Le transport relai au Cameroun, un mode de mobilité émergent, transforme la façon dont les Camerounais se déplacent entre les centres urbains et les périphéries. Cette étude met en lumière les conséquences sociales de cette évolution, avec des implications profondes pour l’emploi, la santé et l’éducation dans le pays.
La naissance d’un nouveau mode de transport public routier : le transport relai.
On entend par transport relai, les moyens de transport qui assurent la mobilité des personnes et des biens des centres urbains aux périphéries37. Dans le cadre de cette étude, le transport relai désigne le transport collectif assuré par les cargos et les mototaxis. Parlant des cargos, ils constituent le transport collectif des personnes.
Ce sont généralement des bus, des minibus et des véhicules particuliers qui font l’affaire38. Il faut noter que la prolifération de ces cargos appelés en langage local opep39, n’a été possible qu’avec la mise en place de cette organisation transitoire en 1993 qui donnait des autorisations provisoires de transport urbain à toute personne physique qui en faisait la demande40.
Il suffisait dans ce contexte d’avoir un véhicule d’au moins cinq places pour se lancer dans l’activité de transport urbain. Il fallait alors satisfaire les anciens clients de la SOTUC d’une part et d’autre part la population des périphéries des centres urbains camerounais.
Les opep inondèrent dès lors les foyers urbains camerounais et devinrent l’un des moyens de transport les plus prisés par les populations. Avec eux, il existe désormais une interconnexion entre les différents coins de la ville dans laquelle l’on se trouve. Dans ce sens, le vide créé par la disparition de la SOTUC est très vite comblé. Pour le cas de la ville de Yaoundé par exemple, les opep sont récurrents dans les axes Yaoundé-Soa, Poste centrale- Mendong, Poste centrale-Nkolbisson, Poste centrale-Mimboman pour ne citer que ces quelques cas41. Il faut donc dire que pendant les heures de pointe, l’impression d’une transformation totale de tous les véhicules en circulation en opep est faite42.
Malgré la vétusté des mobiles utilisés dans ce transport, beaucoup de personnes s’y plaisent parfois ; bien que ce soit le tarif bas qui en est la raison principale de son emprunt. Les cargos offrent donc des tarifs parfois à moitié-prix par rapport aux taxis pour une même distance de transport. Pour l’axe Poste centrale-Mimboman par exemple, le tarif jusqu’en 2017 était de 100 F CFA soit la moitié du tarif normal du taxi qui était de 200 F CFA43. Le témoignage de cette jeune étudiante vivant à Nkolbisson, une périphérie de Yaoundé devenue quartier, donne une bonne illustration :
J’aime les emprunter à cause du prix bas, car les cargos offrent une différence de prix allant jusqu’à 150 F CFA parfois par rapport aux taxis et motos. Aussi, l’environnement qui y règne et l’état de la voiture malgré sa vieillesse, car ça traduit la réalité du pays. L’état de la voiture traduit aussi le niveau de vie du conducteur et du motoboy. C’est en fait une forme de socialisation, car on y rencontre toute sorte de classes sociales44.
Au travers de cette image projetée, les cargos apparaissent dans le contexte d’ajustement, comme étant un moyen de transport utile à tout le monde sans distinction de classe sociale et de niveau de vie. Les plus pauvres trouvent une facilité de mobilité et les plus nantis y trouvent un moyen de joindre soit domicile et grand marché, soit domicile et lieu de travail.
Photo 2 : Un cargo en circulation
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Source : Clichés Abdougani Youmeni, Yaoundé, 01/06/2020.
La photo 2 est la représentation de ce que l’on appelle cargo ou opep au Cameroun. Elle fait observer comme il a été dit plus haut que ces cargos sont en majorité des minibus d’environ42 dix à douze places. Mais, qui réellement transportent souvent au-delà de vingt personnes en fonction de l’affluence des potentiels clients. Elle traduit aussi le mauvais état des véhicules. Il faut dire que ces cargos ont pour vocation principale le transport en périphérie de la ville.
Concernant les mototaxis, ceux-ci prirent de l’ampleur dans le même contexte que celui des cargos, mais, avec des spécificités. Ainsi, plusieurs autres facteurs en plus de la liquidation de la SOTUC, principale raison de l’effervescence du phénomène, vinrent s’ajouter au contexte. Il s’agit de la flambée des nouvelles marques de motos d’origine asiatique, très confortables avec un prix assez abordable, la dégradation des voiries urbaines qui rendirent inaccessibles de nombreux quartiers des villes en taxi, la multiplication des usines locales de montage des motos, la multiplication des magasins de vente des motos et des pièces détachées45.
Appelée en langue bamiléké Ben skin46, la mototaxi a pris de l’ampleur dans presque tous les foyers urbains du Cameroun. Elle apparaît comme l’un des moyens les plus usuels en matière de transport urbain, au lendemain de la privatisation de la SOTUC. Dans ce sens, les mototaximen inondent les carrefours des villes (voir Photo 3, page 87) et par leur manière de conduire, ils ne passent pas inaperçus aux yeux de tous.
Le meilleur mototaximan est donc celui-là qui peut facilement se glisser entre les voitures, rouler à grande vitesse et faire des acrobaties en pleine chaussée au dédain du Code de la route47. Il faut alors remarquer que la mototaxi est très pratique, bien que risquée. Malgré le fait qu’elle soit parfois onéreuse pour certains, elle peut transporter jusqu’à trois personnes par voyage et en même temps permet de contourner le problème d’embouteillage48.
Aussi, elle est considérée comme le moyen le plus efficace en matière de transport urbain. Et en fonction de la distance parcourue, elle fait office d’une considération moins onéreuse pour d’autres usagers. De ce fait, le temps mis et la distance parcourue sont récompensés par la paye du client. Cette activité facilita la lutte contre la pauvreté née de l’ajustement et permit aussi d’enrôler une masse d’ex-fonctionnaires qui subirent des licenciements49.
Photo 3 : Des mototaximen en attente de client au carrefour Mvog-Ada (Yaoundé)
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Source : Clichés Abdougani Youmeni, Yaoundé, 17/06/2020.
La Photo 3 ci-dessus représente les conducteurs de mototaxi appelés mototaximen ou ben skiners50, en plein carrefour Mvog-Ada, à Yaoundé. Ces derniers sont à l’attente des potentiels clients et peuvent en cas échéant les transporter dans tous les coins du quartier et aussi vers les quartiers environnants. Cette réalité c’est-à-dire le stationnement des mototaximen en plein carrefour, comme il a été dit supra, est identique dans presque tous les centres urbains du Cameroun.
Au total, les PAS ont au travers du principe de la libéralisation de l’activité des transports publics, favorisé la naissance d’un nouveau mode de transport public urbain. Ce dernier, regroupant mototaxi et cargo a pris de l’ampleur et parfois absorbe le moyen de transport idéal de la ville, le taxi. À la suite de la naissance de ce nouveau mode de transport public dû aux PAS, il est important de voir comment les migrations ont été affectées.
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37 Cette définition et cette appellation proviennent d’un constat fait dans la manière dont les motos et les mini bus sont utilisés, orientés essentiellement vers les zones où le taxi ne peut arriver. Ils jouent donc le rôle d’une sorte de relais de l’activité de transport du taxi urbain.
38 Jean Patrick Mfoulou Olugu, « Mobilité urbaine et politique de transport à Yaoundé », https://hal.archives- ouvertes.fr/hal-01315178, p.5.
39 Ce concept désigne toute voiture de transport en commun qui n’est pas identifiée comme étant un taxi ou un bus d’une agence de transport en commun destinée au transport urbain.
40 Ekwala Bouma, « Transport pluriel et… », p.2.
41 Ceci est une observation faite dans la ville de Yaoundé lors de la descente sur le terrain et en même temps lors des différents déplacements urbains effectués, parfois contraint d’emprunter ce moyen de transport.
42 Joseph Gabriel Elong et Dickens D. Priso, Initiation à la géographie rurale et urbaine, Yaoundé, Clé, 2011, p.190.
43 Ce plan tarifaire est connu grâce à une observation faite pour avoir été constamment en mobilité sur cet axe.
44 Nganou Danielle, 27ans, Ancienne étudiante actuellement petite commerçante, Yaoundé le 02/07/2020.
45 Célestin Kaffo et al, « L’intégration des « motos-taxis » dans le transport public au Cameroun ou l’informel à la remorque de l’État : Une solution d’avenir au problème de mobilité et de l’emploi urbain en Afrique subsaharienne », https://www.sifee.org/static/uploaded/Files/ressources/contenu-ecole/douala/volet-2/1_SAMOU RA_EXERCICE.pdf, p.2.
46 Elong et Priso, Initiation à la géographie…, p.190.
47 Amougou Mbarga, « Le phénomène des motos-taxis… », p.64.
48 Ben skin est un mot en langue locale camerounaise qui symbolise une danse de la région de l’Ouest-Cameroun, le rapprochement entre la danse et l’activité est dû au fait que lorsqu’un individu est sur la moto, il prend la position courbée qui est le propre de cette danse. Pour complément d’informations, voir Emma-Christiane Leite, « Évaluation et communication des risques environnementaux liés au transport informel en Afrique : Le cas des taxis-motos », in Kegne Fodouop et Jean Tape Bidi (sd), L’armature du développement en Afrique. Industries, transports et communication, Paris, Karthala, 2010, p.190, et Kaffo et al, « L’intégration des « motos-taxis »… », p.2.
49 Christian Kalieu, « Surgissement, prolifération et intégration des motos-taxis dans les villes camerounaises : Les exemples de Douala et Bafoussam », Thèse de Doctorat en Urbanisme-Aménagement du territoire, Université de Bretagne Occidentale, 2016, p.72.
50 Cette appellation est en langue Pidgin et signifie conducteur de mototaxi (ben skin).
Questions Fréquemment Posées
Qu’est-ce que le transport relai au Cameroun?
Le transport relai désigne le transport collectif assuré par les cargos et les mototaxis, qui assurent la mobilité des personnes et des biens des centres urbains aux périphéries.
Comment les cargos ont-ils transformé le transport urbain au Cameroun?
Les cargos, appelés opep, ont comblé le vide laissé par la SOTUC et sont devenus l’un des moyens de transport les plus prisés, offrant une interconnexion entre différents coins de la ville.
Quels sont les avantages des cargos par rapport aux taxis au Cameroun?
Les cargos offrent des tarifs parfois à moitié-prix par rapport aux taxis, rendant le transport plus accessible, surtout pour les populations les plus pauvres.