Les approches contemporaines en théologie de la création révèlent comment l’anthropocentrisme a façonné notre crise écologique actuelle. En s’inspirant de Saint François d’Assise, cette recherche propose des solutions novatrices pour rétablir l’harmonie entre l’homme, la nature et le Créateur, avec des implications cruciales pour notre avenir.
CHAPITRE II : QUELQUES APPROCHES CONTEMPORAINES DE LA THEOLOGIE DE LA CREATION.
Introduction
Dans un monde traversant un moment critique de la crise écologique, la théologie de la création qui prétend fournir la réponse au problème de l’origine des choses se voit interpellée par cette crise et ne peut pas rester indifférente. Le chapitre premier nous a permis de poser le fondement contextuel en proposant la situation de crise comme lieu où s’élabore la théologie de la création à l’époque contemporaine.
Nous l’avons vu, « la gravité de la crise que traverse le monde exige la contribution de toutes les disciplines scientifiques tant descriptives qu’herméneutiques »186. C’est dans ce sens que l’écologie comme science descriptive intéresse la théologie dans sa dimension herméneutique pour rappeler la signification du rapport entre l’homme et la nature.
Loin d’être simplement descriptive, « la théologie écologique aura pour tâche prioritaire l’étude des fondements du discours sur le cosmos, principalement en relation avec la doctrine chrétienne de la création, de la rédemption et de l’eschatologie »187.
Notons d’entrée de jeu que durant des siècles, dans une culture qui valorisait l’explication des processus du monde, « la création était volontiers pensée sur le modèle d’une production achevée »188. En d’autres termes, dans toute la tradition théologique, la doctrine de la création se réduisait souvent à un discours sur le commencement du monde, identifiant une première cause, premier élément d’une série des causes continues »189.
Elle prenait bien soin de distinguer création et fabrication mais malgré cela, « les représentations communément répandues véhiculaient des images de Dieu sur le modèle de l’artisan, de l’ingénieur, voire de l’horloger cosmique »190. Cette catégorie de la causalité héritée d’Aristote est reprise par saint Thomas d’Aquin a contribué, surtout sous l’impulsion du développement technique à infléchir le propos biblique dans un sens erroné d’une production.
186 M-W.LIBAMBU, Création du monde et bonté du Dieu chez Saint Augustin. Les tâches du discours théologiques sur l’écologie, dans Ecologie et Théologie Africaine, Numéro spécial de la Revue Africaine de Théologie, Vol 25, n° 56, octobre 2004, p. 188.
187 Ibidem.
188 F. EUVE, op.cit., p. 11.
189 Ibidem.
190 Ibidem.
Vers les nouveaux paradigmes.
Au cours de l’histoire, la doctrine traditionnelle de la création a présenté diverses insuffisances telles que : l’oubli de la dimension trinitaire de la création, la présentation de la création comme une œuvre instantané du passé, la séparation du Dieu créateur et Dieu rédempteur ainsi que la présentation de la figure d’un Dieu puissant qui a besoin de la faiblesse de l’homme pour créer, oubliant qu’en le créant, Dieu l’a voulu à peine moindre qu’un dieu (Ps 8,6)191.
Suite à ses insuffisances, « le Concile Vatican II, à travers sa constitution pastorale Gaudium et Spes et grâce à l’évolution de science de la nature et de l’exégèse, a renoncé à la doctrine traditionnelle »192. Vatican II se distancie du paradigme causal si cher à la théologie classique et à la pensée occidentale en général ainsi qu’à l’image d’un Dieu grand horloger du monde.
La démarche du concile est marqué par un tournant anthropocentrique193 où l’homme est qualifié de centre et de sommet de la création auquel tout sur terre doit être ordonné »194. De ce fait la catégorie de liberté se trouve valorisée et devient une notion théologique majeure. « C’est parce l’homme et tout homme est à l’image de Dieu qu’il est libre »195. L’homme est maitre de la nature appelé à transformer le monde et à l’accomplir à prolonger l’action créatrice »196.
Dans cette perspective anthropologique, sans chercher la concession avec la modernité, « le Concile s’engage plus résolument dans la voie de l’autonomie »197. Néanmoins, « le cosmos comme tel est peu présent et n’apparaît qu’en dépendance vis-à-vis de l’homme »198.
On le voit, s’arrêter sur un seul moment anthropocentrique donnerait l’impression que l’homme tend à prendre la place de Dieu au centre du monde. Pour écarter toute confusion, « ce moment doit être placé dans un cadre christologique »199. Tout en étant anthropocentrique, la démarche du concile précise que « le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que par le mystère du verbe incarné »200. Le Christ devient l’image authentique de Dieu, « à la fois la source et le point culminant »201. Ainsi c’est dans le Christ que se révèle pleinement la place de l’homme dans l’ordre du créé. Cependant, bien que le Christ occupe la position centrale, la dimension trinitaire de la création n’apparait pas encore clairement.
Nous l’avons vu, « la théologie de la création prônée par Vatican II est délibérément et quasi exclusivement centrée sur l’homme »202. L’influence d’une telle théologie est encore importante dans la période post conciliaire qui est la nôtre203. Cependant, la prise de conscience progressive des effets néfastes pour l’homme lui-même et pour la nature d’un développement effréné et incontrôlé a suscité une nouvelle prise de conscience.
Cela incitera dans l’esprit humain le besoin « de préciser les critères éthiques du travail et du développement humain »204. C’est ainsi que l’élaboration des nouveaux paradigmes s’efforcera de corriger la tendance anthropocentrique et d’ouvrir davantage la porte à une relation d’alliance donnant ainsi le droit de cité au cosmos et au monde non humain.
S’agissant de la présence de Dieu dans le cosmos les nouveaux paradigmes nuanceront la position classique trop transcendantale en affirmant l’immanence du divin dans le monde.
Systématisation des approches récentes de la théologie de la création
Précisons-le, la crise écologique actuelle oblige la théologie de la création « à élaborer des nouveaux modèles, à rechercher des nouvelles images, plus pertinentes aux yeux des contemporains et répondant d’avantage à leurs aspirations »205. C’est dans cette optique que plusieurs théologiens proposent des approches nouvelles de la théologie de la création tenant compte des acquis des recherches récentes. Dans ce chapitre, nous faisons une étude systématique et herméneutique de quatre paradigmes, ci-après : le paradigme évolutif de Jean Michel Maldame, le paradigme ludique de François Euvé, le paradigme trinitaire et sabbatique de Jürgen Moltmann et le paradigme eschatologique de John F. Haut. Leurs réflexions s’inscrivent dans le débat actuel sur la création. Ces chercheurs inscrivent leurs réflexions dans le débat actuel et se laissent interpeler par la situation de la crise écologique en tant que nouveau tournant de la théologie de la création à l’époque contemporaine.
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186 M-W.LIBAMBU, Création du monde et bonté du Dieu chez Saint Augustin. Les tâches du discours théologiques sur l’écologie, dans Ecologie et Théologie Africaine, Numéro spécial de la Revue Africaine de Théologie, Vol 25, n° 56, octobre 2004, p. 188. ↑
188 F. EUVE, op.cit., p. 11. ↑
191 Cf. S. NZUZI MUSUAMANA, La crise écologique et ses enjeux pour la théologie de la création et les théories de développement. Session de rentrée académique, dans RAT, Vol. 28, n° 55, avril 2004, p. 145 ↑
193 Cf. Chr. THEOBALD, La théologie de la création en question, Un état des lieux dans RSR, Vol. 81, n°4, (1993), p. 613. ↑
194 Cf. Gaudium et Spes n° 2, 11, 12 et 17. Ces paragraphes soulignent la place accordée à l’homme dans la création. Créé à l’image de Dieu, l’homme a été rendu capable de connaitre et d’aimer son Créateur ; il a été constitué seigneur de toutes les créatures pour les dominer et s’en servir pour la gloire de son Créateur. C’est pour dire en définitif que tout sur la terre doit être ordonné à l’homme. ↑
195 Cf. La Déclaration Dignitatis Humanae sur la liberté religieuse qui accorde une place centrale à la liberté inamissible de l’homme. Le droit à la liberté religieuse a son fondement dans la dignité même de la personne humaine telle que l’ont fait connaitre la parole de Dieu et la raison elle-même » Cf. DH, n° 2. ↑
197 F. EUVE, op.cit., p. 41. Ici A.GANOCZY remarque que l’on peut dire que la pensée moderne reprend sous une forme séculière beaucoup d’aspect longtemps négligé de la doctrine biblique de la création. Pour lui, la confrontation avec la modernité peut être l’occasion de redécouvrir ce qui avait été oublié, quitte à le purifier. Cf. A.GANOCZY, Homme créateur, Dieu créateur, Paris, Cerf, 1979, p. 14. ↑
202A. KUMBU Ki KUMBU, Les déplacements récents de la théologie de la création. Du tournant anthropologique au paradigme écologique, dans Ecologie et Théologie Africaine, Numéro spécial de la RAT, Vol.25, n° 56, octobre 2004, p.234. ↑
203 Signalons ici l’abondante littérature contemporaine ayant trait à la théologie politique, à la théologie de la libération et même à la théologie de l’espérance. Dans la même perspective se situe, la première encyclique du Pape Jean Paul II, Redemptor Hominis (I979). Voir aussi A. GANOCZY, Homme créateur, Dieu créateur, Paris, Cerf, 1979, p.15. ↑
204 On peut signaler ici les précisions successives que les Papes Paul VI et Jean-Paul II ont apportées au discours social de l’Eglise, par exemple la lettre encyclique Sollicitudo rei socialis, n° 34, qui affirme que la domination accordée par le créateur à l’homme n’est pas un pouvoir absolu … on ne peut parler de la liberté d’user ou d’abuser, ou de disposer les choses comme on l’entend. Aussi, il on peut penser aux nombreux appels et réflexions actuelles sur une mondialisation plus humaine. A. ROUET (Mgr.), Mondialisation et respect de l’homme, dans Spiritus n° 166, (2002), p.115-129. ↑
Questions Fréquemment Posées
Quelles sont les insuffisances de la doctrine traditionnelle de la création ?
La doctrine traditionnelle de la création présente diverses insuffisances telles que l’oubli de la dimension trinitaire de la création, la présentation de la création comme une œuvre instantanée du passé, et la séparation du Dieu créateur et Dieu rédempteur.
Comment le Concile Vatican II a-t-il modifié la perception de la création ?
Le Concile Vatican II a renoncé à la doctrine traditionnelle et s’est distancié du paradigme causal, en adoptant un tournant anthropocentrique où l’homme est qualifié de centre et de sommet de la création.
Quel modèle d’écologie intégrale est proposé dans la théologie contemporaine ?
L’exemple de Saint François d’Assise est proposé comme modèle d’écologie intégrale dans la recherche sur la théologie de la création.