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Comment le cadre théorique de la création transforme notre vision du cosmos ?

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🏫 Université Catholique du Congo - Faculté de Théologie
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Licencié (Master/LMD) - 2018-2019
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Le cadre théorique de la création révèle que la crise écologique actuelle découle d’une rupture profonde entre l’homme, la nature et le Créateur. En s’inspirant de Saint François d’Assise, cette recherche propose des approches novatrices pour rétablir l’harmonie perdue, essentielle à notre survie.


L’homme dans ses rapports avec Dieu et avec le cosmos

Dans la Religion traditionnelle africaine, l’homme n’est pas une dualité corps et âme mais constitue un ordre, une harmonie interne. «Ainsi, il est une unité des plusieurs composantes, les une fondamentales les autres supplémentaires, les une permanentes, les autres provisoires ; […] les unes immatérielles, les autres matérielles etc.»415. Cet homme cosmique, toujours tendu vers l’Etre Suprême, se trouve situé en relation nécessaire et permanente au monde qui l’entoure. « La personne humaine n’est donc pas en dehors du monde mais elle est faite dans le sens de tissée ou fabriquée avec les matières premières issues du monde, qui sont le monde »416. L’homme garde un place centrale dans l’univers,

« il est maître d’œuvre dans la création qu’il doit porter à son achèvement et à travers laquelle il dialogue avec l’univers, avec ses frères les hommes et avec Dieu »417. Nous étudions maintenant les trois relations qui caractérisent le muntu.

La relation avec l’être Suprême:

C’est une relation verticale, première en importance qui introduit la personne humaine dans le rapport à l’absolu. A travers son expérience, le Muntu croit que sa présence en ce monde ne vient pas de sa propre initiative ni de sa propre force. Son existence vient d’un autre dont le nom significatif chez les baluba de Kasai est Musangana –Muena-pu, celui qu’il a trouvé maitre du terrain »418. Ce maître du terrain est considéré comme le premier possédant, antérieur et supérieur à tout autre. Il est aussi appelé aussi

«‘Mai-mfukia-mukele, l’eau-origine-du-sel ou source d’où on tire du sel, pour dire qu’il est l’origine de tout. Il est aussi l’être indépendant ‘nkayende-mudifuke’ l’être qui existe par soi ».419 Ce Dieu créateur est aussi le Père des hommes, transmetteur de vie. Pour montrer leur continuelle profession de foi en existence de Dieu et sa providence paternelle, les

414 J. PENOUKOU, Christologie au village, dans Chemin de Christologie africaine cité par P. POUKOUTA,

art.cit., p.179.

415 T.K .M. BUAKASA, L’impact de la religion africaine sur l’Afrique d’aujourd’hui : Latence et Patience, dans Religions Africaines et Christianisme, Colloque International de Kinshasa, 9-14 janvier 1978, CERA, Faculté de Théologie Catholique, p. 24.

416 Ibidem. p. 24.

417 E. MVENG, L’Afrique dans l’Eglise. Parole d’un croyant, Paris, Harmatan, 1985, p. 18.

418 O. BIMWENYI KWESHI, art.cit., p.84.

419 T.K .M. BUAKASA, art.cit., p.24.

balubas disent souvent « Bisua Nzambi – si Dieu le veut »420. Il y parmi les bantus une mentalité intériorisée qui situe Dieu au sein même de toutes choses et de toute situation de vie. Selon Oscar Bimwenyi, « la dépendance vis-à-vis de Dieu source primordiale de toute fécondité n’est pas seulement radicale mais continuelle. Aussi il n’y a pas d’athées proprement dit dans la société traditionnelle africaine »421 car toute la vie de Muntu est tournée vers l’Etre Suprême.

La relation avec la communauté humaine

Cette instance constitue la personne comme rapport à sa communauté, a son environnement humain. Le muntu n’est pas ‘mulela-nkaya’ qui veut dire un solitaire de naissance. Il est toujours en relation et essentiellement membre ‘muena kampanda, défini par la relation à sa famille, à son clan, à sa tribu. Il est donc un être avec, un nœud de relations. Le muntu cherche toujours à conserver et renforcer cette relation communautaire. C’est par elle qu’il reste relié à la vie venant de Dieu par l’intermédiaire des ancêtres.

«Cela veut dire que se couper de cette communauté, c’est se couper de la source de vie, c’est être condamné à l’étiolement, à la destruction comme une branche détachée de l’arbre »422. Au moment de sa mort, son jugement est principalement axé sur la qualité des relations entretenues avec les siens durant son vivant. L’homme se réalise donc comme la synthèse de l’humanité. « Cette structure relationnelle qui ne se limite pas à la triade Dieu-homme-cosmos est aussi porteuse des énergies cosmiques »423.

Selon Vincent Mulago, l’instance anthropologique va au-delà des rapports avec les vivants pour atteindre même les trépassés. Entre les vivants et les trépassés il n’y a pas de séparation mais la continuité ; les vivants étant en continuelle participation et communion avec les morts. Le monde des esprits et le monde visible se trouve donc reliés et leur lien vital est indissoluble. « Chez les bashi du Kivu, il faut absolument vivre en paix avec le bazimu du dedans, et s’il y avait mésentente entre eux et les membres vivants de la famille il faut coûte que coûte se réconcilier avec eux, car la parenté du sang constitue un lieu

420 Ibidem.

421 O. BIMWENYI KWESHI, art.cit., p.85

422 Ibidem., p. 86.

423 Cf. M. MALU NYIMI, Le statut théologique de la science. La pensée de Mgr Th. Tshibangu et sa restitution critique, dans L. SANTEDI Kinkupu & M. MALU Nyimi, (dir.), Epistémologie et théologie. Enjeux du dialogue foi-science-éthique pour l’avenir de l’humanité. Mélange en l’honneur de S.Exc. Mgr Tharcisse TSHIBANGU Tshishiku pour ses 70 ans d’âge et 35 ans d’épiscopat. Kinshasa, FCK, 2006, p. 195-218.

perpétuel »424. Chez les baluba du Kasaï, les morts (bakishi) et les habitants de la terre entretiennent des relations réciproques. L’initiative peut venir des uns ou des autres.

« Mais parmi les bakishi, seuls les bons peuvent faire du bien aux vivants dont ils sont d’ailleurs les protecteurs et les surveillants »425. Les vivants doivent entretenir de bonnes relations avec eux à travers le culte des ancêtres. C’est dans cette communion que le muntu trouve la paix et l’épanouissement véritable.

La relation avec le cosmos.

La troisième relation fondamentale de muntu traditionnelle est celle qui le relie au cosmos. Tout ce qui existe y est étroitement et nécessairement lié et coordonné (les hommes, les animaux, les plantes la terre etc.). Placide Tempels le dit dans une très belle formule : « Rien ne se meut dans cet univers de forces sans influencer d’autres forces par son mouvement.

Le monde des forces se tient comme une toile d’araignée dont on ne peut faire vibrer un seul fil sans ébranler toutes les mailles »426. La terre mais aussi tout l’univers offrent au Muntu son hospitalité permanente, un environnement à la fois exubérant et inquiétant. Comme le premier homme de la bible, « le muntu sait qu’il est lui aussi de la terre, l’adamah, et qu’il ne peut pas faire avec le monde tout ce qu’il veut sans se ruiner lui-même »427.

Il est ainsi l’allié non seulement des animaux et des plantes, mais aussi de la nature dite inanimée: les pierres, les minerais, le bois morts, etc. On trouve un bel exemple de cette complicité « dans la médecine traditionnelle où le guérisseur traite son patient avec des plantes, des ossement d’animaux, de morceaux du bois sec ou des cailloux »428.

Ainsi pour guérir, il faut retrouver l’harmonie avec l’ensemble de la création et avec Dieu.

Le muntu se trouve donc immergé dans ce cosmos où il est attaché comme par une sorte de cordon ombilical. « La terre est à lui, il l’a reçu comme héritage des ancêtres mais elle ne vient pas de lui. Elle le renvoie au (Musangana Muenabiopropriétaire de toute chose), mais elle renvoie aussi dans certaines tribus aux esprits d’origine non humaines tels que les (ngeshi) chez les baluba et (mingitshi) chez les bakete »429. Ces esprits se partagent

424 V. MULAGO, Un visage africain du christianisme, Paris, Présence Africaine, 1965, p. 101, cité par O.BIMWENYI KWESHI, art.cit,. p.90.

425 O. BIMWENYI KWESHI, op.cit., p.87.

426 P.TEMPELS, La Philosophie bantoue, Paris, Présence Africaine, 1961, p. 41.

427 B. BUJO, Le christianisme africain et sa théologie, dans Revue des Sciences Religieuses, n° 84/2, (2010),

p. 172.

428 Ibidem.

429 O. BIMWENYI KWESHI, art.cit., p. 91.

le gouvernement des sources d’eau, des forêts, des montagnes, etc. L’africain traditionnel sait que certains terrains champêtres, certaines forêts ou certains bosquets sont propriétés des ancêtres ou des esprits. Certaines montagnes et certains arbres sont sacrés, car ils servent par exemple de lieu de culte pour les ancêtres ou pour Dieu.

Il va sans dire « que partout où il y a les traces du sacré, il est interdit d’en faire usage, à moins d’avoir obtenu la dispense par les autorités, interprètes de la volonté de Dieu et des ancêtres »430. Ainsi, la communion que le muntu entretient avec le cosmos lui donne la conscience du fait que sa vie en dépend et vice-versa.

« Le respect des éléments de la nature est quelque chose que la tradition de nos aïeux inculquait aux enfants dès le bas âge »431.

Sans information suffisant sur l’anthropologie africaine et sa rationalité, l’on pourrait facilement penser qu’il s’agit de la primitivité de la pensée africaine qui freine la vraie émergence de l’Afrique noire. En effet, « voir du sacré dans la nature et en empêcher l’usage ne va-t-il pas à l’encontre du progrès dont l’Afrique a tant besoin »432?

Toutefois, la question ne se poserait plus si l’on sait que « c’est par le souci d’entretien de la nature que les ancêtres ont institué certains interdits et tabous qui protègent ce qui est la condition sine qua non de la vie »433. L’africain sait bien que sans forêt il n’y a pas de vie, car la pluie et même les points d’eau en dépendent.

« C’est par la pratique des tabous et d’interdits que la tradition a formé le peuple à travers les âges à découvrir et à intérioriser les normes concernant le respect envers la nature »434. Il faut cependant signaler qu’avec l’arrivée du temps colonial, le règne de l’argent et la rationalité occidentale, tout respect envers la création a connu un recul sans précédent.

Au sein du cosmos le muntu doit se frayer un passage souvent difficile au rythme des saisons à travers une nature capricieuse. Il sait que sa demeure définitive se trouve au sein de la terre. Le baluba disent, (kubashangi ka kudi subu, – ‘chez les trépassés, là est la demeure’). « Cela veut dire que le muntu ne se sent pas toujours maître du cosmos, il est plutôt le gérant éphémère du monde. Il est pèlerin qui s’en va vers ses destinées à la suite de ses pères à qui il sera réuni »435. Le muntu est aussi à considérer comme « un

430 B. BUJO, art.cit. p.172.

431 Ibidem.

432 Ibidem. p.173.

433 Ibidem.

434 Ibidem.

435 O. BIMWENYI KWESHI, art.cit., p. 91.

microcosme au sein d’un macrocosme »436. Dans son cheminement vers la plénitude de la vie, c’est tout l’univers qui s’affranchit, s’unifie, se personnalise et s’accomplit. Ainsi, les sorts de la nature et de l’homme sont intimement liés. Le rôle de l’homme dans la création serait de la servir et non de l’asservir. « Ceci aide l’homme à renoncer à sa domination sur la nature en considérant que la nature appartient à autrui, et donc à Dieu »437. L’homme n’en serait qu’un gardien, un jardinier.

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414 J. PENOUKOU, Christologie au village, dans Chemin de Christologie africaine cité par P. POUKOUTA.

415 T.K .M. BUAKASA, L’impact de la religion africaine sur l’Afrique d’aujourd’hui : Latence et Patience, dans Religions Africaines et Christianisme, Colloque International de Kinshasa, 9-14 janvier 1978, CERA, Faculté de Théologie Catholique, p. 24.

416 Ibidem. p. 24.

417 E. MVENG, L’Afrique dans l’Eglise. Parole d’un croyant, Paris, Harmatan, 1985, p. 18.

418 O. BIMWENYI KWESHI, art.cit., p.84.

419 T.K .M. BUAKASA, art.cit., p.24.

420 Ibidem.

421 O. BIMWENYI KWESHI, art.cit., p.85

422 Ibidem., p. 86.

423 Cf. M. MALU NYIMI, Le statut théologique de la science. La pensée de Mgr Th. Tshibangu et sa restitution critique, dans L. SANTEDI Kinkupu & M. MALU Nyimi, (dir.), Epistémologie et théologie. Enjeux du dialogue foi-science-éthique pour l’avenir de l’humanité. Mélange en l’honneur de S.Exc. Mgr Tharcisse TSHIBANGU Tshishiku pour ses 70 ans d’âge et 35 ans d’épiscopat. Kinshasa, FCK, 2006, p. 195-218.

424 V. MULAGO, Un visage africain du christianisme, Paris, Présence Africaine, 1965, p. 101, cité par O.BIMWENYI KWESHI, art.cit,. p.90.

425 O. BIMWENYI KWESHI, op.cit., p.87.

426 P.TEMPELS, La Philosophie bantoue, Paris, Présence Africaine, 1961, p. 41.

427 B. BUJO, Le christianisme africain et sa théologie, dans Revue des Sciences Religieuses, n° 84/2, (2010), p. 172.

428 Ibidem.

429 O. BIMWENYI KWESHI, art.cit., p. 91.

430 B. BUJO, art.cit. p.172.

431 Ibidem.

432 Ibidem. p.173.

433 Ibidem.

434 Ibidem.

435 O. BIMWENYI KWESHI, art.cit., p. 91.

436 Ibidem.

437 Ibidem.


Questions Fréquemment Posées

Quelle est la relation entre l’homme et l’être Suprême selon la théologie de la création?

C’est une relation verticale, première en importance qui introduit la personne humaine dans le rapport à l’absolu. Son existence vient d’un autre, considéré comme le maître du terrain et l’origine de tout.

Comment la théologie de la création aborde-t-elle la crise écologique?

L’analyse présente la crise écologique contemporaine comme une conséquence de la rupture des relations entre l’homme, la nature et le Créateur, et explore la nécessité d’une transformation théologique.

Quel est le rôle de la communauté humaine dans la vision du muntu?

Le muntu est toujours en relation avec sa communauté, cherchant à conserver et renforcer cette relation, car se couper de cette communauté, c’est se couper de la source de vie.

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