La réseaucratie au Cameroun révèle un nouveau visage de la corruption, où l’interconnexion des entités crée des dynamiques sociales insoupçonnées. Cette étude met en lumière les conséquences profondes des programmes d’ajustement structurel sur la société camerounaise, transformant ainsi notre compréhension des enjeux contemporains.
Le phénomène de « réseaucratie »
À la suite des phénomènes frauduleux d’enrichissement comme le phénomène des employés fictifs et les détournements des derniers publics apparaît un nouveau visage de corruption et de connexion qualifié dans ce travail de « réseaucratie »20. Étymologiquement, le mot réseaucratie vient de deux mots, le radical « réseau » qui désigne un entrelacement, une interconnexion de plusieurs entités indépendantes pour former une entité unique21 ; et le suffixe – cratie qui est une dérivation du grec Kratos, qui signifie pouvoir, autorité, ou organisation22.
Réseaucratie est donc une organisation sociétale dont les tenants du pouvoir appartiennent à un certain réseau social. En contexte camerounais, ce phénomène ne se limite pas seulement au niveau du pouvoir politique. Il couvre en fait presque tous les secteurs de la vie sociale et s’apparente à la corruption. Il apparait comme étant l’étape supérieure de la corruption qui ne se limite plus qu’au simple fait de donner une contrepartie financière à une tierce pour bénéficier d’un service public23.
Mais, il faudrait en plus de cet argent avoir une personne de référence pouvant aider.
Dans ce contexte de réseau, la société camerounaise post-ajustement structurel est envahie par une sorte de société marchande où chacun cherche à tout vendre ou à tout acheter24. Laissant ainsi naître un système de redevance dont chacun doit rendre la monnaie de sa pièce25. Ceci dit, l’on se trouve dans un système d’engrenage où l’on est appelé à rendre service à celui qui a rendu service, à faire réussir l’enfant ou le frère de celui qui nous a fait réussir. Le système
19 AFP, « Au Cameroun, les détournements de fonds publics atteignent au moins 2,8 milliards d’euros », http://www.jeuneafrique.com/154408/politique/au-cameroun-les-detournements-de-fonds-publics-atteignet-au- moins-2-8-milliards-d-euros.html, consulté le 10/05/2020 à 11h47min.
20 Il faut dire ici que ce concept a été adapté dans ce contexte pour expliquer une réalité vivante dans la société camerounaise, connue sous le vocable de corruption.
21 « Réseau », Alain Rey, Le Grand Robert de la langue française 2005, version électronique, 2005.
22 « Réseaucratie », http://www.toupie.org/dictionnaire/reseaucratie.html, consulté le 10/05/2020, à 12h27min.
23 Pierre Titi Nwel, De la corruption au Cameroun, Yaoundé, Friedrich-Ebert, 1999, p.14.
24 Nyom, La crise économique…, p.128.
25 Ombé Sébastien Thierry Régis, 29ans, Étudiant et agent commercial temporaire BICEC, Yaoundé le 11/05/2020.
réseaucrate est aussi perçu comme une sorte d’étatisation du secteur public, dont l’enrichissement résulte de l’appartenance à la sphère étatique26. L’on assiste alors à une sorte de privatisation de l’État. Dans ce sens, le cercle de l’entraide est de plus en plus rétréci donnant lieu à l’effervescence des logiques tribales, du népotisme voire des logiques ésotériques. Ce phénomène couvre à cet effet presque toutes les sphères de la vie étatique, que ce soit au niveau de l’ascension sociale, l’ascension politique, les marchés publics, accès à certains postes de responsabilité pour ne citer que ces quelques exemples.
La société camerounaise née de l’ajustement structurel c’est-à-dire à partir des années 1990 et début des années 2000, devint le théâtre d’opérations de la réseaucratie. De ce fait, dans le cadre de l’accès aux grandes écoles de formation par exemple, la réseaucratie substitue de plus en plus la méritocratie. Pour le Camerounais lambda, réussir à un concours se résume à avoir « quelqu’un devant », c’est-à-dire avoir un parent proche, un ami ou un frère qui a la possibilité de faciliter l’accès à cette école.
Cette perception est profondément ancrée dans les schèmes des Camerounais, en ce sens que lorsqu’un concours est ouvert au public, le reflex est de chercher le « tuyau », qui permettra de s’abreuver ; car dit-on dans le jargon populaire camerounais, « le tuyau c’est la position » ou encore « on est quelqu’un derrière quelqu’un »27.
À partir des années 1990 et début des années 2000, l’accès à une grande école de formation à l’instar de l’École Nationale d’Administration et de Magistrature (ENAM), l’École Militaire Interarmées (ÉMIA), les Écoles Normales Supérieures (ENS), l’Institut des Relations Internationales du Cameroun (IRIC) devient un luxe pour le diplômé camerounais. Un témoignage d’une lauréate de l’une des ENS va dans ce sens pour justifier ce postulat : « Je n’ai pas réussi par mes propres moyens, c’est ma grande sœur qui m’a aidé »28.
Elle témoigne par-là que c’est grâce au réseau de sa grande sœur qu’elle a pu entrer à l’ENS. Dans cette perception, le Camerounais diplômé qui en plus de ne pas avoir les moyens financiers efficaces, pour s’acheter une place dans un concours, n’ayant pas aussi de « tuyau », ne trouve pas de réel engagement dans l’espoir d’une certaine réussite.
Il présente le concours par « que faire ? » et se soulage donc avec les mots « c’est Dieu qui donne »29, lorsqu’il réussit néanmoins. Cette situation est la résultante des mesures d’austérité des PAS qui, à partir des années 1990 plongea la
26 Georges Courade (sd), Le désarroi camerounais. L’épreuve de l’économie-monde, Yaoundé, Ifrikiya, 2011, p.24.
27 Ces propos ont été recueillis auprès de plusieurs jeunes camerounais qui expriment une certaine fatalité à demeurer pauvre car n’ayant de possibilité de s’insérer professionnellement à cause de la privatisation d’un certains nombres de privilèges étatiques, surtout avec l’écartement de la méritocratie.
28 Anonyme, 29 ans, Élève-professeur, Yaoundé, le 30/10/2019.
29 Anonyme, 28ans, Élève administrateur, Yaoundé, le 10/10/2018.
population diplômée camerounaise dans un désarroi où l’État ne pouvait plus recruter le maximum de formés sinon le minimum.
Dans le domaine administratif, ce phénomène de réseaucratie bat son plein. À ce niveau, le clientélisme et le tribalisme sont ses formes usuelles. Ainsi, il devient facile de savoir la région d’origine et même l’ethnie du chef de service administratif par le biais de la langue parlée par les agents dans les couloirs30.
Dans ce même sens, l’on observe aussi que certains recrutements au sein de l’administration ne se font pas selon le véritable besoin en personnel, mais dans l’optique de satisfaire les nécessités des proches, mieux, mais de donner une possibilité d’emploi à ses connaissances et membre de sa famille. Les recrutements se font donc sur la base des critères autres que professionnels31.
Une enquête de terrain sur la question de la méritocratie a permis de révéler que cette dernière est devenue une utopie dans l’imagerie populaire surtout celle jeune, un cliché qui s’est installé et a pris de l’ampleur à partir des années 1990 et début 2000. Ainsi sur 30 jeunes interrogés, 04 attestent que la méritocratie existe encore, 16 sont catégoriques sur l’idée de sa non-existence et 10 ont une position nuancée selon laquelle elle existe, mais à un faible taux.
Ce taux oscille selon ces avis entre 2 % pour certains, 10 % pour d’autres et 30 % pour d’autres32. Au Cameroun selon Robert Nyom : « le travail honnête et bien fait, la compétence, sont devenus des exceptions »33, et selon Georges Courade, « Compétence et savoir-faire sont loin de primer sur le marché du travail »34.
En d’autres termes, la question de méritocratie tend à disparaître au profil du réseau et donnant lieu à l’effervescence de la médiocrité.
Au total, l’administration publique au lendemain de l’ajustement est une société dominée par plusieurs phénomènes dont font usage les Camerounais pour accéder aux richesses. Il s’agit du phénomène de fonctionnaire fictif, des détournements de derniers publics et de la réseaucratie. Il incombe à la suite de la présentation de l’administration publique de voir comment l’accès aux richesses s’opère au niveau de la classe moyenne.
30 Mbatsogo Nkolo, « Endoscopie du fonctionnariat… », p.66.
31 Ibid.
32 Enquêtes auprès des jeunes diplômés et des lauréats des concours d’entrée dans les grandes écoles de formation des 10, 11, 12, 13, 14 et 16 mai 2020.
33 Nyom, La crise économique…, p.128.
34 Courade, Le désarroi camerounais…, p.39.
Questions Fréquemment Posées
Qu’est-ce que la réseaucratie au Cameroun?
La réseaucratie est une organisation sociétale dont les tenants du pouvoir appartiennent à un certain réseau social, couvrant presque tous les secteurs de la vie sociale et s’apparentant à la corruption.
Comment la réseaucratie affecte-t-elle l’accès à l’éducation au Cameroun?
La réseaucratie substitue de plus en plus la méritocratie dans l’accès aux grandes écoles de formation, où réussir à un concours se résume souvent à avoir ‘quelqu’un devant’.
Quels sont les effets de la réseaucratie sur la société camerounaise?
La société camerounaise est envahie par une sorte de société marchande où chacun cherche à tout vendre ou à tout acheter, créant un système d’engrenage où les services sont échangés entre individus.