Les impacts des violations des droits des communautés locales au Nord-Kivu révèlent une réalité troublante : malgré des avancées, l’exploitation minière continue de miner le développement socioéconomique. Quelles solutions peuvent réellement protéger ces populations face à cette exploitation prédatrice ?
Les impacts des violations de droits de communautés locales sur le développement socioéconomique du Nord-Kivu
Caractérisé par la violation de textes juridiques, les activités minières ont entraîné une situation d’insatisfaction au Nord-Kivu. Cependant, quelques réalisations en faveur des communautés notamment à Walikale restent à encourager.
L’insatisfaction des communautés locales dans les sites miniers du Nord-Kivu
Avec une exploitation minière essentiellement artisanale, les ressources minières du Nord-Kivu n’ont pas eu d’effets significatifs sur le développement socioéconomique de la province, par contre, elles ont été à la base de malheurs de population du Nord-Kivu. Une étude du Mouvement mondiale pour les forêts tropicales a démontré que « l’exploitation minière en Province du Nord-Kivu a été à la base de plusieurs problèmes suite à une mauvaise gestion de ce secteur qui, au lieu d’être le socle pour un développement durable, a créée des frustrations et une misère dans le chef des populations locales. »399
Pour cette étude, « l’exploitation a créé, au sein de la province, une petite économie en facilitant les échanges commerciaux entre un groupe d’individus, d’un côté; la même exploitation s’est faite sans aucun respect des droits de l’homme et de l’environnement de l’autre côté. »400 Elle ajoute en disant que « les violations flagrantes à ce jour sont celles liées à l’accès à ces ressources minières par le simple fait d’octroyer des titres miniers sur des espaces déjà couvertes par d’autres titres et/ou exploités par des exploitants locaux. »401
En effet, dans le territoire de Walikale, Masisi et Rutshuru, cela est une triste réalité indiscutable. Les conflits entre communautés locales regroupés dans des coopératives minières parfois appuyés par des groupes armés d’autodéfense contre les exploitants miniers détenteurs de permis d’exploitation ou de permis de recherche et illégalement soutenu par les membres de forces armées non contrôlés ou par des groupes rebelles, sont devenues très récurrents.
A Walikale par exemple, c’est depuis plusieurs années que les exploitants artisanaux s’affrontent contre Alphamin Bisie Mining sur le site de Bisie. A Masisi c’est par contre la COOPERAMA qui s’affronte à la Société minière de Bisunzu. Ces conflits, bien que de nature économique et civils parviennent à devenir des conflits armés entraînant mort l’homme et pertes énormes de matériels. Tout ça est lié au problème de formalisation en particulier et de la bonne gouvernance en général du secteur minier qui reste artisanal sur une grande partie de la province du Nord-Kivu occasionnant ainsi d’autres violations des droits humains dont les arrestations arbitraires, des actes de torture, des violences faites à la femme et aux enfants.402
Le non accès à des meilleures écoles, à des soins de qualités voir même l’absence des infrastructures routières, demeure un casse-tête pour les populations vivant dans les zones minières et ceci malgré la reconnaissance de la décentralisation dans la constitution en République démocratique du Congo.403
399 Réseau pour la conservation et la réhabilitation des écosystèmes forestiers, supra note 19, pp.4-9.
400 Ibid.
401 Ibid.
402 Ibid.
403 Ibid.
Comme nous l’avons déjà indiqué ci-haut, l’exploitation de ressources minières au Nord-Kivu est essentiellement artisanale. A Masisi où opèrent deux sociétés minières SMB et SAKIMA nous n’avons identifié aucun projet de développement communautaire mis en place par une société, il s’avère même que la SMB n’a pas de cahier de charge ce qui lui a coûté son permis d’exploitation, même chose pour la SAKIMA, une société du portefeuille de l’Etat qui devrait normalement servir d’exemple mais dont aucun cahier des charges n’est publié.
Ces deux sociétés sont beaucoup dans l’opacité car très peu de données les concernant sont disponibles. A Walikale par ailleurs, les activités minières sont certes caractérisées par une sorte de complexités des acteurs mais il y a transparence dans les affaires. Rappelons que la société ABM n’a lancé l’exploitation industrielle de l’étain qu’en 2019, notamment à Walikale sur le site de Mpama Bisie.
L’arrivée de l’entreprise ABM SA dans la région a été à la fois considérée comme une opportunité de contribution au budget de l’Etat et comme un levier au développement durable des communautés locales. Les revenus générés par l’exploitation de l’étain d’ABM SA sont de potentielles ressources pouvant accroître les recettes de l’État congolais, de la province du Nord Kivu ainsi que des Entités territoriales décentralisées (ETD) de Walikale. Voyons d’abord ce que cela a entraîné comme réalisations à Walikale.
Les réalisations d’ABM en faveur des communautés locales de Walikale
Envie de faire bénéficier les communautés locales de Walikale des ressources naturelles que regorge leur territoire, la société ABM avait conclu un protocole d’accord avec les dites communautés en vertu desquels, des projets de développement communautaire seront réalisés par l’Alliance Lowa et financés par ABM.
En titre de rappel : Alliance Lowa asbl est une association mise en place par Alphamin Bisie Mining SA (ABM) pour réaliser les projets communautaires dans sa sphère d’influence, conformément à l’article 480 de règlement minier. L’organisation a été créée à partir du protocole d’accord signé entre les communautés locales de Walikale et ABM. Elle compte, pour ce faire, 9 membres fondateurs dont 4 sièges pour les communautés de Walikale et 5 sièges pour les employés d’ABM.
Cette organisation présente un bilan de réalisation axé sur 5 projets dont : le projet de la construction de la centrale hydroélectrique, le Projet agropastoral, le Projet de petite et moyenne entreprise, le Projet d’entretien de route, le Projet de construction d’un hangar du marché à Walikale et le Projet de mise en place d’un Cyber café.404
Déjà il convient de signaler que le projet de la construction de la centrale hydroélectrique n’a plus eu lieu à cause de certains paramètres techniques et la procédurale que soulève l’organisation. Ses réalisations sont axées à deux niveaux. Au niveau économique et au niveau social.
Sur le plan économique, le rapport de L’Alliance Lowa de 2017 indique les interventions dans le domaine de l’agriculture et élevage en emblavant 80 hectares dans le rayon d’action d’ABM dont 34 ha pour les champs de manioc, 18 ha de bananier, 14 ha de maïs, 8 ha du riz et 6 ha de patate douce ; en appuyant 160 agriculteurs locaux dont 40 à Walikale, 80 à Utunda sud et 20 à Wassa et en achetant 102 000 mètres linéaires de manioc auprès de fournisseurs locaux pour 68 bénéficiaires.
404 Alliance Lowa, Rapport annuel des activités réalisées par Alliance Lowa en 2017-2018, Walikale, mars 2018, pp.1-3.
Elle est aussi intervenue dans le secteur de Petites et moyennes entreprises en soutenant 23 groupes de petites et moyennes entreprises composés chacun de 10 bénéficiaires identifiés et constitués dont : 10 groupes pour la production des planches, 10 pour la production d’huile de palme et 3 groupes pour la production du riz.
Elle dit avoir construit trois hangars qui abriteront les trois décortiqueuses du riz (Walikale, Logu et Biruwe) ; elle a assuré la construction d’un hangar de marché public sur demande de vendeuses de légumes de quartier camp TP dans Walikale centre, pour ces dames qui vendaient sous le soleil ; l’aménagement des routes, environ 12 km de la route nationale N°3 en état de détérioration avancée et des routes de desserte agricole.
Plus de 9 grands trous ont été remblayés par les membres de comités locaux de Wassa ; elle a réalisé l’implantation d’un Cyber café à Walikale pour lequel on a acheté 10 ordinateurs portables, 2 imprimantes et fabriqué des chaises et tables pour ordinateur. C’est ce qui ressort du rapport sus-indiqué.405
Par ailleurs, sur le plan social, le même rapport indique les assistances aux équipes de football de Walikale participants au championnat provincial organisé chaque année à Goma, Rutshuru ou Butembo ; la sponsorisation des activités de 8 mars pendant un mois, à l’occasion desquels il y a eu match de Football féminin, Nzango moderne, Génie en herbe, entretien de route…etc ; la construction de l’école primaire Luuka de Logu dont l’inauguration a été faite par le ministre provincial de mine du Nord-Kivu ; l’assistance aux communautés locales du village Rissa, en remettant un montant de 9000$ sur les 15000$ de participation locale fixés par le projet STEP exécuté par le Fonds social de la République Nord-Kivu.406
C’est à quelques lignes ce qui ressort d’un petit rapport de 8 pages sur les accords de 2016 entre ABM et les communautés locales de Walikale, publié par l’alliance Lowa. Aucun rapport portant sur les réalisations faites dans le cadre du cahier de charge de 2021 n’a jusque-là pas été publié.
La dynamique de femmes miniers (DYFEM) a démontré dans une récente étude de 2022 que la phase de production et de commercialisation des minerais a connu un flux des revenus liés à la redevance minière, à la dotation pour le développement communautaire, à la taxe sur l’autorisation de transport des minerais ainsi que l’impôt sur les bénéfices et profits (IBP) mais sans aucun impact sur le budget de l’Etat au niveau national, provincial et local et sur le développement des communautés affectées pendant la période allant de 2011 à 2020.407
Pour ne parler que de la redevance minière et la dotation pour le développement communautaire, la DYFEM démontre que « pendant sa première année de production (2019), ABM SA aurait dû payer au gouvernement central, à la province du Nord Kivu ainsi qu’au secteur de Wanyanga des revenus très significatifs si l’assiette sur laquelle la redevance minière était calculée en prenant en compte le prix appliqué au niveau du marché international et la quantité exportée à partir de la RDC.
Le prix de vente appliqué par la Division provinciale des Mines et Géologie du Nord-Kivu était de 7820 USD la tonne alors que le prix le plus bas sur le marché, renseigné par l’entreprise dans son rapport 2019 est de 16 800 USD la tonne. En appliquant le prix de 7820
405 Ibid., pp.4-6.
406 Ibid., pp.7-8.
407 Dynamique des Femmes des Mines, supra note 244, p.1.
USD/tonne, le montant de la redevance minière due par ABM SA pour l’année 2019 était 2 061 286 USD, alors qu’avec le prix du marché, de 16 800 USD/tonne ABM SA aurait dû verser la somme de 4 428 116.88 USD. »408
Pour sa deuxième année de production (2020), en faisant le rapport quantité exportée/valeur des exportations déclarées, il s’avère que le prix appliqué par la Division des Mines était de 47 361 USD/tonne. Ce prix est quasiment trois fois supérieur à celui déclaré par l’entreprise ABM SA, soit 16 800 USD/tonne, qui avoisine le prix du marché. Ainsi le montant de la redevance minière calculé sur base du premier prix serait de 29 678 462.45 USD ; alors que celui calculé avec le prix déclaré par l’entreprise serait de 10 527 552 USD. »409
Pour ce qui est de la dotation pour contribution aux projets de développement communautaire, DYFEM a démontré que l’entreprise MPC (remplacée par ABM SA) devait investir le montant de 5 760 000 USD entre 2006 et 2015 dans les projets de développement local en vertu de l’accord signé en décembre 2006 entre les représentants de l’entreprise MPC et les représentants des communautés.410 Cependant on ignore la destination de ces fonds moins encore leur affectation.
« Pour l’exercice fiscal 2019 correspondant à sa première année de production, ABM SA aurait dû contribuer la somme de 1 370 305 USD au titre de dotation pour contribution au développement local conformément aux dispositions du code minier révisé. Cependant l’entreprise ABM SA n’a pas encore versé cette somme au profit des communautés locales bénéficiaires des différents groupements composant le secteur de Wanyanga dans le territoire de Walikale qui est presque totalement dépourvu d’infrastructures socio-économiques d’intérêt communautaire de base. »411
Ainsi, il apparaît clairement que dans le domaine de gestion de ressources minières au Nord-Kivu, il y a
(…) une imparfaite application des textes légaux et des conventions signées, récurrence des conflits entre les exploitants légaux, illégaux et les communautés locales, faible vulgarisation des textes légaux sur la gestion des ressources naturelles, non qualification et non validation de certains sites miniers par rapport aux exigences de l’OCDE et aux mécanismes de certification du CIRGL, présence des exploitants illégaux (cas des secteurs minier, forêts et pêche), pillage et fraude à l’exportation des ressources naturelles vers les pays voisins (Ouganda, Rwanda, Burundi et Kenya), qualification insuffisante des agents publics pour assurer la traçabilité dans l’exploitation et la commercialisation des ressources naturelles, déficit dans le management des conflits fonciers, agricoles, forestiers et miniers, forte implication des militaires et des groupes armés dans le trafic des ressources naturelles, exportation de ressources naturelles à l’état brut, exportation désordonnée et non planifiée des ressources naturelles, détournement de la part fiscale des taxes et des redevances allouées aux communautés locales et aux ETD et influence négative des politiciens dans l’exploitation des ressources naturelles.412
408 Ibid.
409 Ibid.
410 Ibid., p.2.
411 Ibid.
412 Ministère du plan, Province du Nord-Kivu : Analyse des matrices de fragilité de la province du Nord-Kivu, Korea International Corporation Agency et Programme des Nations unies pour le Développement, Kinshasa, Février 2019, p.44, https://www.undp.org/sites/g/files/zskgke326/files/migration/cd/UNDP-CD-publication-Province-de-Nord-Kivu-OK.pdf 23 janvier 2024.
________________________
399 Réseau pour la conservation et la réhabilitation des écosystèmes forestiers, supra note 19, pp.4-9. ↑
404 Alliance Lowa, Rapport annuel des activités réalisées par Alliance Lowa en 2017-2018, Walikale, mars 2018, pp.1-3. ↑
407 Dynamique des Femmes des Mines, supra note 244, p.1. ↑
412 Ministère du plan, Province du Nord-Kivu : Analyse des matrices de fragilité de la province du Nord-Kivu, Korea International Corporation Agency et Programme des Nations unies pour le Développement, Kinshasa, Février 2019, p.44, https://www.undp.org/sites/g/files/zskgke326/files/migration/cd/UNDP-CD-publication-Province-de-Nord-Kivu-OK.pdf 23 janvier 2024. ↑
Questions Fréquemment Posées
Quels sont les impacts des violations des droits des communautés locales au Nord-Kivu ?
Les violations des droits des communautés locales au Nord-Kivu ont entraîné des frustrations et une misère, créant des conflits économiques et civils, ainsi que des violations des droits humains comme des arrestations arbitraires et des violences.
Comment l’exploitation minière affecte-t-elle le développement socioéconomique au Nord-Kivu ?
L’exploitation minière au Nord-Kivu, principalement artisanale, n’a pas eu d’effets significatifs sur le développement socioéconomique et a plutôt conduit à des problèmes de gestion, de conflits et de violations des droits.
Quels sont les conflits liés à l’exploitation minière dans le territoire de Walikale ?
À Walikale, des conflits récurrents se produisent entre les exploitants artisanaux et des sociétés minières comme Alphamin Bisie Mining, souvent exacerbés par des groupes armés et entraînant des pertes humaines et matérielles.