L’analyse comparative de la coopération entre la France et l’Afrique révèle des dynamiques inattendues, mettant en lumière des motivations politiques et économiques souvent méconnues. Cette recherche, riche en données, transforme notre compréhension des relations franco-africaines, avec des implications cruciales pour le développement des territoires concernés.
Cette œuvre est capitale pour la compréhension non seulement des relations franco-sénégalaises mais aussi celles franco-africaines. L’ouvrage est riche en documentation du fait que l’auteur connaît les deux pays puisqu’il a occupé des fonctions dans l’administration sénégalaise, ce qui lui permet d’accéder à des informations capitales. Il reste volumineux avec plusieurs thématiques et ne se limite pas au seul cas du Sénégal. En effet, des comparaisons avec d’autres pays sont faites et tous les aspects de la politique française de coopération sont pris en compte.
BOURGI commence par une définition de la coopération d’une manière générale pour une meilleure compréhension de celle française. Il nous a présenté les mécanismes, les objectifs et les institutions de la politique française de coopération en Afrique.
Selon ses dires, il est difficile d’élaborer une politique de coopération pour la France du fait qu’elle poursuit « deux objectifs contradictoires à savoir : d’une part, assumer une part de responsabilité à l’égard de l’ancien Empire en octroyant l’aide matérielle et culturelle nécessaire à la réalisation des objectifs de progrès économique et social, d’autre part conserver une place privilégiée dans la vie politique, sociale et culturelle des nouveaux Etats
58 BOURGI Albert., La politique française de coopération en Afrique : le cas du Sénégal, Paris-Dakar-Abidjan, Librairie générale de droit et de jurisprudence, NEA, 1979, p.12.
et par la même occasion substituer à la domination directe une forme nouvelle d’influence certes diffuse mais aussi dangereuse que la précédente »59.
Pour lui, l’une des incohérences de cette politique de coopération est la dispersion de ses institutions qui doivent être rattachées à un seul organisme. Pour le cas du Sénégal, son idée principale est de voir comment les règles établies par les textes ont été mises concrètement en application et les résultats sur les relations entre la France et le pays. Il a également fait une comparaison avec un pays comme le Madagascar dont le cas s’éloigne de celui sénégalais dans cette seconde phase des relations franco-africaines postcoloniales. Dans l’ensemble c’est un texte bien structuré avec un plan bien détaillé. La documentation est riche et variée. La première décennie de la coopération franco-sénégalaise est bien analysée.
Cependant l’auteur a tendance à affirmer que le Sénégal a du mal à se libérer de la dépendance française. Alors que des efforts ou le besoin de changement ont été présents depuis 1968. En effet, la « sénégalisation » des entreprises qui a été commencée depuis 1970 devrait être prise en compte dans cette étude. L’œuvre de BOURGI reste toutefois fondamentale pour nous, car il a eu le mérite de mener une réflexion sur la politique française de coopération en Afrique. En outre, son statut de juriste reste essentiel pour la compréhension des accords de coopération. Et enfin son cas d’étude à savoir le Sénégal est bien représentatif de cette coopération.
Un deuxième ouvrage a été très important pour notre recherche : « Coopération et néocolonialisme » de Sally NDONGO. C’est un texte un peu particulier du fait que l’auteur est un syndicaliste qui exprime un point de vue et s’exprime de manière très différente de ce que l’on peut lire habituellement sur la coopération. NDONGO est en effet un militant qui était très engagé dans la communauté africaine immigrée en France dans les années 1960 et 1970. Il est le fondateur de l’Union générale des travailleurs sénégalais en France en 1961. Il considère cette coopération comme un outil de ré-exploitation du continent qu’il qualifie de « néo coloniale ».
La deuxième partie de son ouvrage peut étayer nos dires et il utilise l’expression nouvelle orientation de l’impérialisme français en Afrique : « Si les Français continuent à exploiter la presque totalité des richesses africaines et bénéficient de vivre librement en
59 Idem, p.13.
Afrique, il n’en est pas de même pour les africains vivant en France. Victimes du pouvoir politique, de la répression policière, exploités par les patrons, intimidés par certaines organisations d’« aide aux migrants », abandonnés par le gouvernement, négligés par leurs compatriotes intellectuels africains et victimes de la racaille de toutes sortes, les travailleurs africains ne sont pas prêts à voir résolus leurs problèmes »60.
La lecture de ce livre nous laisse penser qu’il s’agit d’une expression de l’indignation suscitée par la condition difficile des immigrés africains en France. S’il s’agit d’un essai et non d’une recherche scientifique, celui-ci a sans doute eu un impact sur les autorités sénégalaises. En effet, dans les nouveaux accords de coopération surtout en matière de circulation des personnes et d’établissement, ces dernières ont supprimé toute notion d’assimilation.
Désormais les Français sont des étrangers comme les autres ressortissants et sont obligés d’être conformes à la législation du pays sur les étrangers. Cependant des facilités leur ont été faites. Nous y reviendrons amplement. Dans une correspondance de l’ambassadeur français au Sénégal on peut noter ceci : « Pour informer nos compatriotes des nouvelles dispositions les concernant en application du nouvel accord sur la circulation des personnes. Il ressortait de ce communiqué que des facilités étaient accordées à nos ressortissants résidents au Sénégal pour régulariser leur situation en déposant aux services de police leur demande de carte d’étranger entre le 1er et le 31 mars 1975 ».
Nous ne pouvons pas dire pareil du côté français. En effet, les immigrés sénégalais furent victimes de mauvais traitements : « des refoulements dont sont victimes des ressortissants sénégalais pourvus d’un visa délivré par leurs autorités est en effet du point de vue sénégalais en violation de l’accord de circulation du 29 mars 1974 »61. Nous aurons l’occasion d’en reparler dans la troisième partie sur les effets des nouveaux accords de coopération.
Si nous regrettons l’absence de références à ses sources dans l’ouvrage de NDONGO, nous pouvons lui reconnaître une description précise des relations franco-africaines. Il s’agit du témoignage de quelqu’un qui a subi les effets de cette coopération. Or, il n’est pas facile de
60 NDONGO Sally, Coopération et néocolonialisme, Paris, Maspero, 1976, p.199.
61 Ibidem.
trouver un point de vue d’un sénégalais sur le sujet. Il a donc le mérite de nous offrir ce vécu que beaucoup d’ouvrages évacuent. Dans notre dernière partie, nous ferons appel à lui quand nous nous pencherons sur les conséquences de cette coopération et le ressenti des populations. Il faut savoir que des sommes importantes sont déboursées dans le but d’aider ces dernières. Donc il est nécessaire de savoir si cette aide a vraiment touché les destinataires sans oublier le contact avec les agents de coopération. De fait, on estime que le livre de NDONGO, replacé dans son contexte, constitue en soi un ouvrage critique tout à fait utile pour analyser la coopération franco-africaine.
L’un des premiers bilans faits sur l’aide publique au développement de la France, et rendu public, est bien celui de Claude FREUD dans son ouvrage intitulé « Quelle coopération ? Un bilan de l’aide au développement (1988) ». Cet ouvrage est une réflexion menée « par un acteur de terrain » dont la mission est de mettre en œuvre la coopération au développement, et qui tente de faire « une critique de l’intérieur du système qui vise à provoquer la bonne conscience »62 de ceux
qui font du développement leur métier. Dans ce travail, l’auteur déclare vouloir remettre en question « la pertinence du modèle de développement » que les pays du Sud ont choisie et que la France veut aider à promouvoir.
Ce modèle de développement préconisé et qui semble, selon lui, avoir réussi en France après la Seconde Guerre mondiale, est celui de « la modernisation grâce à des technologies de pointe dans le cadre d’une planification souple, d’un environnement de libre-échange »63. L’objectif est le Wellfare State s’appuyant sur l’éducation et la santé gratuites, avec pour image de référence la société de consommation européenne. La question que se pose Claude FREUD est de savoir si ce modèle peut être transposable aussi aisément au sein des pays bénéficiant de l’aide publique française.
Pour l’auteur, la transposition n’est pas possible : « la lecture des évaluations montre au contraire qu’il y a un fossé entre les intentions et les réalisations »64. Face à cette hypothèse, l’objectif de l’auteur est de faire participer la France au débat sur le développement à partir d’expériences historiques, en relativisant les querelles idéologiques, pour selon lui « aller au fond du problème », et se poser la question à savoir « comment développer ? ».
62 FREUD Claude, Quelle coopération ? Un bilan de l’aide au développement, Paris, Karthala, 1988, p.5.
63 Ibidem.
64 Ibidem.
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58 BOURGI Albert., La politique française de coopération en Afrique : le cas du Sénégal, Paris-Dakar-Abidjan, Librairie générale de droit et de jurisprudence, NEA, 1979, p.12. ↑
60 NDONGO Sally, Coopération et néocolonialisme, Paris, Maspero, 1976, p.199. ↑
62 FREUD Claude, Quelle coopération ? Un bilan de l’aide au développement, Paris, Karthala, 1988, p.5. ↑
Questions Fréquemment Posées
Quelle est l’origine de l’Agence Française de Développement (AFD) ?
L’Agence Française de Développement a été créée en 1941 sous le nom de Caisse centrale de la France Libre.
Quels sont les objectifs de la politique française de coopération en Afrique ?
La politique française de coopération vise à assumer une part de responsabilité envers l’ancien Empire en octroyant l’aide matérielle et culturelle, tout en conservant une place privilégiée dans la vie politique, sociale et culturelle des nouveaux États.
Comment la coopération franco-sénégalaise est-elle perçue par les auteurs ?
L’auteur BOURGI affirme que le Sénégal a du mal à se libérer de la dépendance française, malgré des efforts de changement depuis 1968, notamment avec la ‘sénégalisation’ des entreprises.