Quelles implications politiques pour la théologie de la création ?

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🏫 Université Catholique du Congo - Faculté de Théologie
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Licencié (Master/LMD) - 2018-2019
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Les implications politiques de la création révèlent une urgence écologique inédite, soulignant la nécessité d’une transformation théologique. En s’appuyant sur la pensée de Jürgen Moltmann, cet article propose des approches novatrices pour rétablir l’harmonie entre l’homme, la nature et le Créateur.


Le paradigme trinitaire et sabbatique chez Jurgén Moltmann.

Jürgen Moltmann325 perçoit dans la crise écologique actuelle une catastrophe universelle en gestation. Pour lui, la gravité de la situation explique l’urgence d’un traité écologique de la création qui prend au sérieux le temps inauguré en Jésus Christ et vise à assurer « la libération des hommes, la pacification de la nature et la communauté de l’homme et de la nature à l’égard des puissances du négatif et de la mort »326.

Moltmann s’efforce « de renouveler la réflexion chrétienne sur le cosmos et sur la création de l’homme et de toute la nature »327. Il formule ainsi la foi chrétienne en la création de telle sorte que celle-ci cesse d’être elle-même un facteur de la crise mais plutôt un facteur de paix cosmique.

Nous faisons ici l’étude de deux volets de son approche qui ressortent de son traité écologique de la création. Il s’agit du paradigme trinitaire de la création pour remédier la doctrine classique de la création ainsi que le paradigme sabbatique de la création pour nuancer l’approche anthropocentrique de la théologie de la création.

D’emblée la théologie écologique de Jürgen Moltmann se situe dans l’horizon de la communion où l’échange et le partage priment sur la subordination.

325 Note biographique : Né à Hambourg en Allemagne, en 1926, Jürgen Moltmann a été élevé dans un milieu d’origine protestante mais peu religieux. Son grand-père était un maitre de la franc-maçonnerie et critiquait fortement la religion. À seize ans, Moltmann adore Albert Einstein, et pense s’orienter vers des études de mathématiques à l’université.

La physique de la théorie de la relativité est pour lui un « secret fascinant du savoir ». La théologie n’a encore joué aucun rôle dans sa vie. À quatorze ans, comme tous les adolescents de son âge, Moltmann doit rejoindre les jeunesses hitlériennes, mais sans conviction. Il ne peut terminer ses études au lycée car il est enrôlé, en 1943, comme auxiliaire dans la défense anti-aérienne de l’armée allemande.

Dans les misères de la guerre, il lit le Faust et des poèmes de Goethe ainsi que les œuvres de Nietzsche.

En février 1945, lors de combats à la frontière de la Hollande, il est fait prisonnier de guerre et sera déplacé du camp en camp les années suivantes (1945-48). Il est d’abord envoyé dans un camp en Belgique. En juillet 1946, il est transféré, pour la dernière fois, au camp de Norton, une prison britannique située près de Nottingham.

Le camp est organisé par la YMCA (Young Men’s Christian Association) et Moltmann y rencontre de nombreux étudiants en théologie. Il y découvre le livre de Reinhold Niebuhr intitulé Nature et Destin de l’Homme – c’est le premier ouvrage de théologie qu’il lit, et sa vie en sera profondément marquée. Moltmann part étudier à l’Université de Göttingen.

Il lit Kierkegaard, étudie la théologie de la Croix du jeune Luther et la théologie dialectique, découvre la théologie biblique dans le sillage des Gerhard von Rad et Ernst Käsemann. Il présentera sa thèse en 1952 sur « Prédestination et histoire du salut chez Moïse Amyraut ». Il devient pasteur de 1953 à 1958, près de Brême, et commence une carrière de professeur en 1958, à Wuppertal.

Il sera nommé à Bonn en 1963, puis à Tübingen en 1967.

Parmi les penseurs qui l’influenceront, Moltmann on peut citer le théologien anglais Studdert Kennedy, le philosophe marxiste Ernst Bloch ainsi que Johann et Christoph Blumhardt. Son œuvre sur la Théologie de l’espérance, notamment inspirée par l’œuvre d’Ernst Bloch, et publiée en 1964 va faire connaître Moltmann sur la scène théologique internationale.

Avec Karl Barth, il exerça une influence souterraine sur toute la théologie de la libération, influençant notamment le Brésilien Rubem Alves. En 1967, il est nommé à la chaire de théologie systématique de l’université de Tübingen, poste qu’il l’occupera jusqu’à sa retraite en 1995. Moltmann se fait surtout connaître par sa trilogie Théologie de l’espérance (1964), Le Dieu crucifié (1972), L’Église dans la force de l’Esprit Saint (1975).

Consulté sur https://fr.wikipedia.org/wiki/Jürgen_Moltmann, le 15 avril 2019.

326 J. MOLTMANN, op.cit., p. 35.

327 KUMBU Ki KUMBU, art.cit., p. 237.

La paradigme trinitaire de la création

Moltmann met l’accent sur la création dans l’Esprit et non seulement par la parole. Il sied de noter que l’auteur réagit à la théologie du Concile Vatican I, qui a insisté sur l’unicité absolue du principe créateur au point de reléguer à l’arrière-plan la dimension trinitaire328 de la création »329. Aussi, durant les siècles la tradition occidentale avait progressivement perdu cette dimension.

« Pour les raisons apologétiques avec le souci de trouver un terrain commun avec le paganisme, la création du monde était reportée au seul Père »330. Même le caractère christologique particulièrement marqué dans la théologie paulinienne s’est trouvé en net recul. La création n’était plus considérée comme œuvre commune des trois Personnes mais de l’unique substance divine.

Certes, cela a joué un rôle important pour écarter toute dispersion du principe créateur dans la multiplicité du créé. Toutefois, il y avait toujours le risque de trop valoriser le fondement unique tout en obscurcissant la dimension relationnelle.

Selon Moltmann, l’approche contemporaine doit renouveler le principe traditionnel de la distinction radicale entre le Créateur et les créatures. Cette doctrine toute en écartant la conception panthéiste, « insistait trop sur l’immutabilité et la transcendance de Dieu, ce qui est incompatible avec toute idée d’immanence »331. Cette conception avait comme risque « de défigurer la véritable image du Dieu d’Israël et de faire perdre de vue la conviction biblique et traditionnelle de l’implication des trois personnes divines dans l’œuvre de la création »332. La doctrine trinitaire veut aussi dépasser la conception moderniste accès sur la subjectivité et la domination mécaniste du monde.

328 La définition du Concile de Latran IV (1215) avait insisté sur cette dimension trinitaire. Bien que la Concile Vatican I ait reproduit presque littéralement la définition du Latran IV, il est fort étonnant que cette dimension ne s’y retrouve plus. Cette dimension est aussi présente dans la théologie de la création de St Augustin et de St Thomas d’Aquin mais également dans la Bible elle-même comme l’atteste le verset de la Genèse, faisons l’homme à notre image (Gn 1,26). L’on peut évoquer aussi le rôle de la Sagesse dans la création ainsi que le rôle du Christ dans la Création chez Saint Paul et Saint Jean. Cf. KUMBU KI KUMBU, art.cit., p. 232.

329 F. EUVE, op.cit. p. 38.

330 L. SCHEFFCZYK, Création et Providence, Paris, Cerf, 1967, p.48-49.

331 Ce sont les attributs de Dieu repris évoqués au 4ème Concile de Latran qui sont repris et amplifiés dans la constitution Dei Filius de Vatican II. Dieu est dit éternel, immense, immuable, incompréhensible, ineffable, infini en intelligence et en toute perfection, substance spirituelle, unique et singulière, absolument simple et inaltérable. Cf. H.DENZINGER, Symboles et définitions de la foi catholique, Paris, Cerf, 1996, n° 3001.

332 A. KUMBU Ki KUMBU, art.cit., p. 231-232.

Le Dieu un et trine, communion d’amour.

L’auteur affirme que l’Evangile annoncé par Jésus Christ présente la réalité de Dieu comme une communion d’amour. Quelques versets en témoignent : « Je suis dans le Père et le Père est en moi » (Jn 14,11) et « Moi et le Père, nous sommes un » (Jn 10,30). Moltmann voit en Dieu « une communauté éternelle du Père, du Fils et de l’Esprit Saint se manifestant à travers une inhabitation réciproque, une interpénétration »333. Ainsi,

« dans le Dieu trinitaire, il y a la réciprocité et l’échange de l’amour »334. C’est à partir de cette plénitude que Dieu s’est engagé dans son œuvre de création. « Dans la surabondance libre de son amour, le Dieu éternel sort de lui-même et crée le monde, une réalité qui est là comme lui-même et qui diffère néanmoins de lui »335. C’est par le Fils que Dieu produit, réconcilie et sauve sa création et dans la force de l’Esprit Dieu est lui-même présent dans sa création.

L’immanence de Dieu dans la création.

Le traité écologique de la création que propose Moltmann n’est pas axé sur « la distinction entre Dieu et le monde, mais dans la connaissance de la présence de Dieu dans le monde et la présence du monde en Dieu »336. Cela ne veut nullement cautionner le panthéisme où le monde se confond avec Dieu, et Dieu avec le monde, mais le fait que le monde est animé par Dieu.

En créant le monde, Dieu entre en même temps en lui. « Il l’appelle à l’existence et, en même temps, se manifeste lui-même à travers cette existence. L’auteur affirme aussi que « le Dieu transcendant le monde et le Dieu immanent au monde sont un seul et même Dieu »337. Ainsi, Dieu n’est pas à considérer comme un Etre lointain qui a créé l’univers une fois pour toute pour ensuite l’abandonner.

« Grâce aux forces et aux possibilités de l’Esprit, le créateur demeure auprès de ses créatures, les vivifie, les maintient dans l’existence et les mène dans son royaume futur »338.

333 J. MOLTMANN, op.cit. p. 31.

334 Ibidem.

335 Ibidem, p. 40.

336 Ibidem, p.27.

337 Ibidem, p. 29.

338 Ibidem, p. 28.

L’esprit cosmique et la communion trinitaire

L’auteur constate que la conception théologique ancienne de l’Esprit créateur qui pénètre, vivifie et anime le monde a été rejeté par l’image mécaniste de la modernité. Toutefois, « si l’on sacrifie l’immanence de Dieu et de son Esprit dans le monde à la transcendance de Dieu Souverain sur le monde, on aboutit à une conception de la nature aussi vide d’Esprit que vide de Dieu »339.

Pour Moltmann il est nécessaire de revenir à la conception ancienne de la création dans l’Esprit pour des raisons théologiques : « sans doctrine pneumatologique de la création il ne peut y avoir la doctrine chrétienne de la création »340. Ensuite, pour des raisons cosmologiques : « sans perception de l’Esprit créateur dans le monde, il n’y pas de communauté créaturelle pacifique entre les hommes et la nature »341.

Pour l’auteur, le récit biblique « l’Eprit de Dieu planait sur les eaux » (Gn 1, 2) veut dire que l’Esprit (ruah) divin est la force créatrice et la présence de Dieu dans sa création. En affirmant que l’Esprit créateur pénètre le monde l’auteur conçoit chaque chose particulière comme une partie de tout et toute chose finie comme une représentation de l’infini.

Ainsi, toutes les créatures deviennent des individuations de la communauté relationnelle et de manifestation de l’Esprit divin.

On le voit, dans cette conception trinitaire de la création, les relations suscitées par

l’Esprit Saint ont l’importance primordiale. « Rien dans le monde n’existe, ne vit et ne se meut par soi, mais tout existe, vit et se meut dans l’autre, l’un dans l’autre, l’un avec l’autre, l’un pour l’autre »342. C’est l’Esprit Saint qui suscite une communauté de la création dans laquelle toutes les créatures communiquent chacune à sa manière entre elles et avec Dieu. « En Dieu, nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Ac 1,28). C’est pour cela que l’auteur ; « être vivant signifie exister en relation avec les autres. Vivre, c’est la communication dans la communion »343. La communion d’amour en Dieu trinitaire entraîne donc une dynamique relationnelle.

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325 Note biographique : Né à Hambourg en Allemagne, en 1926, Jürgen Moltmann a été élevé dans un milieu d’origine protestante mais peu religieux. Son grand-père était un maitre de la franc-maçonnerie et critiquait fortement la religion. À seize ans, Moltmann adore Albert Einstein, et pense s’orienter vers des études de mathématiques à l’université.

326 J. MOLTMANN, op.cit., p. 35.

327 KUMBU Ki KUMBU, art.cit., p. 237.

328 La définition du Concile de Latran IV (1215) avait insisté sur cette dimension trinitaire. Bien que la Concile Vatican I ait reproduit presque littéralement la définition du Latran IV, il est fort étonnant que cette dimension ne s’y retrouve plus. Cette dimension est aussi présente dans la théologie de la création de St Augustin et de St Thomas d’Aquin mais également dans la Bible elle-même comme l’atteste le verset de la Genèse, faisons l’homme à notre image (Gn 1,26). L’on peut évoquer aussi le rôle de la Sagesse dans la création ainsi que le rôle du Christ dans la Création chez Saint Paul et Saint Jean. Cf. KUMBU KI KUMBU, art.cit., p. 232.

329 F. EUVE, op.cit. p. 38.

330 L. SCHEFFCZYK, Création et Providence, Paris, Cerf, 1967, p.48-49.

331 Ce sont les attributs de Dieu repris évoqués au 4ème Concile de Latran qui sont repris et amplifiés dans la constitution Dei Filius de Vatican II. Dieu est dit éternel, immense, immuable, incompréhensible, ineffable, infini en intelligence et en toute perfection, substance spirituelle, unique et singulière, absolument simple et inaltérable. Cf. H.DENZINGER, Symboles et définitions de la foi catholique, Paris, Cerf, 1996, n° 3001.

332 A. KUMBU Ki KUMBU, art.cit., p. 231-232.

333 J. MOLTMANN, op.cit. p. 31.

334 Ibidem.

335 Ibidem, p. 40.

336 Ibidem, p.27.

337 Ibidem, p. 29.

338 Ibidem, p. 28.

339 L’auteur constate que la conception théologique ancienne de l’Esprit créateur qui pénètre, vivifie et anime le monde a été rejeté par l’image mécaniste de la modernité. Toutefois, « si l’on sacrifie l’immanence de Dieu et de son Esprit dans le monde à la transcendance de Dieu Souverain sur le monde, on aboutit à une conception de la nature aussi vide d’Esprit que vide de Dieu ».

340 Pour Moltmann il est nécessaire de revenir à la conception ancienne de la création dans l’Esprit pour des raisons théologiques : « sans doctrine pneumatologique de la création il ne peut y avoir la doctrine chrétienne de la création ».

341 Ensuite, pour des raisons cosmologiques : « sans perception de l’Esprit créateur dans le monde, il n’y pas de communauté créaturelle pacifique entre les hommes et la nature ».

342 On le voit, dans cette conception trinitaire de la création, les relations suscitées par l’Esprit Saint ont l’importance primordiale. « Rien dans le monde n’existe, ne vit et ne se meut par soi, mais tout existe, vit et se meut dans l’autre, l’un dans l’autre, l’un avec l’autre, l’un pour l’autre ».

343 C’est pour cela que l’auteur ; « être vivant signifie exister en relation avec les autres. Vivre, c’est la communication dans la communion ».


Questions Fréquemment Posées

Quelles sont les implications politiques de la théologie de la création selon Jürgen Moltmann ?

Moltmann perçoit dans la crise écologique actuelle une catastrophe universelle en gestation et souligne l’urgence d’un traité écologique de la création qui vise à assurer la libération des hommes, la pacification de la nature et la communauté de l’homme et de la nature.

Comment Jürgen Moltmann renouvelle-t-il la réflexion chrétienne sur la création ?

Moltmann s’efforce de renouveler la réflexion chrétienne sur le cosmos et sur la création de l’homme et de toute la nature, en formulant la foi chrétienne de manière à ce qu’elle cesse d’être un facteur de crise mais devienne un facteur de paix cosmique.

Quel modèle Saint François d’Assise représente-t-il dans la théologie de la création ?

Saint François d’Assise est présenté comme un modèle d’écologie intégrale, inspirant une transformation théologique nécessaire pour remédier à la crise civilisationnelle.

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