La paix sociale en commission d’indemnisation est une finalité essentielle de cette juridiction spécialisée, visant à résoudre les litiges liés aux erreurs judiciaires. L’article explore comment cette institution contribue à la stabilité sociale tout en respectant les critères juridiques établis.
Section 2 : La garantie d’une paix sociale : seconde finalité juridictionnelle de la commission
- Il peut sembler curieux d’affirmer qu’une institution juridictionnelle ait pour mission de garantir la paix sociale1 tant il est tellement vrai qu’un tel organe est généralement appelé à trancher un litige opposant deux protagonistes. Ses décisions peuvent d’ailleurs déplaire aux deux parties en conflit puisque dans tous les cas, le droit aura été toujours dit2.
Toutefois, les auteurs sont unanimes sur le fait que la fonction de trancher les litiges est étroitement liée à celle d’apaiser3 les tensions sociales4. La fonction d’apaiser, qualifiée souvent de finalité secondaire ou éthique5, parfois de finalité première6, généralement de finalité secrète et longue7 ou inséparable8 de la fonction de trancher, constitue donc une finalité de toute institution juridictionnelle.
La commission apaise-t-elle des tensions sociales lorsqu’elle tranche les litiges conformément au droit pour mériter le qualificatif de juridiction ?
- Une évidence doit être rappelée à ce stade de notre réflexion : la commission est une institution du troisième millénaire et peut-être qualifiée de juge parce qu’elle dit le droit. Or, il a été pertinemment souligné par Simone ROZES que « le juge du troisième millénaire intervient certes pour dire le droit, mais aussi pour régler concrètement des situations conflictuelles dont les enjeux sont graves et aigus9 ».
La fonction d’apaisement de la commission pourrait alors se trouver dans l’existence des enjeux qui tournent autour de sa fonction principale : celle de dire le droit et de trancher les litiges. Ces enjeux doivent alors être analysés par rapport aux deux parties devant la commission : l’État (§2) et la victime (§1).
§1. Les enjeux de l’apaisement pour la victime, partie demanderesse
- Les enjeux de l’apaisement pour la victime sont de deux ordres : ils renvoient au rétablissement de l’équilibre rompu par la détention (A) et à la restauration de la confiance rompue par cette même mesure privative de liberté (B).
Le rétablissement de l’équilibre rompu par la détention
- Selon Pascal LABBEE10, trois (3) présomptions servent de fondement, d’explication à l’équilibre harmonieux de la vie sociale : la présomption d’impeccabilité de l’acte pris par la personne investie de prérogatives de puissance publique ; la présomption de conformité de la situation de fait à la norme de droit dans les rapports de droit privé et la présomption d’innocence attachée au comportement de l’individu dans la vie sociale.
Lorsque l’une de ces présomptions est remise en cause, à l’occasion de tel acte ou de tel fait, apparait alors la contestation et partant le litige qui, s’il se perpétue, « l’équilibre naturel découlant de l’effet de telle ou telle présomption est alors brisé »11.
Selon ce même auteur12, il importe, pour que l’harmonie soit rétablie, que soit apprécié le caractère bien ou mal fondé de la contestation de la présomption en cause. Pour que l’appréciation du bien-fondé de cette contestation ne puisse être à son tour remise en question, il conviendra qu’elle soit donnée de façon éclairée et en sagesse, par une autorité investie du pouvoir de juger.
Cette autorité rendra la justice, comme on rend quelque chose qui est due… et l’harmonie des rapports sociaux sera ainsi rétablie et tout rentrera dans l’ordre. Pour que cette harmonie soit rétablie, pour que la contestation soit tranchée, pour que la conformité de la situation de fait à la norme de droit réapparaisse, il faudra concevoir que le litige soit élevé devant l’autorité à même de l’apprécier, qu’un certain processus soit suivi, de façon qu’il soit acquis que la décision rendue l’a été en sagesse, et que la solution dégagée puisse s’imposer, éventuellement par force, à ceux qui étaient en litige.
- La détention d’un individu, qu’elle soit provisoire ou définitive, est la manifestation la plus flagrante de la rupture de l’équilibre protégée par la présomption d’innocence.
Lorsqu’il s’avère par la suite que cette détention est abusive ou erronée, la décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement définitif ne rétablie pas tout de suite l’équilibre parce que l’acte de détention deviendrait aussi une manifestation de la rupture protégée par la présomption d’impeccabilité qui lui est attachée.
C’est dans ce sens qu’on pourrait comprendre que l’équilibre rompu par les détentions abusives ou erronées ne peut être rétablie que par la commission. Cette dernière est donc cette autorité à même d’apprécier le litige né entre la victime et l’État au sujet des actes pris par les autorités judiciaires qui, au bout d’un processus bien établi, rend des décisions qui auront autorité de chose jugée.
- Ainsi, la commission est une institution créée spécialement pour dire le droit lorsque les libertés des victimes d’erreurs judiciaires ont été menacées, notamment par les autorités judiciaires13.
Quoi qu’il en soit, la commission joue un rôle particulier d’apaisement : celui que crée pour les particuliers le rétablissement d’un équilibre en leur faveur14 d’autant plus qu’ « il y a apaisement pour les particuliers quand l’administration, au cours ou à l’issue du procès, se trouve destituée de ses privilèges, fût-ce partiellement ou provisoirement »15.
Le fait que la commission ait été chargée spécifiquement pour se prononcer sur l’indemnisation des victimes d’erreurs judiciaires est encore la manifestation d’un souci d’apaisement venant de la part du législateur. Commentant les articles 236 et 237 du code procédure pénale, Emmanuel NDJERE conclue que ces dispositions participent d’une prise en compte des intérêts de la personne suspectée ou inculpée16.
- La conception du juge spécialisé, comme l’a si bien démontré Simone ROZÈS, répond souvent au souci d’apporter une amélioration souhaitée en faveur d’une catégorie de justiciables estimée dignes d’intérêt particulier ou placées en présence de difficultés excessives de procédure17.
Les victimes d’erreurs judiciaires se trouvaient, avant la création de la commission, dans les difficultés des lenteurs judiciaires (la procédure civile normale par exemple) et des difficultés de procédure (la procédure de prise à partie était par exemple très complexe). Ce sont des personnes vulnérables qui avaient besoin d’une protection particulière18.
Le simple fait que la commission soit instituée a donc un enjeu d’apaisement pour ces victimes. Il en est ainsi parce que, dès lors que le juge est un décideur, il doit avoir la capacité réelle de donner un contenu concret à la sécurité des citoyens19.
- Le juge (qui est ici la commission) est donc, en dernière analyse, le garant de la confiance de l’individu envers la société, un rempart contre la colère irresponsable ou la vengeance personnelle, le garant de la stabilité et de la paix sociales20. Pour les victimes, la commission est un organe spécialement créé pour restaurer la confiance rompue par leur détention.
La restauration de la confiance rompue par la détention
- En plus de la rupture d’équilibre que la détention peut provoquer chez les personnes qui en sont victimes, celle-ci engendre aussi une rupture de la confiance.
La rupture de la confiance par la détention abusive ou erronée d’un individu est en effet double. Il y a d’abord et en premier lieu la rupture de la confiance de la société envers la victime à partir du moment où elle lui a retiré la présomption d’innocence. Il y a en second lieu la rupture de la confiance de la victime envers les autorités judiciaires et, partant, la société en général.
C’est de ce dernier type de rupture dont il s’agit ici car, après la décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement définitif, la rupture de la confiance de la victime envers la société va subsister et ne pourra être apaisée, de manière particulière, que par la commission.
Il en est ainsi parce que les détentions provisoires ou les condamnations erronées auront créé des difficultés morales ou matérielles qui auront à leur tour perturbé gravement l’existence des victimes21.
- Le choix de la commission en tant que juge est par conséquent révélateur de ce qu’elle sera parfois plus préoccupée par le souci de préserver la paix sociale que par le souci de dire le droit22.
Puisqu’il se déroule un véritable procès devant la commission comme il a été mis en exergue dans les précédentes analyses, la conséquence la plus évidente est qu’elle constitue une institution de reconstitution du lien social rompu par la détention abusive.
C’est d’ailleurs l’idée qui est soutenue par Denis SALAS lorsqu’il affirme que le procès est comme une « cérémonie de reconstitution du lien social »23. La commission apparait alors comme une institution créée pour garantir une paix sociale au profit des victimes d’erreurs judiciaires au regard des enjeux ainsi soulevés. Elle apparait davantage comme un organe d’apaisement au profit de l’État, partie défenderesse devant elle.
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1 Selon Camille BROYELLE, « il existe, dans un procès, toutes sortes d’occasions à l’apaisement. L’ultime réside dans le jugement lui-même et dans la solution juste qu’il doit rendre. Mais bien avant, un apaisement, bien que provisoire et partiel, doit normalement s’être produit : par une mise à distance des parties ou encore par l’assurance d’une procédure équitable ». V. dans ce sens BROYELLE (C.), « Le juge et l’évidence » in L’office du juge, op. cit., p. 273. ↑
2 Et, « saisir le juge, c’est bien souvent refuser la voie de la pacification, de l’apaisement, choisir de déclarer la guerre, donc exacerber le conflit ». V. dans ce sens LOCHAK (D.), « Dissimuler la violence, canaliser la contestation » in L’office du juge, op. cit., p. 247. ↑
3 « Apaiser, c’est amener progressivement à l’état de paix, calmer [une agitation, une crainte, des discordes]. Ou encore, c’est mettre la paix, faire cesser l’émotion, la colère. On apaise des querelles, des souffrances, des tensions, ou encore les esprits ». V. dans ce sens LOCHAK (D.), ibid., p. 246 ; V. également dans ce sens FOYER (J.), « La justice : histoire d’un pouvoir refusé », op. cit., p. 29. ↑
4 Rendre la justice, c’est d’abord assurer la paix sociale. V. SARKOSY (N.), Discours prononcé lors de l’audience solennelle de début d’année judiciaire 2009 in Cour de Cassation, Rapport 2008, p. 42. ↑
5 CADIET (L.), « Pour une théorie générale du procès », R.I.R., n° 28, 2011, p. 41. ↑
6 Pour Stéphane Rials, la juridiction a par moment privilégié la finalité de pacification. V. RIALS (S.), « L’office du juge », op. cit., p. 19. ↑
7 PEDRO (Ph.), « Le processus juridictionnel et droit des personnes : argumentation et délibération » in L’office du juge, op. cit., p. 284. ↑
8 Pour certains auteurs, trancher et apaiser vont de pair. V. dans ce sens LOCHAK (D.), ibid., p. 246. ↑
9 S. ROZES, « Un profil nouveau pour les juges » in Nouveaux juges, nouveaux pouvoirs ? Mél. Roger PERROT, op. cit., p. 441. ↑
10 V. LABBEE (P.), Institutions juridictionnelles, cours, 2009-2010, p. 5. ↑
11 V. LABBEE (P.), ibid., p. 6; V. également dans ce sens CARBONNIER (J.), Droit civil, Vol. 1, Introduction, les personnes, la famille, l’enfant, le couple, Paris, P.U.F., 1ère éd., 2004, coll. Quadrige, p. 153, n°88. ↑
12 V. LABBEE (P.), ibid. ↑
13 FALL (A.-B.), « Les menaces internes » in L’indépendance de la justice, op. cit., p. 48. ↑
14 BROYELLE (C.), « Le juge et l’évidence » in L’office du juge, op. cit., p. 273. ↑
15 FALL (A.-B.), ibid., p. 48. ↑
16 NDJERE (E.), Du juge d’instruction…au juge d’instruction : quel cheminement pour quel résultat ?, Yaoundé, P.U.C.A.C., 2006, p. 201. ↑
17 ROZES (S.), « Un profil nouveau pour les juges », op. cit., p. 438. ↑
18 PINEAU (J.), « Les pouvoirs du juge et le nouveau code civil du Québec », op. cit., p. 371. ↑
19 SAKHO (P. – O.), « Allocutions d’ouverture » in L’indépendance de la justice, op. cit., p. 16 ; V. également LAMANDA (V.), Discours prononcé lors de l’audience solennelle de début d’année judiciaire 2009 in Cour de Cassation (française), Rapport 2008, p. 29. ↑
20 SOUMARE (C. -H.), « Allocutions d’ouverture » in L’indépendance de la justice, op. cit., p. 26 ; V. également LAMANDA (V.), Discours prononcé lors de l’audience solennelle de début d’année judiciaire, le 9 janvier 2014 in Cour de Cassation, Rapport annuel 2013, p. 16. ↑
21 DE LEVAL (G.), « La triple mission du juge (belge) dans le procès civil », op. cit., p. 257. ↑
22 MOUANGUE KOBILA (J.), « Droit de la participation politique des minorités et des populations autochtones. L’application de l’exigence constitutionnelle de la prise en compte des composantes sociologiques de la circonscription dans la constitution des listes de candidats aux élections au Cameroun », op. cit., p. 630. ↑
23 SALAS (D.), « Procès » in ALLAND (D.) et RIALS (S.), Dictionnaire de la culture juridique, op. cit., p. 1242. ↑