Les perspectives d’avenir en Haïti sont souvent obscurcies par des discours démagogiques, comme celui du bicentenaire de l’indépendance. Cette analyse sémantique révèle comment les stratégies discursives de Jean-Bertrand Aristide, loin de renforcer l’État, ont contribué à sa fragilité, avec des implications cruciales pour la démocratie haïtienne.
Discours du bicentenaire de l’indépendance d’Haïti ( 1804-2004)
Ce discours du bicentenaire, est similaire à celui du 7 février 1991. Marqué par des improvisations, des phrases creuses, un mélange démagogique de plusieurs langues, des expressions idiomatiques, des redondances, des applaudissements. Ce discours aurait dû être le discours du bilan. Pourtant, c’est un discours de façade et « de faire semblant ».
Si depuis 1994, M. Aristide fait de 2004 une « priorité » dans ses discours. Dans les faits, l’arrivée du bicentenaire est comme une rédemption légitimant le pouvoir lavalas qui est en crise depuis les élections de 2000. Cette obsession de 2004, camoufle la situation de chaos dans laquelle est plongée Haïti.
De plus, il est pertinent de souligner, l’ambiance d’euphorie populaire dans laquelle M. Aristide obtint son écrasante victoire électorale et les actes d’idolâtrie dont il fait l’objet de la part de ses admirateurs le porte à croire davantage à sa « mission divine » et à s’enfermer dans une vision messianique.
Ce qui l’empêche de comprendre que son arrivé au pouvoir a été le résultat de facteurs conjoncturels internes et externes, c’est-à- dire le fruit d’un équilibre fragile à renouveler et à consolider sans cesse, au moyen de négociations politiques avec ses partisans et surtout avec ses adversaires. En se considérant comme « un envoyé de Dieu » pour sauver les masses exploitées d’Haïti, il arrive à les sacraliser, ce qui, évidemment, anéantit toute possibilité de médiation entre le leader providentiel et les masses populaires.
Cette vision du peuple comme « un ailleurs mythique, pur et sacré » le conduisit à banaliser l’idée d’élaboration d’un projet de société, de définition d’un programme, d’établissement des modalités de son application afin de pouvoir transformer, progressivement, les conditions de vie de ces masses.
À la tribune des Nations-Unies, le 20 septembre 1991, le président conclut son discours en ces termes : « Au nom du Peuple et de ses Fils et de son Esprit Saint ». Son messianisme aurait difficilement pu se manifester plus clairement. Dès lors, les institutions et les autres pouvoirs de l’État sont illusoire à ses yeux, et même l’empêchant d’accomplir sa noble mission divine.
Le discours du bicentenaire est digne d’un « one man show » politique, le président excite le rire, amuse la foule, cherche des applaudissements, sort des phrases vides.
« Au seuil de ce premier janvier 2004, nos cœurs vibrent aux rythmes de la liberté. Que l’écho de ces vibrations retentisse en applaudissement patriotique. (« Ochan e bravo pou zansèt nou yo »- Louanges pour nos ancêtres) . À Jean Jacques Dessalines Legrand, à Toussaint Louverture le génie de la race, à Pétion, Christophe, aux vaillants soldats et à tous les héros de l’indépendance, rendant un vibrant hommage. Et à vous sœurs et frères
des caraïbes, de l’Amérique, de l’Afrique, de l’Europe et de l’Asie, à vous tous amoureux, amoureuse de la liberté, bonne fête et bienvenue à cette symphonie universelle de la liberté ». Tout ça ne veut rien dire !
« Applaudissons le peuple Haïtien! Applaudissons les Haïtiens du 10ème département! Applaudissons les Haïtiens de la diaspora qui sont ici avec nous! Applaudissons « peyizan nou yo » nos paysans, « tout sè nou yo ki
nan mòn yo » nos frères et sœurs qui sont dans les montagnes, « tout malere yo », « tout pòv yo, nos pauvres, nos intellectuels, « tout pep ayisyen san distenksyon » tous les Haïtiens en général, « Bravo pou yo, chapo pou yo, bradsou bradsa, akolad fraternel ». Bravo à vous tous, félicitations à vous tous, mains dans la main, ambassade fraternelle. Que c’est beau, que c’est grand d’être unis! Que c’est beau, que c’est grand de s’aimer!
Que c’est beau, que c’est grand de cultiver la liberté, la tolérance, la paix, l’amour »!
On dirait que le président est loin de comprendre que l’effondrement du régime des Duvalier s’inscrive dans la dynamique des changements survenus dans les rapports transnationaux de pouvoir, caractérisés par l’idéologie des droits humains et la promotion de la démocratie représentative dans la nouvelle orientation de la politique extérieure des États-Unis133.
Avec l’effondrement du bloc de l’Est, ces principes, joints à ceux de l’économie de marché découlant du Nouvel ordre mondial, deviennent aussi de nouvelles normes régissant la conduite des organisations régionales et internationales telles que l’OEA et l’ONU. Comme corollaires de cette réalité, surgissent alors les notions de « droit d’ingérence humanitaire » et de « devoir d’assistance à peuples en danger » faisant des concepts d’État nation, de souveraineté et d’autodétermination des anachronismes134 et consacrant le statut des pays du Nord comme maîtres incontestables
du « monde globalisé135 ».
Le recours aux pratiques de l’ancien régime, les manifestations du présidentialisme autoritaire et autocratique traditionnel, l’organisation d’élections non immaculées ou frauduleuses, la crise de régime et de gouvernabilité de 1996-1999, la présidence de doublure de René Garcia Préval, le triomphe de l’anarchopopulisme, le coup d’État par les urnes du 21 mai et du 26 novembre 2000, la crise postélectorale et l’impossible normalisation-institutionnelle, la consolidation de l’emprise des narcotrafiquants sur les institutions de l’État et l’implosion du pouvoir par l’autonomisation croissante des bandes armées sur lesquelles le pouvoir Lavalas se repose,
affaiblissent considérablement la survie de l’État haïtien. La crise de 2004 aurait dû faire comprendre à la communauté internationale le caractère artificiel et conjoncturel de la solution qu’elle avait donnée en 1994 à un problème structurel d’une complexité interne.
Ce discours nous permet également de voir et comprendre le caractère populiste du pouvoir Lavalas. Nous voyons que, tous les éléments favorisant l’émergence du populisme était présent : la crise sociale causée par chute de la dictature, la crise militaro-politique qui s’ensuit. La présence d’un chef charismatique : Jean- Bertrand Aristide, celui-ci construit son leadership sur une base symbolique et identitaire.
Il est jeune, civil, pauvre, éduqué. Il parle créole, il s’adresse aux plus pauvres en créole, il défend il défend les faibles, il est prêtre : le syncrétisme religieux. Il n’a pas de programme politique, mais un discours fondé sur l’identité et connait les responsables de notre pauvreté, il a la solution.
Donc, il va rompre avec les pratiques du passé, finir avec la corruption et rendre le pouvoir au peuple.
On a compris que, le pouvoir d’influence des Discours d’Aristide ne réside pas seulement dans la force du projet d’idéalité sociale dont M. Aristide est porteur, mais dans le système d’attente des citoyens, ils sont sensibles aux valeurs, mais aussi au charisme et à la personnalité de M. Aristide, également à l’émotion situationnelle.
Ainsi, ce ne sont pas l’énonciation qui est au service des mots et des idées au contraire ; ce sont les mots et les idées qui prennent corps et sens à travers leur mise en énonciation, d’où l’improvisation. Enfin, les classes populaires étaient disponibles, c’est-à-dire dans un état de forte insatisfaction.
Ainsi, M. Aristide se met sur le terrain du symbolique, de ce qui fait la noblesse du politique, l’idéalité sociale devant réparer le mal existant. Le discours Aristidien tiré parti des caractéristiques historiques, identitaires et culturelles propres au peuple Haïtien.
Et comme le populiste prétend rendre au peuple son pouvoir de décision, son discours promet une rédemption par la libération du joug qu’imposent les élites et les appareils administrativo- politiques. Il appelle donc au rétablissement de la souveraineté populaire par une action directe, immédiate, court- circuitant les institutions, illusion d’une promesse à laquelle font écho les mots d’ordre revendicatifs. Nier la dimension temporelle : c’est faire croire que « tout est possible tout de suite », que le miracle du changement est réalisable, et c’est une façon de mobiliser l’espoir.
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133 HUNTINGTON, S. P; The Third Wave. Democratization in the Late Twentieth Century, p.45-46. ↑
134 BADIE, Bertrand, La fin des territoires. Essai sur le désordre international et sur l’utilité sociale du respect, Paris, Fayard, 1995 et Un monde sans souveraineté, Paris, Fayard, 1999. ↑
135 BADIE, Bertrand, La diplomatie des droits de l’homme : entre éthique et volonté de puissance, Paris, Fayard, 2002 ↑
Questions Fréquemment Posées
Quels sont les thèmes principaux des discours de Jean-Bertrand Aristide?
Les discours de Jean-Bertrand Aristide sont marqués par des improvisations, un mélange démagogique de plusieurs langues, des expressions idiomatiques et des phrases creuses.
Comment Jean-Bertrand Aristide perçoit-il son rôle en tant que président d’Haïti?
Jean-Bertrand Aristide se considère comme ‘un envoyé de Dieu’ pour sauver les masses exploitées d’Haïti, ce qui l’amène à adopter une vision messianique.
Quel est l’impact des discours d’Aristide sur la situation politique en Haïti?
Les discours d’Aristide, notamment celui du bicentenaire, masquent la crise du pouvoir lavalas et la situation chaotique dans laquelle est plongée Haïti depuis les élections de 2000.