dont les membres ont été autorisés, par le protocole d’accord du 28 novembre 2013, à exploiter les mines de la SMB, à condition de ne vendre les minerais extraits qu’à celle-ci, s’est souvent plainte du comportement de cette dernière. En effet, la SMB impose un prix aux membres de la COOPERAMMA, parfois elle ne paye pas ou alors les paiements sont tardifs, causant ainsi la faillite des membres de la COOPERAMMA issus majoritairement des communautés locales de Masisi.165
De même, la SMB est accusée d’entretenir un climat de terreur en menaçant de déguerpir les creuseurs artisanaux des sites miniers dont ils sont permis d’effectuer les activités par l’accord de 2013. La COOPERAMMA dénonce en outre les saisies illégales des produits miniers et des cas d’arrestations arbitraires dont elles font l’objet de la part de la SMB.166
De son côté, la SMB a accusé la COOPERAMMA d’être impliquée dans la fraude minière en vendant illicitement les minerais extraits de ses mines à des concurrents, dont la Coopérative des artisanaux miniers du Congo (CDMC)167. À ceci s’ajoute le travail des mineurs illégaux soupçonnés d’être membres de la milice locale Nyatura, essentiellement composée des hutus168. Il y aurait aussi l’inobservation des conditions de sécurité avec de nombreux morts des creuseurs à la suite des éboulements successifs169.
Ces griefs ont conduit la SMB à résilier, le 2 mai 2018, le protocole d’accord qui la lie à la COOPERAMMA.170 Puis un nouvel accord a été conclu le 7 juin 2018 après interventions du ministre de mines car le conflit venait déjà de prendre une connotation ethnique.171 Ce nouvel accord prévoit « la relocalisation des exploitants artisanaux vers des Zones d’Exploitation Artisanale (ZEA), l’acceptation pour une durée d’une année par SMB, d’exploitants miniers artisanaux, membres de la COOPERAMMA, préalablement identifiés
»,172 qui devront lui vendre la totalité de leurs produits en tenant compte du prix au marché local.173
Le cas concret d’un conflit impliquant directement les communautés locales est celui du différend entre les communautés locales de Walikale et ABM. En effet, depuis 2002, des
165 Alex Gigori, Secteur minier de Masisi : La COOPERAMMA évoque un climat délétère, (29 août 2018)
<http://www.nresources.cd/secteur-minier-de-masisi-la-cooperamma-evoque-un-climat-deletere/> 5 septembre 2023.
166 Ibid.
167 Rédaction 7sur7.cd, CDMC, une coopérative minière fantôme sème la terreur à Masisi (8 février 2019)
<https://www.smb-sarl.com/fr/7sur7-cd-cdmc-une-cooperative-miniere-fantome-semela-terreur-a-masisi/> 5 septembre 2023.
168 Ibid.
169 Esther Nsapu, Masisi : Grogne des creuseurs suite à la fermeture d’une mine de coltan, (10 mai 2018) https://afrique.lalibre.be/18942/masisi-grogne-des-creuseurs-suite-a-la-fermeture-dune-mine-de-coltan/ 5 septembre 2023.
170 Ibid.
171 Valéry Mukosasenge, Masisi : la COOPERAMMA et la SMB fument le calumet de la paix pour la reprise de l’exploitation minière à Rubaya, (7 juin 2018) https://larepublique.net/masisi-cooperama-smb-fument-calumet-de-paix-reprise-de-lexploitation-miniere-a-rubaya/ 5 septembre 2023.
172 Patrick Maki, RDC : Kabwelulu accorde 30 jours à la SMB Sarl et aux creuseurs artisanaux de Masisi pour signer un nouveau protocole, (6 juin 2018) https://deskeco.com/rdc-kabwelulu-accorde-30-jours-a-la-smb-sarl-et-aux-creuseurs-artisanaux-de-masisi-pour-signer-un-nouveau-protocole/ 5 septembre 2023.
173 Ibid.
exploitants artisanaux réunis dans une coopérative minière, l’Association Bangandula, qui deviendra la Coopérative minière de Mpama/Bisie (COMIMPA) exploitaient le site de Bisie.174 De même, la compagnie minière, Mining Processing Congo (MPC), qui deviendra Alphamin Bisie Mining (ABM), détient plusieurs permis de recherche sur le même périmètre de Bisie depuis 2006.175 Sur lequel périmètre, elle détient un permis d’exploitation depuis 2015.176 Bénéficiant du soutien des autorités militaires congolaises, ABM a procédé au déguerpissement forcé de populations locales qui étaient sur le site minier de Bisie en violations de droits humains et même sans indemnisation de dites populations.
Selon Balingene Kahombo : « Deux défis majeurs semblent mettre en échec cette capacité au point de rendre l’Etat défaillant. Il s’agit des limites liées au contrôle territorial effectif et de l’existence d’une forte dose de déterritorialisation. »177 Pour cet auteur, l’Etat n’a pas un contrôle effectif sur tout son territoire d’abord parce qu’il est faible au point qu’il n’est pas à mesure ou ne veut pas imposer le respect des droits humains en contrôlant physiquement tout son territoire ou en poursuivant les auteurs de
violations de droits humains. Ensuite, parce que les sociétés minières et les coopératives minières sont très autoritaires dans leurs périmètres d’exploitation jusqu’à requérir l’appui des éléments des FARDC ou de la PNC sans les ordres de la hiérarchie militaire ou policière pour combattre les milices soi-disant protectrices de communautés locales.178 Certains exploitants ont même leurs propres groupes armés qui leur assurent la sécurité.
Au Nord-Kivu, le conflit est devenu une activité hautement lucrative. Les acheteurs (négociants) se procurent facilement les minerais auprès de groupes armés et ce, nonobstant tous les mécanismes de contrôle et certification de minerais mis en place. Ces derniers n’ont aucune raison de déposer les armes d’autant plus que les bénéfices dégagés par l’exploitation minière leur procurent du gain et ainsi leur permettent d’acquérir armements lourds, canons, mortiers de longue portée, AK 47, munitions, appareils de transmission et uniformes, à l’étranger.
Malgré l’embargo sur la fourniture d’armes décrété par le Conseil de sécurité de l’ONU en 2003179, récemment levé. Tout cela est facilité par les défaillances de l’Etat congolais ou alors la mauvaise volonté des animateurs des organes de l’Etat qui protègent leurs intérêts égoïstes au détriment des intérêts généraux.
Selon Tabin Lissendja Bahama « la fragilité de l’autorité étatique au Nord-Kivu serait consécutive à l’existence et à l’activisme des forces internes et externes qui lui sont supérieures et l’empêche, d’une certaine manière, de remplir ses fonctions régaliennes ».180 Il ajoute par ailleurs que l’Etat congolais n’est « pas incapable de déployer son autorité sur l’ensemble de la province mais se réserverait de le faire efficacement au risque de nuire aux intérêts économiques et politiques dont certains acteurs étatiques seraient impliqués et en tireraient énormément des profits divers ».181 Pour lui « La fragilité de l’autorité étatique se manifesterait à travers le difficile contrôle du pouvoir central sur la province du Nord-Kivu, le
174 Société civile/forces vives du Nord-Kivu, Le déguerpissement illégal des populations affectées par le projet minier de la société Alphamin Bisie Mining (ABM SA) dans le territoire de Walikale en Province du Nord-Kivu à l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC), rapport d’enquête, janvier 2018, p. 6.
175 Ibid., p. 7.
176 Ibid., p. 8.
177 Kahombo, supra note 17, pp. 215-219.
178 Ibid.
179 Jacquemot, supra note 93, p. 49.
180 Tabin Lissendja Bahama, « Conflits armés et fragilité de l’autorité étatique au Nord-Kivu en République démocratique du Congo », European Scientific Journal, vol.13, 2017, p.2.
181 Ibid.
difficile contrôle du pouvoir provincial sur les territoires, le recours systématique à la violence comme mode d’expression politique par les acteurs concernés et la porosité des frontières entre le Nord-Kivu et les pays voisins de l’Est, le Rwanda et l’Ouganda en particulier ».182
Ainsi donc, la province du Nord-Kivu est devenue l’épicentre des guerres et conflits récurrents qui ensanglantent la région,183 a causé non seulement un envahissement des ressources naturelles par les occidentaux et asiatiques par les biais de pays limitrophes dont le Rwanda et l’Ouganda, mais également à cause d’une économie de guerre consistant pour les autorités congolaises à faire exprès à ne pas instaurer l’autorité de l’Etat sur tout le territoire, envie de protéger leurs intérêts économiques dans les zones d’exploitations minières en conflits. Les ressources minières du Nord-Kivu deviennent ainsi maléfiques pour les communautés locales qui sont victimes de tous ces conflits de diverses natures et ce, en dépit de la législation minière, pourtant apparemment robuste.
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165 Définition donnée par l’article 62 de la loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) du 15 mai 2001. ↑
166 Auchan Les 4 Temps, La Défense. ↑
167 Rédaction 7sur7.cd, CDMC, une coopérative minière fantôme sème la terreur à Masisi (8 février 2019). ↑
169 Esther Nsapu, Masisi : Grogne des creuseurs suite à la fermeture d’une mine de coltan, (10 mai 2018). ↑
171 Valéry Mukosasenge, Masisi : la COOPERAMMA et la SMB fument le calumet de la paix pour la reprise de l’exploitation minière à Rubaya, (7 juin 2018). ↑
172 Patrick Maki, RDC : Kabwelulu accorde 30 jours à la SMB Sarl et aux creuseurs artisanaux de Masisi pour signer un nouveau protocole, (6 juin 2018). ↑
174 Société civile/forces vives du Nord-Kivu, Le déguerpissement illégal des populations affectées par le projet minier de la société Alphamin Bisie Mining (ABM SA) dans le territoire de Walikale en Province du Nord-Kivu à l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC), rapport d’enquête, janvier 2018, p. 6. ↑
177 Kahombo, supra note 17, pp. 215-219. ↑
179 Jacquemot, supra note 93, p. 49. ↑
180 Tabin Lissendja Bahama, « Conflits armés et fragilité de l’autorité étatique au Nord-Kivu en République démocratique du Congo », European Scientific Journal, vol.13, 2017, p.2. ↑
Questions Fréquemment Posées
Quels sont les principaux conflits miniers au Nord-Kivu?
Les conflits autour des ressources minières du Nord-Kivu peuvent concerner directement ou indirectement les communautés locales, notamment à travers des différends entre des coopératives minières et des sociétés minières comme la Société minière de Bisunzu (SMB) et la COOPERAMMA.
Comment la SMB affecte-t-elle les communautés locales de Masisi?
La SMB impose un prix aux membres de la COOPERAMMA, parfois elle ne paye pas ou les paiements sont tardifs, causant ainsi la faillite des membres de la COOPERAMMA issus majoritairement des communautés locales de Masisi.
Quelles mesures ont été prises pour résoudre les conflits miniers au Nord-Kivu?
Un nouvel accord a été conclu le 7 juin 2018 après interventions du ministre de mines, prévoyant la relocalisation des exploitants artisanaux vers des Zones d’Exploitation Artisanale (ZEA) et l’acceptation par SMB d’exploitants miniers artisanaux, membres de la COOPERAMMA.