Le cadre théorique de l’autofiction révèle comment Amin Maalouf, dans ‘Les désorientés’, défie les conventions du récit autobiographique. En mêlant réalité et fiction, cette analyse offre des perspectives inédites sur l’identité et la mémoire, essentielles pour comprendre la littérature contemporaine.
1-1. Le patronyme Maalouf :
Dans son essaie autobiographique « origines » publier en 2004, Amin Maalouf 43 explique la signification de son patronyme qui est, selon lui, à la fois identifiable et fluide. Il est identifiable car c’est un nom de clan, ce qui fait que tous ceux qui le portent « éprouvent à sa mention une espèce de solidarité tribale. »44 Sans tenir compte des langues, des continents et des générations. Il est fluide à cause de la structure même des langues sémitiques, où seules les consonnes sont fixes et les voyelles mouvantes.
Mais pour Amin Maalouf « personne au village », ne l’a « jamais désigné par ce nom »45 ni lui, ni son aïeul Botros ni aucun des siens. Ce patronyme désigne la plupart des habitants du village Machrah, de ce fait, il ne peut servir à distinguer les uns des autres, alors on utilise le terme jebb (qui veut dire puits) ou beit (qui veut dire maison) pour désigner les membres d’une même famille.
Les siens appartenaient à beit Mokhatara, « une branche de la famille qui tient son nom de celui d’une aïeule prénommée ainsi. »46
1-2. Du pays natal « le Liban » vers le pays d’adoption « la France » :
Suite à l’éclatement de la guerre civile au Liban en 1976, il quitte Beyrouth pour Paris avec sa femme et sa petite fille. La petite famille d’Amin Maalouf était témoin d’une dispute sanguinaire, la ladite scène s’était déroulée au bord de la fenêtre de leur chambre à coucher.
« La guerre s’approchait ; elle rampait vers nous, comme un nuage radioactif ; on ne pouvait plus l’arrêter, on pouvait tout juste s’enfuir. Certains d’entre nous n’ont jamais voulu l’appeler par son nom, mais c’était bien une guerre, « notre » guerre, celle qui, dans les livres d’histoire, porterait notre nom. »47
Tout a commencé, un homme discute, en insultant avec des personnes lui barrant le passage. Et soudainement des coups de feu partirent dans tous les azimuts sans distinguer l’enfant de l’adulte ni de la femme de l’homme, des cadavres nageaient dans leur marée de sang.
43 BELOUZ Sabrina, Mémoire de master, L’exil entre mythe et réalité dans les désorientés d’Amin Maalouf présenté et soutenu en 2014, université HADJ LAKHDAR -BATNA, P51 (le Mémoire est disponible au niveau du bureau de master du département de français)
44 MAALOUF Amin, origines, op.cit, 2004, p294.
45 Ibid., P, 295.
46 Ibid., p 295.
47 MAALOUF Amin, Les désorientés, op.cit, 2012, p.35.
La guerre démolit et s’empare du pays de son rêve et de son amour, et le prive de la joie de vivre, fuyant son domicile avec sa petite famille, et part s’installer chez ses parents à Beyrouth, puis avec eux dans son village d’origine.
Peu de temps après, une décision est prise après une mûre réflexion. Amin Maalouf opte pour l’exil comme solution pour sauver sa vie et la vie des siens. Le 16 juin 1976, du port de Jounieh.
Il quitte le Liban seul vers la France, après avoir pris le bateau pour Chypre d’abord, puis il arrive à la destination convoitée après trois jours. Trois mois plus tard, sa femme et leurs trois enfants y compris sa belle-mère le rejoignent, où il a été engagé dans un mensuel économique à Paris faisant partie du groupe Jeune Afrique.
« Je vis depuis vingt-deux ans sur la terre de France, je bois son eau et son vin, mes mains caressent chaque jour ses vieilles pierres, j’écris mes livres dans sa langue, jamais plus elle ne sera pour moi une terre étrangère. »48
1-3. Amin Maalouf du journalisme à l’écriture romanesque :
Sur les pas de son père, il embrasse aussi l’activité journalistique, d’abord en arabe sa langue maternelle dans son pays natal à vingt-deux ans seulement engagé comme rédacteur dans le principal quotidien de Beyrouth, An-Nahar49.
Puis en français, dans le pays d’adoption, la France où il a été engagé dans un mensuel d’économie appartenant au groupe « Jeune Afrique », après avoir quitté son pays natal suite aux fâcheuses événements.
« Mon père m’a transmis son amour et sa passion de l’écriture. Il était journaliste, il disait souvent « nous vivons de la plume » j’avais le sentiment que ma famille était bâtie sur la plume d’un stylo… aujourd’hui je peux dire que j’ai toujours été dans l’écriture, j’aimais plus que tout rejoindre mon père au journal, passer du temps à ses côtés, je l’observais, écrivant à son bureau, j’adorais lorsqu’il m’emmenait déjeuner, je l’accompagnais aussi à l’imprimerie. »50
48 MAALOUF Amin, Les Identités meurtrières, op.cit, 1998, p.8.
49 An Nahar est le premier quotidien de langue arabe au Liban, An Nahar, qui signifie « Le Jour », a été fondé le 4 août 1933.
50 MAROUF Fouzia, « Ce que j’ai appris, Amin Maalouf », Afrique Magazine n286, juillet 2009, p.66-67.
Ses premiers écrits étaient en arabe, ainsi ses premières lectures, pour lui la langue arabe était sa langue sociale, celle qui exprime en public oralement comme par écrit.
« Oui, il aurait été impensable pour moi à l’époque de l’écrire dans une autre langue. Mes premières lectures étaient également en arabe. Ivanhoé, le Prisonnier de Zenda, les romans de Dickens, de Mark Twain, les Voyages de Gulliver, le Jules César de Shakespeare, j’ai d’abord découvert tout cela en traduction arabe »51
Issu d’une famille intellectuelle destinée à écrire ou enseigner, jeune et ambitieux, il a écrit son premier article journalistique seulement à six ans. L’exil, le premier facteur qui a poussé Amin Maalouf vers le chemin de l’écriture, l’écriture est pour lui un refuge après avoir perdu ses repères sociaux. Autre facteur qui a contribué à son orientation vers l’écriture c’est son statut minoritaire dans son pays, enfin la guerre au Liban est pour lui la blessure originelle, la raison de ses écrits. Il précise sa pensée à son éditeur Italien Volterrani lors de son interview :
« L’encre, comme le sang, s’échappe forcément d’une blessure. Généralement, d’une blessure d’identité – ce sentiment douloureux de n’être pas à sa place dans le milieu où l’on a vu le jour ; ni d’ailleurs dans aucun autre milieu. »52
Ensuite, il démissionne du journal, pour se consacrer corps et âme à l’écriture de son premier roman « Léon africain ». Suite à sa sortie dans les librairies, il connut un grand succès, il était sur la tête des meilleures ventes en France.
« Ce livre aura été celui du virage le plus hasardeux de ma vie, aussi décisif peut-être que le départ du Liban. »53
51 EGI Volterrani, Amin Maalouf, Autobiographie à deux voix, URL : http://www.aminmaalouf.net/fr/sur-amin/autobiographie-a-deux-voix/ consulte le (22 février 2017)
52 EGI Volterrani, op.cit.
53 EGI Volterrani, op.cit.
1-4. Amin Maalouf et La religion :
Les communautés chrétiennes au Liban se distinguent par leurs origines orientales qui les distinguent des communautés occidentales qui sont marquées par l’histoire de latinisation et de l’héritage romanesque. Les chrétiens libanais, majoritairement de langue arabe, le cas de la famille Maaloufienne.
« Le fait d’être chrétien et d’avoir pour langue maternelle l’arabe, qui est la langue sacrée de l’islam, est l’un des paradoxes fondamentaux qui ont forgé mon identité »54
Au Liban, les communautés chrétiennes sont divisées en cinq sectes :
- Les églises monophysites 55: dites aussi jacobites, syriaques ou arméniennes, croient à la divinité de la nature du Christ. Le cas des coptes d’Égypte et les chrétiens d’Abyssinie.
- Les églises nestoriennes 56: appelées aussi chaldéennes ou assyriennes, le cas des chrétiens d’Irak, ils croient à deux natures, celle de Dieu et du Christ.
- Les églises melkites ou les grecques orthodoxes : ne reconnaissent pas la suprématie du siège de Rome, sont celles issues de leur obéissance au patriarcat de Constantinople.
- Les grecques catholiques ou melkites : reconnaissent l’autorité du pape, ils rompent avec l’église grecque orthodoxe pour rejoindre l’église de Rome, ils maintiennent les rites et les traditions byzantines et orientales qui diffèrent des catholiques occidentaux, comme affirme Amin Maalouf dans son essai :
« Je devrais préciser que je suis né au sein de la communauté dite grecque-catholique, ou melkite, qui reconnaît l’autorité du pape tout en demeurant fidèle à certains rites byzantins. »57
- L’église maronite : dites aussi autocéphales, ne prête allégeance à aucun siège patriarcal que ce soit Rome ou Constantinople58. Les maronites sont les plus grandes.
54 MAALOUF Amin, Les Identités meurtrières, op.cit, 1998, p.23.
55 GEORGES Corm, le Liban contemporain, éd revue et augmentée (Paris : la découverte/poche, 2012) p.13.
56 Ibid, p.13.
57 Ibid, p.25.
58 GEORGES Corm, op.cit, p.13.
Communautés au Liban, l’église maronite est en pleine communion avec le Vatican, malgré cela elle maintient sa propre liturgie et hiérarchie religieuse.
1-5. Amin Maalouf et La langue :
Le Liban est un pays multilingue, la langue officielle du pays est l’arabe, tandis que le français demeure une langue seconde importante, suivie de l’anglais qui est de plus en plus omniprésent.
Les écrivains libanais s’expriment dans la langue qui leur paraît la plus naturelle, leurs rapports avec la langue sont liés aux filiations communautaires de leurs familles.
Il est commun que les chrétiens libanais écrivent en français, surtout ceux qui étaient scolarisés dans des écoles françaises chrétiennes tout en ayant l’arabe comme langue maternelle.
Tandis que les musulmans, qui n’ont pas le même rapport religieux avec la France, écrivent en arabe.
La littérature nationale libanaise rédigée en plusieurs langues à l’instar de l’arabe et le français démontre la diversité du pays et la complexité de l’identité libanaise.
A cheval entre le monde occidental et oriental, Maalouf écrit ses œuvres en français, la langue de sa scolarité dans une école française jésuite, malgré sa langue maternelle qui est l’arabe.
Maalouf est l’un des rares hommes que l’on considère comme étant parfaitement bilingues et tous ses livres sont d’expression française bien que sa langue maternelle soit l’arabe59
59 En 2011, Maalouf est élu comme membre de l’académie française.
Questions Fréquemment Posées
Quel est le concept d’autofiction dans Les désorientés d’Amin Maalouf ?
L’autofiction dans Les désorientés d’Amin Maalouf mêle des éléments autobiographiques et fictifs, remettant en question le pacte autobiographique traditionnel.
Comment Amin Maalouf décrit-il son patronyme dans son essai autobiographique ?
Amin Maalouf décrit son patronyme comme identifiable et fluide, représentant une solidarité tribale tout en étant difficile à distinguer au sein de son village.
Pourquoi Amin Maalouf a-t-il choisi l’exil après la guerre civile au Liban ?
Amin Maalouf a choisi l’exil comme solution pour sauver sa vie et celle de sa famille après avoir été témoin de la guerre civile au Liban en 1976.