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Quelles sont les conséquences sociales des programmes d’ajustement au Cameroun ?

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🏫 UNIVERSITÉ DE YAOUNDÉ - CENTRE DE RECHERCHE ET FORMATION DOCTORALE EN SCIENCES HUMAINES, SOCIALES ET ÉDUCATIVES - DÉPARTEMENT D’HISTOIRE
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master - Mars 2023
🎓 Auteur·trice·s
Abdougani YOUMENI
Abdougani YOUMENI

Les conséquences des programmes d’ajustement ont profondément transformé la société camerounaise entre 1987 et 2017. Cette étude révèle comment ces politiques ont modifié les comportements et les habitudes des Camerounais, soulevant des questions cruciales sur leur impact social durable.


CHAPITRE IV : DE LA NOUVELLE CONFIGURATION SOCIALE AUX TENTATIVES D’AMÉLIORATION SOCIALE AU CAMEROUN

L’ajustement structurel en tant que politique du Consensus de Washington appliquée pour faciliter la sortie de crise du Cameroun, laissa une tache indélébile dans les schèmes des Camerounais. Presque tous les secteurs du social ont été impactés par ce dernier. Les PAS ont d’ailleurs contribué à la modification des habitudes et des comportements des Camerounais, laissant naître une nouvelle société camerounaise où l’accès aux riches est différent selon qu’on appartienne à telle classe sociale ou à telle autre. Il convient dans ce chapitre de mettre en évidence les disparités sociales autour de l’avoir dans l’environnement camerounais et de donner sans prétention aucune, des pistes exploitables pour l’amélioration des conditions sociales post-ajustement.

LA NOUVELLE CONFIGURATION SOCIALE AU CAMEROUN SOUS- AJUSTEMENT : L’ACCÈS AUX RICHESSES

L’ajustement structurel a le mérite au Cameroun d’avoir été l’un des éléments catalyseurs de la reconfiguration sociale à partir des années 1990. Une nouvelle société camerounaise naquit avec la redéfinition des bases sociales. La recherche effrénée du gain étant la préoccupation de la plupart des sociétés, l’ajustement y laissa aussi sa marque. Cette partie se donne donc pour objectif de présenter la nouvelle société camerounaise focus sur l’accès aux richesses.

Au niveau de l’administration publique

La société camerounaise au vu de plusieurs observations s’est avérée être subdivisée en deux classes l’une administrative et l’autre administrée. Chacune d’elle fait face à un ensemble de réalités divergentes. Pour ce qui est de la classe qui maintint sa position dans l’administration, l’accès à la richesse s’est opéré d’une façon frauduleuse. Elle fit naître un ensemble de phénomènes malveillants parmi lesquels les employés fictifs, le détournement de derniers publics et surtout la réseaucratie.

L’enrichissement illicite : Le phénomène d’ »employés fictifs » et le détournement de derniers publics

L’enrichissement illicite est depuis des décennies qui succèdent celle de la crise, le slogan de plusieurs manipulations des biens au sein de la classe dirigeante dans plusieurs États africains. Pour le cas particulier du Cameroun, deux phénomènes rentrent dans ce cadre, les employés fictifs et le détournement des derniers publics.

Il faut dire que suite à l’ajustement structurel et ses corollaires baisse de salaires, gel des avancements, certains employés du circuit administratif de l’État, dans l’optique de maintenir le prestige et les avantages de toute nature, trouvèrent des voies et moyens. Dans ce contexte, les populations camerounaises se détournèrent des principes cardinaux de la morale.

En ce sens que dans le but de contourner la fiscalité et payer des prestations publiques telles que l’eau, l’électricité et le téléphone, bon nombre de fonctionnaires mirent sur pied des techniques de compensation des salaires. L’on note alors des phénomènes comme les pots-de-vin, les surfacturations, les livraisons fictives1. Dans ce même sillage, une autre option prise par certains responsables d’administration fut la création d’un ensemble d’employés fictifs.

On entend par employé fictif ou employé fantôme toute personne qui n’est pas reconnue officiellement, mais qui signe dans le fichier solde de l’État2.

Ces faux agents sont soit des ex-fonctionnaires qui continuent à recevoir de façon frauduleuse un salaire de l’État, soit des personnes qui perçoivent le salaire des défunts, soit des individus qui reçoivent plusieurs salaires à la fois, soit alors des fonctionnaires qui sont à l’étranger et qui continuent de toucher leur salaire par le canal de leurs frères et sœurs3.

Un témoignage d’une informatrice qui a requis l’anonymat dit : « J’ai mon beau-frère qui est sorti de l’école normale depuis des années en tant que professeur de mathématiques. Il n’a même pas exercé sa fonction pendant cinq ans et depuis lors, il vit en Amérique, mais son salaire passe normalement »4. À la question de savoir comment il faisait pour percevoir son salaire, elle répond : « Ça se fait par un de ses collègues de service d’après ce que sa femme m’a dit.

Donc quand le mois finit, son collègue réussit à toucher et prend une partie de l’argent en son compte et envoi le reste à ma sœur »5. Ce même témoignage est fait par une autre informatrice qui a aussi requis l’anonymat : « J’ai ma cousine qui est sortie de l’École Normale Supérieure, qui est actuellement en Europe avec son mari et son salaire passe ici au Cameroun »6.

Devenant une gangrène dans la société camerounaise, ce phénomène d’employés fictifs fut détecté pour la première fois lors de la mise sur pied du PAS autonome, à partir de 1986. En effet, le PAS autonome avait pour objectif dans le cadre de la fonction publique d’assainir le

1 Mathieu Jérémie Abena Etoundi, « La planification économique au Cameroun : Aperçu historique (1960-2000) », Thèse de Doctorat /Ph.D en Histoire, Université de Yaoundé I, 2008, p.478.

2 Emmanuel Saha, Régularisation salariale et reflexe d’archiviste, Yaoundé, 2008, p.91.

3 Anonyme, « Cameroun : Louis Paul Motazé donne la possibilité aux Camerounais de dénoncer les fonctionnaires fictifs », https://www.lebledparle.com/fr/societe/1104398-cameroun-voic-les-canaux-de-denonciation-des-foncti- onnaires-fictifs.html, consulté le 27/04/2020 à 12h45min.

4 Anonyme, 52ans, Commerçante, Yaoundé le 14/05/2020.

5 Idem.

6 Anonyme, 27ans, Étudiante, Yaoundé le 06/05/2020.

circuit au travers de la maîtrise des effectifs et de l’accroissement de l’efficacité7. Ceci favorisa la mise sur pied de l’opération ANTILOPE, qui montra l’existence d’une anarchie régnante dans le milieu administratif et permit la détection de milliers de fonctionnaires fictifs qui émargeaient au budget de l’État8. Il faut dire que ces faux fonctionnaires entravent le comptage et la maîtrise des effectifs des agents de la fonction publique.

À cause de cette augmentation pléthorique et incontrôlée du nombre des fonctionnaires de l’État, le gouvernement camerounais mit sur pied un ensemble de stratégies visant l’extirpation. Parmi celles-ci, le Système Intégré de Gestion Informatique du Personnel de l’État et de la Solde (SIGIPES)9. Le SIGIPES était mis sur pied en 1996 et avait la charge du contrôle des carrières des personnels de l’État10.

Il avait aussi pour objectif de produire un fichier numérique pouvant permettre le comptage du personnel émargeant dans le fichier solde de l’État. Le Cameroun connut alors trois SIGIPES qui se succédèrent11. Ces systèmes se sont avérés peu efficients à cause de recrudescence et de la persistance du phénomène. Ainsi, plusieurs autres stratégies ont été lancées par le gouvernement camerounais dans la logique du SIGIPES.

Dans ce sens, la procédure d’identification des agents de l’État lancée du 24 août au 1er septembre 2015 révélait une liste de 10 375 agents qui devaient donner des preuves de l’effectivité de leur présence dans leurs départements ministériels respectifs12. Cette action permit au ministre camerounais de la Fonction publique et de la réforme administrative de l’époque, Michel Ange Agouing, de publier une liste de 10 000 fonctionnaires supposés fictifs, le lundi 24 août 201513.

À la suite des employés fictifs, il y a un autre phénomène qui gangrène le circuit administratif et financier du Cameroun, le détournement des derniers publics. Le phénomène prit aussi de l’ampleur comme celui des employés fictifs. Il est en fait d’une pratique illégale de « compensation » des salaires de quelques agents de l’administration camerounaise. Le

7 Touna Mama, L’économie camerounaise, pour un nouveau départ, Yaoundé, Afrédit, 2008, p.287.

8 Ambroise Mbatsogo Nkolo, « Endoscopie du fonctionnariat camerounais de 1960 à 1994 », Thèse de Doctorat/Ph.D en Histoire, Université de Yaoundé I, 2017, pp.65-66.

9 Ibid., p.67.

10 Alain Noah Awana, « Cameroun-Personnel et solde de l’État : « Antilope » et « Sigipes » remplacés avant fin 2013″, http://www.cameroon-info.net/article/cameroun-personnel-et-solde-de-letat-antilope-et-sigipes-remplaces-avant- fin-2013-181686.html; consulté le 22/08/2021 à 08h30min.

11 Nka Jean Marie, Journaliste, intervention au débat télévisé « Club d’élites » à Vision4, édition du 03/05/2020.

12 Adeline Atangana, « Cameroun – Document : Voici la liste des 10 375 fonctionnaires supposés fictifs invités à clarifier leur situation administrative. Des contestations pleuvent », http://www.cameroon- info.net/article/cameroun-document-voici-la-liste-des-10375-fonctionnaires-supposes-fictifs-invites-a-clarifier- leur-247206.html, consulté le 28/04/2020 à 15h12min.

13 Kamerpower, « Liste des 10 000 fonctionnaires convoqués », http://www.kamerpower.com/fr/liste-des-10000- fonctionnaires-convoque-fonction-publique-cameroun.html, consulté le 27/04/2020 à 10h30min.

détournement des fonds publics est une opération illégales consistant à l’usage des biens à d’autres fins que le public. Il consiste aussi à soit une surfacturation d’un projet financé par l’État dans le but de conserver le surplus dans une caisse personnelle, soit le fait de réduire considérablement le budget alloué à un projet pour des fins égoïstes.

Cette perception est partagée par un jeune cadre d’administration publique qui a requis l’anonymat, lorsqu’il déclare : « Lorsqu’il y’a un projet est mis sur pied au Cameroun par exemple, à chaque niveau de la réalisation de ce projet, chacun « coupe sa part » du budget et à la fin les ressources financières allouées à cet exercice sont insuffisantes »14.

Dans ce sens, la qualité d’agent de l’État étant au service de la nation a été détournée. Beaucoup des agents de l’État décidèrent de ne plus servir l’État, mais plutôt se servir de l’État. La honte selon Robert Nyom, « n’existe plus », ça ne fait aucun mal à un agent d’État de détourner l’argent d’un projet.

Il règne désormais logique de « la chèvre broute là où elle est attachée », voulant montrer qu’il a pillé son pays dans la mesure du possible15. Selon Raymond Ebalé, la déroute de ces agents est liée à une nouvelle réglementation qui donna un certain libre cours aux agents de l’État de trouver d’autres moyens de compensation des déficits salariaux.

Il rappelle d’ailleurs : « Suite à la dévaluation du F CFA et au gel des salaires, une réglementation est adoptée en 1993, celle qui prévoyait que les fonctionnaires puissent « faire des affaires ». Cela va fragiliser le système administratif, favorisant la montée en puissance de la corruption16″.

Le phénomène de détournement des derniers publics couvre comme celui des fonctionnaires fictifs, presque tous les secteurs financiers camerounais. Ainsi, l’on note comme structures touchées les ministères, les sociétés publiques, les sociétés parapubliques, les collectivités territoriales décentralisées. Tous les corps de métiers sont concernés que ce soient les magistrats, les enseignants, les policiers, les agents du fisc, personne n’y échappe17. Ainsi, dans son processus de lutte contre ce fléau qui prend de l’ampleur dans la société camerounaise, le gouvernement donna une réponse favorable, celle de la mise sur pied d’une Commission Nationale Anti-corruption (CONAC) et surtout le lancement de l’Opération épervier18. Cette opération avait pour visée la traque d’un ensemble de responsables de ces malversations

14 Anonyme, 37ans, Cadre au Ministère de l’économie, de la planification et de l’aménagement du territoire, Yaoundé, le 06/10/2017.

15 Robert Nyom, La crise économique. Essai d’analyse socio-politique, Yaoundé, Atlantic Editions, 2003, pp.127- 128.

16 Ebalé Raymond, 57ans, Enseignant Maitre de conférences au département d’histoire de l’Université de Yaoundé I, Yaoundé, le 13/05/2019.

17 Nyom, La crise économique…, p.127.

18 La CONAC par rappelle est créée par Décret n° 2006_088 du 11 mars 2006 portant création, organisation et fonctionnement de la Commission Nationale Anti-Corruption.

financières, arrêtés et jugés au Tribunal Criminel Spécial (TCS). La CONAC dans sa stratégie de lutte contre la corruption et les détournements de fonds mit à son tour sur pied d’une Stratégie Nationale de Lutte Contre la Corruption (SNLCC). Ce document révélait donc que le Cameroun a perdu environ 1 845 milliards de F CFA entre 1998 et 2004 sous fonds détournés, soit une perte annuelle de 457,3 millions de F CFA19. La société camerounaise sous ajustement est alors cette atmosphère où la corruption règne en grand maître. Dans cet environnement, il faut dire que la pensée commune camerounaise définit l’homme honnête comme l’exception.


Questions Fréquemment Posées

Quelles sont les conséquences des programmes d’ajustement structurel au Cameroun ?

Les programmes d’ajustement structurel ont laissé une empreinte indélébile sur la société camerounaise, modifiant les comportements et les habitudes des Camerounais dans divers domaines tels que l’emploi, la santé et l’éducation.

Comment l’ajustement structurel a-t-il reconfiguré la société camerounaise ?

L’ajustement structurel a été un catalyseur de la reconfiguration sociale au Cameroun, redéfinissant les bases sociales et créant une nouvelle société où l’accès aux richesses varie selon les classes sociales.

Quels phénomènes malveillants ont émergé suite aux programmes d’ajustement au Cameroun ?

Parmi les phénomènes malveillants, on note l’enrichissement illicite, les employés fictifs et le détournement de derniers publics, qui ont tous été exacerbés par les conditions économiques difficiles post-ajustement.

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