Les sanctions de l’obligation de juger sont au cœur de l’analyse de la commission d’indemnisation des victimes d’erreurs judiciaires, mettant en lumière les conséquences juridiques du déni de justice par ses membres. Cet article clarifie la nature juridique de cette commission en tant que juridiction civile spécialisée.
Les sanctions de l’inobservation de l’obligation de juger
Parce qu’ils ont tous la qualité de juges, tous les membres de la commission, lorsque le collège à manquer à l’obligation de juger en refusant de se prononcer sur une affaire qui lui est soumise, seront poursuivis pour déni de justice1. La notion de déni de justice s’entend du refus ou de la négligence de juger, ou plus généralement, du refus de prendre une décision, de la part de ceux qui sont appelés à rendre justice2. Il en est ainsi par exemple lorsque la commission déclare les deux parties gagnantes ou perdantes3 ou de manière globale, refuse de statuer en se fondant sur les insuffisances des preuves qui lui sont fournies par les parties4.
Sur le plan pénal, les membres de la commission encourent une sanction pénale. En effet, l’article 147 du code pénal camerounais dispose qu’ « est puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans tout juge qui dénie, après avoir été dûment requis, de rendre une décision ». Or, il a été relevé justement que la notion de juge désigne à la fois la juridiction et l’individu qui y travaille. Qui encoure donc cette sanction pénale : la commission ou les membres de la commission ? Dire que c’est la commission qui serait visée renverrait à la question de la responsabilité pénale de cette institution. Au-delà du fait que la responsabilité pénale des personnes morales n’est pas applicable à toutes les entités abstraites en droit positif camerounais5, l’idée même de rechercher la responsabilité de la juridiction comme « personne morale » doit être écartée car le tribunal n’est qu’une institution de l’État ne disposant pas de personnalité juridique. Or, l’État est par définition irresponsable pénalement6.
L’article 147 du code pénal ne peut viser le juge qu’en tant qu’individu et la conséquence immédiate en est que c’est les membres de la commission qui encourent la sanction pénale. Cette disposition leur est applicable sans difficultés dans la mesure où, parce qu’ils participent tous à la prise des décisions de cet organe, ont tous la qualité de juges. Faut-il alors considérer que le fait pour la commission de refuser de rendre la justice, rend automatiquement chacun des membres de cette formation auteurs potentiels d’un déni de justice ou bien, dans une situation de ce genre, faut-il rechercher quel est le juge ou quels sont les juges qui avaient refusé de statuer ? La seconde interprétation se heurte au principe du secret du délibéré et à l’idée selon laquelle toute décision de justice rendue par une formation collégiale est l’œuvre de cette formation dans son ensemble puisqu’elle est rendue au nom du peuple camerounais. Dès lors, si seule la première interprétation est correcte, on ne voit pas l’utilité de distinguer la formation dans son ensemble et les membres qui la composent. Les membres de la commission peuvent donc être sanctionnés pénalement pour déni de justice si cette infraction est constituée. Cette infraction suppose deux conditions préalables, un élément matériel et un élément moral.
La première condition préalable à la constitution du déni de justice est la qualité de son auteur : c’est une infraction qui ne vise que les personnes qui ont la qualité de juges. Ce qui est parfaitement vérifiable pour les membres de la commission. La seconde condition est que l’auteur doit avoir été dûment requis.
L’élément matériel consiste non seulement en un refus d’exercer son office, « de rendre sa décision », mais aussi le refus de rendre effectif le procès7. En ce qui concerne l’élément moral du déni de justice, il doit s’agir d’une infraction intentionnelle de par sa nature même.
En matière civile, en cas de manquement à l’obligation de juger par la commission, ses membres peuvent être pris à partie8 pour plusieurs causes9 parmi lesquelles le déni de justice. Le code de procédure civile et commerciale prévoit les hypothèses dans lesquelles il y a déni de justice. Il y a alors déni de justice lorsque les juges refusent de répondre aux requêtes ou négligent de juger les affaires en état d’être jugées10. En ce qui concerne les conditions, le déni de justice sera constaté par deux réquisitions faites au juge en la personne des greffiers et signifiées de huitaine en huitaine au moins ; tout huissier ou agent d’exécution requis sera tenu de faire ces réquisitions, à peine d’interdiction11. Après les deux réquisitions, le juge pourra être pris à partie12. Ici, la juridiction compétente ne pourra être que la chambre judiciaire dans sa section civile suivant la même procédure pour tous les membres au regard de leur variété13.
Pour terminer sur ce point, nous dirons, pour paraphraser Mathieu DOAT14, que les membres de la commission se trouvent, en tant que juges et comme tout juge, dans une situation tragique : ils doivent juger, il faut qu’ils jugent car le refus serait pire encore.
Au total, la commission fait œuvre de juridiction dans la prise de ses décisions car, les conditions d’élaboration de celles-ci répondent à celles des actes juridictionnels et procèdent du syllogisme judiciaire. La commission réalise et réduit en actes les décisions abstraites de la loi. A partir d’un fait constaté et d’une règle tenue pour applicable à ce fait, elle tire la conclusion d’un raisonnement et rend ainsi sa décision. C’est d’ailleurs ce processus juridictionnel qui permet aux décisions de la commission de produire des effets juridictionnels15.
________________________
1 Pour une vue globale de cette notion, V. BONIS-GARÇON (E.), « Déni de justice » in Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Janvier 2012, p. 5. ↑
2 FOKO (A.), « Libres propos sur les standards juridiques », op. cit., pp. 147-148 ; V. également RENOUX (Th. S.), « La liberté des juges », Pouvoirs, n° 74, 1995, p. 58. ↑
3 Dans une espèce, la cour de cassation française a qualifié de déni de justice, le fait pour un juge, tout en admettant qu’un immeuble appartienne nécessairement à une l’une des deux personnes qui en revendiquent la propriété, rejette l’ensemble des demandes sous prétexte qu’aucune des parties n’a prouvé la supériorité de son droit et que les données de l’expertise ne permettent pas d’appliquer les titres sur le terrain. V. Cass. 3e civ., 16 avr. 1970, JCP 70, II, 16459. ↑
4 Le juge ne peut pas plus refuser de statuer en se fondant sur l’insuffisance des preuves fournies par les parties (pour une illustration dans un arrêt rendu au visa de l’article 4 c. civ., Cass. civ. 2e, 21 janv. 1993, n° 92-60.610, Bull. civ. II, n° 28. – 28 juin 2006, n° 04-17.224, Bull. civ. II, n° 174 ; RTD civ. 2006. 821, obs. Perrot. – 5 avr. 2007, n° 05-14.964, Bull. civ. II, n° 76). ↑
5 Sur le champ d’application de la responsabilité pénale des personnes morales, V. l’art. 74-1 du nouveau code pénal. ↑
6 L’art. 74-1 b du nouveau code pénal précise que l’État et ses démembrements sont irresponsables pénalement. ↑
7 Il peut s’agir dans ce cas d’un sursis à statuer abusif. Un sursis à statuer abusif peut constituer un déni de justice lorsque le juge, par sa décision, ne rend pas véritablement la justice. Cette attitude, non pas passive mais laxiste, du juge a été perçue au plan civil comme un déni de justice. Ainsi, il a été jugé que le déni de justice s’entend non seulement du refus de répondre aux requêtes ou du fait de négliger de juger les affaires en état de l’être, mais aussi, plus largement, de tout manquement de l’État à son devoir de protection juridictionnelle de l’individu (TGI Paris, 6 juill. 1994, Gaz. Pal. 1994. 2. 589, note Petit) ; il a été également jugé que les juges répressifs ne sauraient, sans interrompre le cours de la justice, ordonner un sursis à statuer d’une durée indéterminée (Cass. Crim. 26 juin 1991, n° 90-80.422, Bull. Crim. n° 278). ↑
8 La procédure de prise à partie concerne en général tous les juges et plus particulièrement les juges non professionnels car c’est la seule procédure civile spécifique permettant d’engager leur responsabilité. V. NIVOSE (L.-M.) (S/D), Le juge non professionnel, réflexion sur la fonction de juger, op. cit., p. 49. ↑
9 Aux termes de l’art. 246 du C.P.C.C., « les juges peuvent être pris à partie dans les cas suivants : 1° S’il y a dol, fraude, concussion ou faute lourde professionnelle qu’on prétendrait avoir été commis, soit dans le cours de l’instruction, soit lors des jugements ; 2° Si la prise à partie est expressément prononcée par la loi ; 3° Si la loi déclare les juges responsables, à peine de dommages-intérêts ; 4° S’il y a déni de justice. » ↑
10 Cf. Art. 247 C.P.C.C. ↑
11 Cf. Art. 248 C.P.C.C. ↑
12 Cf. Art. 249 C.P.C.C. Il s’agit aussi d’une cause devant être communiquée au ministère public (art. 36 al. 5 C.P.C.C.). ↑
13 Surtout parce qu’il semble que la loi n°2006/016 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la cour suprême a abrogé la loi n°75/16 du 8 décembre 1975 fixant la procédure et le fonctionnement de la cour suprême qui avait prévu en ses articles 33 et s. une procédure de prise à partie spéciale pour les magistrats de la cour suprême. V. dans ce sens ANOUKAHA (F.), « La liberté d’aller et venir au Cameroun depuis le nouveau code de procédure pénale », op. cit., p.17, note 30. ↑
14 DOAT (M.), « Le jugement comme un récit » in L’office du juge, op. cit., p. 170. ↑
15 Car toute décision juridictionnelle produit nécessairement des effets. V. D’AMBRA (D.), « Jugement » in CADIET (L.), Dictionnaire de la justice, op. cit., p. 694. ↑