L’obligation de juger en commission est essentielle pour garantir la régularité des mesures privatives de liberté et l’indemnisation des victimes d’erreurs judiciaires. Cet article clarifie la nature juridique de cette commission, la qualifiant de juridiction civile spécialisée.
L’obligation pour la commission de juger
- La juridiction a été définie comme l’organe obligé d’exercer ses pouvoirs1. L’obligation de juger est donc la résultante des pouvoirs reconnus à tout juge2 et fait partie intégrante des devoirs3 de celui-ci.
La commission a pour fonction de se prononcer sur la régularité des mesures privatives de liberté et s’il y a lieu, d’accorder une indemnité aux victimes l’ayant sollicitée. Elle est, par conséquent, investie du pouvoir de juger car, « juger, c’est dire le droit à l’effet d’en assurer le respect, quand il y a lieu, c’est-à-dire quand il est violé ou contesté »4.
De là découle également son obligation de juger étant encore entendu que la mission du juge comporte en elle la double notion de pouvoir et de devoir5. Il faut alors dire en quoi consiste cette obligation (1) et quelles sont les conséquences de sa violation (2).
La consistance de l’obligation pour la commission de juger
- Outre le pouvoir d’application des lois aux espèces concrètes, la fonction juridictionnelle comprend aussi le pouvoir et le devoir de dire le droit, en vue de trancher les litiges dont les lois ne fournissent point le règlement6.
La commission en tant que juge est donc tenue de répondre à la demande du requérant parce que, lorsqu’elle est saisie, elle ne peut ne pas se prononcer. Elle est obligée par la requête des victimes. Elle doit dire si la demande est recevable ou non, si les prétentions des parties sont fondées ou non, si l’État doit réparation à la victime ou non.
Il s’agit là de l’obligation générale faite à toute institution juridictionnelle de se prononcer sur les causes qui lui sont soumises. En effet, aux termes de l’article 4 du code civil, « le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice ».
Cette obligation s’impose à la commission parce qu’elle est une institution créée essentiellement pour rendre justice7. Elle ne saurait donc manquer à sa mission unique de rendre justice en refusant de juger.
- Cette obligation de juger pour la commission emporte une conséquence importante dans sa fonction de juger. En effet, elle donne la possibilité à la commission, par sa jurisprudence, de manière implicite, d’avoir recours à d’autres sources du droit8 à savoir les principes généraux de droit, adages ou maximes, règles d’origine internationale ou étrangère, etc.
C’est en quelque sorte, finalement, une incitation à créer des règles de droit9. C’est le nouvel aspect de la fonction juridictionnelle consistant alors pour la commission de combler les lacunes de la loi10 et qui permet de renforcer la nature juridictionnelle de celle-ci. Il en est ainsi parce que ce qui caractérise la fonction juridictionnelle aussi, c’est qu’elle doit s’exercer même lorsque la loi est muette11.
- Lorsqu’on scrute les différentes dispositions du code de procédure pénale relatives à l’indemnisation des victimes d’erreurs judiciaires, on se rend compte que ledit texte est muet sur certaines questions essentielles permettant la réalisation du droit à l’indemnisation.
À titre d’illustrations, nous pouvons évoquer deux situations : le quantum de l’indemnité et le délai de décision de la commission. Dans le premier cas, aucune disposition du code ne met en exergue les règles permettant de fixer le montant de l’indemnité pouvant être allouée aux victimes, bénéficiaires des décisions de la commission.
Dans le second cas, lorsque la commission a été régulièrement saisie, aucun délai ne lui est prescrit pour qu’elle rende sa décision. Ces différentes lacunes du législateur donnent le pouvoir à la commission de compléter, par ses décisions, les différentes dispositions du code de procédure pénale.
Il en est ainsi parce que, comme le dit un auteur12, « moins les lois sont nombreuses dans l’État, plus la fonction du juge y acquiert d’ampleur ». Il appartient donc à la commission de fonder par voie de solutions particulières l’ordre juridique qui n’est pas encore fixé par voie de statut légal.
- À l’évidence, la commission est tenue par sa mission qui est celle de juger, de rendre justice ; cette mission qui comporte en elle-même l’obligation de juger ; cette dernière lui donne le pouvoir de créer du droit13 là où la norme fait défaut14 et de faire également preuve d’imagination15 dans sa mission. Mais qu’adviendra-t-il si la commission manque à cette obligation fondamentale ?
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1 C.E. 27 mai 1955, Électricité de France, D. 1956, p. 308, note L’HUILLIER ; R.D.P. 1955, p. 721, note WALINE ; V. également dans ce sens PARAIN-VIAL (J.), Compte-rendu précité , DUTHEILLET DE LAMOTHE (O.), « Les juges face au silence du droit », op. cit., p. 1055. ↑
2 BREDIN (J.-D.), « Doute » in CADIET (L.), Dictionnaire de la justice, op. cit., pp. 352. p. 374. ↑
3 TERRÉ (F.), Introduction générale au droit, op. cit., p. 286. ↑
4 Sur cette définition, consulter OSPINO GARZON (A. F.), L’activité contentieuse de l’administration en droit français et colombien, op. cit., p. 82, note 59. ↑
5 V. dans ce sens PICOTTE (J.), Juridictionnaire, op. cit., p. 1958 ; RENOUX (Th. S.), « La liberté des juges », op. cit., p. 59 ; HABA (E. P.), « Compte-rendu de Josef ESSER, Pré-compréhension et rationalité dans le travail du juge », op. cit., p. 385 ; DE BECHILLON (D.), « Le gouvernement des juges : une question à dissoudre », op. cit., p. 975. ↑
6 CARRÉ DE MALBERG (R.), Contribution à la théorie générale de l’État, op. cit., p. 704. ↑
7 S’il en était autrement, la commission devrait être qualifiée d’organe administratif, car ne pouvant prendre des mesures lorsqu’elle n’en a pas reçu le pouvoir d’une loi. V. CARRÉ DE MALBERG (R.), ibid., p. 703. ↑
8 NADAL (J.-L.), Discours prononcé lors de l’audience solennelle de début d’année judiciaire 2009 in Cour de Cassation (française), Rapport annuel 2008, p. 36. ↑
9 Et ceci sous peine de déni de justice. V. à cet effet, FOKO (A.), « Libres propos sur les standards juridiques », C.J.P., Revue F.S.J.P., Université de Ngaoundéré, numéro spécial : Ordre Public, 2015, pp. 147-148 ; DE BECHILLON (D.), « Comment traiter le pouvoir normatif du juge ? » in Mel. Ph. JESTAZ, Paris, Dalloz, 2006, p. 29 ; lire aussi KELSEN (H.), Théorie générale du droit et de l’État, Traduction de Béatrice Laroche et Valérie Faure, Paris, L.G.D.J., 2010, p. 185 ; AHARON BARAK, « L’exercice de la fonction juridictionnelle vu par un juge : le rôle de la Cour suprême dans une démocratie », op. cit., p. 229. Ce dernier auteur affirme clairement que « la création du droit par le juge […] comble le clivage entre le droit et la société… ». ↑
10 CARRE de MALBERG (R.), Contribution à la théorie générale de l’État, op. cit., p. 699. ↑
11 CARRE de MALBERG (R.), ibid., p. 703 ; V. également BREDIN (J.-D.), « Un gouvernement des juges ? », Pouvoirs, n° 68, 1994, p. 78 ; AHARON BARAK, « L’exercice de la fonction juridictionnelle vu par un juge : le rôle de la Cour suprême dans une démocratie », op. cit., p. 227. ↑
12 CARRE de MALBERG (R.), ibid., p. 705. ↑
13 La subordination de tout juge à la loi, sans pouvoir de création du droit, est d’ailleurs de plus en plus théorique au regard de la multiplication des notions légales vagues, floues ou à contenus variables. V. dans ce sens OST (F.) et VAN DE KERCHOVE (M.), De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, Bruxelles, Facultés Universitaires Saint-Louis, 2e tirage, 2010, p. 98 ; I.H.E.J., La prudence et l’autorité : l’office du juge au 21e siècle, op. cit., p. 57 ; DE BECHILLON (D.), « Le gouvernement des juges : une question à dissoudre », op. cit., p. 975. Il faut aussi relever que les fonctions d’application et de création du droit sont consubstantielles à la fonction juridictionnelle et ne sont ni alternatives ni chronologiquement séparées. Elles participent de l’essence même de la fonction juridictionnelle. V. dans ce sens BOUCOBZA (I.), La fonction juridictionnelle. Contribution à une analyse des débats doctrinaux en France et en Italie, Thèse, préface de Michel TROPER, Dalloz, 2005, p. 5 ; BRETON (J.-M.), « Légalité et Etat de droit, statut et perception du juge de l’administration », Revue électronique Afrilex, n° 3, 2003, pp. 79-97. ↑
14 ZÉNATI (F.), « La nature de la Cour de cassation », op. cit., p. 7. ↑
15 DE VALICOURT (E.), L’erreur judiciaire, L’Harmattan, 2005, p. 30 cité par BONNEMAISON (J.-L.), La responsabilité juridictionnelle, op. cit., p. 62, n° 82 ; V. aussi dans le même sens PARAIN-VIAL (J.), « Compte-rendu de IVAINER Théodore, L’interprétation des faits en droit », op. cit., p. 373. ↑