L’analyse comparative des amnisties révèle des contradictions surprenantes entre le droit international des droits de l’homme et les pratiques étatiques. En examinant les impacts juridiques sur les victimes, cette recherche propose des solutions innovantes pour renforcer la justice transitionnelle et l’imprescriptibilité des crimes.
PREMIERE PARTIE : FONDEMENTS ET
IMPACTS JURIDIQUES DES AMNISTIES ET DES PRESCRIPTIONS
PENALES EN DROIT INTERNATIONAL DES DROITS DE L’HOMME
Comme l’indique fort justement Gabriele Della Morte, l’arrière-plan fondamental de l’étude des institutions de clémence est le rapport entre droits de l’homme et souveraineté de l’Etat. Le constat vaut autant sous l’angle du droit international que sous celui du droit interne, parce que, dans les deux ordres, le développement des droits de l’homme vient accroître ou asseoir la soumission de l’Etat25.
Plusieurs éléments de réflexion sont autour de ces institutions de clémence. C’est alors qu’ils sont associés à certains mots comme le temps, le droit, l’oubli, la mémoire, la justice et réconciliation. Ces éléments sont pour les juristes, attachés aux institutions de clémence pour qui sans eux ces derniers n’auront aucune raison d’exister.
Cependant, évoluant dans un contexte juridique complexe, caractérisé par plusieurs textes, il est difficile de cerner concrètement ces institutions qui sont tantôt reconnu, parfois rejeté tant en droit interne qu’en droit international. Ainsi, Dans le but d’apaiser les tensions sociales et de permettre à tous les individus de bénéficier de nouvelles opportunités de vivre en communauté malgré la commission de certaines infractions, il a été mis en place les mesures d’amnisties et de prescriptions pénales dont les fondements (CHAPITRE 1) et les impacts juridiques (CHAPITRE 2) sont reconnu en Droit international des droits de l’homme.
25 Gabriele DELLA MORTE, Docteur en droit en co-tutelle avec l’Université de Paris 1, Assegnista di ricerca’ à l’Université la Cattolica de Milan.
CHAPITRE 1 : FONDEMENTS JURIDIQUES DES AMNISTIES ET DES PRESCRIPTIONS PENALES
Aborder les fondements juridiques des amnisties et des prescriptions pénales nous demande de parler en premier lieux des fondements et de la manifestation des amnisties et des prescriptions pénales (Section 1), avant de parler de la reconnaissance internationale de ces deux institutions de clémence qui malgré leur acceptation, sont en bute à plusieurs difficultés d’application (Section 2).
Section I:
Les fondements et la manifestation des amnisties et des prescriptions pénales
Les fondements (Paragraphe 1) et la manifestation (Paragraphe 2) des amnisties et es prescriptions pénales sont des éléments sur lesquels les Etats se basent pour mettre en œuvre ces institutions qui, ne font pas dans certaines mesures l’unanimité au sein des populations fraichement sortis d’un conflit.
Paragraphe I : les fondements des amnisties et des prescriptions pénales
Les fondements des amnisties (A) et celles des prescriptions pénales (B) nous permettrons de mieux comprendre la question en droit pénal interne avant sa réappropriation par le droit international.
A- Les fondements des amnisties
L’amnistie constitue un moyen utilisé pour amorcer le rétablissement de l’ordre social dans les pays qui traversent des crises militaro-politiques, et son application soulève jusqu’à nos jours des débats, sur la question de son rapport avec la justice, alors même qu’elle est considérée comme une institution d’impunité26. Par ailleurs, ce but visé par les amnisties ne peut être atteint que lorsque ceux-ci ont pour fondement, la réconciliation sociale et les textes fondamentaux que sont la Constitution et les Conventions internationales des DH.
En effet, défini comme le moyen permettant de mettre en accord des personnes opposées sur certains points de vu, la réconciliation prend un aspect général lorsqu’il faut parler en terme de réconciliation nationale car, dans cette perspective elle aide les sociétés traumatisées par la violence à faire face à leur passé27 de façon critique, afin de sortir de leurs crises profondes et d’éviter que de tels faits se reproduisent dans un proche avenir. C’est dans ce registre que les lois d’amnisties tirent leur fondement.
Après un conflit armé qui a occasionné des violations des droits de l’homme, il est nécessaire pour tout Etat, pour accéder à une réconciliation nationale durable, d’exposer le passé et ne pas hésiter de déterminer la responsabilité de chacun dans les différentes violations qui ont conduit le pays dans le chaos. D’où le besoin de la recherche de la vérité. La réconciliation est donc le socle sur lequel se base l’amnistie, mais aussi les autres fondements des amnisties.
Par ailleurs, si le terme Amnistie28 est parfois utiliser par des Constitutions pour marquer son fondement, l’expression « remise générale de peine et interruption générale ou partielle de procédures pénales pendantes » l’est davantage29. Plusieurs Constitutions européennes soulignent les compétences du législateur en matière des amnisties et, posent les conditions et les modes d’intervention.
Ceci s’explique par le fait que caractère délictueux des faits leur avait été conféré par la loi30, il est logique d’admettre que l’amnistie ne peut être décidée que par le législateur31. C’est ce que prévoit l’article 34 alinéa 5 de la Constitution française. L’article 73 alinéa 3 de la Constitution roumaine prévoit que l’amnistie, au même titre que la grâce collective, est accordée par la loi organique.
Le législateur organique dispose d’un pouvoir discrétionnaire sous réserve du respect du principe d’égalité. Le fondement constitutionnel des amnisties permet donc de mettre en place les organes compétents à la mise en exercice des amnisties, mais aussi de tracer les limites de leurs compétences.
Pour ce qui est enfin des fondements conventionnels relatifs aux DH, Il existe un nombre significatif d’accords conclus dans le cadre d’un processus de paix mais qui s’articulent selon des lignes directrices diversifiées32. Par exemple, à côté des accords qui admettent classiquement l’amnistie en l’excluant seulement pour certains cas/crimes (selon un paradigme du type règle/exception33), il en existe qui se concentrent plutôt sur des appels, souvent généralistes, à la nécessité d’éradiquer la culture de l’impunité34.
En ce qui concerne les dispositions non pas régionales mais à caractère générale, on peut parler de l’article 6.5 du Protocole Additionnel II aux conventions de Genève comme fondement des amnisties : « A la cessation des hostilités, les autorités au pouvoir s’efforceront d’accorder la plus large amnistie possible aux personnes qui auront pris part au conflit armé ou qui auront été privées de liberté pour des motifs en relation avec le conflit armé, qu’elles soient internées ou détenues ». Un article sur lequel se fonde l’accord de Lomé du 7 juillet 1999 sur le Peace agreement between the Government of Sierra Leone and Revolutionary United Front of Sierra Leone.
En ce qui concerne l’Accord de Linas-Marcoussis, l’article 3.i prévoit que : « Le gouvernement de réconciliation nationale prendra les mesures nécessaires pour la libération et l’amnistie de tous les militaires détenus pour atteinte à la sûreté de l’Etat et fera bénéficier de la même mesure les soldats exilés. ». Alors que le chapitre VI de l’Annexe, dédié au Programme du Gouvernement de réconciliation, établie que (§ 3) : « Sur le rapport de la Commission internationale d’enquête, le gouvernement de réconciliation nationale déterminera ce qui doit être porté devant la justice pour faire cesser l’impunité.
Condamnant particulièrement les actions des escadrons de la mort et de leurs commanditaires ainsi que les auteurs d’exécutions sommaires sur l’ensemble du territoire, la Table Ronde estime que les auteurs et complices de ces activités devront être traduits devant la justice pénale internationale.
Quant à l’Annexe ‘A’ de l’Accord de cessez-le-feu de la République démocratique du Congo du 10 juillet 1999, le Chapitre 9 consacré au désarmement des groupes armés prévoit, au § 1, que: “The Joint Military Commission with the assistance of the UN/OAU shall work out mechanisms for the tracking, disarming, cantoning and documenting of all armed groups in the DRC […] (a).
handing over to the UN International Tribunal and national courts, mass killers and perpetrators of crimes against humanity; and (b) handling of other war criminals”. Alors que le § 2 établit que : “The Parties together with the UN and other countries with security concerns, shall create conditions conducive to the attainment of the objective set out in 9.1 above, which conditions may include the granting of amnesty and political asylum, except for genocidaires.
The Parties shall also encourage inter-community dialogue”.
C’est par exemple le cas de l’Arusha Peace and Reconciliation Agreement for Burundi du 28 Août 2000. L’article 6 du Protocol I on the Principles and measures relating to genocide, war crimes and other crimes against humanity, inclut, parmi les Political principles and measures : “(1) Combating the impunity of crimes ; (2) Prevention, suppression and eradication of acts of genocide, war crimes and other crimes against humanity, as well as violations de droits de l’homme, y compris celles qui sont basées sur le genre; (3) Implementation of a vast awareness and educational programme for national peace, unity and reconciliation; (4) Establishment of a national observatory for the prevention and eradication of genocide, war crimes and other crimes against humanity; (5) Promotion of regional cooperation to establish a regional observatory for the prevention and eradication of genocide, war crimes and other crimes against humanity.
(6) Promotion of a national inter-ethnic resistance front to combat genocide, war crimes and other crimes against humanity, as well as generalization and collective attribution of guilt. (7) Erection of a national monument in memory of all victims of genocide, war crimes and other crimes against humanity, bearing the words « NEVER AGAIN »; (8) Institution of a national day of remembrance for victims of genocide, war crimes and other crimes against humanity, and taking of measures that would facilitate the identification de fosses communes et assurer une sépulture digne pour les victimes.
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25 Gabriele DELLA MORTE, Docteur en droit en co-tutelle avec l’Université de Paris 1, Assegnista di ricerca’ à l’Université la Cattolica de Milan. ↑
26 Fleury Fulgence BANALE, AMNISTIE ET DROITS DES VICTIMES EN REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE, L’Harmattan, 2019. ↑
28 Article 49 de la Constitution du Mecklembourg Poméranie : « Une amnistie exige une loi ». ↑
29 Article 52 de la Constitution du Bade-Wurtemberg : « Une remise générale de peine et d’interruption générale de procédures pénales ne peuvent être prononcées que par la loi ». ↑
30 Tel est le sens du principe de la légalité des délits et des peines. ↑
31 Dans la décision 98-408 DC du 22 janvier 1999, le Conseil constitutionnel y a même vu une « compétence relevant des conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale ». ↑
32 Une base de documentation est fournie par la Peace Agreements Digital Collection de la bibliothèque du United States Institute for Peace, au site www.usip.org/library/pa.html, visité le 10 octobre 2020. ↑
33 Dans ce cadre, il n’est pas toujours évident de distinguer la règle de l’exception. Pour en donner deux exemples, v. l’Accord de Linas-Marcoussis du 24 janvier 2003 (concernant la Côte d’Ivoire), d’une part, et l’Annexe ‘A’ de l’Accord de cessez-le-feu de la République démocratique du Congo du 10 juillet 1999, de l’autre. ↑
34 C’est par exemple le cas de l’Arusha Peace and Reconciliation Agreement for Burundi du 28 Août 2000. ↑
Questions Fréquemment Posées
Quelles sont les fondements juridiques des amnisties en droit international?
Les fondements des amnisties sont liés à la réconciliation sociale et aux textes fondamentaux tels que la Constitution et les Conventions internationales des droits de l’homme.
Pourquoi les amnisties sont-elles considérées comme une institution d’impunité?
Les amnisties sont considérées comme une institution d’impunité car leur application soulève des débats sur leur rapport avec la justice, surtout après des violations des droits de l’homme.
Comment les prescriptions pénales sont-elles perçues en droit international des droits de l’homme?
Le droit international des droits de l’homme rejette les prescriptions pénales pour promouvoir l’imprescriptibilité des crimes.