L’indépendance fonctionnelle de la commission
Parler de l’indépendance fonctionnelle de la commission revient à évoquer son autonomie dans le déploiement de son activité. Or, cette activité est exercée par des individus qui la composent. Il s’agit donc de l’indépendance individuelle des membres de cette instance car, comme le dit bien Bertrand FAVREAU, l’indépendance de l’individu est indissociable du corps auquel il appartient1. Cette indépendance2 est clairement visible au regard du statut des membres de la commission (1) et de leur rémunération (2).
1. Le statut des membres de la commission
Nous avons souligné antérieurement3 que la commission est une instance essentiellement collégiale et que cette collégialité revêt un caractère juridictionnel. C’est dire que tous ceux qui la composent sont des juges ; autrement dit, ils font partie de la magistrature assise. Leur indépendance est donc garantie par l’article 37 alinéa 2 de la Constitution de la République du Cameroun qui dispose : « les magistrats du siège ne relèvent dans leurs fonctions juridictionnelles que de la loi et de leur conscience »4. C’est là le fondement des garanties de toute personne investie du pouvoir de juger au Cameroun5. Il a été pertinemment démontré que ce texte s’impose à tout juge, qu’il soit professionnel ou non6. Dès lors, les décisions que les membres de la commission sont appelés à prendre à propos d’un litige qu’elle a la charge de trancher ne peuvent relever que de la loi et de leur conscience7. En plus de cette garantie commune, d’autres éléments du statut8 des membres de cette institution attestent également de leur indépendance.
Les juges professionnels sont généralement soumis au statut de la magistrature aussi bien en ce qui concerne les conditions de leur nomination, du déroulement de leur carrière que de la fin de leur fonction. C’est ce texte qui permet de préserver leur indépendance. Qu’en est-il de ceux qui font partie du collège de la commission ? L’alinéa 4 de l’article 237 du code de procédure pénale dispose que « chaque administration désigne un représentant titulaire et un représentant suppléant ». Cette disposition qui semble être seulement relative aux personnalités des administrations en charge de la police judiciaire nous paraît applicable à tous les membres de la commission, y compris donc les magistrats professionnels.
Ainsi, le conseiller de la cour suprême qui va assurer la présidence de la commission devrait être désigné par l’administration de la haute juridiction. Là encore, il peut être nommé par le premier président de la cour ou élu au cours d’une assemblée générale de la cour. De même, les autres magistrats émanant de la cour d’appel sont aussi soit nommés par le président de la cour d’appel soit désignés par l’assemblée générale de celle-ci. Si un auteur9 a pu dire que l’indépendance des magistrats « dépend largement de la procédure de nomination et de qui ils dépendent », il faut néanmoins reconnaître que le processus de nomination de ces juges ne porte pas, à notre sens, atteinte à leur indépendance pour au moins deux raisons. D’une part, le magistrat, une fois désigné, ne dépend plus de l’organe qui l’a porté à la commission et ne peut plus être révoqué par lui. D’autre part, la carrière de ces différents juges reste soumise au statut de la magistrature. Dès lors, on ne voit pas comment le processus de leur désignation pourrait porter atteinte à leur indépendance puisque, finalement, les pouvoirs de l’organe de désignation s’arrête à cette désignation.
Investis de la fonction de juger10, les juges non professionnels acquièrent un nouveau statut dès leur désignation par les organes compétents. Ils acquièrent la qualité de juges et, comme tels, sont protégés par l’article 37 de la constitution. À partir de là, le critère de leur indépendance reste « ici dans la soumission à la loi sans avoir à subir directement ou indirectement une quelconque autre influence »11. Leur désignation par leurs pairs qui pourrait être considérée comme une menace à leur indépendance est contrecarrée par le mandat qui leur est accordé. Autrement dit, ce n’est plus le processus de nomination qui garantit leur indépendance, mais plutôt le mandat de trois (3) ans qui leur est assigné et qui est garantie par la loi12. De plus, comme n’importe quel juge, ces administrateurs d’hier deviennent de véritables juges et sont par conséquent soumis à l’obligation de juger13 sous peine de déni de justice14.
Le statut des membres de la commission, qu’ils soient juges professionnels ou non, permet ainsi de dire qu’ils peuvent être indépendants. Cette indépendance peut être d’ailleurs être défendue au regard de leur rémunération.
2. La rémunération des membres de la commission
Le traitement des juges est un élément important de sauvegarde de leur indépendance15 car, il a été parfaitement démontré qu’il existe « un lien direct entre indépendance et autonomie budgétaire »16 et qu’aucun juge ne pourrait rendre sereinement justice s’il ne dispose pas d’un minimum de moyens. Il s’agit du critère de leur indépendance économique et financière17 car, c’est la situation financière et matérielle même des juges qui les épargne des éventuelles pressions. Ainsi, si l’on analyse les conditions de rémunération des membres de la commission, il y a de quoi affirmer qu’aussi bien les juges professionnels que les assesseurs sont indépendants.
La question de la rémunération des magistrats issus des différentes cours ne posent pas de difficultés particulières étant entendu que leur désignation comme membres de la commission ne saurait modifier leur situation salariale18. Par conséquent, ces juges ne reçoivent pas une rémunération supplémentaire du simple fait de leur qualité de membres de la commission. Ils ne pourront recevoir que des indemnités de transport et de logement19. Or, même avec leur salaire d’origine, il est reconnu que les magistrats ont un niveau de traitement suffisant permettant de garantir leur indépendance vis-à-vis des parties devant la commission. Par ailleurs, ladite rémunération ne dépend ni de l’activité des juges ni de la durée du service professionnel comme l’a si bien précisé un auteur20.
Les assesseurs, membres de la commission, sont issus de plusieurs instances différentes. La question qui se pose est celle de savoir si tous ces agents non magistrats conservent-ils leur salaire d’origine, s’ils en avaient21 bien sûr, ou devront-ils percevoir une nouvelle rémunération ? Il peut paraître un risque de dépendance vis-à-vis de leur administration d’origine. Mais, on peut constater que toutes ces personnalités, si on les regarde de près, se trouvent dans une situation financière relativement aisée. Cette situation est renforcée par la catégorie élevée22 qui est exigée par les dispositions du code de procédure pénale, signe de la maturité sur le plan financier de ces personnalités. La distance de tous ces membres de la commission par rapport à l’argent peut donc être aisément démontrée même si dans notre société, cette distance est difficile à mettre en œuvre, non pas seulement pour les juges de la commission, mais aussi pour tout juge au Cameroun23.
De ce qui précède, on peut donc affirmer que la commission est indépendante aussi bien sur le plan organique que sur le plan fonctionnel. Mais, l’indépendance de la commission ne peut être juridictionnelle que si elle présente certaines caractéristiques car, comme on le sait, toute indépendance n’est pas juridictionnelle24. Dans les analyses qui vont suivre, nous allons voir si la commission, étant indépendante, peut être qualifiée de juridiction au regard des caractéristiques de son indépendance. On verra là aussi que ces caractéristiques ne peuvent pas exclure cette qualification parce qu’elles sont apparemment de type juridictionnel.
________________________
1 FAVREAU (B.), « L’indépendance des avocats et des magistrats : une condition de l’état de droit », op. cit., p. 9. ↑
2 Il faut quand même rappeler ici que l’indépendance des membres de la commission en tant que juges ne peut pas être démontrée par d’autres principes à l’exemple de celui de l’inamovibilité car, au Cameroun en général, « le principe d’indépendance des juges n’implique aucun autre principe et l’inamovibilité a été supprimée des textes ». Ainsi, la notion d’inamovibilité qui existait dans le statut de la magistrature du 4 octobre 1982 a été supprimée dans celui du 8 mars 1995. Consulter dans ce sens les actes du colloque de l’A.C.C.P.U.F. sur l’indépendance des juges et des juridictions, Bull. n° 7, novembre 2006, p. 81. ↑
3 Supra n°s 23 et s. ↑
4 L’article 5 du statut de la magistrature reprend ce texte en disposant : « les magistrats du siège disposent dans leurs fonctions juridictionnelles, que de la seule loi et de leur conscience ». ↑
5 AKAM AKAM (A.), « Le juge entre la loi et sa conscience », C.J.P., Revue F.S.J.P., Université de Ngaoundéré, 2010, p. 9, n° 1. ↑
6 FALL (A.-B.), « Les menaces internes » in L’indépendance de la justice, op. cit., p. 52. ↑
7 Ibid., p. 60 ; AKAM AKAM (A.), ibid., p. 9, n° 1. ↑
8 Les membres de la commission ne sont pas soumis à un même statut. Pendant que les magistrats seront soumis au statut de la magistrature, les autres seront, en l’absence d’une précision textuelle, soumis à leur statut originel respectif. Mais, il faut précisément rappeler que tous les juges ne possèdent pas nécessairement le même statut. V. dans ce sens BRACONNAY (N.) et DELAMARRE (M.), Institutions juridictionnelles, Paris, Vuibert, 2007, p. 305 ; WIEDERKEHR (G.), « Qu’est-ce qu’un juge ? », op. cit., p. 580. ↑
9 FAVREAU (B.), « L’indépendance des avocats et des magistrats : une condition de l’état de droit », op. cit., p. 9. ↑
10 La fonction de juger est définie « comme une mission d’ensemble qui englobe celle de dire le droit dans l’exercice de la juridiction contentieuse, les missions de contrôle, liées à l’exercice de la juridiction gracieuse, et les fonctions associées à l’une ou à l’autre de ces deux compartiments principaux de la fonction juridictionnelle ». V. COLSON (R.), La fonction de juger. Étude historique et positive, Fondation Varenne. LGDJ, 2006, p. 3. ↑
11 FAVREAU (B.), « L’indépendance des avocats et des magistrats : une condition de l’État de droit », op. cit., p. 12. ↑
12 FAVREAU (B.), ibid., p. 11. ↑
13 Infra n°s 167-170. ↑
14 Infra n°s 171-174. ↑
15 TROPER (M.), « Fonction juridictionnelle ou pouvoir judiciaire ? », op. cit., p. 13. ↑
16 FALL (A.-B.), « Les menaces internes » in L’indépendance de la justice, op. cit., p. 59. ↑
17 FAVREAU (B.), ibid., p. 19. ↑
18 En effet, ces magistrats ne changent pas de statut salarial du simple fait qu’ils soient devenus membres de la commission. ↑
19 Il faut quand même signaler que la loi est muette sur ces indemnités. ↑
20 FALL (A.-B.), « Les menaces internes » in L’indépendance de la justice, op. cit., p. 20. ↑
21 Il faut rappeler ici que certains membres de la commission ne disposent pas, de par leur statut, d’un salaire. C’est le cas du Bâtonnier de l’ordre des Avocats ou de son représentant. ↑
22 Les membres titulaires et suppléants provenant des institutions et administrations publiques doivent avoir au moins rang de directeur de l’administration centrale. Cf. L’article 237 al. 5 C.P.P.C. ↑
23 Pour une compréhension plus claire de cette situation, une excellente étude a été menée par un maître. V. notamment FOMETEU (J.), « La distance du juge, chronique d’humeur à propos d’un dilemme de magistrat », op. cit., p. 115. ↑
24 Les avocats et les commerçants sont aussi généralement indépendants. ↑