Découvrez les meilleures pratiques thérapeutiques enfants dans l’aire sanitaire de Bomborokuy. Cette étude révèle comment les choix des parents, influencés par la médecine moderne et traditionnelle, façonnent les itinéraires de traitement. Quels facteurs déterminent ces décisions cruciales pour la santé des enfants ?
4. Effets des caractéristiques de la maladie sur l’itinéraire thérapeutique
Les caractéristiques de la maladie correspondent à la maladie rencontrée, à son évolution dans le temps et à sa gestion, et agissent sur le recours thérapeutique ou le maintien. Pour notre étude, nous retenons le type de pathologie et son degré de gravité.
4. 1. Itinéraires thérapeutiques selon la typologie de la maladie
Le concept de maladie renvoie à des réalités diverses quant à sa définition. Ainsi, pour HERZLICH, 1983, p.189 « La maladie est d’abord un fait social : sa nature et sa distribution sont différentes selon les époques, les sociétés, les conditions sociales». La maladie prend en considération les perceptions et expériences de l’individu en relation aux problèmes de santé.
Il est important de noter que le type d’enquête effectué ne permet pas de cerner exactement la morbidité mais plutôt la perception des individus relativement à leur état de santé. La perception individuelle d’un état de santé est étroitement liée à des facteurs économiques, sociaux et culturels. Ensemble, ils conditionnent les comportements thérapeutiques. Il ne s’agit ici que de chiffres globaux des pathologies, symptômes et traumatismes impliqués dans les itinéraires thérapeutiques étudiés.
Les trois pathologies les plus fréquentes sont le paludisme, la diarrhée et les infections respiratoires aiguës (IRA).
Il convient de souligner que la collecte des données s’est déroulée durant les mois de décembre et de janvier. Elle s’inscrit donc en fin de saison pluvieuse et correspond au début de la saison sèche et la période du froid. A cette époque le paludisme est en régression, beaucoup de retenues d’eau ayant déjà tari et l’harmattan gênant les anophèles adultes (agents vecteurs du paludisme). La saison sèche et froide connaît par contre le pic des maladies respiratoires, favorisées par la baisse des températures et l’harmattan.
Graphique 4. 6 : Recours thérapeutique selon le type de pathologie
Source : Enquête de terrain, (2008)
De ce graphique, il ressort qu’en cas de présomption du paludisme, 46 mères (51,7%) font appel en premier recours à une structure moderne de soins et 47, 2 % font l’automédication.
En effet, le «palu» ou la « fièvre » étant considéré, à tort, comme moins grave que d’autres pathologies, il ne constitue pas un symptôme d’appel. Cette nomination ouvre, par contre, la voie à l’automédication (traditionnelle et moderne) et particulièrement à une phytothérapie censée être efficace pour ces affections ressenties.
Lorsqu’il s’agit de la diarrhée, la moitié des mères préfèrent l’automédication suivie des soins modernes (42,9%). Les maladies diarrhéiques constituent un problème de santé publique en zone tropicale surtout en milieu rural où elles sont l’une des causes principales de mortalité infantile. Ce sont des maladies liées à l’hygiène, transmises par voie orale à travers la consommation d’eau ou d’aliments souillés.
Les infections respiratoires aiguës (IRA), qui se caractérisent par la toux, font l’objet de consultations massives dans les services de soins de type moderne (63,2%).
Les mères utilisent dans la moitié des cas, l’auto-traitement des enfants pour les maux divers ou les affections de la peau.
Les raisons évoquées pour l’automédication sont surtout la connaissance des médicaments adéquats et du mode de traitement de la maladie, le manque d’argent pour la consultation des services de soins modernes mais aussi une certaine confiance qu’elles accordent à ce mode thérapeutique.
Le système de soins moderne est exclusivement utilisé pour la confiance que les mères font à celui-ci du fait de l’efficacité du traitement qui y est effectué.
De même, la consultation des tradipraticiens se justifie par la perception de la maladie jugée non « naturelle ». La survenue de la maladie doit pouvoir se comprendre et le traitement devient plus facile d’autant plus que la cause de la maladie est connue. En témoignent ces propos d’une mère de 27 ans : « On ne peut soigner certaines maladies au dispensaire, lorsque c’est une vieille qui l’a mangé, c’est inutile de l’emmener au dispensaire. C’est pourquoi je n’aime pas donner mon enfant à une vieille de plus de 50 ans ». Cela traduit aisément la perception de l’origine de la maladie que peut avoir une mère en milieu rural.
4. 2. Itinéraires thérapeutiques selon la gravité de la maladie
En général, lors d’un épisode morbide, les parents ou le malade attendent de voir l’évolution de la maladie selon qu’elle est grave ou bénigne avant de se décider pour la recherche de soins appropriés. Cette gravité est appréciée de façon objective ou subjective par les mères et traduit leurs perceptions de la maladie.
Notre étude révèle que les patients qui n’ont pas eu de recours thérapeutique avaient des maladies bénignes (6,7%) et quelques cas de maladies graves (4,2%). Les mères ayant utilisé les services de santé modernes l’ont fait pour les maladies très graves à 43,2% et les cas de pathologies graves à 35,1%. Le recours à l’automédication se fait surtout lorsque l’état de santé est assez grave (65,3%). Les ménages s’orientent lors de l’aggravation de la maladie vers la consultation d’un tradithérapeute.
Graphique 4. 7 : Recours thérapeutique selon la gravité de la maladie
Source : Enquête de terrain, (2008)
La gravité constitue l’un des facteurs les plus déterminants dans le recours car elle crée la nécessité de chercher des voies et moyens pour recouvrer la santé des enfants. Elle apparaît le plus souvent après des tentatives infructueuses de soins. Ce sont surtout les soins modernes et la consultation traditionnelle qui sont les plus sollicités par les mères lorsque la maladie est grave ou très grave.
Cet état de fait est confirmé par le personnel soignant du CSPS de Bomborokuy lors de l’entretien. Les agents de santé constatent souvent (et parfois le reprochent) que les malades tardent à les consulter. Ils affirment que la plupart des malades tentent de se soigner par automédication. Les médicaments sont souvent ingérés même lorsqu’ils ne correspondent pas au type de pathologie identifiée.
Par ailleurs, les recettes «traditionnelles» sont considérées comme des produits aux multiples vertus pouvant traiter deux ou trois pathologies à la fois. Cependant, il convient de souligner que ces pratiques sont largement syncrétiques. Les malades ou les parents ne se résolvent à consulter les agents de santé que lorsque leur état de santé s’empire après l’échec de la tradithérapie.
Le plus souvent quand la maladie s’aggrave, la suite de l’itinéraire n’est plus contrôlée et la combinaison thérapeutique (produits traditionnels et modernes) pour « renforcer le traitement », en vue d’une guérison rapide de l’enfant, fait son apparition. L’utilisation conjointe de ressources de santé appartenant à des traditions médicales différentes va principalement s’expliquer par le fait que les mères ne perçoivent pas les types de recours en termes d’opposition, mais plutôt de complémentarité.
Young (cité par HADDAD et al., 1992) estime que la complémentarité entre médecine moderne et médecine traditionnelle provient de ce que chacune satisfait et répond à des besoins différents : une tradition internalisée comme la médecine moderne est recherchée pour faire disparaître ou réduire le problème ressenti et les symptômes, tandis qu’une médecine traditionnelle externalisée va servir à identifier et neutraliser la cause du problème. La tradition internalisée se base sur la nature, le type de pathologie en question afin de pouvoir la traiter tandis que la médecine traditionnelle externalisée cherche à connaître les causes externes de la maladie qui peuvent souvent être interprétées comme l’oeuvre des sorciers, des mauvais esprits…
Le recours aux thérapies alternatives survient aussi souvent lorsque la médecine moderne, tout d’abord consultée, se révèle incapable de proposer un diagnostic et/ou un soin adaptés et efficaces ou bien lorsque les parents du patient ayant déjà consulté un infirmier, voire un médecin, entendent dire : « votre enfant n’a rien ».
Il se voit assez vite contraint à chercher ailleurs une prise en charge thérapeutique. Tel est le cas de cette mère : « Mon enfant avait mal aux joues, je l’ai amené au CSPS. Ils l’ont traité pendant sept jours sans amélioration de son état de santé. J’ai demandé la route pour me rendre au CMA de Nouna.
Là-bas, ils ont fait des examens et m’ont dit que mon fils n’avait rien. Là, j’ai su que c’était grave et qu’il fallait soi même chercher des produits traditionnels pour soigner l’enfant ».
Les déterminants du recours thérapeutique sont divers et multiformes. Ils interagissent entre eux et peuvent agir soit directement sur les recours aux soins ou soit indirectement en modifiant la perception en matière de santé. Cependant, nous notons que ce sont surtout les facteurs économiques et socio-culturels qui favorisent ou limitent les choix thérapeutiques lors de la maladie des enfants.
De même, les facteurs liés à l évolution de la maladie sont aussi très déterminants. Les parents définissent une priorité financière des cas à emmener au dispensaire en fonction aussi de l’idée qu’ils se font de la gravité de la maladie, de sa cause et des symptômes. Pour une maladie considérée comme bénigne, l’enfant sera traité à la maison et les ressources épargnées pour d’autres cas plus urgents (convulsions ou autres maladies).
Les facteurs géographiques, influencent faiblement le recours thérapeutique. Cela s’explique par l’absence d’obstacles géographiques majeurs entravant le processus de recherche de soins et de la relative proximité du centre de soins moderne.
CONCLUSION GENERALE
Au terme de notre étude sur les itinéraires thérapeutiques en cas de maladie des enfants de moins de quinze ans dans l’aire sanitaire de Bomborokuy, il convient de rappeler l’objectif général qui sous-tend cette étude à savoir « analyser les choix de recours thérapeutiques envisagés dans la prise en charge de la maladie des enfants ».
A l’apparition d’un épisode morbide, le malade ou les parents recherchent les voies et moyens pour recouvrer sa santé. L’offre de soins, dont il dispose, est constitué de la thérapie traditionnelle (exercée par les phytothérapeutes ou tradipraticiens encore appelés guérisseurs), de la consultation dans les formations sanitaires modernes (infirmiers, médecins) et de l’automédication.
Des résultats de nos analyses, il ressort que les mères, pour soigner leurs enfants, empruntent des itinéraires thérapeutiques complexes et variés. La majorité des malades se sont limités au premier recours pour cause de guérison. Les deuxième et troisième recours ont été atteints par peu de patients.
L’utilisation des services de santé modernes semble être priorisée dans le choix des soins, suivi de près par l’automédication. La confiance accordée aux structures de soins modernes du fait de l’efficacité de ses traitements, conduisant le plus souvent à la guérison, est le motif principal de recours à ce type de soins. L’accessibilité facile, le coût abordable des produits, favorisent l’usage de l’automédication. Le manque de moyens financiers est une des raisons principales de la sous-utilisation des formations sanitaires modernes, les coûts de prestation et d’achat de médicaments étant jugés souvent élevés.
L’hypothèse selon laquelle l’absence de moyens financiers dans les ménages favorise le traitement des enfants par automédication est confirmée. Le recours est très rarement fait aux tradithérapeutes et c’est surtout pour les maladies jugées d’origines douteuses ou « provoquées ».
De l’analyse du degré de satisfaction thérapeutique selon les recours aux soins, l’étude révèle que les dispensateurs de soins n’ont qu’un contrôle marginal sur la demande de services et sur les itinéraires thérapeutiques de leurs patients. Ils n’ont pas la capacité de « fidéliser » leurs malades tout au long de l’épisode morbide. De ce fait, le recours à un tel type de soins donné n’est pas exclusif : on passe alternativement d’une structure moderne à une structure traditionnelle, si la médecine moderne (ou traditionnelle) ne parvient pas rapidement à un résultat, on ira dans l’autre secteur, quitte à faire des allers-retours.
Ainsi, généralement les mères des enfants malades qui ont commencé par le traitement moderne dans une formation sanitaire, changent de recours et pratiquent surtout l’automédication aussi bien au second recours comme au troisième.
Lorsqu’il y a échec thérapeutique pour les mères qui ont débuté par l’automédication, le recours aux soins modernes apparaît comme l’ultime solution au second recours. Toutefois elles reviennent sur l’automédication comme mode de traitement en cas de persistance du mal.
Nous pouvons dire que l’hypothèse correspondant qui stipulait que le recours à un système de soins ne se fait qu’avec la gravité de la maladie de l’enfant est confirmée.
Bien que progrès sanitaire et développement économique soient étroitement liés, l’amélioration de la santé des individus dans les pays à faible revenu, ne peut attendre leur décollage économique, d’autant que l’aspect financier n’est pas le seul déterminant de l’accès aux soins.
« Tout a de l’importance. L’habitat, les comportements des individus, le rang social, les habitudes alimentaires, les équipements collectifs ou la situation géographique, au même titre que le niveau culturel, les comportements des individus (malades et médecins) ou les choix des sociétés » PICHERAL, (1984).
Ainsi, pour faire face aux limites d’accès aux soins de santé et améliorer l’état de santé des populations en général et celui des enfants en particulier, nous proposons quelques recommandations.
La représentation de la maladie et les structures sociales sont des facteurs importants dont tout programme de santé doit tenir compte. Cela permet de savoir comment orienter les campagnes d’éducation et de sensibilisation afin d’aider les populations à consulter le plus tôt possible les centres de soins modernes et de permettre aux mères de reconnaître les cas de gravité de la maladie.
Certes, les campagnes d’éducation sanitaire pour être efficaces doivent s’adresser aux femmes qui s’occupent quotidiennement des enfants, mais Il est important qu’elles concernent un public très large afin que les messages d’éducation sanitaire aient un impact. Il est nécessaire d’impliquer non seulement les pères qui ont généralement le pouvoir de décision et une autonomie financière mais aussi les enfants sur la prévention des maladies.
Ainsi, l’hypothèse selon laquelle la décision du recours thérapeutique est une prérogative masculine est confirmée.
La qualité, notamment des soins, en est un facteur tout aussi important. Pour ce faire, il faut améliorer cette qualité à travers la dotation du centre de soins modernes de Bomborokuy en matériel (lits, matelas, ambulance, médicaments,…). Le personnel soignant du secteur moderne comme du secteur traditionnel doit être formé, recyclé afin de faire un diagnostic juste de la maladie, toute chose qui améliore l’efficacité du traitement et diminue les échecs thérapeutiques.
Au-delà de la formation du personnel soignant, sa motivation est le moyen pour l’inciter à travailler davantage et devrait faire l’objet d’attention.
L’établissement d’un climat de confiance entre soignants et soignés est un gage de réussite et conditionne le retour du patient même si les premiers soins semblent se révéler inefficaces. Pour ce faire, le soignant doit savoir rassurer, dialoguer et écouter, au-delà d’une trop stricte démarche clinique, les difficultés sociales auxquelles les patients et leurs familles sont confrontés. Les échanges langagiers, l’inquiétude et l’observation de son corps, l’attention portée au malade sont des dimensions essentielles de la relation de soins.
La collaboration entre les services de soins modernes et traditionnels doit être encouragée car ils sont complémentaires. Il est avéré que certaines pathologies sont mieux traitées par la médecine traditionnelle que celle dite moderne. Il est même souhaitable de créer des centres intégrés de soins où les malades peuvent choisir le type de soins (traditionnel ou moderne) qu’ils jugent adapté à leur maladie mais aussi à leurs moyens financiers.
Ainsi, la médecine traditionnelle peut contribuer à réduire le coût des dépenses de santé. Toutefois, les mutuelles de santé constituent une des solutions les plus appropriées pour réduire considérablement le coût des soins de santé, à condition que la gestion de ces mutuelles se fasse dans les règles de l’art. Par ce biais, les populations ayant accès aux soins à moindre coût, seront moins enclines à utiliser l’automédication, voire les médicaments de la rue.
Il est connu que les principales causes de mortalité chez les enfants sont les maladies parasitaires (en particulier le paludisme), les diarrhées, les affections des voies respiratoires, et la malnutrition. Ces maladies sont intimement liées aux facteurs du milieu et il existe souvent des liens de causes à effets entre ces facteurs et les maladies. Liens qui, s’ils sont bien compris, peuvent permettre de réduire les risques de maladies en mettant en oeuvre des stratégies de prévention efficace.
Les actions préventives doivent reposer sur une modification de divers comportements sociaux, allant de l’hygiène aux pratiques alimentaires suffisantes, saines et diversifiées.
La sensibilisation de la population sur les soins préventifs surtout la pratique de l’hygiène (corporelle, alimentaire, environnementale) devrait être de mise car nous « consommons » la quasi-totalité de nos maladies.
La méconnaissance des causes de la maladie par les populations a de fortes conséquences sur leurs comportements aussi bien vis-à-vis des choix thérapeutiques que de l’impact possible des mesures de prévention. En effet, « un malade qui est convaincu qu’il s’agit d’un sort dont il est victime, même s’il en a les moyens, même si le service de santé est à proximité de son domicile ne s’y rendra pas, il ira chercher la solution à sa maladie ailleurs » (YONKEU, 2006). D’où la nécessité de l’appropriation des causes de la maladie par les populations.