Les stratégies d’implémentation théologique révèlent comment l’anthropologie théologique peut transformer notre compréhension de la crise écologique. En s’appuyant sur l’herméneutique tripolaire de Roger Dikebelayi Maweja, cette recherche propose des solutions novatrices pour rétablir l’harmonie entre l’homme, la nature et le Créateur.
L’herméneutique Tripolaire chez Roger Dikebelayi Maweja.
L’auteur fonde sa théologie écologique dans l’anthropologie théologique qui conçoit la réalité comme un tout. Il s’inspire du professeur Tharcise Tshibangu qui avait déjà exigé une triple connaissance en vue de l’élaboration du discours théologique. Il s’agit de la connaissance de Dieu, celle de l’homme et celle de l’environnement de l’homme 485.
Il s’agit d’une herméneutique tripolaire à la fois théo-polaire, andro-polaire et cosmo-polaire 486. Cette vision est aussi soulignée par le théologien R. Panikkar qui parle d’une vision trinitaire et cosmo-théandrique de la réalité. Pour lui, « il n’existe pas trois réalités : Dieu, l’homme et le monde : non plus une seule réalité, ou Dieu, ou Homme, ou Monde, la réalité est cosmo-théandrique 487 ».
Ainsi, Dieu, l’Homme et le Monde sont en collaboration intime et constitutive pour faire dérouler l’histoire et pour perpétuer l’œuvre créatrice. Cette vision holistique se renforce surtout avec la crise écologique actuelle avec ses conséquences néfastes aussi bien pour la nature que pour l’homme.
L’éco-théologie cosmo-théandrique africaine
L’auteur soutient que l’effort de la théologie africaine comme herméneutique cosmo-théandrique sera « de découvrir pour une interprétation sereine et saine ce que la Parole de Dieu dit de Dieu, de l’homme et de la nature et ce que la parole dit de leur rapport 488 ». Il soutient donc qu’il faut dépasser le théocentrisme, l’anthropocentrisme et le cosmo-centrisme pour concevoir la théologie africaine dans une structure cosmo-théandrique. Cette structure prendrait en compte les préoccupations de Dieu, de l’homme et de la nature et « le préfixe « thé » dans cette structure occuperait effectivement le centre pour montrer que Dieu est aussi bien présent dans le cosmos que dans l’homme bien.
485 T. TSHIBANGU Tshishiku, Théologie et Science dans Revue Africaine de Théologie, n° 20, (1986), p. 177. On peut aussi lire, E.MVENG, L’art d’Afrique Noire. Liturgie cosmique et langage religieux, Yaoundé, Editions Clé, 1964, p. 5. Pour Mveng, en effet, le geste et le langage religieux africains relèvent d’une double dimension : ils sont à la fois cosmiques et anthropologiques. Ces deux aspects définissent le projet de l’homme en tant qu’être religieux. Ce projet trouve son achèvement dans la rencontre et l’union dialectique des trois termes qui les fondent initialement : le monde, l’homme et Dieu. Cité par R. DIKEBELAYI Maweja, L’herméneutique théologique africaine. Analyse de quelques courants, Kinshasa, Presse de l’Université Catholique du Congo, 2019. p. 102.
486 R.DIKEBELAYI Maweja, op.cit., p.104.
487 R. PANIKKAR, Vision trinitaire et Cosmo-théandrique : Dieu-Homme-Cosmos, (Œuvres VIII), Paris, Cerf, 2013, p. 16.
488 R. DIKEBELAYI Maweja, op.cit. p.110.
que cela soit de manière différente 489. C’est lui seule qui occupe la place centrale dans toute la création alors que l’homme et le cosmos lui appartient. La conception du processus de la Révélation doit aussi opérer un changement : il y a désormais une communication à trois interlocuteurs ; Dieu, l’homme et la nature. Cette dernière parle à et de son Créateur comme elle parle à et de l’homme. Il s’agit là d’un langage hautement symbolique et contemplatif.
L’intégration de l’herméneutique de la nature.
D’après l’auteur, l’éco-théologie africaine doit désormais s’élaborer en tenant compte de cette trilogie : « la théo-logie, l’anthropo-logie et la cosmo-logie 490 ». Les trois pôles doivent être compris distinctement et d’une manière autonome, sans pour autant nier leurs interdépendants et leurs unifiés. Il y a donc une circularité permanente entre les trois pôles qui se révèlent mutuellement.
Ainsi, le discours théologique africain devient une herméneutique tripolaire. Plus concrètement, sans nier l’affirmation méthodologique de la Parole de Dieu et l’herméneutique de l’expérience humaine, l’auteur soutient que « dans son élaboration, la théologie africaine devrait prendre d’avantage en compte la nature en tant qu’un pôle de la Révélation 491 ». Cela veut dire que théologie africaine devient aussi une herméneutique de la nature.
« Il faut donc dégager la dimension aussi bien anthropologique que cosmologique de la Révélation et de chaque proposition théologique 492 ». Tout compte fait, dans cette articulation trialogique le but à atteindre « c’est la recherche de la gloire de Dieu et du salut de l’homme et du cosmos 493 », ce qui entraîne nécessairement la valorisation et le respect de la nature.
489 Ibidem.
490 Ibidem p. 111.
491 Ibidem.
492 Ibidem.
493 Ibidem.
3. La lecture anthropologique de la création pour la libération intégrale.
Il s’agit ici d’une perspective éco-théologique axée sur la libération de l’homme et de l’intégralité de la création. Cela découle du fait qu’en Afrique la crise écologique actuelle est intimement liée à la pauvreté et à des situations aliénantes et déshumanisantes que subissent les africains. C’est pourquoi la condition nécessaire de toute sortie de la crise, en Afrique, doit commencer par la libération et la réhabilitation de l´homme dans sa dignité et dans ses droits fondamentaux.
Ici, le message chrétien comme bonne nouvelle de libération rejoindra l’homme dans sa culture pour lui donner la force de l’espérance transformatrice et deviendra ainsi une nouvelle bonne, non seulement pour l’homme mais aussi pour toute la création.
La libération de la pauvreté anthropologique chez Engelbert Mveng.
Pour ce théologien camerounais, « la recherche de l’harmonie cosmique en Africain doit commencer par la libération intégrale de l’homme africain 494 ». Dans sa démarche, le point de départ est le contexte dans lequel vivent les communautés concernées. C’est le contexte d’oppression et d’injustice où l’homme vit dans une condition de précarité et de fragilité.
Pour lui, c’est surtout la colonisation qui est le nœud du problème « car elle était un système de paupérisation anthropologique, d’asservissement et de dépendance 495 ». Tout cela a été précédé par l’annihilation anthropologique des africains à travers l’esclavage en tant que négation pure et simple de leur humanité. Et de nos jours, ce sont les néo-systèmes de dépendance qui se cachent derrière le masque de la coopération avec tout un appareil philanthropique qui sert de couverture à l´appareil de domination 496.
Pour l’auteur, cette pauvreté africaine n´affecte pas seulement la vie matérielle de l’homme mais touche aussi la condition humaine dans ses racines les plus profondes et dans ses droits fondamentaux. « Cet homme qui a tout perdu, sa langue, son histoire, sa tradition, son art, incarne le type même du pauvre, du faible, de l’opprimé 497. C’est cela selon Mveng la réalité africaine, telle qu’elle est vécue, à tous les niveaux. Comme conséquence, « l’Afrique est absente là où l’on décide de son destin, des grands centres de décision du monde parce que c’est le lot des faibles 498 ».
L’auteur affirme aussi que la pauvreté anthropologique a entraîné le vide spirituel au sein des sociétés africaines. Pour lui, ce vide spirituel serait peut-être la conséquence la plus dramatique de cette paupérisation. Il soutient qu’en dépit du fait que la Tradition africaine est bien vivante dans des campagnes africaines, le vide spirituel y est aussi omniprésent. En effet, « même dans ces milieux ruraux où la tradition n’est pas morte, les maîtres à penser, les maîtres à prier, les maîtres à guérir sont devenus rares 499 ». Cependant, selon Mveng, tout n’est pas encore perdu. Il est possible pour l’homme africain de lutter pour sa propre libération de toutes ces situations déshumanisantes. En définitive, c’est l’homme africain libéré de la pauvreté anthropologique qui saura se réconcilier avec son environnement naturel et favoriser ainsi l’harmonie et la paix cosmique.
La théologie de la vie chez Kä Mana
Selon ce théologien africain, la quête fondamentale de l’homme africain est celle de la vie. Paradoxalement, il n’est pas rare de constater en Afrique que la mise en exergue de « la relation cosmo-théandrique n’empêche pas des incidents malheureux tels que les incendies, les destructions des forêts ni autres dégradations de l’environnement 500 ». Ainsi, entre la sacralisation de la nature et la destruction sauvage de la création, c’est la perspective de la vie qui joue le rôle du trait d’union. La théologie de la vie a surtout été reprise par « Kä Mana dans la perspective de la nouvelle évangélisation de l’Afrique 501 ». Pour lui, il faut pour les africains, sortir d’un christianisme de la catastrophe pour adopter un christianisme de la vie. Dans le continent africain aujourd’hui, « il y a une urgence d’annoncer ce Messie de la transformation sociale et de l’espérance : le Seigneur de la Vie et le Chemin de la récréation de l’homme africain 502 ».
Kä Mana poursuit sa réflexion en insistant que « le devoir de la théologie de la vie est de penser la vie comme engagement à bâtir des digues et le devoir du christianisme de la vie est de contribuer à l’édification de ces digues dans l’existence de tous les jours 503 ». Il s’agit des digues écologiques et sociales, économiques et politiques, morales et spirituelles, intellectuelles et culturelles. Bref, les digues pour la vie, il faut surtout considérer la vie dans sa globalité et dans toute sa profondeur, la vie de toute la société, de l’histoire africaine et de développement écologique dans lequel se trouve l’homme africain.
Pour l’auteur, la question écologique constitue une nouvelle grille de lecture du monde, le cadre à l’intérieur duquel nous devons penser, comprendre et transformer la réalité dans laquelle nous vivons. Il affirme que « l’écologie est l’œil avec lequel nous devrions désormais voir, l’oreille avec laquelle nous devrions entendre, l’esprit avec lequel 504 nous devrions appréhender les choses, la perspective selon laquelle nous devrions situer tous les problèmes qui se posent à l’humanité ». Le défi écologique est lancé aussi à l’Eglise pour une nouvelle intelligence de la Révélation, une nouvelle manière de concevoir la théologie et une nouvelle manière de vivre la foi chrétienne en Afrique.
Pour clore cette pensée, il nous paraît évident que l’importance du thème de la vie en Afrique n’est pas à démontrer. Il prend encore plus d’importance en cette époque de mondialisation. « Les événements sanglants qui endeuillent nombre de pays africains montrent que sur ce continent, comme ailleurs, la vie est, certes, un don de Dieu, mais un don à faire fructifier 505 ». Il faut reconnaître que les africains peuvent aussi être capables de détruire la vie et « la mondialisation n’a fait qu’accentuer ce phénomène avec l’idéologie dominante de l’intérêt et du mépris de l’autre 506 ». Il est donc urgent de retrouver le sens ultime de la vie non seulement celle de la personne humaine, mais aussi celle de la création environnante. C’est ainsi que l’aspect l’écologie retrouve sa pertinence, surtout dans cette Afrique devenue dépotoir mondial des déchets toxiques.
L’engagement pour l’écologie doit prendre en compte tous ces lieux où se détruit la vie. Précisément, « le combat pour l’environnement est en même temps engagement pour la paix, la justice, le développement, et la santé 507 ». C’est une responsabilité commune impliquant des individus, des activistes, des gouvernements, des églises, des opérateurs économiques, la société civile, etc.
504 KÄ MANA, Pour une éthique de la vie : Bible, Ecologie et Reconstruction de l’Afrique, dans KA MANA & J-B.KENMOGNE (dir.), Ethique, Ecologie et Reconstruction de l’Afrique, Actes du Colloque International organisé par le CIPCRE du 10 au 17 juin 1996, Batié – Cameroun, 1997, p. 42.
505 P.POUCOUTA, Afrique, quelles alternatives à la mondialisation, dans Spiritus, n° 166, (2002), p.49.
506 Ibidem.
507 P.POUCOUTA, la théologie africaine au défi de l’écologie, art.cit. p. 184. Voir aussi, Benoît XVI, (Pape) Exhortation apostolique post-synodale Africae Munus sur l’Eglise en Afrique au service de la réconciliation, de la justice et de la paix, 19 novembre 2011. Dans ce document, le Souverain Pontife exhorte l’Église en Afrique à encourager les gouvernants à protéger les biens fondamentaux que sont la terre et l’eau, pour la vie humaine des générations présentes et futures et pour la paix entre les populations.
Il constate de graves atteintes qui sont portées à la nature et aux forêts, à la flore et à la faune, et d’innombrables espèces qui risquent de disparaître à tout jamais. Tout cela menace l’écosystème tout entier et, par conséquent, la survie de l’humanité. Cf. Africae Munus n° 80.
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485 T. TSHIBANGU Tshishiku, Théologie et Science dans Revue Africaine de Théologie, n° 20, (1986), p. 177. On peut aussi lire, E.MVENG, L’art d’Afrique Noire. Liturgie cosmique et langage religieux, Yaoundé, Editions Clé, 1964, p. 5. Pour Mveng, en effet, le geste et le langage religieux africains relèvent d’une double dimension : ils sont à la fois cosmiques et anthropologiques. Ces deux aspects définissent le projet de l’homme en tant qu’être religieux. Ce projet trouve son achèvement dans la rencontre et l’union dialectique des trois termes qui les fondent initialement : le monde, l’homme et Dieu. Cité par R. DIKEBELAYI Maweja, L’herméneutique théologique africaine. Analyse de quelques courants, Kinshasa, Presse de l’Université Catholique du Congo, 2019. p. 102 ↑
486 R.DIKEBELAYI Maweja, op.cit., p.104. ↑
487 R. PANIKKAR, Vision trinitaire et Cosmo-théandrique : Dieu-Homme-Cosmos, (Œuvres VIII), Paris, Cerf, 2013, p. 16. ↑
488 R. DIKEBELAYI Maweja, op.cit. p.110. ↑
494 E. MVENG, l’Afrique dans l’Eglise Parole d’un croyant, Paris, L’harmattan, 1985, p.201. ↑
500 P.POUCOUTA, art.cit., p. 184. ↑
501 KÄ MANA, La nouvelle évangélisation en Afrique, Paris/ Yaoundé, Karthala/ Clé, 2000, p.208. ↑
504 KÄ MANA, Pour une éthique de la vie : Bible, Ecologie et Reconstruction de l’Afrique, dans KA MANA & J-B.KENMOGNE (dir.), Ethique, Ecologie et Reconstruction de l’Afrique, Actes du Colloque International organisé par le CIPCRE du 10 au 17 juin 1996, Batié – Cameroun, 1997, p. 42. ↑
505 P.POUCOUTA, Afrique, quelles alternatives à la mondialisation, dans Spiritus, n° 166, (2002), p.49. ↑
507 P.POUCOUTA, la théologie africaine au défi de l’écologie, art.cit. p. 184. Voir aussi, Benoît XVI, (Pape) Exhortation apostolique post-synodale Africae Munus sur l’Eglise en Afrique au service de la réconciliation, de la justice et de la paix, 19 novembre 2011. Dans ce document le Souverain Pontife exhorte l’Église en Afrique à encourager les gouvernants à protéger les biens fondamentaux que sont la terre et l’eau, pour la vie humaine des générations présentes et futures et pour la paix entre les populations. ↑
Il constate de graves atteintes qui sont portées à la nature et aux forêts, à la flore et à la faune, et d’innombrables espèces qui risquent de disparaître à tout jamais. Tout cela menace l’écosystème tout entier et, par conséquence, la survie de l’humanité. Cf. Africae Munus n° 80.
Questions Fréquemment Posées
Qu’est-ce que l’herméneutique tripolaire selon Roger Dikebelayi Maweja?
L’herméneutique tripolaire est une approche qui conçoit la réalité comme un tout, intégrant la connaissance de Dieu, de l’homme et de l’environnement de l’homme.
Comment la théologie africaine aborde-t-elle la crise écologique?
La théologie africaine, en tant qu’herméneutique cosmo-théandrique, vise à découvrir ce que la Parole de Dieu dit de Dieu, de l’homme et de la nature, tout en dépassant le théocentrisme, l’anthropocentrisme et le cosmo-centrisme.
Quelle est l’importance de la circularité entre la théologie, l’anthropologie et la cosmologie?
La circularité entre la théologie, l’anthropologie et la cosmologie permet de comprendre leurs relations interdépendantes et unifiées, renforçant ainsi le discours théologique africain.