Les meilleures pratiques en imprescriptibilité révèlent des contradictions surprenantes dans le droit international des droits de l’homme. Alors que la prescription est souvent justifiée par des raisons techniques, cette étude met en lumière des mécanismes de protection essentiels pour les victimes, redéfinissant ainsi notre compréhension des amnisties et des prescriptions pénales.
C- La montée de l’imprescriptibilité comme principe
Les raisons techniques et pratiques justifiants la prescription en droit internes ont fait face à plusieurs obstacles lors de l’élaboration du Statut de Rome. Les opposants à l’imprescriptibilité soutenaient que « evidence disappears over time and that this could affect the right of the accused to a fair trial73 ».
Il s’est avéré que cet argument relève purement du droit interne, mais que la Cour européenne a reconnue notamment lors de l’affaire Stubbings et autres c/ RU, la Cour a énoncé, dans un obiter dictum repris par sa jurisprudence ultérieure, que
« les délais de prescription dans les affaires d’atteinte à l’intégrité de la personne sont un trait commun aux systèmes juridiques des Etats contractants. Ces délais ont plusieurs finalités importantes, à savoir garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actions, mettre les défendeurs potentiels à l’abri de plaintes tardives peut-être difficiles à contrer, et empêcher l’injustice qui pourrait se produire si les tribunaux étaient appelés à se prononcer sur des événements survenus loin dans le passé à partir d’éléments de preuve auxquels on ne pourrait plus ajouter foi et qui seraient incomplets en raison du temps écoulé »74.
Dans les années 64-65, dans la peur que les crimes perpétrés par les Nazis soient prescrits au regard des règles de 20 ans de prescriptions présent dans différentes législations, les acteurs de la scène internationale commencent à réfléchir sur un concept permettant de contrer la prescription des crimes.
C’est ainsi qu’on aboutit par précipitation, à des mesures visant à allonger les délais de prescription ou poser le principe de l’imprescriptibilité pour de tels crimes75. Apres la naissance de l’idée de l’imprescriptibilité, sa mise en place à été plutôt difficile pour son adaptation à tous les crimes internationaux.
Cette naissance historique particulière, qui explique en partie l’échec des deux conventions élaborées au sein respectivement des Nations Unies et du Conseil de l’Europe, la seconde en réaction à la première, n’est pas sans rejaillir aujourd’hui encore sur l’état du droit positif.
La Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité du 26
novembre 1968, adoptée par 58 voix contre 7 et 36 abstentions, et en vigueur depuis le 11 novembre 1970, fut considérée à l’époque comme un « fiasco »76.
Toutefois, depuis la création de la CPI, la convention de 1968 sur l’imprescriptibilité des crimes qui, était jusque-là rejeté par certains Etats, a eu une autre tournure puisque désormais consolidé par une juridiction internationale.
En effet, l’article 29 du Statut de Rome reconnait que « Les crimes relevant de la compétence de la Cour ne se prescrivent pas ». Cette reconnaissance fait passer l’imprescriptibilité au rang des principes fondamentaux du DIP.
L’imprescriptibilité pour certains crimes internationaux est désormais acquise sur la scène internationale. L’adoption de la rédaction actuelle de l’article 29, la plus favorable à l’imprescriptibilité parmi les différentes options maintenues jusqu’à la conférence finale de juin-juillet 1998, relève presque du miracle.
Enfin, dans son application, l’imprescriptibilité à fait face à la question de la rétroactivité pour les crimes commis avant l’entrée en vigueur des différentes conventions.
L’article 1er de la Convention des Nations Unies avait prévu son application aux crimes commis avant son entrée en vigueur, ce qui a été fortement critiqué77.
Selon T. Todorov, « (…) en étendant la loi de ‘maintenant’ à ‘autrefois’ comme dans les crimes imprescriptibles, (…) on contribue à amalgamer droit et morale, le juste et le bien. Or, la distinction entre les deux est à la base même des démocraties libérales modernes.
A la différence des théocraties comme des Etats totalitaires, la démocratie ne prétend pas être un Etat vertueux, elle ne définit pas le souverain tout en obligeant tous les citoyens d’y aspirer »78.
La rétroactivité représente donc un problème, au regard du PIDCP (art 15), de la CEDH (art 7)… Ainsi, selon l’un des « Principes de Bruxelles contre l’impunité et pour la justice internationale », issus du Colloque tenu à Bruxelles du 11 au 13 mars 2002272, « le caractère criminel des faits en cause doit être apprécié au regard du droit interne ou du droit international.
Il n’est dès lors pas contraire aux principes de légalité et de non-rétroactivité des lois pénales de poursuivre les auteurs de faits réputés criminels au regard du seul droit international au moment où ils sont commis (…) »79.
Dans l’affaire Coëme et autres c/Belgique, la Cour a ajouté que « les délais de
prescription, qui sont un trait commun aux systèmes juridiques des Etats contractants, ont plusieurs finalités, parmi lesquelles garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actions et empêcher une atteinte aux droits de la défense qui pourraient être compromis si les tribunaux étaient appelés à se prononcer sur le fondement d’éléments de preuve qui seraient incomplets en raison du temps écoulé ».
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73 Guide on Article 6 of the European Convention on Human Rights, aout 2020. ↑
74 Stubbings et autres c/ RU, 22 octobre 1996, Rec. 1996-IV, § 51. ↑
75 P. de MERTENS, ouvrage 1974, p.71 : « (…) le débat relatif à la prescription s’est noué, à l’origine, en Yougoslavie comme dans les autres pays autour des seuls crimes nazis (…) ». ↑
76 P. MERTENS, Op. cit., p. 165. R. H. MILLER, « The convention on the non-applicability of statutory limitations to war Crimes and crimes against humanity », AJIL, vol.65, 1971, pp. 476 et s. ↑
Questions Fréquemment Posées
Qu’est-ce que l’imprescriptibilité des crimes en droit international?
L’imprescriptibilité pour certains crimes internationaux est désormais acquise sur la scène internationale, comme le reconnaît l’article 29 du Statut de Rome qui stipule que ‘Les crimes relevant de la compétence de la Cour ne se prescrivent pas’.
Pourquoi l’imprescriptibilité des crimes a-t-elle été adoptée?
L’adoption de l’imprescriptibilité a été motivée par la peur que les crimes perpétrés par les Nazis soient prescrits, ce qui a conduit à des mesures visant à allonger les délais de prescription ou à poser le principe de l’imprescriptibilité pour de tels crimes.
Quels sont les impacts juridiques de l’imprescriptibilité sur les victimes?
L’analyse démontre comment le droit international des droits de l’homme reconnaît les amnisties sous certaines conditions tout en rejetant les prescriptions pénales pour promouvoir l’imprescriptibilité des crimes, ce qui a des impacts juridiques sur les victimes et les auteurs présumés de violations des droits humains.