Les initiatives paysannes au Maroc révèlent des stratégies innovantes face à la dégradation des ressources naturelles. Comment ces communautés rurales de Tiddas transforment-elles leurs pratiques agro-sylvo-pastorales pour s’adapter aux défis climatiques ? Découvrez des solutions prometteuses pour un développement durable.
5.2.3 Les initiatives individuelles
Introduction
Ce chapitre nous permettra de décrire, la dégradation des ressources qui constituent le territoire de Tiddas qui atteignent des stades très avancés du fait de leurs surexploitation par les paysans et leurs troupeaux, ainsi que les initiatives paysannes pour remédier à la situation.
L’utilisation des terres de la commune est intégrée dans un système agro-sylvo-pastoral qui s’appuie sur les terres de cultures, les parcours collectifs et la forêt. Cette gestion de l’espace est soumise à de nombreuses contraintes. En effet le climat de la région appartient à l’étage bioclimatique semi-aride caractérisé par des fluctuations interannuelles où la sécheresse peut intervenir à n’importe quel moment du cycle de croissance des cultures.
En général, deux types de sécheresses sont observées : la première a lieu au début du cycle du démarrage de la culture et qui, réduit le nombre de plantes et le tallage et donc la quantité de biomasse totale. La deuxième sécheresse, la plus fréquente, a lieu à la fin du cycle ce qui affecte le remplissage des grains par l’effet du déficit hydrique.
Notons que cette fin de cycle est souvent marquée par hautes températures qui caractérisent cette période. Un troisième type de sécheresse est parfois observé, il concerne le milieu du cycle. De même, la plupart des sols rencontrés dans la région, sont pauvres en matière organique, peu profonds et érodables, leurs capacités de conservation de l’eau sont très limitées et sont par conséquent peu favorables aux cultures en bour (Farhaoui I ; 2008).
Par ailleurs, la dégradation concerne la disparition de l’étage arborée de la végétation et sa matorralisation, et la réduction de la biodiversité. Cette surexploitation des ressources est due principalement au surpâturage et l’exploitation du bois qui dépasse les potentialités de l’écosystème forestier, entraîne annuellement la réduction du couvert forestier et la raréfaction des ressources pastorales. Les sols, sont souvent mis à nu, et surtout ceux en pente font exposés aux phénomènes d’érosion.
De même, les sols des zones arides, semi-arides par suite de divers facteurs, parmi lesquels les variations climatiques, les techniques culturales moins appropriées, et les activités humaines sont appauvris en matière organique par divers types d’érosion.
Cette dégradation a pour conséquences notamment la diminution de la productivité agricole, la migration, l’insécurité alimentaire, les dégâts apportés aux ressources et aux écosystèmes de base et la perte de la biodiversité du fait des changements subis par l’habitat (Farhaoui I ; op.cit).
Pour exploiter les terres de culture d’une façon commode, les paysans ont mis en place des pratiques différentes de gestion du système agraire, en relation avec la taille de l’exploitation, la répartition spatiale des parcelles, la disponibilité de la main d’œuvre familiale. Ce système qui constitue des prémices de lutte contre la dégradation et de restauration de la fertilité des sols fait appel à la mise en œuvre des techniques de Conservation des Eaux et des Sols (CES). Parmi les techniques utilisées : la rotation des cultures, le parcours tournant sur les parcelles sans trop les dégrader, l’installation des clôtures biologiques (cactus) sur les parcelles en pente, etc. (Farhaoui I, op.cit.; Aderghal & al, 2011).
En outre, en sus de ces nombreuses options d’adaptation utilisées pour améliorer la production (apport de fumure, gestion de l’eau, sélection de certaines variétés), le paysan fait appel aussi aux techniques de gestion en vue de diversifier ses revenus.
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⇒ Facteurs de dégradation des terres
La dégradation des terres dans la région de Tiddas, peut être expliquée par l’intervention d’un certain nombre de facteurs naturels et humains ayant modifié les conditions de l’environnement. Les dégâts observés touchent, en premier lieu, les agriculteurs de la région auxquels ces phénomènes posent de réels problèmes.
Parmi les facteurs mis en cause, on cite les facteurs naturels et humains. Parmi les facteurs naturels de la dégradation des terres, le climat méditerranéen caractérisé par un été chaud et sec et un hiver doux et pluvieux constitue un facteur explicatif de la dégradation des terres. Ainsi, le caractère brusque et violent de ses pluies automnales leur procure un pouvoir érosif élevé ; les sécheresses naturelles fréquentes exercent sur la végétation une pression négative très importante et réduisent son rôle de protection contre l’érosion.
De même, on signale que la région de Tiddas est constituée d’une topographie disséquée, un substrat géologique formé de couches friables à dominance marneuse vulnérables à l’érosion hydrique ou éolienne. Les sols sont battants pauvres en matière organique qui offrent également un cadre adéquat pour l’érosion hydrique et éolienne. La pente des versants est aussi un élément déterminant dans le problème de dégradation des terres surtout ceux dont la pente de plus de 15% sont plus érodables.
Les facteurs anthropiques qui se manifestent principalement par les techniques de labour, sont mis en cause dans la dégradation. Ainsi, le labour parallèle aux lignes des pentes de versants favorise, par l’ameublissement du sol, sa vulnérabilité au ruissellement. Par ailleurs, l’usage du tracteur des terrains en pente cause en plus du tassement, la formation d’une semelle de labour favorable également à l’érosion.
Les manifestations de la dégradation des terres dans la région de Tiddas prennent des aspects différentiels en fonction des caractéristiques physiques de la région elle-même ou de l’utilisation des terres par la population. Elles se manifestent dans les formes d’érosion qui représentent actuellement un phénomène majeur dans la région. Ces formes d’érosion sont multiples et variées et participent plus ou moins activement à l’appauvrissement des sols avec des pertes en productivité.
Parmi ces formes, on cite les griffes et les rigoles qui se développent, essentiellement, sur les terrains de culture fragilisés par le labour mais peuvent également, s’installer sur des terres non travaillées mais sans couverture végétale. Les ravines ont une forme plus accentuée que les rigoles et atteignent des dimensions considérables qui ne sont plus effacées par le labour.
⇒ Les effets de la dégradation
La technique des labours et la gestion inappropriée des terres cultivées et la pauvreté due aux faibles revenus des exploitants, ont pour conséquence une dégradation qui se révèle à travers les dégâts apportés aux ressources et aux écosystèmes de base et la perte de la biodiversité du fait des changements subis par l’habitat aussi bien au niveau des espèces qu’au niveau génétique. Cette situation se traduit par la diminution de la productivité agricole, l’insécurité alimentaire, la migration, etc.
Les terres Bour en pente ont connu une forte dégradation sous l’effet des facteurs liés au surpâturage ; à la compaction du sol par le piétinement du bétail nombreux, ce qui a pour conséquence la réduction de la productivité des sols et leur exposition à l’érosion hydrique. Signalons que cette baisse de la
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productivité agricole n’est pas due uniquement à la perte en sol, mais également à la perte de nutriments par détérioration de la fertilité.
La dégradation des terres sous l’effet de l’agressivité des pluies conjuguées à une absence de protection végétale, l’alternance de périodes sèches et humides, la fragilité des formations géologiques et l’action anthropique, provoquent des crues soudaines et violentes, ce qui contribue à augmenter encore le volume et la charge solide de l’écoulement et entraîner l’envasement des retenues des barrages.
Face aux problèmes de dégradation des terres, les paysans de la région développent des techniques de restauration et conservation des terres agricoles pratiques dont les plus utilisées sont : le labour isohypse, la rotation culturale et la plantation fruitière (Aderghal, & al. 2011 ; Farhani, 2008 ; Roose, E, 1994).
∙ Les stratégies de conservation des eaux et des sols et les techniques appliquées Les techniques de CES menées localement sont développées pour répondre à des besoins précis (remédier à la dégradation des terres, préserver les terres contre la dégradation, gestion de la fertilité des terres, production des produits alimentaires pour l’homme et les animaux) et permettre le dépassement des conditions écologiques contraignantes caractérisées en particulier par la rareté des ressources naturelles, notamment les eaux et les sols.
Ces techniques, appliquées dans le cadre des exploitations agricoles privées, relèvent d’une initiative individuelle et s’inscrivent en même temps dans des modes d’organisation institutionnelle, soit hérités des pratiques séculaires, soit actuelles et relèvent de l’action de l’état ou du déploiement du capital privé.
Deux types de techniques de CES sont en vigueur à Tiddas parmi lesquelles, on cite (i) les techniques traditionnelles développées dans la région à partir des pratiques et des connaissances empiriques des paysans, et (ii) les techniques modernes introduites par l’Etat dans le cadre de la mise en valeur des terres en bour au Maroc (Farhaoui, op.cit.).
Nous distinguons entre 3 types de techniques de CES : les techniques agronomiques, les techniques végétales et biologiques, les techniques physiques.
La conservation des eaux et des sols dans Tiddas s’est manifestée dans un premier temps par des pratiques agronomiques autochtones visant à améliorer l’importance des quantités d’eau stockées dans le sol.
Parmi les techniques empiriques utilisées, on cite la rotation et l’assolement des cultures, le labour isohypse, l’apport de fumier dans le sol et le billonnage isohypse…etc.
Sur le plan de l’efficacité environnementale, les techniques agronomiques et végétales sont les techniques les plus efficaces en matière de restauration des terres dégradées et la conservation des terres contre la dégradation, car leurs interventions se font au niveau de la gestion de la fertilité des terres.
a. Le labour isohypse
Le labour isohypse est utilisé, sur les versants à différentes pentes, qui permet l’ameublement du sol en profondeur sur 0-30 cm, l’enfouissement des résidus de récolte, et facilite la préparation du lit de semence. Son but est de réduire la densité apparente du sol et de briser les couches compactées pour préparer le semis des cultures annuelles. Lors du labour, le sol est retourné, ce qui entraîne son aération et l’enfouissement des résidus de culture et des mauvaises herbes de surface et donc favorise la minéralisation et la disponibilité des éléments nutritifs pour les plantes.
Par ailleurs, l’ameublissement du sol en profondeur améliore l’infiltration de l’eau et permet un bon développement racinaire assurant
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ainsi une bonne croissance des plantes. Il est certain que le labour dans le sens des courbes de niveau est avantageux en termes de conservation des eaux, et des sols et des nutriments.
Mais étant donné que les terres soumises à ce type de labour sont souvent en pente et composées de sols fragiles, le phénomène de dégradation continue à être présent de manière moins marquée que sur des terres labourées dans le sens de la pente. Cette pratique a tendance à disparaître pour laisser la place à l’utilisation du tracteur suite à l’acquisition des terres par des non-paysans mais qui n’est pas sans inconvénients pour la conservation des sols.
b. Apport de fumier dans le sol
L’apport de fumier dans le sol est l’une des techniques agronomiques de CES utilisées par les paysans de la zone. Cette technique consiste en l’enrichissement du sol par des quantités importantes de fumier organique produit dans l’exploitation agricole. En effet, l’incorporation du fumier dans le sol par enfouissement par labour permet de garantir sa fertilité, assurer la cohésion de ses éléments et empêcher in fine son érodabilité par ruissellement après les pluies. L’avantage de l’emploi du fumier naturel est d’enrichir le sol par la matière organique qui maintient la cohésion des mottes et augmente le rendement.
c. Rotation culturale et assolement
Pour améliorer la productivité des terres bour en pente, les paysans pratiquent des rotations culturales qui font succéder une sole de légumineuse aux céréales réduisant ainsi la période de jachère. Mais au-delà de l’intérêt économique, cette pratique a des effets au niveau de la conservation des sols, la couverture continue du sol permet la réduction des effets de pluies sur les sols nus.
Sur une même parcelle, deux cultures permettent une couverture continue des sols, et par là, ils le protègent contre les risques d’érosion.
De ce fait, la pratique de la technologie de rotation culturale contribue à la conservation de l’eau et à l’amélioration de la structure du sol et de sa stabilité structurale, en plus de l’accroissement de l’activité biologique. Elle a également des effets positifs sur l’augmentation des rendements qui atteignent en moyenne 25 qx /ha dans le blé tendre de rotation blé/légumineuse, et 20qx/ha dans la monoculture d’orge et 19 qx/ha dans le blé tendre de rotation blé/maïs.
On ne peut donc qu’affirmer que cette technologie améliore la sécurité alimentaire et assure l’autosuffisance des paysans. Cependant, la pratique de la rotation, malgré ses effets bénéfiques, n’est pratiquée que par les exploitations qui dépassent 5 ha (5 à 15 ha) et qui intègrent l’élevage et l’agriculture comme activités principales (Farhani, op.cit.).
∙ Les techniques végétales ou biologiques de conservation des eaux et des sols Des techniques végétales de conservation des eaux et des sols sont utilisées par les paysans à un niveau individuel et collectif. Il s’agit de la confection des haies autour des parcelles, des plantations fruitières et la végétalisation des ravines par des arbres d’eucalyptus ou des cactus.
i. Les haies
Les haies sont une combinaison d’arbres ou d’arbustes généralement plantés et entretenus pour constituer une fermeture. Elles sont usuellement disposées en limites des parcelles pour assurer la séparation des propriétés ou la protection contre l’intrusion des animaux et des personnes. Selon leurs compositions, les haies vives, composées d’espèces locales (cactus, laurier, thuya) ou introduites (pins, eucalyptus, oliviers) et sont entretenues et taillées soit touffues.
Les agriculteurs appréciaient autrefois ces haies pour leurs capacités à délimiter les parcelles, et comme brise-vent pour protéger les cultures et de l’érosion également. De plus, elles ralentissent fortement l’érosion hydrique des sols et favorisent par l’infiltration de l’eau le long de leurs racines, l’alimentation des nappes phréatiques et à limiter à la fois les risques et les effets des phénomènes de sécheresses ou des inondations.
ii. La correction biologique des ravines
Le paysan a depuis toujours eu le souci du danger que présente le ravinement pour sa parcelle qui est souvent exiguë, et a lutté contre ce phénomène par des opérations de comblements ou de plantation d’arbres tels le figuier, le cactus, l’eucalyptus, etc. Par cette technique, il réalise d’abord la correction du ravin et donc la régularisation des écoulements, ensuite la réduction du risque de dégradation des terres et l’amenuisement des superficies cultivées.
iii. Les techniques physiques de conservation des eaux et des sols Les techniques physiques de CES rencontrées dans la zone sont : les terrasses d’arboricultures, les murettes en pierres sèches et les gabions sont des techniques modernes introduites à une date récente par les paysans mêmes ou à la suite de l’intervention des services techniques du ministère de l’agriculture dans le cadre des programmes de mise en valeur bour (PMVB).
Conclusion
L’environnement physique de la région de Tiddas regorge des signes de dégradation du milieu. La topographie est disséquée ; le substrat géologique de la zone constituée de couches friables à dominance marneuse, et le climat semi-aride caractérisé par des orages violents et des sècheresses récurrentes. Les sols sont battants et pauvres en matière organique et offrent un cadre adéquat pour l’érosion hydrique et éolienne.
En plus, la dégradation de ce milieu s’aggrave sous des conditions socio-économiques caractérisées en particulier par, la gestion inappropriée des terres agricoles, le surpâturage, la pauvreté et des faibles revenus des exploitants.
Pour soutenir la fertilité de ces sols et remédier à la dégradation de leurs terres, les paysans de la zone apportent au fil du temps la confection des stratégies de conservation des eaux et des sols. Ces stratégies appliquées dans la région concernent des techniques agronomiques (rotation culturale, labour isohypse, apport de fumier dans le sol), végétale ou biologique (les haies, correction biologique des ravins, plantation fruitière) et physique (murettes en pierres sèches, terrasses, etc.).
La diversité des techniques de conservation des eaux et du sol menées localement dans la région témoigne d’un côté, d’une prise de conscience vis-à-vis de la rareté des ressources et du risque qu’elles encourent, et de l’autre côté, d’une richesse dans le savoir-faire paysan qui a pu résister aux différentes crises qui ont secoué la région. Certes, les observations de terrain montrent que la réalisation de ces techniques de CES dans la région ne sont pas suffisantes et restent très faibles et dispersées sur quelques parcelles, mais les paysans, ne prêtent pas beaucoup d’attention à leur entretien.
L’adaptation est donc intégrée dans la vie paysanne. Les mesures sont justifiées par l’adaptation qui produisent dans tous les cas, des bénéfices multiples et n’ont pas comme seule finalité l’adaptation climatique.
Questions Fréquemment Posées
Quelles sont les principales causes de la dégradation des terres à Tiddas ?
La dégradation des terres à Tiddas est due à la surexploitation par les paysans et leurs troupeaux, au surpâturage, à l’exploitation du bois, ainsi qu’à des facteurs climatiques et des techniques culturales inappropriées.
Comment les paysans de Tiddas s’adaptent-ils aux conditions climatiques ?
Les paysans de Tiddas mettent en place différentes pratiques de gestion, telles que la rotation des cultures, l’installation de clôtures biologiques, et l’apport de fumure pour améliorer la production et diversifier leurs revenus.
Quels types de sécheresse affectent les cultures à Tiddas ?
À Tiddas, deux types de sécheresse sont observés : la première au début du cycle de culture, réduisant le nombre de plantes, et la seconde à la fin du cycle, affectant le remplissage des grains en raison du déficit hydrique.