Les migrations au Cameroun ont été profondément influencées par les programmes d’ajustement structurel entre 1987 et 2017. Cette étude révèle comment ces politiques ont modifié les dynamiques migratoires, transformant les comportements sociaux et laissant une empreinte durable sur la société camerounaise.
La question des migrations
La question migratoire, bien que n’étant pas un phénomène nouveau au Cameroun, connut elle aussi les effets de l’ajustement. Les déplacements des individus s’observent de plus en plus tant sur territoire national, on parle là d’exode rural d’une part et d’exode urbain d’autre part, qu’à l’extérieur du pays, l’émigration.
De l’exode rural à l’exode urbain : le retour au village
Pendant des décennies suivant le processus d’urbanisation, l’exode rural qui est le déplacement des individus des zones rurales vers les zones urbaines, était très perceptible et enrôlait plusieurs catégories de personnes et celle jeune en plus. De plus on voyait des personnes se déplacer pour la recherche des moyens de subsistances meilleurs que ceux que leurs zones de résidence leur offraient.
Avec la création des industries sur le territoire à l’instar de la SONARA, la CAMSUCO, CHOCOCAM, une forte concentration des populations déplacées s’observa dans les foyers urbains, sièges de ces industries. Ainsi de 1977, quelques mois avant la découverte de la manne pétrolière jusqu’en 1987, les destinations urbaines accrurent soit d’un taux de 38,7% à 49,4%51.
L’ajustement structurel au début de son application ne stoppa pas ce processus d’exode rural, mais plutôt une croissance du taux de déplacement. Ainsi, en 1992, le taux de déplacement pour destination urbaine fut de 51,5%52. Mais avec la croissance de la dégradation des indicateurs sociaux, la tendance vint à changer. Des déplacements des villes pour les villages sont observés, on parle de : exode urbain.
Encore appelé migration de retour ou retour au village, l’exode urbain est par définition le déplacement de populations, principalement des classes moyennes et supérieures, à la recherche d’une amélioration des conditions de vie, qui quittent les villes pour s’installer dans les zones périurbaines ou la campagne situé à proximité des zones urbaines53.
En contexte camerounais, ce phénomène pris de l’ampleur à partir des 1990 avec notamment l’application des politiques d’austérité du Consensus de Washington. En effet, avec les opérations de privation, les licenciements, la baisse des salaires et la suppression des indemnités de la fonction publique, la dévaluation du FCFA, les employés et surtout les déflatés se trouvèrent dans une situation trouble où le retour au village s’avéra comme une solution à leurs problèmes.
Il faut dire qu’assurer la ration alimentaire quotidienne, le paiement des frais de scolarité des enfants, du loyer devinrent difficiles pour les compressés et s’érigèrent comme étant des adjuvants à la décision du retour au village, comme le rapporte Xavier Durang :
Et compte tenu des arriérés de loyer […], j’ai juste eu le temps de désintéresser le monsieur chez qui je louais et puis je suis allé au village. (…) Si vous êtes subitement compressés […] se cantonner en ville avec huit enfants, vous allez les nourrir comment ? Retrouver un autre emploi tout de suite, il n’y a pas moyen […] le seul moyen de survivre quand on n’a rien en ville, c’est de rentrer au village malgré tous les aléas que ça comporte54.
Le phénomène de migration de retour au Cameroun prit de l’ampleur au point où pour mieux cerner l’augmentation des migrants de retour et la relation entre ce mouvement et la crise économique, une enquête spécifique dénommée Enquête sur les Migrations de Retour (EMR)55 fut réalisée en 1992, avec pour objectifs d’estimer le nombre des migrants de retour dans les régions de l’Ouest et du Nord (les deux régions rurales choisies)56, d’étudier les conditions de leur départ du lieu de résidence précédent, notamment urbain, d’examiner les conditions de leur réinsertion dans le milieu d’origine, d’étudier l’image de la ville qu’ils véhiculent, d’examiner le maintien de leurs liens avec le lieu de départ, d’évaluer leur probabilité de demeurer durablement au village57.
Ainsi, l’EMR définissait comme potentiel migrant de retour toute personne soumise aux critères : être âgé de 14 ans ou plus, être né dans le village de l’enquête ou en être originaire, avoir déjà résidé à l’extérieur du village pour plus de 6 mois, être rentré entre 1982 et 1992.
C’est ce qui lui permit d’identifier un total de 238 migrants de retour dans la zone Nord et 816 dans la zone Ouest58. Au travers de cette enquête, le constat fait est qu’une masse de population urbaine décida du retour au village pour éviter la décadence totale. En dépit du fait que pour certains migrants l’insertion sinon la réinsertion sociale au village fût vraiment difficile.
Il fallût pour beaucoup réapprendre la « vie du village », travaux champêtres, réduction des distractions et des comportements urbains, l’exemple de cette ancienne migrante illustre bien cette réalité : « Lorsque mon mari et moi sommes rentrés au village, c’était difficile59. »
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51 Jacques Pokam Wadja Kemajou et William Sunderlin, » L’Impact de la Crise Économique sur les Populations, les Migrations et le Couvert Forestier du Sud-Cameroun », Occasional paper n°25, Décembre 1999, p.8. ↑
52 Il faut noter que ces chiffres sont issus de l’enquête de Pokam Wadja Kemajou et William Sunderlin, » L’Impact de la Crise… », certes centrée sur les régions Centre, Sud, Est mais qui traduisent la réalité vécue dans tout le pays. ↑
53 « Exode urbain », https://www.toupie.org/Dictionnaire/Exode_rural.htm#:~:text=L’exode%20urbain%20 correspond%20au,%C3%A0%20proximit%C3%A9%20des%20zones%20urbaines., consulté le 23/07/2022, à 10h11min. ↑
54 Durang, « Sortir du salariat… », pp.138-139. ↑
55 L’EMR a été réalisée par le Ministère de la recherche scientifique et technique du Cameroun, en liaison avec le CEPED et l’Institut de formation et de recherche démographiques (IFORD), avec l’appui de la mission ORSTOM de Yaoundé. ↑
56 Il s’agissait en fait de la région du Nord comprenant 9 massifs Mafa des monts Mandara (département du Mayo Tsanaga) avec une population de 21 000 habitants et une région Ouest comprenant 5 chefferies bamiléké du département du Ndé avec une population de 17 000 habitants. ↑
57 Patrick Gubry, » Le retour au village est-il une solution ? Le cas du Cameroun », in Jean Coussy et Jacques Vallin, Crise et population en Afrique. Crises économiques, politiques d’ajustement et dynamiques démographiques, Paris, CEPED, 1996, pp. 430-431. ↑
59 Citation d’une ancienne migrante. ↑
Questions Fréquemment Posées
Comment les ajustements structurels ont-ils affecté les migrations au Cameroun ?
Les ajustements structurels ont entraîné une croissance du taux de déplacement, avec un exode rural initial suivi d’un exode urbain, où des populations, principalement des classes moyennes et supérieures, ont commencé à retourner dans leurs villages à la recherche d’une amélioration des conditions de vie.
Qu’est-ce que l’exode urbain au Cameroun ?
L’exode urbain est le déplacement de populations, principalement des classes moyennes et supérieures, qui quittent les villes pour s’installer dans les zones périurbaines ou la campagne, souvent en raison de la dégradation des conditions de vie en milieu urbain.
Quels facteurs ont conduit au retour au village des Camerounais dans les années 1990 ?
Les facteurs incluent les politiques d’austérité, les licenciements, la baisse des salaires, la dévaluation du FCFA, et la difficulté à assurer la ration alimentaire quotidienne et le paiement des frais de scolarité, poussant ainsi les individus à retourner au village.