Quels résultats des innovations foncières au Sud-Kivu ? Analyse essentielle

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🏫 Université Senghor - Département Management
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master - 2021
🎓 Auteur·trice·s
Isaac BUBALA WILONDJA
Isaac BUBALA WILONDJA

Les innovations foncières au Sud-Kivu révèlent des lacunes surprenantes dans la sécurisation des droits fonciers, mettant en lumière des incohérences avec les services locaux. Cette recherche critique offre des recommandations essentielles pour une décentralisation foncière, essentielle à la protection des communautés rurales.


Introduction générale

Contexte de l’étude

Longtemps considérée comme secondaire, ou ne posant pas de problème majeur, la question foncière en zones rurales en Afrique subsaharienne est revenue sur le devant de la scène dans les années 1980 (Maiga, 2010 ; Maiga, 2015 ; Rochegude, 2002). Philippe Lavigne Delville (2020), Jean-Louis Chaléard & Éveline mesclier (2010) expliquent que l’accent a d’abord été mis sur la privatisation des terres par les États, dans un contexte d’ajustement structurel et de libéralisation massive de l’économie.

Les approches, selon Philippe Lavigne (idem), ont assez vite évolué vers une certaine reconnaissance des pratiques foncières locales et de leur effectivité 1. L’évolution vers la titrisation ainsi que l’individualisation de la tenure foncière, censés être un levier du décollage économique, ont cédé la place à des approches plus diversifiées, fondées sur des logiques de sécurisation (Lavigne, et al., 2002) foncière et non plus nécessairement de propriété privée individuelle.

Cette dernière n’étant perçue que comme un des modes possibles de sécurisation (Groupe d’échange et recherche technologique, 2002). Reconnaissant la diversité des situations locales, et les limites d’une gestion centralisée, les gouvernements et les bailleurs de fonds promeuvent, actuellement, une gestion plus locale des terres et des ressources renouvelables (Lavigne, et al., op cit).

Cependant, les législations et les interventions de terrain, comme écrit Etienne Le Roy, ont évolué, de façon plus ou moins nette. Parallèlement, les débats sur la décentralisation administrative, et la mise en place – effective ou en préparation – de collectivités territoriales locales, contribuent aussi à focaliser le débat sur le local 2, et sur les instances les mieux à même de réaliser cette gestion locale (Idem).

Depuis plus d’une dizaine d’années actuellement, de nombreuses réflexions ont donné une vision plus fine, plus juste aussi, des dynamiques foncières et de l’évolution des modes d’accès à la terre à l’est de la RDC. Les interventions de terrain, dans leurs réussites et leurs limites, ont aussi contribué à mieux appréhender les conditions et les possibilités d’une sécurisation foncière des ruraux.

L’ensemble des interventions dessine les voies, démarches et, dispositifs, susceptibles de répondre aux attentes de sécurisation des terres rurales, de favoriser une exploitation paisible et efficiente des terres, de réduire l’insécurité foncière et les conflits qu’elle suscite. Ce qui émerge de ces réflexions, ce n’est pas une énième solution miracle et passe-partout, qu’il suffirait de reproduire dans toutes les régions.

J.P. Chauveau (1998) précise que de telles solutions n’existent pas. Elles feraient, au sens de l’auteur, peu de cas des spécificités ainsi que des histoires nationales. Par contre, ce qui émerge, c’est une façon de poser les problèmes suffisamment proches des réalités et des enjeux tels que les vivent les acteurs, et c’est une gamme d’approches, qui peuvent offrir des réponses concrètes aux problèmes qui se posent à eux, et en même temps, contribuer à la construction d’États (Lavigne, et al., op cit).

1 Pour plus de détails, lire Mathieu & Kazadi, Quelques aspects de législations et pratiques foncières actuelles au zaïre, in Mondes en développement, n°69, 1990, pp. 55-61.

2 Pour plus de détails, lire Le Bris & Le Roy, « le local à l’échelle de Jacobs », in Crousse, Le Bris, Le Roy, Espaces disputés en Afrique noire : Pratiques foncières locales, Karthala, Hommes et sociétés, Paris, 1989, pp. 347 -363.

Pascal Thinon & Alain Rochegude (2002) montrent que l’appréciation de la diversité des approches de sécurisation foncière dans les contextes nationaux, est aussi intéressante. Alors que de nombreuses études montrent que derrière le terme “foncier coutumier” se cache des systèmes complexes et évolutifs, tant de l’accès aux ressources naturelles que des instances sociales au sein de la même société (D’Aquino, et al., 2017), au Sud-Kivu, l’insécurité foncière demeure un réceptacle des violences, participant structurellement à la fragilité de la cohésion sociale (Mudinga & Wakenge, 2021).

Le domaine foncier, pourtant capital pour le développement du pays, reste particulièrement inorganisé (Puepi, 2018). La loi dite foncière 3, qui régit le secteur au niveau du pays n’organise que le système concessionnaire ; la jouissance de plus de 75% des populations, majoritairement paysannes (PNUD, 2009) sur les terres, bien que reconnue légalement, n’a pas été définie.

En conséquence, Jean-Philippe Plateau (1998) écrit que, sur les terres locales, c’est-à-dire celles coutumières, autant que les principes applicables ainsi que les règles de gestion ne sont pas fixés, l’autorité foncière est indéterminée ainsi que la nature des droits fonciers des paysans (IFDP, 2012). Cette situation encourage des transactions foncières caractérisées actuellement par des pratiques en marge de la loi et de la coutume (FAO, 2021) 4.

Dans ce contexte, les paysans, pour la plupart doté d’une faible capacité de négociation, s’adonnent, à des pratiques opportunistes, entre les législations écrites et les coutumes, en développant des stratégies en fonction de leurs intérêts et répondent à des logiques normatives plus instrumentalisées et donc aussi diversifiés pour le besoin de la cause (IFDP, op cit ; Utshudi, 2008 ; Utshudi, 2009).

Il se pose, en effet, que l’approche légale de sécurisation des droits par l’enregistrement que précise l’article 219 5 de la loi foncière, n’a pas résolu le problème (Le Roy, et al, 2016 ; Nyenyezi et al, 2014). Au contraire, elle n’a fait qu’encourager les spéculations moins fructueuses sur des terres paysannes et la prolifération des acteurs, tous agissant sur le bien-fonds.

Par ailleurs, du point vue contenu, l’approche susmentionnée présente également des limites. Tout d’abord, elle organise le secteur foncier dans le système concessionnaire non maîtrisé par les paysans (Utshudi, 2008). Ensuite, elle présente une différence entre le droit écrit et la coutume sur la manière de penser l’espace et les rapports sociaux (Chassot, 2001).

Et puis, elle entraîne des coûts excluant les paysans (Utshudi, op cit.). Enfin, le certificat d’enregistrement, qui est la preuve légale des droits de propriété foncière constate des droits qui ont des contenus et des logiques différents par rapport aux droits fonciers coutumiers (Mugangu, 2008).

En outre, la coexistence de deux systèmes de gestion foncière [d’une part, un système des règles de gestion coutumière selon laquelle la terre est un bien collectif appartenant à la communauté (Lavigne, 1998) et, de l’autre, des lois foncières étatiques (par lesquelles l’Etat octroie un droit de jouissance sur les terres sous forme des concessions foncière individuelle] (Kifwabala, 2015), n’a pas assurée une gestion foncière orthodoxe. Elle a renforcé l’insécurité foncière (IFDP, 2012).

C’est dans ce contexte, et face à l’inefficacité de l’Etat congolais a apporté des réponses aux revendications des communautés locales sur l’insécurité foncière ainsi que la crise foncière. Ainsi, au Sud-Kivu, depuis actuellement plus d’une décennie, certaines organisations de la société civile, des agences onusiennes et des organismes internationaux s’activent à proposer des actions orientées vers la prévention, la résolution des conflits et le plaidoyer politique (Mudinga & Nyenyezi, 2014 ; Vircoulon & Liégeois, 2012 ; Morvan & Nzweve, 2010) en rapport avec.

Leur démarche consiste essentiellement à travailler sur les causes structurelles des conflits fonciers à partir d’une série de mécanismes alternatifs de gestion foncière apportant des changements dans des cadres institutionnels existants (Mudinga & Nyenyezi, op cit., Thino et al, 2011).

Les approches des intervenants en matière foncière varient (Djire et al, 2014 ; Deininger, 2017). Certains parmi eux ont initié des expériences visant à sécuriser le système de la tenure foncière, spécialement en milieu rural. D’autres, ont entrepris de codifier les coutumes (Syndicat de Défense des Intérêts Paysans, SYDIP). D’autres encore, ont recouru aux enquêtes parcellaires (Action Sociale et d’Organisation Paysanne, ASOP ; Initiative et Formation pour le Développement et la Paix, IFDP) ou à la cartographie participative (Réseau Ressources Naturelles, RRN) en vue de délimiter les parcelles ou les terroirs villageois ; d’autres intervenants tentent de mettre en place des Systèmes d’Information Foncière (SIF) (ONU-Habitat/UCBC) en adaptant à leur contexte particulier le modèle du domaine de la tenure sociale (Social Tenure Domain Model, STDM) (Mugangu, 2019).

Notre étude, s’intéressant à cette diversité d’approches, d’outils, et modèles de sécurisation foncière coutumière proposés par ces acteurs non-étatiques et agences onusiennes, veut en évaluer l’efficacité et la pertinence, dans un contexte congolais non seulement de post-conflits, mais aussi et surtout de domanialité des terres.

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1 Pour plus de détails, lire Mathieu & Kazadi, Quelques aspects de législations et pratiques foncières actuelles au zaïre, in Mondes en développement, n°69, 1990, pp. 55-61.

2 Pour plus de détails, lire Le Bris & Le Roy, « le local à l’échelle de Jacobs », in Crousse, Le Bris, Le Roy, Espaces disputés en Afrique noire : Pratiques foncières locales, Karthala, Hommes et sociétés, Paris, 1989, pp. 347 -363.

3 Évoquant la loi foncière, ici, nous faisons allusion à la loi n° 73 -021 du 20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés telle que modifiée et complétée par la loi n° 80 -008 du 18 juillet 1980.

4 http://www.fao.org/gender-landrights-database/countryprofiles/listcountries/customarylaw/fr/?country_iso3=COG

5 Le droit de jouissance d’un fonds n’est légalement établi que par un certificat d’enregistrement du titre concédé par l’Etat, article 219, in Journal officiel de la République Démocratique du Congo, cabinet du président de la République, code foncier : immobilier et régime des sûretés, textes légaux et réglementaires coordonnés, 47e année, numéro spécial, 5 avril 2006, p.56.


Questions Fréquemment Posées

Quelles sont les innovations foncières promues par les acteurs non étatiques au Sud-Kivu ?

L’article examine l’efficacité des innovations institutionnelles introduites par les acteurs non étatiques dans la sécurisation foncière au Sud-Kivu.

Quels sont les principaux défis des innovations foncières au Sud-Kivu ?

Les résultats révèlent des insuffisances dans ces innovations, notamment leurs incohérences avec les services administratifs locaux et le manque d’appropriation locale.

Comment améliorer la sécurisation foncière au Sud-Kivu ?

Des recommandations sont formulées pour une décentralisation foncière afin d’améliorer la protection des droits des communautés rurales.

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