Quelles stratégies d’implémentation pour sécuriser les droits fonciers au Sud-Kivu ?

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🏫 Université Senghor - Département Management
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master - 2021
🎓 Auteur·trice·s
Isaac BUBALA WILONDJA
Isaac BUBALA WILONDJA

Les stratégies d’implémentation foncière au Sud-Kivu révèlent des lacunes surprenantes dans les innovations des acteurs non étatiques. Cette recherche met en lumière des incohérences avec les services administratifs locaux, soulevant des questions cruciales sur la décentralisation foncière et la protection des droits des communautés rurales.


Attestation parcellaire et cartographie participative

La grande faiblesse de la cartographie participative se situer à deux niveaux. Premièrement, elle est une approche technique, qui nécessite un arsenal nécessaire (boussole, GPS, ordinateur et les logiciels y relatifs etc…), alors que les ETD sont en majorité pauvre et faiblement rétrocédées par le gouvernement central qu’elles ne peuvent pas prendre le risque d’entreprendre pareil projet.

Deuxièmement, le processus de la cartographie participative est plus technique, qu’elle exige des ressources humaines compétentes dans un environnement où la majorité de la population est accablée par l’analphabétisme. Ce constat fait que, dans la plupart des cas, on fait recours à une main d’œuvre extérieure. Celle-ci, au terme du projet, retourne dans leur milieu respectif (en ville) sans laisser les paysans dans la capacité de conduire d’eux -mêmes la cartographie.

Du coup, le projet tombe dans une faiblesse de la pérennité, faute d’appropriation des acquis. Une autre grande faiblesse, est, cependant, le problème de l’opposabilité de la carte aux tiers, notamment pour reconnaître officiellement les limites d’un terroir coutumier. Il nous paraît, ici, qu’il est nécessaire de franchir une autre étape en conférant une valeur légale à la carte communautaire pour faciliter son adoption par l’Administration territoriale.

Autrement, elle est considérée juste comme un outil pour renseigner les droits sur des terres communautaires, avec potentiel de résolution de conflits (Revue du secteur foncier, op cit).

En outre, son efficacité est incertaine. Il n’y a pas d’alternative viable à cette approche pour documenter les espaces d’exercice des droits fonciers communautaires. Cependant, l’approche revient à environ 10 dollars US$ à 50 dollars US$ à l’hectare, selon la configuration du terrain, sans compter l’investissement initial dans les équipements de cartographie. Il est certainement difficile d’envisager d’y recourir systématiquement pour la cartographie de la totalité des terres communautaire en RDC (idem).

En outre, retenons qu’en droit administratif congolais, la validité d’une attestation ne peut durer que six mois. L’introduction de l’attestation d’occupation des terres, reste lacunaire, pour assurer la sécurisation foncière de la communauté locale. D’abord, elle pèse sur les paysans qui doivent renouveler sa validité, chaque après six mois.

En plus, faute de l’inefficacité des ETD dans la gestion de paperasse et traçabilité (celles-ci n’étant pas dotées d’un service informatique, moins encore du personnel qualifié dans la gestion des archives), l’attestation ne peut se retrouver à tous les niveaux du processus de la reconnaissance foncière, pourtant un soubassement pour apprécier les droits fonciers des communautés locales dans une approche de planification participative.

Contrairement au processus de reconnaissance pour la titrisation, le processus d’obtention de l’attestation d’occupation des terres nécessite la participation de tous les paysans mobilisés. Elle reste, cependant, très longue et fastidieuse, dans un contexte où la mobilité d’un village à l’autre, du reste très éloignés, n’est pas évidente. Cette contrainte fait que son accessibilité soit difficile, et les paysans n’y accordent pas plus d’attention.

§3. Opportunités

Malgré l’importance et l’urgence d’une réforme foncière pour traiter de nombreuses questions liées aux conflits fonciers en RDC, la loi foncière actuellement en vigueur (du 20 juillet 1973) offre plusieurs opportunités et/ou possibilités, qui pourraient également être utilisées et servir d’outils pour aborder et résoudre certains des problèmes les plus graves.

Le développement d’interventions, le pilotage et la mise œuvre des solutions innovatrices et durables, telles que la titrisation collective et la cartographie participative, sont des opportunités à saisir par les ANE afin d’améliorer le secteur foncier. En plus de la nécessité de clarifier et formaliser les droits fonciers coutumiers locaux, à travers des outils alternatifs expérimentés dans les cadres des projets tels que le certificat foncier coutumier, les chartes foncières locales, les dialogues communautaires participatifs ; la loi foncière, en reconnaissant l’existence des terres des communautés locales (Article 388), c’est-à-dire rurale, et la gestion de ces terres selon les coutumes et usages locaux ; offre également la possibilité de recourir aux innovations des acteurs non-étatiques comme mesures intermédiaires de sécurisation foncière en milieu rural.

§4. Menaces

Les innovations des acteurs non-étatiques ont introduit, dans l’arène foncière locale, des nouveaux pouvoirs et des nouvelles dynamiques d’accès aux ressources naturelles et de gestion des conflits. La transformation qu’elles induisent, à l’échelle locale, ne peut subsister sans une négociation avec les différents ordres juridiques en place. Cependant, leurs approches mettent en place un nouveau cadre juridique qui se superpose aux cadres existants. En outre, leurs interventions ont des conséquences sur les équilibres politiques et juridiques locaux, soulignent Mudinga & Nyenyezi, (2014) ; Mudinga & Wakenge, (2021) ; Marthys & Vlassenroot, (2016).

Dans la considération foncière locale, c’est-à-dire coutumière, expliquent Olivier Barrière (1996) et Jean-Pierre Chauveau (1998, 2002), le foncier joue un rapport symbolique (Chauveau, 1988 ; Chauveau, 2002) et social large42, au sein duquel interagissent différents acteurs stratégiques, à des échelons aussi local, national qu’international (Rochegude, 2011 ; Le Roy, 1995). Cette

42 Jean-Pierre Jacob (2013) écrit dans ce sens que le foncier est le lieu de la « bonne vie ». Entant que richesse, il doit périodiquement être restauré au travers des prières, des offrandes et des sacrifices, les lignages ; …les questions foncières dans ces contextes coutumiers renverraient donc à un corps social entièrement pris dans le devoir de faire grandir un sujet transcendant, ce qui expliquerait que ses membres soient assujettis à un interdit de distinction, de délimitation, entre la sphère du soi et de l’autre. (Jacob, 2013).

considération du foncier n’est pas celle que ces acteurs non-étatiques réservent au foncier. Baraka, Ansoms, Kasper (2021) expliquent que ces acteurs réduisent la considération foncière à la seule dimension politique, au sein duquel, ils proposent des innovations techniques. Ces auteurs expliquent que les relations de pouvoir assorti de processus de reconnaissance foncière, ont un impact fort sur les interventions de démarcation et de certification parcellaire, non seulement sur le terrain en aval, mais aussi et surtout en amont en partant dans les choix légaux qui donne une prééminence des mécanismes de sécurisation formelle (Baraka, et al., 2021).

Somme toute, les nouvelles règles produites ainsi que des nouvelles instances de régulations des différends qu’ils créaient, rivalisent avec les cadres normatifs préexistants. En cas de contestation devant la justice moderne (de l’Etat), les actes de médiation assorti des instances mis en place par ces acteurs non-étatiques sont méconnus par l’administration et la justice (Mudinga & Nyenyezi, 2014 ; Mudinga & Wakenge, 2021).

Section III:

Analyse des tendances générales des innovations des acteurs non-étatiques

Les réflexions qui émergent de la littérature sur la sécurisation foncière rurale en Afrique sub- saharienne, présentent l’évolution d’une diversité d’outils, d’approches et de modèles de sécurisation des droits fonciers coutumiers. Pendant la période coloniale, Hubert Ouédraogo (2008) explique que le système d’immatriculation foncière, appelé système Torrens, a prévalu et introduit, dans l’arène foncière, une approche centrée sur l’individualisation des droits fonciers en octroyant un titre foncier.

Après les années de l’indépendance, l’inadaptation de ce système d’immatriculation foncière aux modes de gestions foncières coutumières dans les paysages africains, a occasionné des réformes foncières de nombreux pays. En ce qui concerne la gestion foncière, cette période postindépendance a été caractérisée par la promulgation des différentes législations foncières nationales. Ces législations, écrit Philippe Lavigne (2010), ont malheureusement vite emprunté un caractère économique.

Elles ont, dans presque tous les pays de l’Afrique sub-saharienne, domanialisé les terres. Ce caractère domanial, écrivent Alain Rochegude (2002) et Jean-Pierre Chauveau (1998) n’a profité qu’aux Etats et non aux populations rurales qui gouvernent leurs terres suivant les dispositifs coutumiers. Ces dispositifs ont alors été abrogés, afin de permettre aux États à pouvoir mettre en place un système de gestion foncière centré sur l’individualisation de la tenure foncière.

Le principe « propriété vaut titre » a alors prévalu (Comby, 2007). Ce principe n’était pas toujours commode à la gestion des terres en milieu rural (Ouédraogo, op cit). Cette gestion qui est essentiellement coutumière, c’est-à-dire collective, ne pouvait être en cohérence avec un système d’individualisation de la tenure foncière rurale.

Etienne Le Roy (1995) explique qu’en Afrique Sub-saharienne, cette individualisation de la tenure rurale a occasionnée une marchandisation imparfaite de la terre. Il a été alors introduit, à la suite aux critiques à cette marchandisation « imparfaite » de la terre, des systèmes de gestion foncière centré sur des conventions, qui permettaient de prendre en compte la diversité des droits fonciers coutumiers (Chauveau, 2003).

Volker Stamm (1998) ; Hubert Ouedraogo & Vincent Basserie (2011) expliquent qu’en Afrique de l’ouest par exemple, ces conventions ont

donné lieu à un système de gestion foncière décentralisée, qui investit les pouvoirs aux autorités coutumières locales dans la gestion du foncier. On a alors assisté, dans les contextes nationaux, à la mise en place des instances de gestion du foncier qui tentèrent d’adapter les législations nationales à ce modèle de gestion décentralisé.

En RDC par contre, ce contexte de crise foncière a fait apparaitre, dans l’arène foncière, plusieurs acteurs qui interviennent, chacun dans son coin, selon son modèle, approche et logique. Cet enchevêtrement des logiques dans les interventions (Desardan, 2001) ainsi que la diversité d’approches, du reste incohérent, n’ont pas assuré une gestion foncière orthodoxe. L’insécurité foncière a toujours prévalue dans les milieux ruraux, en dépit des interventions des acteurs non-étatiques (Mudinga & Wakenge, 2021).

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42 Jean-Pierre Jacob (2013) écrit dans ce sens que le foncier est le lieu de la « bonne vie ». Entant que richesse, il doit périodiquement être restauré au travers des prières, des offrandes et des sacrifices, les lignages ; …les questions foncières dans ces contextes coutumiers renverraient donc à un corps social entièrement pris dans le devoir de faire grandir un sujet transcendant, ce qui expliquerait que ses membres soient assujettis à un interdit de distinction, de délimitation, entre la sphère du soi et de l’autre. (Jacob, 2013).


Questions Fréquemment Posées

Quelles sont les faiblesses de la cartographie participative dans la sécurisation foncière au Sud-Kivu ?

La grande faiblesse de la cartographie participative se situe à deux niveaux : elle nécessite des ressources techniques et humaines compétentes, ce qui n’est pas toujours disponible dans un environnement où la majorité de la population est accablée par l’analphabétisme.

Pourquoi l’attestation d’occupation des terres est-elle considérée comme lacunaire ?

L’attestation d’occupation des terres est lacunaire car sa validité ne dure que six mois et son renouvellement pèse sur les paysans, qui doivent également faire face à l’inefficacité des ETD dans la gestion de la paperasse.

Quelles opportunités existent pour améliorer la sécurisation foncière en RDC ?

Malgré l’urgence d’une réforme foncière, la loi foncière actuelle offre plusieurs opportunités, comme le développement d’interventions innovatrices telles que la titrisation collective et la cartographie participative.

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