L’impact des ajustements structurels au Cameroun entre 1987 et 2017 révèle des transformations sociales inattendues, affectant profondément l’emploi, la santé et l’éducation. Cette étude met en lumière les conséquences durables de ces politiques sur la vie quotidienne des Camerounais, suscitant une réflexion essentielle sur leur héritage.
CHAPITRE III : LES PROGRAMMES D’AJUSTEMENT STRUCTUREL ET LA
DÉGRADATION DES INDICATEURS SOCIAUX
L’option de l’ajustement structurel fut pour le Cameroun le dernier recours dans sa politique de résolution de la crise. Elle impliquait alors la libéralisation des secteurs clés de l’économie, la privatisation des entreprises étatiques et paraétatiques, la dévaluation du F CFA. Le PAS camerounais intégrait une DSA, dont l’objectif était de réduire les effets pervers de l’ajustement sur la population. Mais dû à des difficultés dans la mise en œuvre de cette dernière, le PAS eût un contrecoup sur la population. Cet agir conduisit à la dégradation de plusieurs indicateurs d’ordre social. Ce chapitre se donne pour objectif de présenter les différents domaines sociaux affectés par la politique de résolution de la crise par le FMI.
LES INCIDENCES DES PAS SUR L’EMPLOI ET LE SALARIAT
CAMEROUNAIS
Les PAS étant une politique de réduction de l’influence de l’État-employeur, occasionnèrent en premier ressort un ensemble de phénomènes qui fragilisèrent le domaine de l’emploi et du salariat camerounais. Cette partie se donne pour objectif de présenter d’une part l’impact des PAS sur l’emploi au Cameroun et d’autre part les conditions de vie l’employé ajusté.
L’emploi au Cameroun sous ajustement structurel
L’emploi au Cameroun jadis connut un coup pendant la période d’ajustement. La libéralisation de la vie de l’État entraîna des licenciements et la baisse des recrutements.
Les licenciements
Lorsque la crise économique éclatait, le Cameroun bénéficiait déjà d’un circuit administratif assez structuré où le monopole de l’emploi appartenait à l’État. L’un des principes fondamentaux de l’ajustement concernant le secteur de l’emploi était la réduction du train de vie de l’État, afin de faciliter la reprise de l’économie1. L’option des licenciements fut adoptée. Encore appelé déflation, le licenciement apparaît comme étant l’action de supprimer de façon massive les emplois de la fonction publique2. Cette option apparaissait aussi dans le cadre de l’ajustement comme une conséquence de la politique de privatisation des entreprises publiques et parapubliques. Ainsi, en seulement six ans, il y eut dans la SEMRY par exemple, un
1 Jean Nzhie Engono, « Les « déflatés » de la fonction publique au Cameroun : du rêve de la réussite sociale au désenchantement. Étude de cas sur l’itinéraire des « déflatés » du Minrest », Bulletin de l’APAD, http://apad.revues.org/457, p.2.
2 Ibid., p.3.
licenciement d’environ 2626 personnes, constituées d’agents, d’encadreurs et de cadres. Cette situation fut semblable dans presque toutes les entreprises publiques. Elle fit naître une autre catégorie d’individus dans les centres urbains camerounais, le compressé ou le déflaté3.
Tableau 7 : L’emploi formel au Cameroun entre 1993 et 2003
Années | 1993 | 1994 | 1995 | 1996 | 1997 | 1998 | 1999 | 2000 | 2001 | 2002 | 2003 |
Emploi formel (en %) | 11,8 | 6,7 | 7 | 11,3 | 9,4 | 4,3 | 4,1 | 2,9 | 3,9 | 6,3 | 5,9 |
Source : INS, Genre et marché du travail au Cameroun, p.19.
William Joël Dongmo, « La prolifération des petits métiers de rue dans les villes du Cameroun : Le cas de Dschang (1970-2010) », mémoire de Master en Histoire, Université de Yaoundé I, 2017, p.59.
À la lecture du Tableau 7, il apparaît que l’emploi formel fut impacté pendant l’ajustement structurel. Il faut donc dire qu’avec la dévaluation du Franc CFA, il y eut une baisse de l’emploi de l’ordre de 5,1%. Cette situation connut une tentative de redressement jusqu’en 1996. Mais avec la recrudescence des privatisations à partir de 1997, la situation ne fit que s’aggraver. Cette recrudescence de privatisation n’eut pour principale conséquence que les licenciements, mieux, la perte des emplois. À titre illustratif, en l’année 1993 un licenciement de 20 000 fonctionnaires sur un total d’environ 190 000 est observé4.
La compression ou déflation fut ainsi à l’origine d’un malaise social généralisé. Ces travailleurs qui avaient déjà acquis un certain statut, ne s’en remirent pas de la situation. Ils furent de plus en plus frustrés et quelque peu déshérités. Xavier Durang démontre d’ailleurs que près de 45% de déflatés déclarèrent n’avoir aucune activité depuis leur licenciement5.
Il y eut à cet effet la naissance de deux catégories d’ex-employés : ceux qui ont choisi la route de la créativité et ceux qui ont choisi les revendications. Pour la première catégorie, il fallait se battre pour la survie, se battre pour sa progéniture. Dans ce sens, les petits métiers ou la débrouillardise devinrent monnaie courante en ville.
Pour ce qui est des revendicateurs, il faut dire que certains ex-employés abandonnèrent toute idée d’autocréation d’emploi et se focalisèrent sur des requêtes et des manifestations populaires dans l’espoir de voir leur situation revenir à la normale. C’est dans ce sillage que s’inscrivent les manifestations des ex-employés
3 Ces dénominations désignent l’ex-employé soit des entreprises privatisées, restructurées ou liquidées, soit de l’administration publique. Xavier Durang, « Sortir du salariat et réapprendre à vivre « petit » », in Georges Courade (sd), Le désarroi camerounais. L’épreuve de l’économie-monde, Yaoundé, Ifrikiya, 2011, p.131 ; et Nzhie Engono, « Les « déflatés » de… », p.3.
4 François Roubaud, « Le « modèle » de développement camerounais 1965-1990 : de la croissance équilibrée à la crise structurelle », in Georges Courade (sd), Le village camerounais à l’heure de l’ajustement, Paris, Karthala, 1994, p.69.
5 Xavier Durang, « Sortir du salariat et réapprendre à vivre « petit » », in Georges Courade (sd), Le désarroi camerounais. L’épreuve de l’économie-monde, Yaoundé, Ifrikiya, 2011, p.132.
de l’ancienne REGIFERCAM du 8 mars 2012 à Douala. En cette date, des ex-employés hommes et femmes inondèrent la voie ferroviaire du quartier PK 5 avec des pancartes de revendications de leurs droits de pension6. Cette même situation est vécue à Yaoundé en septembre 2015. En effet, le 22 septembre 2015, des manifestants, une centaine environ constitués essentiellement d’hommes et femmes qui depuis près de 25ans n’ont pas perçu leurs indemnités décidèrent de se faire entendre d’une autre manière que celle des pétitions. Leurs manifestations consistaient à bloquer la circulation au niveau du centre administratif en occupant la chaussée avec des pancartes et en entonnant des chants cris de désespoir7. Cette manifestation est illustrée par les photos ci-après.
Photo 1: Les manifestations des ex-employés des sociétés privatisées au Cameroun de septembre 2015
[19_impact-des-ajustements-structurels-au-cameroun-analyse-approfondie_4][19_impact-des-ajustements-structurels-au-cameroun-analyse-approfondie_5]
Source : https://www.camerounweb.com/CamerooHomePage/NewsArchive/Manifestations-Les-ex-employ-s- des-soci-t-s-d-tat-d-fient-les-forces-de-l-ordre-331730.htm, consulté le 18/03/2021 à 07h51min.
À la lecture des images ci-dessus, il est observé l’expression des mauvaises conditions de vie sur les visages des manifestants. Des hommes et femmes avec un âge avancé brandissant des pancartes portant des messages assez évocateurs de la situation vécue. L’on peut ainsi lire des messages comme : « Collectifs des ex-employés des sociétés d’État liquidées et restructurées à l’attente de la décision final sur le paiement intégral de leurs droits sociaux », « Nous recommandons le paiement intégral et immédiat du reliquat de tous nos droits sociaux », « 25 ans dans l’attente ? c’est trop », qui sont symbole de l’absence de subvention pouvant aider à la correction des distorsions sociales nées de l’ajustement dont l’attente du réponse favorable de
6 Alain Njipou, « Cameroun-transports revendications : des ex-employés de la REGIFERCAM paralysent les rails », https://www.cameroun24.net/blog/?pg=actu&ppg=&pp=&id=8261.html, consulté le 02/12/2020 à 7h30min.
7 Anonyme, « Manifestations : Les ex-employés des sociétés d’État défient les forces de l’ordre », https://www.cam erounweb.com/CamerooHomePage/NewsArchive/Manifestations-Les-ex-employ-s-des-soci-t-s-d-tat-d-fient-les- forces-de-l-ordre-331730.html, consulté le 18/03/2021 à 07h51min.
la part de l’État est attendue. Cela est justifié du fait qu’ »aux yeux des compressés, l’État et la Banque Mondiale chargés du dossier, garantissaient solvabilité et transparence. L’espoir d’une indemnisation complète laissera progressivement place à une attente de plus contrariée8« . En d’autres termes, les ex-employés nourrissaient à travers des revendications, l’espoir de voir indemniser.
Dans le même sillage, celui des revendications, il est observé depuis quelques années jusqu’en 2017, un collectif des ex-employés des sociétés d’État liquidées ou restructurées présent dans la rue du Ministère des Finances, principal site de revendication. Parfois ces derniers passent toute la journée assis le long de la barrière du Centre pilote linguistique de Yaoundé avec des pancartes de revendication9. Il faut dire que ces manifestations sont la résultante du malaise social vécu dans les ménages de ces ex-employés après les privatisations qui ont conduit aux licenciements.
La baisse des recrutements
Le Cameroun à la veille de l’ajustement avait une politique de recrutement bien ficelée qui permettait au fil du temps d’enrôler des personnes en tant qu’employés, tant dans la fonction publique que dans les entreprises publiques et parapubliques. Aussi, l’État procédait parfois à des recrutements spéciaux massifs, comme cela a été le cas avec le debut de l’exploitation pétrolière de 1978 où l’État procéda à deux vagues successives de recrutement dans la fonction publique, en 1982 et 1985-1986, appelées les « 1500 ». Ce qui avait permis de recruter dans la fonction publique 1500 jeunes diplômés de l’enseignement supérieur à chaque fois10. Le recours au FMI vint ainsi renverser cette tendance.
En ce qui concerne la baisse des recrutements au sein de l’État, il faut rappeler que l’État devait pour assainir son circuit administratif et garantir une efficacité de sa production, réduire les effectifs de la fonction publique. Ainsi, une réglementation en vigueur imposait d’ailleurs que les recrutements au sein de la fonction publique ne devaient être limités qu’aux diplômés des écoles de formation de l’État11. Il s’agit entre-autre des ENS, des ENSET, de l’ENAM, l’EMIA. De ce fait, toute personne formée en dehors de cette sphère devait se convertir au
8 Durang, « Sortir du salariat… », p.133.
9 On y trouve parfois de femmes aussi, en train de débattre sur des questions d’actualité ou à jouer pari mutuel.
10 Jean-François Trani, « Les jeunes et le travail à Douala : La galère de la deuxième génération après l’indépendance », in Georges Courade (sd), Le désarroi camerounais. L’épreuve de l’économie-monde, Yaoundé, Ifrikiya, 2011, p.158.
11 AMINEPAT, 3C21, Économie : Relance, 1984-1993…, p.23.
privée ou à l’auto-emploi. Dans ce même sillage, le FNE n’enregistrait que 1 644 propositions d’embauche sur 11 777 demandeurs d’emploi le 1er septembre 199512. Une masse de jeunes diplômés abandonnés à eux-mêmes inonde ainsi les grands foyers urbains du Cameroun. Jean- François Trani renseigne qu’en 1990, 44% d’entreprises présentes à Douala n’employaient aucun salarié et montre que ces entreprises devraient réduire le nombre de recrutements, soit un recrutement de 5380 personnes en 1996, 3774 en 1997 et 3882 en 199813.
Graphique 6: Évolution de l’emploi formel au Cameroun entre 1993 et 2003 (en %)
1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003
2,9
2
0
3,9
4,1
4,3
5,9
6,3
7
6,7
6
4
10 9,4
8
11,3
11,8
12
14
Source : Réalisation à partir des données de INS, Genre et marché du travail au Cameroun, p.19.
À la lecture de ce graphique, il apparaît que l’effectif de la fonction publique était en pleine régression de 1993 à 2003. Ainsi, ave la dévaluation du FCFA, il y eût un petit effort de recrutement de l’ordre de 4,6% entre 1994 et 1996. Mais avec la recrudescence des privatisations entre 1996 et 2000, il y eût une augmentation des licenciements et un gel complet des recrutements dans la fonction publique. De 2000 à 2002, une tentative de redressement est faite avec un taux croissant de l’ordre de 3,4% et aussitôt, une baisse est observée14.
Au total, l’ajustement structurel impacta l’emploi au Cameroun. Le malaise social fut la chose la mieux partagée chez les employés du secteur des entreprises publiques et parapubliques. Il y eut une recrudescence des licenciements et une baisse des recrutements. Il incombe à la suite de l’emploi, de voir comment l’ajustement structurel a agi sur le salarié camerounais.
12 Trani, « Les jeunes et… », p.158.
13 Ibid., p.155.
14 William Joël Dongmo, « La prolifération des petits métiers de rue dans les villes du Cameroun : Le cas de Dschang (1970-2010) », Mémoire de Master en Histoire, Université de Yaoundé I, 2017, p.59.
Questions Fréquemment Posées
Quel a été l’impact des ajustements structurels sur l’emploi au Cameroun ?
Les ajustements structurels ont entraîné des licenciements massifs et une baisse des recrutements, fragilisant ainsi le domaine de l’emploi au Cameroun.
Comment les programmes d’ajustement structurel ont-ils affecté les conditions de vie des employés au Cameroun ?
Les programmes d’ajustement structurel ont conduit à un malaise social généralisé parmi les employés, qui avaient déjà acquis un certain statut et ne se sont pas remis de la situation.
Quelles ont été les conséquences des licenciements dus aux ajustements structurels au Cameroun ?
Les licenciements ont créé une nouvelle catégorie d’individus, appelés ‘compressés’ ou ‘déflatés’, et ont eu des effets négatifs sur plusieurs indicateurs sociaux.