Les défis et solutions de l’AFD révèlent des transformations surprenantes dans les relations franco-africaines depuis 1941. Cette recherche met en lumière l’impact crucial de l’AFD sur le développement économique et social des territoires africains francophones, redéfinissant ainsi notre compréhension de la coopération internationale.
CHAPITRE II : LA FABRIQUE DU DISPOSITIF FRANÇAIS DE COOPERATION EN RELATION AVEC LES COLONIES D’AFRIQUE NOIRE D’EXPRESSION FRANCAISE.
Avec l’Assemblée constituante d’octobre 1946, « l’Empire » et les colonies africaines furent transformés en Territoires d’outre-mer rassemblés au sein de l’Union française, et les institutions emblématiques de la France coloniale ont été opportunément labellisées ministère de la France d’outre-mer. D’autres réformes118 bien moins symboliques, portées en particulier par les députés du « Bloc africain », refondaient le système colonial. L’Union française s’apparentait ainsi selon l’expression imaginée de Jean-Pierre DOZON à une « grande famille franco-africaine qui, sous la férule du maître, voulut moins faire de ses sujets, encore insuffisamment majeurs, des citoyens, qu’intégrer à la République, tel un nouveau patrimoine national, les territoires dont ceux-ci étaient les habitants »119.
C’est dans ces conditions que de haut-fonctionnaires, travaillant sous la direction André Postel-Vinay par ailleurs directeur général de la C.C.F.O.M., rédigeaient avec des députés une loi d’initiative parlementaire : la loi du 30 avril 1946 proposait en effet un plan décennal de développement économique et social des territoires d’outre-mer120 qui visait à regrouper et concentrer les entreprises, à mécaniser l’agriculture, à créer des infrastructures, à développer l’industrialisation. Rompant avec la logique de l’autofinancement adoptée jusqu’alors, la loi de 1946 était pour la première fois une contribution du budget métropolitain à l’essor des colonies. Elle instituait pour ce faire un Fonds d’investissement pour le développement économique et social des territoires d’outre-mer (F.I.D.E.S.) géré par la CCFOM.
Cette loi était cependant loin de faire l’unanimité et se heurtait à certaines oppositions importantes. Mais elle n’en constitue pas moins la première ébauche d’un dispositif français de « coopération » articulé autour d’une double logique d’aide, il s’agit « par priorité de satisfaire aux besoins des populations autochtones et de généraliser les conditions les plus
118 Senghor et Houphouët-Boigny, élus députés depuis la première assemblée constituant d’octobre 1945, ont formé ce « Bloc africain » avec des représentants de l’Algérie, de la Réunion et de Madagascar et les députés des Antilles (réclamant la départementalisation de leur territoire).
119 DOZON Jean Pierre, op.cit., p.204.
120 Le premier plan décennal de développement (1947-1957), centré sur des travaux d’infrastructures de transports, de santé, d’éducation et d’aide à de grands projets, disposait en réalité de crédits limités jusqu’en 1950, compte tenu de la priorité attachée à la reconstruction de la France au sortir de la guerre. À partir de 1951, il était remplacé par des plans quadriennaux.
favorables à leur progrès social »121 et de reconstruction nationale ; l’objet étant parallèlement
« de concourir à l’exécution des programmes de reconstitution et de développement de l’économie de l’Union française, tant sur le plan métropolitain que sur celui des échanges internationaux »122.
La loi du 30 avril 1946, un cadre structurant durable des activités de l’A.F.D.
Les programmes ou politiques publiques sont au centre de tout action gouvernementale123. L’action du gouvernement colonial avait défini des objectifs au travers des programmes établis. Le 30 avril 1946, une loi permet d’organiser les modalités pratiques de cette politique à travers la création d’acteurs financiers nouveaux : les établissements de crédit social.
Elle prend place dans un contexte politique particulier qu’est celui de l’immédiat après-guerre et sous l’influence du programme du Conseil national de la Résistance (CNR), qui entendait mettre les intérêts privés au service de l’intérêt général. Dans ce cadre, la France, sous la présidence de Félix Gouin du gouvernement provisoire de la République française et dans la droite ligne des premières mesures prises en ce sens par les gouvernements (provisoires) de Charles de Gaulle, entreprenait une réforme des institutions financières.
La loi du 30 avril 1946 adaptait cette réforme des institutions financières métropolitaines aux territoires de l’A.O.F. et du Togo et de l’A.E.F. et le Cameroun. L’objectif de la création de ces établissements financiers était d’adopter des mécanismes de crédit qui puissent répondre à la fois aux besoins économiques spécifiques de ces territoires, ce qui va dans le sens de la reconnaissance de la différenciation économique des territoires coloniaux par rapport à la métropole. Ces établissements spécifiques s’inscrivaient donc dans le cadre d’une philosophie politique, qui est celle de la Libération.
A l’origine de la loi du 30 avril, Marius MONTET qui était ministre des colonies avait adopté, en 1936 par l’assemblée nationale française constituante un projet de fonds colonial que le Sénat de l’époque se refusa à examiner. Dix ans plus tard, deux propositions de loi
121 Loi n° 46-860 tendant à l’établissement, au financement et à l’exécution de plans d’équipement et de développement des territoires relevant du ministère de la France d’outre-mer, article premier, Journal Officiel de l’A.O.F. du 1er mai 1946. A.N.S. 3Q-261 versement 165.
122 Ibidem.
123 EDWARDS George C. et SHARKANSKY Ira, Les politiques publiques, élaboration et mise en œuvre, les Editions d’Organisation, Paris, 1981, 277p.
furent déposés par les constituantes : celle de Gaston MONERVILLE124 qui tendait à l’établissement, au financement et à l’exécution d’un plan d’organisation, d’équipement et de développement des territoires relevant du ministère de la France d’ Outre-mer ; celle de Jacques SOUSTEL visait à créer un fond d’équipement économique et social de l’Union française.
Le rapport de MONERVILLE avait ressortie dans les débats à l’assemblée nationale la loi du 30 avril 1946 qui, pour l’essentiel, prévoit l’établissement de plans de développement par territoire en instituant un fonds d’investissement, le F.I.D.E.S., qui sera géré par la
C.C.F.O.M. A cette époque qui marquait l’écrasement de l’économie française par les conséquences de la guerre, s’affirmait la nécessité de manifester par un effort de grande ampleur et de longue haleine la solidarité125 de la France avec ses colonies. Malgré l’expérience acquis dans la période d’avant-guerre, un tel effort supposait une large part d’invention. Aussi ne pouvait-il s’exercer que dans le cadre de textes suffisamment souples pour permettre d’expérimenter et d’innover, puis d’adapter l’action aux enseignements acquis. La loi du 30 avril porte la marque de cette volonté de souplesse et d’action.
Le décret du 5 juillet 1946 en organisant les fonctionnements générales du F.I.D.E.S. permis à un autre, du 16 octobre 1946126 d’ouvrir dans chaque territoire un budget spécial des plans de développement économique et social des T.O.M. alimenté par le F.I.D.E.S. Dans cette optique, l’administration coloniale fera apparaitre le concept « d’investissement » qui devait stimuler le développement économique et social. En termes d’appréciation historique des changements intervenus dans le mode de financement, ce concept sonne le début d’une
124 Gaston MONNERVILLE (2 janvier 1897-7 novembre 1991) était député de la Guyane de 1939 à 1940, sous-secrétaire d’Etat aux colonies de 1937 à 1938 et président du Conseil de la République de 1947 à 1958 et du Senat de 1958 à 1968. Dix ans après le refus du Sénat français à un projet de fonds colonial de Marius Motet, c’est à dire en 1946, Gaston Monnerville déposa une proposition de loi tendant à l’établissement, au financement et à l’exécution d’un plan d’organisation, d’équipement
et de développement des territoires relevant du ministère de la F.O.M. Sur sa proposition, il déposa un rapport dans lequel il ressort que le fonds aurait comme but : de lutter contre l’économie mercantile et la permanence du pacte colonial par l’industrialisation des T.O.M., et d’assurer un développement social parallèle au développement économique.
A la suite des débats, une loi est sortie créant le Fonds d’Investissement pour les Développement Economique et Social (F.I.D.E.S.). Ce fonds devait être alimenté par des dotations de la métropole, par des contributions des territoires intéressés par des avances à long terme consentis par la C.C.F.O.M. Celle-ci était d’ailleurs chargée de gérer le F.I.D.E.S.
sous le contrôle d’un comité directeur.
125 Une solidarité indispensable vue les relations privilégiées qu’elle entretient avec ses colonies tant dans l’exploitation des ressources de ces dernières que dans la participation de celles-ci dans la reconstitution économique de la France, dévastée par la guerre.
126 DE BENOIST, J-R., idem, p.137.
amélioration notoire dans l’équipement et les infrastructures127. C’est en effet la Conférence de Brazzaville de 1944 qui a permis, après l’échec du crédit colonial128 à travers les Sociétés de prévoyances et les Sociétés Mutuelles de Développement Rural (S.M.D.R.) une prise de conscience générale quant à la nécessité de l’administration coloniale d’associer les indigènes à la gestion des colonies dans une dynamique de coopération et non de diktat129.
Du point de vue pratique, la loi du 30 avril 1946 a été marquée l’intervention décisive de la métropole dans le financement du développement économique et social des colonies au travers des plans décennaux puis quadriennaux de développement. Ces plans visaient à regrouper et accentuer les entreprises, mécaniser l’agriculture, créer des infrastructures et enfin développer l’industrialisation.
A la fin de la guerre, la loi du 30 avril 1946 permet ainsi à la C.C.F.O.M. de financer les plans F.I.D.E.S. Trois mois plus tard par circulaire 376 SE/CPS du 10 aout 1946130, les colonies devaient dresser un plan de développement économique qui devait permettre dans le court et le long terme de créer les conditions d’une augmentation de la production par une meilleur prise en compte des besoins des populations compte tenu des possibilités des diverses régions considérées.
Les conclusions tirées par rapport au Plan de Développement Economique131, en permettant l’inventaire des richesses agricoles et minières en A.O.F., jettent les bases de son industrialisation132 sans oublier que les investissements dans les voies de communication ont occupé une bonne place dans les crédits alloués. Rien que la modernisation des chemins de fer a couté 7 199 000 000 de F CFA pour le premier plan contre 4 675 000 000 millions pour le second plan.
127 FALL Sawrou, 2013, « Le Fonds d’investissement pour le développement économique et social dans le territoire du Sénégal (F.I.D.E.S.) (1946-1958) », Mémoire de Maitrise, Département d’Histoire, Faculté des Lettres et Sciences Humaine, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, p.38.
128 D’un montant global de 20 millions de francs, le crédit colonial (1935 -1946), a surtout bénéficiés aux français vivant en A.O.F. alors que les autochtones sont laissés en rade.
129 MBAYE Saliou, Histoire des institutions coloniales en Afrique de l’Ouest (1816-1960), Dakar, Imprimerie Saint-Paul, p.230.
130 A.N.S., Série Q, Lettre du Directeur Général des services économique de l’A.O.F. : Jarre Haut-Commissaire de la Fédération. Dakar le 23 mai 1947, Rapport sur le plan de développement économique de l’A.O.F.
131 A.N.S., 1Q-176 versement 74 relative aux plans de développement économique et social, et qui renferme des documents relatifs au plan de développement des pays de l’A.O.F.
132 MBOUP, Assane Khalifa Babacar, « La politique coloniale d’intégration économique en A.O.F. de 1946 à 1959 », Mémoire de maitrise, Département Histoire UCAD, 1993, p.70.
Tableau 2 : Plan de Développement Economique de l’A.O.F.
Tableau 2 : Plan de Développement Economique de l’A.O.F. | |
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Parameter/Criteria | Description/Value |
Total | 16 374 251 160 F CFA |
Source : MBOUP, A. KH., « La politique coloniale d’intégration économique en A.O.F., de 1946 à 1959 », Mémoire de Maitrise, Département Histoire, UCAD, p.93. in A.N.S. rapport : synthèse du plan de développement économique de l’A.O.F. 1947-1950 Série Q.
Commentaire tableau 2 : Le territoire du Sénégal est une priorité pour l’administration coloniale à travers les montants alloués aux investissements F.I.D.E.S. Exceptés les transports et mines, le Sénégal domine par le montant des crédits dans les autres domaines d’activité.
Ainsi la mise en exploitation des T.O.M. était corollaire de cette politique de mise en valeur. En effet, avec la création du F.I.D.E.S., s’accompagnait d’une idée de formuler ensemble un bloc, l’Union français, qui correspondait à des buts politiques, économiques et stratégiques :
Politique, par la formation d’un bloc de 110 millions d’habitants qui peut prendre place parmi les grandes puissances ; stratégique, par l’utilisation de la position géographique de divers territoires placés sur les principales routes mondiales, ces atouts stratégiques étant mis en service de la politique du « monde libre » ; économique, par la perpétuation du Pacte colonial, qui vise à créer deux économies, dites complémentaires, la métropole transformant les produits bruits d’Outre-mer et réexportant dans ces mêmes territoires les produits manufacturés133.
La loi du 30 avril met ainsi en marche les bases d’un développement économique fondé sur des entreprises semi-publiques et impliquant la puissance publique comme soutien
133 Fonds d’investissement pour le développement économique et social des territoires d’Outre-mer, Source Présence Africaine, décembre 1956-janvier 1957, Nouvelle série N°11, p.51.
à l’initiative privée134. Celle-ci constitue le premier socle d’une politique fondée sur l’articulation entre une logique d’aide et une logique de développement de l’économie nationale française. D’où la mise sur pieds de socles réceptacle d’une politique publique extérieure française en relation avec ses colonies.
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118 Définition donnée par l’article 62 de la loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) du 15 mai 2001. ↑
119 Auchan Les 4 Temps, La Défense. ↑
120 Le premier plan décennal de développement (1947-1957), centré sur des travaux d’infrastructures de transports, de santé, d’éducation et d’aide à de grands projets, disposait en réalité de crédits limités jusqu’en 1950, compte tenu de la priorité attachée à la reconstruction de la France au sortir de la guerre. À partir de 1951, il était remplacé par des plans quadriennaux. ↑
121 Loi n° 46-860 tendant à l’établissement, au financement et à l’exécution de plans d’équipement et de développement des territoires relevant du ministère de la France d’outre-mer, article premier, Journal Officiel de l’A.O.F. du 1er mai 1946. A.N.S. 3Q-261 versement 165. ↑
123 EDWARDS George C. et SHARKANSKY Ira, Les politiques publiques, élaboration et mise en œuvre, les Editions d’Organisation, Paris, 1981, 277p. ↑
124 Gaston MONNERVILLE (2 janvier 1897-7 novembre 1991) était député de la Guyane de 1939 à 1940, sous-secrétaire d’Etat aux colonies de 1937 à 1938 et président du Conseil de la République de 1947 à 1958 et du Senat de 1958 à 1968. Dix ans après le refus du Sénat français à un projet de fonds colonial de Marius Motet, c’est à dire en 1946, Gaston Monnerville déposa une proposition de loi tendant à l’établissement, au financement et à l’exécution d’un plan d’organisation, d’équipement ↑
125 Une solidarité indispensable vue les relations privilégiées qu’elle entretient avec ses colonies tant dans l’exploitation des ressources de ces dernières que dans la participation de celles-ci dans la reconstitution économique de la France, dévastée par la guerre. ↑
126 DE BENOIST, J-R., idem, p.137. ↑
127 FALL Sawrou, 2013, « Le Fonds d’investissement pour le développement économique et social dans le territoire du Sénégal (F.I.D.E.S.) (1946-1958) », Mémoire de Maitrise, Département d’Histoire, Faculté des Lettres et Sciences Humaine, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, p.38. ↑
128 D’un montant global de 20 millions de francs, le crédit colonial (1935 -1946), a surtout bénéficiés aux français vivant en A.O.F. alors que les autochtones sont laissés en rade. ↑
129 MBAYE Saliou, Histoire des institutions coloniales en Afrique de l’Ouest (1816-1960), Dakar, Imprimerie Saint-Paul, p.230. ↑
130 A.N.S., Série Q, Lettre du Directeur Général des services économique de l’A.O.F. : Jarre Haut-Commissaire de la Fédération. Dakar le 23 mai 1947, Rapport sur le plan de développement économique de l’A.O.F. ↑
131 A.N.S., 1Q-176 versement 74 relative aux plans de développement économique et social, et qui renferme des documents relatifs au plan de développement des pays de l’A.O.F. ↑
132 MBOUP, Assane Khalifa Babacar, « La politique coloniale d’intégration économique en A.O.F. de 1946 à 1959 », Mémoire de maitrise, Département Histoire UCAD, 1993, p.70. ↑
133 Fonds d’investissement pour le développement économique et social des territoires d’Outre-mer, Source Présence Africaine, décembre 1956-janvier 1957, Nouvelle série N°11, p.51. ↑
Questions Fréquemment Posées
Quels étaient les objectifs de la loi du 30 avril 1946 concernant les territoires d’outre-mer?
La loi du 30 avril 1946 proposait un plan décennal de développement économique et social des territoires d’outre-mer qui visait à regrouper et concentrer les entreprises, à mécaniser l’agriculture, à créer des infrastructures, à développer l’industrialisation.
Comment l’AFD a-t-elle évolué depuis sa création?
L’AFD a connu des transformations successives et s’est adaptée aux contextes coloniaux et postcoloniaux, jouant un rôle pivot dans les relations franco-africaines.
Quel était le rôle du Fonds d’investissement pour le développement économique et social (F.I.D.E.S.)?
Le F.I.D.E.S. était institué pour contribuer au développement économique et social des territoires d’outre-mer, géré par la CCFOM.