Les implications politiques des amnisties révèlent une tension surprenante entre clémence et justice. Cette étude met en lumière comment le droit international des droits de l’homme, tout en reconnaissant les amnisties, rejette les prescriptions pénales, redéfinissant ainsi les droits des victimes et des auteurs présumés.
SECTION II : La reconnaissance internationale des amnisties et des prescriptions pénales : entre codification (acceptation) et difficultés d’application
La reconnaissance des amnisties et des prescriptions pénales en DIDH est marquée par une acceptation ou non de ces pratiques (Paragraphe 1) et une difficulté d’application (Paragraphe 2).
Paragraphe I : Acceptation formelle des amnisties et le refus d’application des prescriptions pénales
L’acceptation formelle des amnisties en Droit international est animée par des conventions et les pratiques internationales qui favorisent cela (A), contrairement aux prescriptions pénales dont l’existence est reconnue mais que l’application est formellement interdite pour certains crimes (B).
A- Affirmation conventionnelle des amnisties
L’amnistie des crimes est une pratique qui existait depuis plusieurs années dans les différentes législations nationales, avant d’émerger en DI. En effet, sur le plan international, l’amnistie trouve ses premières affirmations conventionnelles avec le DIH qui, de manière précise fait référence à l’amnistie, lorsque dans l’article 6.5 du Protocole additionnel II aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif aux conflits armés non internationaux (CANI), il est affirmé par le DIH une possibilité d’accorder des amnisties.
Cet article dispose que : « A la cessation des hostilités, les autorités au pouvoir s’efforceront d’accorder la plus large amnistie possible aux personnes qui auront pris part au conflit armé ou qui auront été privées de liberté pour des motifs en relation avec le conflit armé, qu’elles soient internées ou détenues ».
60 IL s’agit du Protocole II relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux, adopté le 8 juin 1977 par la Conférence Diplomatique sur la réaffirmation et le développement du droit international humanitaire applicable dans les conflits armés (Entrée en vigueur: le 7 décembre 1978, conformément aux dispositions de l’article 23).
Ce texte est pour les commentaires de la commission, un encouragement au
« geste de réconciliation qui contribue à rétablir le cours normal de la vie dans un peuple qui a été divisé »61.
61 Il s’agit du Commentaire des articles et des Protocoles additionnels aux Conventions de Genève du 12 août 1949 téléchargeable sur le site de Comité international de la Croix-Rouge (http://www.icrc.org/dih.nsf/). La citation est tirée du § 4618 du Commentaire mais le § 4617 est également digne d’attention : « [l]’amnistie relève de la compétence des autorités. Il s’agit d’un acte du pouvoir législatif qui efface un fait punissable, arrête les poursuites, anéantit les condamnations [29]. Juridiquement, il est fait une distinction entre l’amnistie et la grâce, qui, accordée par le chef de l’Etat, supprime l’exécution de la peine, mais laisse subsister les effets de la condamnation.
Cette mesure est prise par la convention, dans le but de la recherche de la paix et de la sécurité des pays récemment sortis des conflits armés. L’article qui paraît si clair, est accompagné d’un commentaire qui vient à nouveau le rendre plus clair. Selon ce dernier « [l]’objet de cet alinéa est d’encourager un geste de réconciliation qui contribue à rétablir le cours normal de la vie dans un peuple qui a été divisé »62.
Cependant, en ce qui concerne les conflits armés internationaux (CAI), les dispositions affirmant la pratique des amnisties prêtent à confusion. En effet, l’article commun 51/52/131/148 aux conventions de Genève affirme : « Aucune (Haute) Partie contractante ne pourra s’exonérer elle-même, ni exonérer une autre partie contractante, des responsabilités encourues par elle-même ou par une autre partie contractante des infractions prévues à l’article précédent.
». Le manque de précision des dispositions sur les amnisties des CAI pousse la doctrine à commenter les dispositions de cet article commun. Pour P. d’ARGENT qui affirme le caractère confus de cet article, il pense que souvent « on l’interprète comme interdisant aux Etats de renoncer entre eux à l’obligation de réparer qui découle de la commission des crimes de guerre.
Il est sans doute plus correct de considérer qu’elle signifie que l’accusé ne peut pas se déduire d’un accord interétatique de renonciation à la réparation le fait qu’il ne pourrait plus être puni. En outre, cet article signifie aussi que les Etats ne peuvent pas, par convention internationale, s’accorder des amnisties relatives à des crimes de guerre.
Mais la disposition ne limite en ce cas les amnisties convenues par traité. Elle n’empêche pas les amnisties internes »63.
Après le DIH, plusieurs autres traités en rapport avec le DIDH ont reconnu l’existence des amnisties au niveau international. Ces traités ont un caractère international, mais parfois universel comme, c’est le cas du PIDCP. En effet, l’article 4 du Pacte, en reconnaissance aux amnisties, dispose : « 1. Dans le cas où un danger public exceptionnel menace l’existence de la nation et est proclamé par un acte officiel, les États Parties au présent Pacte peuvent prendre, dans la stricte mesure où la situation l’exige, des
mesures dérogeant aux obligations prévues dans le présent Pacte, sous réserve que ces mesures ne soient pas incompatibles avec les autres obligations que leur impose le droit international et qu’elles n’entraînent pas une discrimination fondée uniquement sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou
62 Il s’agit du Commentaire des articles et des Protocoles additionnels aux Conventions de Genève du 12 août 1949 téléchargeable sur le site de Comité international de la Croix-Rouge (http://www.icrc.org/dih.nsf/).
63 Argent P, Les réparations de guerre en droit international public. La responsabilité internationale des Etats à l’épreuve de la guerre, Bruxelles, Bruylant, p.769
l’origine sociale. 2. La disposition précédente n’autorise aucune dérogation aux articles 6, 7, 8 (par. 1 et 2), 11, 15, 16 et 18. 3. Les États Parties au présent Pacte qui usent du droit de dérogation doivent, par l’entremise du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, signaler aussitôt aux autres États Parties les dispositions auxquelles ils ont dérogé ainsi que les motifs qui ont provoqué cette dérogation. Une nouvelle communication sera faite par la même entremise, à la date à laquelle ils ont mis fin à ces dérogations. ».
On peut également indiquer avec les directives de Belfast sur l’amnistie et la responsabilité que « Les Etats n’enfreindront pas nécessairement leurs obligations si, en raison de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de poursuite, ils ne poursuivent pas tous les auteurs ou instances de ces crimes. (…) des amnisties conçues avec soin combinées avec stratégies de poursuite sélectives peuvent être en phase avec les obligations internationales d’un Etat et promouvoir les objectifs légitimes d’un Etat à répondre aux actes criminels généralisés. »64
Enfin, plusieurs autres institutions affirment reconnaître l’existence ou la pratique des amnisties au niveau international. C’est le cas avec l’Accord de Lomé du 7 juillet 1999 qui garantit l’amnistie à FODAY Sankho, en son article IX, mais aussi du conseil de sécurité dans ses résolutions 1996/71 et 1996/73, l’Assemblée générale de l’ONU, la CEDH qui sont favorables ou acceptent la pratique des amnisties sur le plan international65.
De ce qui suit, nous pouvons dire que le DI à travers ses multiples conventions sur la protection des individus et l’encadrement des CA, reconnaît une existence internationale des amnisties quoique, les différentes dispositions sont souvent prêtées à confusion.
B- Le refus conventionnel d’application des prescriptions pénales
La prescription des crimes est en DIDH reconnue mais pas acceptée pour les infractions les plus graves touchant à la sensibilité internationale. En effet, si le DI ne se prononce particulièrement pas en défaveur de la prescription des infractions moins graves, il n’en est pas le cas avec les crimes internationaux qui ont fait l’objet d’une convention internationale appelée : Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, adopté le 26 novembre 1968.
Cette convention qui interdit formellement la prescription des peines, énumère dans son article Premier les crimes internationaux, tout en affirmant leur imprescriptibilité. Ainsi, il est
64 Les directives de Belfast sur l’amnistie et la responsabilité.
65 Pratique relative à la règle 159 de l’étude du CICR sur le DIH coutumier, à lire sur : https://ihl-databases.icrc.org/customary-ihl/eng/dovs/v2_rul_rule159 (en anglais. Consulté le 12 juillet 2020).
écrit que : « Les crimes suivants sont imprescriptibles, quelle que soit la date à laquelle ils ont été commis : a ) Les crimes de guerre, tels qu’ils sont définis dans le Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg du 8 août 1945 et confirmés par les résolutions 3 (I) et 95 (I) de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies, en date des 13 février 1946 et 11 décembre 1946, notamment les « infractions graves » énumérées dans les Conventions de Genève du 12 août
1949 pour la protection des victimes de la guerre; b ) Les crimes contre l’humanité, qu’ils soient commis en temps de guerre ou en temps de paix, tels qu’ils sont définis dans le Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg du 8 août 1945 et confirmés par les résolutions 3 (I) et 95 (I) de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations, en date des 13 février 1946 et 11 décembre 1946, l’éviction par une attaque armée ou l’occupation et les actes inhumains découlant de la politique
d’apartheid, ainsi que le crime de génocide, tel qu’il est défini dans la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, même si ces actes ne constituent pas une violation du droit interne du pays où ils ont été commis.
66 Convention des Nations-Unies sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et de crimes contre l’humanité de 1968.
Cette convention montre la volonté des Nations-Unies de mettre fin à tout processus d’impunité et de favoriser des mécanismes permettant de mettre en place une justice internationale qui prenne en considération les droits des individus notamment à la réparation et à la recherche de la vérité. À la suite de la convention des Nations-Unies, l’Europe s’est aussi engagée dans la même lutte, en mettant en place une Convention européenne sur l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre en 1974, soit quatre (4) ans après l’entrée en vigueur de la convention des NU.
Tout comme la convention des NU, la convention européenne affirme en son article Premier que « Tout Etat contractant s’engage à prendre les mesures nécessaires afin que la prescription soit inapplicable à la poursuite des infractions suivantes et à l’exécution des peines prononcées… ». Cet article interdit non seulement l’application de la prescription, mais plus encore, il oblige les Etats à ne pas appliquer une politique favorisant l’impunité.
L’article 2 ajoute : « 1) Dans chaque Etat contractant, la présente Convention s’applique aux infractions commises après son entrée en vigueur à l’égard de cet Etat. 2) Elle s’applique également aux infractions commises avant cette entrée en vigueur dans les cas où le délai de prescription n’est pas encore venu à expiration à cette date ». On constate ici une affirmation
66 Convention des Nations-Unies sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et de crimes contre l’humanité de 1968.
de la rétroactivité de cette convention sur les prescriptions avant son entrée en vigueur et dont les délais ne sont pas encore à expiration.
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60 IL s’agit du Protocole II relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux, adopté le 8 juin 1977 par la Conférence Diplomatique sur la réaffirmation et le développement du droit international humanitaire applicable dans les conflits armés (Entrée en vigueur: le 7 décembre 1978, conformément aux dispositions de l’article 23). ↑
61 Il s’agit du Commentaire des articles et des Protocoles additionnels aux Conventions de Genève du 12 août 1949 téléchargeable sur le site de Comité international de la Croix-Rouge (http://www.icrc.org/dih.nsf/). La citation est tirée du § 4618 du Commentaire mais le § 4617 est également digne d’attention : « [l]’amnistie relève de la compétence des autorités. Il s’agit d’un acte du pouvoir législatif qui efface un fait punissable, arrête les poursuites, anéantit les condamnations [29]. Juridiquement, il est fait une distinction entre l’amnistie et la grâce, qui, accordée par le chef de l’Etat, supprime l’exécution de la peine, mais laisse subsister les effets de la condamnation. ↑
62 Il s’agit du Commentaire des articles et des Protocoles additionnels aux Conventions de Genève du 12 août 1949 téléchargeable sur le site de Comité international de la Croix-Rouge (http://www.icrc.org/dih.nsf/). ↑
63 Argent P, Les réparations de guerre en droit international public. La responsabilité internationale des Etats à l’épreuve de la guerre, Bruxelles, Bruylant, p.769 ↑
64 Les directives de Belfast sur l’amnistie et la responsabilité. ↑
65 Pratique relative à la règle 159 de l’étude du CICR sur le DIH coutumier, à lire sur : https://ihl-databases.icrc.org/customary-ihl/eng/dovs/v2_rul_rule159 (en anglais. Consulté le 12 juillet 2020). ↑
66 Convention des Nations-Unies sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et de crimes contre l’humanité de 1968. ↑
Questions Fréquemment Posées
Quelles sont les conditions de reconnaissance des amnisties en droit international?
L’acceptation formelle des amnisties en Droit international est animée par des conventions et les pratiques internationales qui favorisent cela.
Pourquoi les prescriptions pénales sont-elles rejetées en droit international des droits de l’homme?
Les prescriptions pénales sont formellement interdites pour certains crimes, car le droit international des droits de l’homme promeut l’imprescriptibilité des crimes.
Quel est le rôle des amnisties dans la réconciliation après un conflit armé?
L’amnistie est un acte du pouvoir législatif qui efface un fait punissable, dans le but de la recherche de la paix et de la sécurité des pays récemment sortis des conflits armés.