La réforme des mécanismes fonciers en Haïti révèle une inefficacité alarmante, exacerbée par la faiblesse des institutions étatiques. Cette étude met en lumière des solutions normatives cruciales pour renforcer la gestion des terres et protéger les droits de propriété, un enjeu vital pour l’avenir du pays.
Recommandations et propositions pour le renforcement des mécanismes fonciers
Les résultats de cette recherche nous ont permis de confirmer que la faiblesse des trois pouvoirs de l’État haïtien est à l’ origine de l’inefficacité enregistrée dans l’exercice des droits en Haïti, et spécialement de 2010 à 2020. Toutefois, notre analyse des résultats a particulièrement pointé du doigt la fragilité de l’appareil judiciaire dans sa fonction de contrôle de la conformité des ordres et des sujets de Droit.
Aussi nos recommandations et propositions pour le renforcement des mécanismes qui tendent vers l’effectivité des droits et la structuration des institutions foncières s’orienteront vers des pistes intégrées. Et dans un contexte comme celui-ci marqué par la défaillance de l’État, la loi ou encore les normes doivent à nouveau occuper une place de choix dans la vie des citoyens de la République, pour cela l’État doit tout faire pour se renforcer, garantir les droits à tous, et du même coup combattre l’arbitraire, l’impunité et la corruption.
L’effectivité des normes juridiques
L’instauration d’un système juridique sans faille est une condition cruciale dans la mise en place d’un système de garantie des droits de propriété foncière dans lequel les normes occupent une place de choix dans la vie des citoyens. En ce sens, l’effectivité d’une norme repose, dès lors, soit sur la conformité des comportements suivis par ses destinataires ou par les autorités chargées de sa mise en œuvre, soit sur la sanction prononcée contre ceux qui ne respectent pas la règle247.
Ainsi, le respect, la sanction et l’accès à la justice concourt à l’effectivité d’une norme juridique dans toute société qui prône le respect des principes de l’État de droit.
L’effectivité des normes juridiques haïtienne est une nécessité dans toute politique de régulation foncière durable et ne peut se faire sans la cohérence de l’ordre juridique et la sanction de la norme. En général, cela implique la mise en place des mécanismes efficaces permettant de faire respecter scrupuleusement les droits économiques, politiques, sociaux et culturels des citoyens ; aussi de mettre en place un système de régulation permettant de faire respecter les droits des citoyens (assurer le droit à un procès équitable et à des recours effectif).
En ce sens, pour mieux gérer les terres, il faut considérer les failles existantes dans les institutions de régulation foncière et les failles retrouvées dans les normes existantes, tout en considérant les retombées positives que peuvent générer l’adaptation des lois foncières dans toute politique de gestion efficace.
Dans le cadre de ce travail, en vue de mieux cerner l’étendue de la question foncière en général et de la gestion des terres en particulier, nous exposerons les constats les plus marquants, pour arriver à comprendre les grands enjeux en matière de gestion des terres en Haïti. Ainsi, nous ferons des propositions sur l’effectivité de la gestion domaniale et sur l’efficacité des lois foncières tout en mettant un accent particulier sur les modes de gestion, les droits qui en découlent et ferons aussi des propositions pour la modernisation effectif du régime foncier haïtien.
L’effectivité de la gestion domaniale et foncière
La Constitution de 1987 distingue deux formes de propriété : la propriété privée et la propriété publique, cette dernière se différencient entre domaine public et domaine privé de l’État. En principe, le droit de propriété ne peut concerner aucune composante du domaine public. La terre représente traditionnellement le principal moyen de production agricole en Haïti. Or, Georges Anglade affirme que : « Les deux plus importants
247 Https://www.cairn.infos/revue-droit-et-societe1-2011-3-page-715.htm, page consultée le 15 /06/22 à 3hr30PM.
propriétaires terriens du pays sont l’État et l’Église Catholiques»248. Et l’État haïtien étant assez faible s’est retrouvé à la tête d’un stock foncier qui représente les 2/3 des terres cultivées et que, faute de l’avoir bien gérer, 249l’usucapion est devenu le principal moyen d’acquisition de la propriété. Et l’Institutut Haïtien de Statistique et d’Informatique (L’IHSI), dans une étude menée pour montrer la non possession des terres par les paysans avance : « En général, environ la moitié des propriétés (47%) a été reçue en héritage, approximativement divisée de manière égale entre des héritiers séparément ou ensemble. En second lieu, vient la possession des parcelles (25%), suivi des modalités les moins fréquentés, soit le Métayage (10%) et le fermage (6%)». Alors que selon l’article 674 du Code Civil haïtien « Nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision »250. Ceci laisse comprendre que le partage d’un bien successoral est l’un des droits les plus entiers que détient tout héritier, alors que ce partage entraine l’augmentation des cas de morcellement et de mutation foncière. Ainsi, cette prérogative encourage le partage, entraine la formation de lots et le morcellement des terres. Aujourd’hui, les statuts juridiques des terres sont de trois types en Haïti : le domaine privé de l’État, mal connu, qui est évalué à 10% de la surface du pays ; le domaine public (routes, bords de mer et de rivières, etc.), la propriété privée validée par des titres fonciers251.
Vu l’étendue de ces contraintes, une sécurisation effective des parcelles achetées en bonne et due forme peut être considérée comme la démarche la plus souhaitable. Et cela pourra permettre de régulariser les démarches d’acquisitions légales et réduire les complexes (en matière d’achats de biens fonciers) et les disparités en termes du coût de l’établissement d’un nouveau titre (transcription) et à surpasser les honoraires exorbitants, les pots-de–vins et la surtaxe dans le foncier252.
Entre autres, le Code Civil et le Code Rural encadrent les modalités et les procédures d’accès, les modalités de création et de répartition, les règles pour la division de la propriété et sa transmission en héritage. Le Code Rural de 1962 n’ayant pas été mis à jour (entre autres, pour refléter le cadre légal créé par la Constitution de 1987), cela représente un obstacle majeur pour l’effectivité des droits foncier. Et résoudre ce problème en révisant l’ensemble des textes de ce code pour qu’il puisse refléter le cadre constitutionnel et s’harmoniser aux avancées actuelles des sciences juridiques serait bénéfique pour l’effectivité des droits et l’efficacité des droits fonciers253.
Et résoudre ce problème en révisant l’ensemble des textes de ce code pour qu’il puisse refléter le cadre légal et s’harmoniser aux avancées actuelles des sciences juridiques serait bénéfique pour l’effectivité des droits et l’efficacité de la gestion des terres en Haïti. Il faut procéder à l’identification des composantes du patrimoine foncier dont dispose l’État haïtien ainsi que déployer des moyens appropriés pour assurer sa gestion.
Aussi, il faut réorganiser les méthodes et les procédures appliquées pour la gestion du domaine public, comme celles qui sont relatives à la gestion du patrimoine immobilier, aux cessions immobilières et mobilières, aux procédures de réalisation d’expertise foncière et au contrôle des opérations immobilières, etc. Outres, on ne peut rendre effectif le Droit domanial sans le renforcement des institutions étatiques, et particulièrement sans rendre à l’appareil judiciaire sa fonction essentielle, de garant du bien-être institutionnel et social.
Ainsi, le renforcement des institutions de gestion permettra de surpasser les obstacles et contraintes et permettra de régulariser la gestion domaniale en Haïti, garantir la jouissance des droits de propriétés et réduire considérablement les disparités foncières.
Le Droit domanial public et privé de l’État
D’après le Droit domanial haïtien : « le domaine public se compose : des chemins, routes, rues, marches et places publiques, des fleuves, rivières, lacs et étangs, des rivages, etc., des monuments et souvenir historiques e de toutes les portions du territoire qui ne sont susceptibles d’appropriations privées ni de prescription »254. En Haïti, même s’il est présent, et que le domaine public devrait être régularisé par des normes claires, dans la réalité, il semble largement absent du contexte juridique. D’une part, dans les textes, il existe peu de dispositions spécifiques favorisant la gestion efficace de ce domaine. Faute de mieux, il faut donc rechercher les dispositions y relatives dans de multiples textes touchant à différents sujets. Ainsi, l’adaptation des textes confirmant l’existence du domaine public, permettra de rendre effective les dispositions du Code civil, notamment en son article 443, la loi du 26 juillet 1927, sur la gestion des biens du domaine privé de l’État, en particulier son article 2 qui fixe même le régime du domaine public et la consistance de celui-ci.255 « Ce domaine public étant inaliénable et imprescriptible, consiste dans toutes les choses qui sans appartenir à personne, sont par une jouissance en commun affectées au service de la société en général ». Ainsi, les changements de destinations susceptibles de transformer des parties du domaine seront autorisés que par la loi.
Et aussi le domaine privé de l’État étant imprescriptibles, l’intégration des biens dans ce domaine se fait soit par acquisition, par concession, par déclaration d’utilité publique ou par 256expropriation. En prenant l’exemple dans un texte ayant pourtant pour objet le domaine privé ; le décret du 22 septembre 1964 sur le fermage et le loyer des biens de l’État dont les articles 1 et 2 reprennent à l’identique les articles 1 et 2 de la loi de 1927, nous pourront recommander à la lumière des faits, que l’État doit reprendre le contrôle de ces biens, et réviser les clauses élucidés dans les contrats d’affermages et de baux. À regarder l’article 574 du Code civil qui dispose : « les biens qui n’ont pas de maître, appartiennent à l’Etat », (biens vacants et ainsi que ceux des personnes qui décèdent sans héritiers, ou dont les successions sont abandonnées), et l’article 1er du Décret du 25 février 1944 déclarant que : « tous les biens meubles, immeubles généralement quelconques appartenant à des ennemis, alliés ou agents d’ennemis, mis sous séquestres, sont décrétés « biens de l’Etat Haïtiens »257. Et que : « l’Etat haïtien pourra mettre en œuvre toutes les dispositions légales relatives à la preuve de la propriété pour en prendre procession ou les revendiquer »258. Nous devons aussi recommander à ce que le contrôle de la gestion des biens fonciers du domaine privé de l’État puisse relever institutionnellement et légalement d’un autre organisme public spécial259. Tout en mettant en place des mécanismes adéquats permettant que les biens du domaine public de l’État puisse être gérer efficacement par la Direction Générale de l’Impôt260. Et l’État doit rendre effective la décentralisation du pays et mettre en place des mécanismes efficaces permettant d’éviter les duplications de tâches et les chevauchements en terme de responsabilité institutionnelle.
Des propositions concernant la gestion efficace des biens de l’État tendent à une utilisation rationnelle du patrimoine foncier étatique à des fins d’inclusion sociale, de sauvegarde historique et de développement économique. Et ces propositions s’orienter vers une décentralisation efficace permettant aux conseils communaux à jouir amplement de leurs droits de gestion et une harmonisation du système judiciaire.
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247 Https://www.cairn.infos/revue-droit-et-societe1-2011-3-page-715.htm, page consultée le 15 /06/22 à 3hr30PM. ↑
248 SOUKAR Michel, Haïti: Histoire, Politique, Société, Tabarre, Haïti, Imprimerie Fleur-yo, 2009, p103. ↑
249 Usucapion : manière d’acquérir une chose ou un droit réel principal par possession ininterrompue. ↑
250 IHSI, Enquête sur les conditions de vie en Haïti, ECVH 2001, Vol. II, p140. ↑
251 Https://copenhagenconsensus.com/sites/default/files/haiti_priorise_land_records_french.pdf, page consultée le 13/03/22 à 10hr25AM. ↑
252 PIERRE Bernard, La numérisation des registres de propriétés foncières en Haïti, Copenhagen Consensus Center, Haïti priorise, Avril 2017, p4. ↑
253 Geert van Vliet, Sandrine, Thierry, Jacques et Gaël, La problématique foncière en Haïti : Comment le Recensement Général Agricole de 2010 questionne les politiques publiques, CIRAD, UMR ARTDEV, Version révisée, Janvier 2017, p10. ↑
254 Code Rural 1962, 0p.cit, p73-76. ↑
255 Article 2 et 3 de la Loi du 26 juillet 1927, règlementant le service domanial haïtien. ↑
256 Après le paiement d’une indemnité à l’expropriant. ↑
257 Décret du 25 février 1944, art 1. ↑
259 institutionnellement et légalement d’un autre organisme public spécial. ↑
260 Direction Générale de l’Impôt. ↑
Questions Fréquemment Posées
Quelles sont les principales causes de l’inefficacité de la gestion des terres en Haïti?
Les principales causes de l’inefficacité de la gestion des terres en Haïti incluent la faiblesse des trois pouvoirs de l’État haïtien et la décadence du système de régulation foncière.
Comment renforcer les mécanismes fonciers en Haïti?
Pour renforcer les mécanismes fonciers en Haïti, il est recommandé d’instaurer un système juridique sans faille et de garantir les droits de propriété foncière, tout en combattant l’arbitraire, l’impunité et la corruption.
Quelle est l’importance de l’effectivité des normes juridiques en matière de gestion foncière?
L’effectivité des normes juridiques est cruciale pour garantir les droits économiques, politiques, sociaux et culturels des citoyens et pour établir un système de régulation qui respecte les droits des citoyens.