Comment les amnisties influencent-elles la réparation des victimes ?

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🏫 Université Catholique d'Afrique Centrale - Faculté de sciences sociales et de gestion - Académie de la Paix et des droits de l'homme en Afrique centrale
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master - 2020-2021
🎓 Auteur·trice·s
OUMBA BAZOLA Seth Jireh
OUMBA BAZOLA Seth Jireh

La réparation des victimes en droit international est souvent entravée par des contradictions surprenantes. Alors que les amnisties semblent offrir une forme de justice, les prescriptions pénales sont rejetées, soulignant l’importance cruciale de l’imprescriptibilité pour garantir des droits fondamentaux.


Paragraphe II : Deux mesures opposées quant à la règle de réparation

La réparation a pour but la promotion de la justice et la tentative de remédier aux préjudices subis par les victimes. Cette réparation doit être effective, rapide et efficace. Si on observe une tentative de réparation dans la mise en place des amnisties (A), cela n’en est pas le cas avec les prescriptions pénales, d’où leur mise en cause au niveau international au profit de l’imprescriptibilité (B).

A- Les amnisties et le droit des victimes à la réparation

« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer », nous rappelle l’article 1382 du C. Civ français. Cet article met en œuvre la responsabilité individuelle de chacun devant ses faits. Une responsabilité qui est précisé à l’article 138387.

Apres la commission des crimes, les individus sont face à leurs responsabilités tant pénales que civiles. La réparation faisant partie intégrante de la responsabilité civile, il importe aux responsables de réparer d’une manière ou d’une autre leurs dommages afin que les victimes entrent en possession de leurs droits. Sur le plan international ou plus précisément dans le cadre africain des droits de l’homme, la CADHP énonce que les mesures de réparation doivent, selon les circonstances particulières de chaque affaire, inclure la restitution, l’indemnisation, la réadaptation de la victime et les mesures propres de garantir la non répétition des violations, compte tenu des circonstances de chaque affaire.

C’est dans cette optique que dans l’affaire Sébastien Germain AJAVON c. République du Bénin, la Cour a affirmé que « la réparation doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis »88.

87 C. Civ, art 1383, « Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence ».

88 Affaire Sébastien Germain AJAVON c. République du Bénin, Arrêt du 28 novembre 2019

Cette décision de la Cour nous permet de mettre en lumière deux catégories de réparation, à savoir la réparation matérielle qui comprend l’indemnisation et la restitution, et la réparation morale représenté par la satisfaction.

L’indemnisation, présentée comme le plus courant des réparations du fait qu’elle est plus facile à mettre en œuvre, intervient lorsque le dommage est médiat. Dans le cadre des violations des droits de l’homme, les victimes réclament dans la plupart de temps une indemnisation puisque ayant perdu tous leurs biens, aussi leurs facultés physique et parfois morale. C’est dire que toute violation, physique ou morale peut faire l’objet d’une indemnisation. Enfin, l’indemnisation couvre l’ensemble du préjudice et, prend effet non pas à la date de la survenance de la violation, mais à la date de la fixation de l’indemnité.

La restitution quant à elle, c’est la remise en état dans la situation antérieure comme si le dommage n’était pas survenu, afin « d’effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé, si ledit acte n’avait pas été commis » (CPJI, 1928, Usine de Chorzow). C’est la meilleure réparation envisageable ; malheureusement, il est le plus souvent illusoire de croire que la remise en l’état soit possible89, la CDI prévoit d’ailleurs que la restitution ne doit pas imposer une charge hors de proportion avec le dommage90.

Enfin, s’agissant de la satisfaction, c’est une réparation morale qui peut être invoquée en même temps que l’indemnisation. Elle parait souvent sous forme de la reconnaissance publique par les bourreaux ou même l’Etat, sur les violations des droits de l’homme dont ils ont été responsables. Cela peut donc être des excuses solennelles lorsqu’il s’agit d’un conflit entre Etat comme dans l’affaire du Rainbow warrior où la France a présenté des excuses à la Nouvelle- Zélande ou, mais aussi d’un Etat avec un individu étranger.

La satisfaction a aussi été l’une des solutions adoptées dans l’affaire des « Personnels diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran » (CIJ, 1980) : « la Cour tient que les violations successives et continues par l’Iran des obligations qui lui incombent (…) engagent la responsabilité de l’Iran à l’égard des États- Unis.

Une conséquence évidente de cette constatation est que l’État iranien a l’obligation de réparer le préjudice ainsi causé aux États-Unis ». Cette illustration de la CIJ s’applique également aux violations des droits des individus à cause du laxisme de l’Etat qui a laissé perpétrer les différentes violations des droits des individus sur son territoire.

89 Catherine Roche, L’éssentiel du Droit international public, 10e édition, 2019-2020, p102.

90 Voir l’arrêt usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay, CIJ, 2010.

Les réparations sont donc des éléments indissociables à l’amnistie. Elles permettent la mise en œuvre de cette dernière, dans le respect des de ses conditions d’application et les droits des individus tels que prévu par les différends textes internationaux relatifs aux DIDH et au DIH.

B- Les prescriptions pénales en but à la règle du droit imprescriptible à la réparation

La prescription pénale en DIDH fait obstacle au droit de réparation des victimes, d’où l’affirmation d’une violation de plus des droits de ses victimes qui ne peuvent malheureusement entrer dans leurs droits. Pour éviter ces violations, le DIDH a mis en place le droit imprescriptible à la réparation qui, a des composantes (1), et est le corollaire de l’imprescriptibilité des poursuites (2).

Les composantes du droit imprescriptible à réparation

Affirmé par les travaux de la sous commissions des droits de l’homme et les organes régionaux de protection des droits de l’homme, les composantes du droit imprescriptible à la réparation sont : le droit à la vérité et le recours effectif de la réparation.

Le concept « droit de savoir des victimes » est inscrit dans le rapport final de M. Louis Joinet de 199791. Il est affirmé que « Indépendamment de toute action en justice, les victimes, ainsi que leurs familles et leurs proches, ont le droit imprescriptible de connaître la vérité sur les circonstances dans lesquelles ont été commises les violations et, en cas de décès ou de disparition, sur le sort qui a été réservé à la victime ».

Sous cet angle, ce droit est une partie du droit à la réparation notamment le droit à la réhabilitation. En 2005, la commission des droits de l’homme met en place une résolution pour une réaffirmation de ce droit. Il est ainsi écrit que

« Dans les cas de violations flagrantes des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire, il importe d’étudier la relation entre le droit à la vérité et le droit à l’accès à la justice, le droit à un recours utile et à réparation et d’autres droits de l’homme pertinents92 ».

91 L’administration de la justice et les droits de l’homme des détenus », « Question de l’impunité des auteurs des violations des droits de l’homme (civils et politiques) », Rapport final de M. Louis JOINET, Commission des Droits de l’Homme, Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, E/CN.4/Sub.2/1997/20/Rev.1, 2 octobre 1997, rapport final en application de la décision 1996/119, § 31 : Annexe 2 : Ensemble de principes pour la protection et la promotion des droits de l’homme par la lutte contre l’impunité : Principe 3.

92 « Le droit à la vérité », Résolution de la Commission des droits de l’homme 2005/66, 20.04.2005, qui demande, au point 6, au Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme « de préparer une étude sur le droit à la vérité, comprenant notamment des informations sur les fondements, la portée et le contenu de ce droit en vertu du droit international, ainsi que des renseignements sur les meilleures pratiques et des recommandations en vue de l’application effective de ce droit (…) ».

Dans les systèmes régionaux des droits de l’homme, le droit à la vérité s’est également vu reconnaitre, notamment par le système interaméricain des droits de l’homme qui, à travers les décisions de la CADH qui à considérer en 1997 dans l’affaire Castillo Páez que le concept du droit à la vérité venait de la doctrine et de la jurisprudence, influençant ainsi les DH et qu’il impose aux autorités étatique d’enquêter sur les faits ayant produit des violations de la CADH93.

Le droit à la vérité est très important pour les victimes, mais pas que. En effet, il est aussi utile pour une éducation de la société. Ainsi, les nouvelles générations en connaissance des causes, des violations et des conséquences qui ont découlées de ces violations, une prévention pour la lutte contre ces actions sera imminente. Enfin, pour pouvoir prendre une autre envole et oublier les traumatismes et les différentes violations, il faut avoir lu ou connu l’histoire, comme nous l’affirme Louis Joinet94.

Le droit imprescriptible à la réparation, un corollaire de l’imprescriptibilité des poursuites

Theo Van Boven écrit dans un rapport: « (…) l’application de la prescription prive souvent les victimes de violations graves des droits de l’homme de la réparation qui leur est due. Il faudrait que, par principe, les demandes de réparation de ces victimes ne soient soumises à aucune prescription. A cet égard, on devrait tenir compte du lien qui existe entre les violations flagrantes des Droits de l’Homme et les crimes les plus graves pour lesquels, selon un avis juridique autorisé, la prescription ne peut s’appliquer »95.

Ce rapport montre que la réparation des victimes ne doit être soumise à aucune prescription puisque étant un doit pour les victimes. La prescription des réparations est encore envisageable pour les infractions qui ne relèvent pas de crimes internationaux. Toutefois, lorsque nous sommes en face des violations de DIH ou de DIDH, l’application de la prescription des réparations n’est plus envisageable, suivant le principe de l’imprescriptibilité des poursuites.

Si en droit interne il est difficile de concilier les prescriptions aux obligations des Etats de punir les auteurs de graves crimes internationaux, il est cependant possible en droit international que l’engagement de la responsabilité pénale individuelle de l’auteur de l’acte est considéré comme un élément essentiel du droit à réparation des victimes ; on pourrait même arguer du caractère coutumier de cette obligation96.

L’Etat engage sa responsabilité internationale, spécialement devant les Cours régionales de droits de l’homme, pour non-respect de cette obligation. Il convient donc de conclure que, pour certaines violations, le droit imprescriptible des victimes à réparation a pour corollaire l’imprescriptibilité des poursuites et des peines contre les auteurs de telles infractions97.

96 R. MAISON, La responsabilité individuelle pour crime d’Etat en droit international public, Bruxelles, Bruylant/Université de Bruxelles, 2004. Cf aussi E. LAMBERT-ABDELGAWAD, « Existe-t-il une spécificité de la réparation pour crimes internationaux ? », in Les règles fondamentales de l’ordre juridique international, Journées franco-allemandes de la SFDI, Paris, Pedone, 2005, à paraître.

97 Hélène RUIZ FABRI, Recherche sur les institutions de clémence en Europe (Amnistie, Grace, Prescription).

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87 C. Civ, art 1383, « Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence ».

88 Affaire Sébastien Germain AJAVON c. République du Bénin, Arrêt du 28 novembre 2019

89 Catherine Roche, L’éssentiel du Droit international public, 10e édition, 2019-2020, p102.

90 Voir l’arrêt usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay, CIJ, 2010.

91 L’administration de la justice et les droits de l’homme des détenus », « Question de l’impunité des auteurs des violations des droits de l’homme (civils et politiques) », Rapport final de M. Louis JOINET, Commission des Droits de l’Homme, Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, E/CN.4/Sub.2/1997/20/Rev.1, 2 octobre 1997, rapport final en application de la décision 1996/119, § 31 : Annexe 2 : Ensemble de principes pour la protection et la promotion des droits de l’homme par la lutte contre l’impunité : Principe 3.

92 « Le droit à la vérité », Résolution de la Commission des droits de l’homme 2005/66, 20.04.2005, qui demande, au point 6, au Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme « de préparer une étude sur le droit à la vérité, comprenant notamment des informations sur les fondements, la portée et le contenu de ce droit en vertu du droit international, ainsi que des renseignements sur les meilleures pratiques et des recommandations en vue de l’application effective de ce droit (…) ».

93 V. l’affaire Castillo Páez, du 3 novembre 1997, Série C n° 34, §§ 86 et 90.

94 In « Rapport sur la question de l’impunité des auteurs des violations des droits de l’homme (civils et politiques) », Doc.E/CN.4/Sub.2/1997/20/Rev.1), §50

95 Rapport final de T. VAN BOVEN, E/CN.4/Sub.2/1993/8, 2 juillet 1993.

96 R. MAISON, La responsabilité individuelle pour crime d’Etat en droit international public, Bruxelles, Bruylant/Université de Bruxelles, 2004. Cf aussi E. LAMBERT-ABDELGAWAD, « Existe-t-il une spécificité de la réparation pour crimes internationaux ? », in Les règles fondamentales de l’ordre juridique international, Journées franco-allemandes de la SFDI, Paris, Pedone, 2005, à paraître.

97 Hélène RUIZ FABRI, Recherche sur les institutions de clémence en Europe (Amnistie, Grace, Prescription).


Questions Fréquemment Posées

Comment les amnisties influencent-elles la réparation des victimes en droit international?

Les amnisties tentent de réparer les préjudices subis par les victimes, mais cela n’est pas le cas avec les prescriptions pénales, qui sont mises en cause au niveau international au profit de l’imprescriptibilité.

Quelles sont les catégories de réparation des victimes selon le droit international?

Il existe deux catégories de réparation : la réparation matérielle, qui comprend l’indemnisation et la restitution, et la réparation morale, représentée par la satisfaction.

Quel est le rôle de la Cour dans la réparation des victimes?

La Cour affirme que la réparation doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis.

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