Analyse de l’autorité de chose jugée de la commission d’indemnisation

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🏫 Université de Ngaoundéré - Faculté des sciences juridiques et politiques - département de droit privé
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master - Recherche - 2014 - 2015
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BAMBE DJORBELE
BAMBE DJORBELE

L’autorité de chose jugée commission est essentielle pour comprendre la portée des décisions rendues par la commission d’indemnisation des victimes d’erreurs judiciaires. Cet article analyse ses implications pour les parties en litige, la commission elle-même et les tiers concernés.


La portée de l’autorité des décisions de la commission

  1. La portée de l’autorité de chose jugée des décisions de la commission doivent être appréciée d’abord à l’égard des parties en litige (1), ensuite à l’égard de la commission elle-même (2), et enfin à l’égard des tiers au litige (3).

1. Une autorité de chose jugée à l’égard des parties en litige

  1. La décision juridictionnelle ayant autorité de la chose jugée constitue d’une part, pour le justiciable qui a vu sa demande accueillie, un titre qui constate ou déclare une situation à son profit, situation qui est ainsi consacrée dans l’ordre juridique et interdit d’autre part que soit soumise au juge une nouvelle demande qui, entre les mêmes parties, aurait le même objet et la même cause. C’est le double effet positif (effet probatoire) et négatif (irrecevabilité) de l’autorité de la chose jugée à l’égard des parties. Mais, ces effets ne peuvent se produire qu’à la condition qu’il y ait une triple identité des parties1, d’objet2 et de cause3.

L’effet négatif de l’autorité de la chose jugée signifie que lorsque la décision juridictionnelle a été rendue, il est interdit aux parties de soumettre à la juridiction ce qui a été déjà jugé. Est-ce le cas devant la commission d’indemnisation des victimes d’erreurs judiciaires ? La réponse est certainement affirmative dans la mesure où il serait surprenant qu’à peine la commission s’est prononcée sur le fond d’une affaire, que la même affaire lui soit encore soumise à nouveau. Une présomption de vérité est attachée à la décision de la commission, « res judicata pro veritate habetur ». Ainsi, il est interdit aux parties devant la commission de la saisir à nouveau lorsqu’elle s’est prononcée définitivement sur leur cause. L’effet négatif de l’autorité de la chose jugée est tellement fort que celle-ci couvre même les erreurs de jugement. A cet égard, sur le plan procédural, les décisions de la commission bénéficient d’une seconde présomption, celle de validité et de régularité. Au lendemain de la décision rendue par la commission, cette présomption n’a qu’une force provisoire, force qui ira en se fortifiant au fur et à mesure que les voies de recours auront été utilisées ou auront fait l’objet d’une renonciation.

L’effet positif de l’autorité de la chose jugée à l’égard des parties renvoie aux avantages qui découlent des décisions juridictionnelles pour elles. On peut vérifier cet effet des décisions que la commission pourra rendre. Lorsqu’elle décide sur les affaires qui lui sont soumises, la commission est appelée à reconnaître des droits à la victime qui l’a saisie ou à les refuser. Sur le fond du droit, cela signifie que le requérant dont le droit a été reconnu peut se prévaloir de la décision rendue par la commission. Il en est ainsi parce que désormais, en vertu de cette décision, la victime bénéficiaire du droit devient créancier de l’État qui lui doit une indemnité égale au montant déterminé par la commission. Autrement dit, l’État devient par la même occasion débiteur de la victime de la somme qui lui est dictée par la décision de la commission. Sur le plan procédural, la décision de la commission devient un moyen de preuve pour la reconnaissance du droit de la victime à obtenir réparation.

2. Une autorité de chose jugée à l’égard de la commission

  1. Le jugement qui tranche, dans son dispositif, tout ou partie du principal ou qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident dessaisit le juge de la contestation ainsi tranchée. L’autorité de la chose jugée ne joue que si les faits invoqués à l’appui de la nouvelle demande sont identiques. Fort logiquement, une nouvelle saisine du juge est possible en cas de faits nouveaux. Naturellement, il doit s’agir de véritables faits nouveaux. Lorsque l’objet du litige est inchangé, la production de nouveaux moyens de preuve ne fait pas obstacle à l’autorité de la chose jugée et ne suffit pas à autoriser une nouvelle saisine du juge4.

L’autorité de chose jugée à l’égard de la commission se manifeste par le fait que, dès le prononcé de sa décision, elle est dessaisie parce que cette dernière épuise sa saisine5. Ce dessaisissement est la conséquence logique et directe de l’autorité reconnue à ses décisions. Cette autorité interdit à la juridiction qu’est la commission de connaître à nouveau d’une prétention qui a déjà fait l’objet de sa décision. Dès lors que se trouve réalisée la triple identité de parties, de cause et d’objet, la commission ne peut plus statuer à nouveau.

Il s’agit là, comme on le voit, du principe de dessaisissement du juge qui s’impose à la commission parce qu’elle fait office de juge dans sa mission. C’est une application concrète de la maxime latine « lata sententia, judex desinit esse judex » c’est-à-dire la sentence une fois rendue, le juge cesse d’être juge. C’est pourquoi la commission, une fois qu’elle a tranché le litige qui lui a été soumise, ne peut plus revenir sur sa décision, même avec le consentement des parties.

3. Une autorité de chose jugée à l’égard des tiers

  1. L’autorité de la chose jugée liée aux décisions de la commission ne peut être que relative. Il en est ainsi parce que, comme on l’a souligné6, on est en présence d’un contentieux subjectif qui tend à assurer la satisfaction d’un intérêt individuel à savoir la réparation de la violation d’un droit subjectif. Un jugement ne peut, dans ces conditions, produire ses effets substantiels à l’égard de tiers, en leur reconnaissant des droits ou en leur imposant des obligations7, sous réserve des mécanismes de représentation, à l’occasion desquels la jurisprudence a pu, dans certains cas, faire application de la notion d’opposabilité, notion qui, en réalité, s’apparente, dans les hypothèses considérées, à une véritable autorité de chose jugée créatrice de droits ou d’obligations.

L’opposabilité du jugement, au sens premier et véritable du terme, a pour seule incidence, à l’égard des tiers, de leur « faire sentir ses effets », selon la formule du professeur Gérard CORNU8, en les forçant à reconnaître, de manière plutôt passive, l’existence de la situation de droit et de fait ainsi déclarée ou constituée et à respecter cette situation comme un élément de l’ordonnancement juridique, sous réserve de la tierce opposition9. À titre d’illustration particulièrement évocatrice, la rectification judiciaire d’état civil est opposable à tous, mais ne confère de droits qu’au requérant et à ses ayants cause10. Mais, exceptionnellement, le jugement peut être revêtu d’une autorité absolue de la chose jugée. Il en est ainsi lorsque la juridiction administrative est juge de l’excès de pouvoir à l’égard de certaines normes à valeur réglementaire. Ce contentieux, objectif ou matériel et non subjectif, peut, en effet, aboutir à l’annulation erga omnes de la norme générale et impersonnelle considérée11.

À l’égard des tiers, la chose jugée n’a donc aucun effet. C’est la manifestation de la relativité de l’autorité de la chose jugée. Cette relativité trouve son fondement dans l’adage « res inter alios judicata nec nocet, nec prodest » c’est-à-dire littéralement que la chose jugée qui lie les plaideurs n’a aucun effet à l’égard des tiers. Il en est exactement ainsi des décisions de la commission. En effet, lorsqu’elles sont rendues, elles ne produisent d’effets qu’entre la victime qui a été à l’origine de l’action en justice devant la commission et l’État qui est requis. Il ne saurait d’ailleurs en être autrement puisque ses décisions qui sont assimilables aux jugements civils ne peuvent créer des droits ou d’obligations en faveur ou à l’encontre de ceux qui n’ont été ni parties ni représentés.

En clair, on peut dire que les décisions de la commission ont autorité de chose jugée12. Sans doute, peuvent-elles être remises en cause par l’exercice d’une voie de recours (l’appel13 par exemple) ; mais dans des conditions très strictes, notamment au point de vue des délais14 ; et en tout cas, lorsque les décisions ne sont plus susceptibles de recours, elles ont force de vérité légale15 ; ce qui signifie que personne ne peut plus contester ce qui a été jugé et que la commission elle-même ne peut plus revenir sur ses décisions.

________________________

1 La décision n’a autorité de chose jugée qu’à l’égard des « mêmes parties » et n’interdit que le renouvellement de la demande que si la prétention est « formée par elles et contre elles en la même qualité » (art. 1351 c. civ.) ; Symétriquement, la disposition d’un jugement intéressant une personne qui n’aurait pas été appelée en la cause est dépourvue d’autorité de chose jugée à son égard (Cass. soc., 16 juillet 1998, Bull.1998, V, n° 391, au sujet d’un arrêt d’appel qualifiant d’employeur une société tierce à la procédure, société dont le pourvoi en cassation a, dans ces conditions, été jugé irrecevable).

2 Pour que l’autorité de la chose jugée puisse faire obstacle à une demande nouvelle, il est nécessaire, selon l’article 1351 du code civil, que « la chose demandée soit la même». La chose demandée, c’est l’objet de la demande, soit ce qui est réclamé à l’adversaire, ou encore l’avantage recherché, abstraction faite des éléments juridiques de la demande, comme la qualification.

3 La cause n’est pas seulement la règle de droit qui sert de fondement à la demande ni uniquement l’ensemble des faits juridiques qualifiés, mais « l’ensemble des faits allégués à l’appui de la prétention, indépendamment de la règle de droit invoqué et de la qualification juridique ». V. dans ce sens Cass. Ass. plén., 7 juillet 2006, Bull.2006, n° 8

4 Cass. 2e Civ., 20 mars 2003, pourvoi n° 01-03.849

5 FOULON (M.) et STRICKLER (Y.), « L’équivoque en droit : le jugement définitif », op. cit., p. 180

6 RIALS (S.), « L’office du juge », op. cit., p. 18

7 Cass. Soc., 16 juillet 1998, précité

8 CORNU (G.) (S/D), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 711

9 C’est une voie de recours extraordinaire ouverte aux personnes qui n’ont été ni parties ni représentées dans une instance et leur permettant d’attaquer une décision qui leur fait grief et de faire déclarer qu’elle leur est inopposable. V. dans ce sens GUINCHARD (S.) et MONTAGNIER (G.) (S/D), Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 704

10 Cass. 1re Civ., 25 mai 1992, Bull.1992, I, n° 158

11 À titre d’illustration, peut être cité l’exemple français du contentieux des règlements intérieurs des barreaux, qui a donné lieu à une jurisprudence relativement abondante sur la question de l’excès de pouvoir du conseil de l’ordre dans l’exercice de ses attributions administratives (Cass. 1re Civ., 26 novembre 2002, Bull. 2002, I, n° 283, et 27 janvier 2004, pourvoi n° 01-12.391 au sujet de règlement intérieur limitant la liberté des enchères ; 16 décembre 2003, pourvoi n° 01-10.210, sur les dispositions d’un règlement intérieur relatives au secret professionnel et à liberté des enchères).

12 Un auteur n’a-t-il pas affirmé que « l’indépendance du juge est le principe qui donne aux jugements toute leur autorité » ? Or, il a été démontré plus haut que la commission est belle et bien indépendante ! Donc, cette seule indépendance pourrait même justifier l’autorité de ses décisions. V. LAMANDA (V.), Discours prononcé lors de l’audience solennelle de début d’année judiciaire 2009 in Cour de Cassation (française), Rapport 2008, p. 31

13 Cf. l’art.237 al.8 C.P.P.C.

14 J. MOURY, « De quelques aspects de l’évolution de la jurisdictio », op. cit., p. 302

15 Il faut néanmoins reconnaître que l’autorité de chose jugée s’attache aux actes qui sont juridictionnels à la fois au point de vue matériel et formel. Ce qui signifie qu’il n’y a pas autorité de chose jugée pour les actes qui ne sont juridictionnels qu’au point de vue formel. De même, il n’y a pas autorité de chose jugée pour l’acte qui, n’étant pas juridictionnel au point de vue matériel, ne l’est qu’au point de vue organique. V. dans ce sens, R. BONNARD, « La conception matérielle de la fonction matérielle », op. cit., p. 11 ; DEBBASCH (C.) et RICCI (J.-C.), Contentieux administratif, op. cit., p.198, n° 141

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