Les stratégies de mise en œuvre de l’AFD révèlent des dynamiques surprenantes dans les relations franco-sénégalaises. En explorant l’évolution de cette institution depuis 1941, cet article met en lumière son rôle crucial dans le développement économique et social des territoires africains francophones.
CHAPITRE VI : L’AGENCE FRANCAISE DE DEVELOPPEMENT DANS LES RAPPORTS FRANCO-SENEGALAIS.
Depuis l’indépendance du Sénégal, les relations franco-sénégalaises ont évoluées, dans un sens restrictif, dans le domaine de l’assistance technique en personnel. Elle s’est maintenue à un niveau relativement constant dans le domaine de l’assistance financière et de l’aide au développement.
La longue histoire des liens économiques, politiques, culturels et militaires entre la France et le Sénégal, la tradition établie d’élections compétitives et de démocratie participative et le développement d’une véritable culture politique nationale sont essentiels à la compréhension de la nature distincte de ce qui est parfois appelé « l’exception sénégalaise ». Celle-ci est définie par la place particulière occupée par le Sénégal dans les relations franco-africaines au sens large et, plus particulièrement, par la représentation du Sénégal comme un modèle de démocratie et de stabilité, en France comme au Sénégal. Les relations franco-sénégalaises comportent plusieurs dimensions et plusieurs couches.
Même la plus simple présentation générale de ces relations doit prendre en compte leurs dimensions économiques, culturelles, militaires et administratives. Au cœur de ces relations franco-sénégalaises, l’A.F.D. joue un rôle déterminant de par son contribution au financement des projets étatiques et ses prêts et subventions à l’Etat du Sénégal. Dans cet état de fait, Dakar fait partie des implantations historiques de l’A.F.D. En effet, en tant que Caisse centrale de la France libre ; l’A.F.D. y a ouvert ses premiers bureaux dès sa création en 1942. Depuis lors l’A.F.D. entretient des relations profondes avec le Sénégal et intervient dans divers secteurs comme l’agriculture, le développement rural, l’éducation, la formation professionnelle…
L’évolution des rapports franco-sénégalais après l’indépendance
En ce qui concernait l’assistance technique, le nombre d’experts, techniciens ou professeurs détachés par la France demeurait constant. En effet, le Ministère de l’Education Nationale assurait la gestion de 220 membres du personnel enseignant et administratif de l’Université de Dakar. Le Ministère Français des Travaux Publics avait détaché 200 agents auprès de l’A.S.E.C.N.A. et de la Régie des chemins de Fer201. Divers organismes parapublics à caractère scientifique avaient été détachés près de 220 chercheurs et techniciens, dont beaucoup, tels ceux de l’I.R.H.O. (Institut de Recherches sur les Huiles et les Oléagineux) du B.R.G.M. (Bureau de Recherches Géologiques et Minières), de l’I.R.A.T. (Institut de Recherches Agronomiques Tropicales) ou de 1’O.R.S.T.O.M. (Office de la Recherche Scientifique et Technique d’Outre-Mer) apportaient une contribution très importante, sous la forme d’études techniques et économiques, à la définition de l’aide française apportée au Sénégal.
L’assistance militaire apportée par la France au Sénégal sous la forme de personnel en service dans l’armée et la gendarmerie sénégalaise demeurait également d’appréciation délicate.
Ainsi dans le domaine financier, il y avait deux types d’assistances : l’assistance financière directe et celle indirecte.
Au niveau de l’assistance financière directe, en 1959, le total des crédits du F.A.C. mis en œuvre par le gouvernement du Sénégal et des crédits mis en œuvre par les organismes d’assistance technique s’élevait à un milliard quatre cent quatre-vingt-deux millions huit cent mille francs CFA. En 1960, les crédits d’équipement du F.A.C. s’élevaient à 2 149,9 millions de francs CFA202. Au cours de ces deux années, le F.A.C. avait dû achever un certain nombre d’opérations entreprises ou prévues par le F.I.D.E.S. À partir de 1961, le Comité Directeur du F.A.C. estimait ne plus financer les dépenses de fonctionnement mais les seuls projets de développement (mise en place d’organismes assurant la formation des cadres administratifs et techniques, mesures favorisant la diversification des productions agricoles, aide à la création rapide d’une infrastructure économique et sociale, en particulier d’une infrastructure de type industriel).
En 1961, les opérations d’équipement du Sénégal ont atteint un milliard huit cent soixante-dix-huit millions de francs; d’autres opérations donnant lieu à financement budgétaire ne peuvent être nettement individualisées dans la mesure où elles intéressent plusieurs États d’Afrique, telle la subvention de fonctionnement de l’A.S.E.C.N.A. au Sénégal. En 1962, les crédits d’équipement du F.A.C. s’élevaient à 2 milliards de francs CFA, en 1963 à 1410 millions de francs CFA environ. En outre, près de 700 millions étaient affectés à des dépenses d’organismes français ou inter-États.
Quant à l’assistance financière indirecte, elle revêtait deux formes principales; d’une part, le soutien apporté par la France aux arachides sous la forme du surprix; d’autre part, la participation de la France à des opérations concernant le Sénégal dans le cadre du Fonds Européen de développement203. Ainsi la coopération franco-sénégalaise débouche sur l’association des États africains au Marché Commun qui entraînera l’abolition des aspects privilégiés des accords d’établissement et des accords douaniers passés par la France et le Sénégal.
Toutefois, les crédits de la Caisse centrale pour la période quinquennale 1968-1972 s’élevaient à 8,8 milliards de franc CFA, dont 2,7 milliards pour les logements sociaux, 2,2 milliards pour le développement rural, 2 milliards pour l’industrie minière… Mais en 1975 la Caisse centrale accordait au Sénégal des prêts pour un montant total de 74 milliards. Sur ce total, 38 millions seulement ont été consentis selon les modalités classiques d’intervention dite de « premier guichet ». Les 36 millions restant ont été accordés, pour une première fois, dans le cadre du « deuxième guichet »204. Les principaux prêts consentis au Sénégal en 1975 avaient concerné :
- L’agriculture ou tout au moins l’industrie agricole pour un montant de 5,5 millions destiné à la construction d’une usine d’égrenage de coton en Casamance. Le bénéficiaire était la Société pour le développement des fibres textiles (S.O.D.E.F.I.T.E.X.), société à capital mixte, à participation essentiellement française ;
- L’industrie textile pour 2,5 millions de francs, dont 1,5 millions servant à la modernisation des installations de filature et de tissage et 1 million à l’extension de la Société sénégalaise de fil (S.O.S.E.F.I.L.). Il est à signaler que ces deux entreprises étaient françaises ;
- Un programme de production électrique (36 millions), exécuté par l’Electricité du Sénégal.
- La poste d’un câble sous-marin entre Casablanca et Dakar (30 millions) qui serait effectuée par Télé Sénégal, filiale d’une entreprise française.
Ceci étant, le Sénégal demeure un partenaire privilégié de la France d’autant plus qu’il est le pays le plus aidé par la France pour l’ensemble de l’Afrique subsaharienne.
Toutefois, il est à noter que les années 1970 constituent un tournant décisif dans les relations franco-africaines d’une manière générale et plus particulièrement celles franco-sénégalaises. Ces dernières vont connaître une phase de contestation et de remise en question.
203 Il ne s’agit plus de rapports bilatéraux mais de la participation française aux mécanismes de coopération multilatérale créée entre les 6 États Européens de l’époque de la Communauté et les États Africains associés.
204 BOURGI Albert, op.cit., p.280.
Le système de coopération mis en place avant même les indépendances pour définir les nouveaux rapports franco-africains, était sur le point de décliner. Ce sont en effet les accords de coopération et leurs objectifs qui étaient au cœur des préoccupations.
Par ailleurs, l’aide française au Sénégal reflète la qualité exceptionnelle de la relation entre les deux pays, qu’il s’agisse du niveau de l’A.P.D. ou de la nature de partenariat franco-sénégalais. Dans les années 2000, plus précisément en 2005, avec en moyenne de décaissement de l’ordre de 110 millions d’euros205, la France demeure le premier partenaire du Sénégal, qui se situe ainsi parmi les premiers bénéficiaires de l’aide française pour la zone dite de solidarité prioritaire (Z.S.P.).
Le partenariat entre le Sénégal et la France se nourrit également de l’expérience accumulée au fil des années ainsi que l’ancienneté de ses opérations dans tous les domaines, technique, scientifique et culturel, et selon les modalités les plus diversifiées, qui engagent les États. Dans cette dynamique, l’A.F.D., « organe pivot » de la mise en œuvre de la politique française de coopération apporte sa partition dans ce partenariat franco-sénégalais dans divers secteurs d’activité.
Ainsi la France reste le partenaire commercial le plus important du Sénégal et son plus important donateur. Elle est le plus grand fournisseur de biens et de services au Sénégal, son plus important investisseur, son deuxième plus grand client en Europe et son quatrième à l’échelle mondiale206. La présence française concerne tous les secteurs d’activité. Les entreprises françaises207 jouent un rôle significatif dans la vitalité économique du pays puisqu’elles représentent un quart du PIB et des recettes fiscales208. La participation française sur la totalité du marché sénégalais reste stable à 20 %, malgré les efforts sénégalais de diversification en cherchant de nouvelles sources d’investissements et de nouveaux fournisseurs de biens et services.
En 2011, la valeur des exportations françaises vers le Sénégal s’élevait à 887 millions d’euros. Les produits pétroliers raffinés représentaient 25 % de la totalité de ces exportations, les céréales 10 % et les produits pharmaceutiques 8 %. Les biens à la consommation et l’équipement professionnel représentent également une part significative des exportations françaises. De plus, en 2010, la France était le plus grand investisseur étranger au Sénégal205.
206 CHAFER Tony, Relations franco-sénégalaises 2000-2012, Occasional Paper N°142, SAIIA South Africa Foreign Policy And African Divers Programme, avril 2013, p.6, document disponible sur file:///C:/Users/pc/Downloads/saia_sop_142_chafer_french_20130503.pdf.
207 Y compris les entités de droit sénégalais détenues par des ressortissants français.
208 https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/SN/relations-bilaterales.
avec 719 millions d’euros, ce qui représente presque la moitié des investissements étrangers directs du Sénégal209.
La position de la France comme partenaire commercial principal du Sénégal et première source d’investissement étranger n’a pas changé durant la présidence de Wade. Par comparaison, en 2004, la France était alors le plus important fournisseur de biens et services (535,4 millions d’EUR) du Sénégal, son deuxième client en Europe (637 millions d’EUR) et son investisseur étranger majeur210. Néanmoins, l’environnement économique est devenu plus compétitif et la France ne peut plus tenir pour acquise sa position de premier partenaire économique. Par exemple, en 2006, le conglomérat français Bolloré Investissements a perdu ses contrats d’exploitation du port de Dakar au profit de Dubaï Ports World211.
Cependant, de nombreuses entreprises françaises sont fortement établies au Sénégal et continuent de contribuer de manière significative à son économie que la France a, si on peut dire ainsi, une importante mainmise. En effet, plus de 250 entreprises françaises opèrent au Sénégal. Parmi elles, plus d’une centaine sont des filiales de sociétés françaises ou possèdent des intérêts minoritaires dans des sociétés sénégalaises. Les principales entreprises françaises qui sont présentes au Sénégal incluent Total (produits pétroliers) et le groupe hôtelier Accor212.
209 Données fournies par l’Ambassade de France au Sénégal, disponible sur http://www.diplomatie.gouv.fr/en/country-files/senegal-233/france-and-senegal/economic-relations-6518, consulté le 30 novembre 2022.
210 Le Soleil (Dakar), 26 juillet 2007.
211 NORBROOK N, France–Africa Relations: Le Grand Divorce?, The Africa Report, 8 juin 2012, disponible sur http://www.theafricareport.com/news-analysis/france-and-africa-relations-le-grand-divorce.html, consulté le 30 novembre 2022.
212 CHAFER Tony, op.cit., p7.
Tableau 10 : Les entreprises françaises majeures au Sénégal, 2012.
Tableau 10 : Les entreprises françaises majeures au Sénégal, 2012. | |
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Paramètre/Critères | Description/Valeur |
Total des entreprises françaises | Plus de 250 entreprises |
Filiales de sociétés françaises | Plus d’une centaine |
Principales entreprises | Total (produits pétroliers), Accor (groupe hôtelier) |
Source : CHAFER Tony, Relations franco-sénégalaises 2000-2012, Occasional Paper N°142, SAIIA South Africa Foreign Policy And African Divers Programme, avril 2013, p.7.
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201 GAUTRON Jean-Claude, op.cit., p.847. ↑
203 II ne s’agit plus de rapports bilatéraux mais de la participation française aux mécanismes de coopération multilatérale créée entre les 6 Etats Européens de l’époque de la Communauté et les Etats Africains associés. ↑
204 BOURGI Albert, op.cit., p.280. ↑
205 Coopération France-Sénégal, « Document cadre de partenariat France-Sénégal », Dakar, la 10 mai 2006, p.3. Document consulté sur https://sn.ambafrance.org/IMG/Document_cadre_de_partenariat.pdf. ↑
206 CHAFER Tony, Relations franco-sénégalaises 2000-2012, Occasional Paper N°142, SAIIA South Africa Foreign Policy And African Divers Programme, avril 2013, p.6, document disponible sur file:///C:/Users/pc/Downloads/saia_sop_142_chafer_french_20130503.pdf. ↑
207 Y compris les entités de droit sénégalais détenues par des ressortissants français. ↑
208 https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/SN/relations-bilaterales. ↑
209 Données fournies par l’Ambassade de France au Sénégal, disponible sur http://www.diplomatie.gouv.fr/en/country-files/senegal-233/france-and-senegal/economic-relations-6518, consulté le 30 novembre 2022. ↑
210 Le Soleil (Dakar), 26 juillet 2007. ↑
211 NORBROOK N, France–Africa Relations: Le Grand Divorce?, The Africa Report, 8 juin 2012, disponible sur http://www.theafricareport.com/news-analysis/france-and-africa-relations-le-grand-divorce.html, consulté le 30 novembre 2022. ↑
212 CHAFER Tony, op.cit., p7. ↑
Questions Fréquemment Posées
Quel est le rôle de l’AFD dans les relations franco-sénégalaises ?
Au cœur des relations franco-sénégalaises, l’A.F.D. joue un rôle déterminant de par son contribution au financement des projets étatiques et ses prêts et subventions à l’Etat du Sénégal.
Comment l’AFD a-t-elle évolué depuis sa création au Sénégal ?
L’A.F.D. y a ouvert ses premiers bureaux dès sa création en 1942 et entretient des relations profondes avec le Sénégal, intervenant dans divers secteurs comme l’agriculture, le développement rural, l’éducation, et la formation professionnelle.
Quels types d’assistance financière l’AFD fournit-elle au Sénégal ?
Il y avait deux types d’assistances : l’assistance financière directe et celle indirecte, avec des crédits d’équipement du F.A.C. s’élevant à 2 149,9 millions de francs CFA en 1960.